Les remarques de Carmody amusèrent Hélène. Elle était d’accord sur la plupart des points. Les Amazones n’étaient pas un exemple d’amabilité et d’hospitalité ; il fallait juste comprendre que, chez elles, rien n’était excessif. Quand une Amazone vous disait que vous pouviez séjourner en leur sein, il fallait interpréter ça comme un franc « bienvenue ». Les Amazones se félicitaient très peu, réservant cela pour les grandes occasions. Pour elles, les félicitations étaient à réserver. Si on félicitait une sœur pour tout et n’importe quoi, alors les félicitations n’avaient plus aucun intérêt. Chez la Horde, il n’y avait pas de décorations, pas de médailles pour honorer le courage des sœurs, rien d’autre que les félicitations solennelles de la Reine. C’était une chose qui décontenançait généralement les invités : la froideur naturelle de la Horde. Il y avait plusieurs raisons à cela. Outre leur pudeur naturelle, c’était aussi une forme de xénophobie, naturelle. La Horde était comme une grande famille. Quand l’un des membres de la famille amenait un ami dans la maison, la famille était naturellement méfiante initialement, ne sachant pas à quoi s’attendre. Elle n’en dirait toutefois rien au Père, Hélène n’était pas une guide touristique.
Carmody avait également remarqué l’attrait des Amazones pour l’astronomie. Il n’y avait rien de surprenant à cela, et sa remarque n’appelait d’ailleurs pas à une réponse immédiate. Elle continua à boire un peu, jusqu’à ce qu’il lui pose une question la concernant. Avec un léger sourire, Hélène ne tarda pas à répondre, à satisfaire sa curiosité.
« Contrairement à bien de mes sœurs, je ne suis pas née au sein de la Horde, mais dans un petit royaume. J’étais une Princesse, qui était prédestinée à se marier au fils d’un puissant duc. Il contrôlait une bonne partie des gisements naturels du royaume. J’ai reçu une instruction religieuse, de bonne petite Princesse, en apprenant les langues, l’arithmétique, l’Histoire, la politique, mais sans jamais apprendre à me battre. »
Elle en parlait sans nostalgie. C’était son ancienne famille, et elle avait cessé de les aimer il y a bien longtemps, quand elle avait réalisé que son père était un couard qui l’avait vendu comme un vulgaire tapis, et qu’elle était prédestinée à une vie de soumise envers son mari.
« Un jour, les Amazones sont venues, et ont pris possession d’un château frontalier, emprisonnant la population. Notre peuple est entouré de légendes et de superstitions, certaines très fausses, d’autres partiellement exactes. Les conseillers de mes pères avaient décrit ces femmes comme des diablesses, des démones, qui mettraient leur royaume à feu et à sang, et massacreraient les nouveau-nés pour des invocations satanistes. Mon père a tenté de reprendre le château par la force, mais ses troupes ont échoué. »
La guerre avait été plutôt brève, car le château, en hauteur, était difficilement prenable. Les Amazones l’avaient pris en faisant preuve d’une stratégie à laquelle on ne s’attendait pas forcément, de la part de femmes. Elles avaient reproduit une sorte de cheval de Troie, en infiltrant plusieurs Amazones à l’intérieur, comme esclaves. Il avait juste fallu trouver un mâle pour les aider, et, à l’intérieur du château, les Amazones s’étaient évadées des geôles, et avaient pris en otage les dirigeants, avant d’ouvrir le corps de garde. Le reste de la Horde avait attaqué de nuit, affrontant une garde réduite et désœuvrée. Depuis cette position, elles avaient attaqué plusieurs villages, hameaux, afin de profiter de leurs droits : obtenir des femmes pour la reproduction, ou, à défaut, des vivres et des biens.
« Il a donc réussi à obtenir des pourparlers, et a réussi à négocier le départ des Amazones, moyennant des sommes. J’étais avec lui à ce moment-là, et il m’a offert aux Amazones. A l’époque, je croyais qu’elles allaient me dévorer dès le premier jour, me mettre dans une marmite, et s’en servir pour invoquer des démons. Les Amazones sont parties, et je me suis retrouvée collée contre une femme plus âgée, qui a commencé par vérifier mes connaissances en astronomie. »
Hélène n’avait pas appris l’astronomie au royaume, et l’Amazone qui s’occupait d’elle lui avait montré toutes les constellations, lui expliquant que la carte de l’espace était un excellent moyen de se repérer. Il fallait voir les astres et les étoiles comme des espèces de guides inconscients et omniscients, un voile nocturne qui protégeait et orientait les Amazones.
« Je sais que les Amazones sont un peuple assez particulier, et que leurs comportements peuvent surprendre. Nous sommes un peuple de nomades, et l’unité est la seule chose qui permet à notre peuple de continuer à exister. Nous sommes une grande famille... Et il est toujours facile d’accepter que des individus qui ne fassent pas partie de votre famille se mettent à table avec vous, partagent votre couche, et guerroient avec vous... D’autant plus que les Amazones sont bien moins pudiques que d’autres peuples... Ce que vous avez du remarquer, je crois, non ? »
Tout en disant cela, son regard s’était posé sur l’entrejambes de Carmody. C’était le genre de détail qu’on ne pouvait pas vraiment cacher à une femme. Elle eut un léger sourire, et enchaîna rapidement, désignant du nez Acté et une autre Amazone.
« Bien des croyances prétendent que les Amazones capturent des hommes pour se reproduire. C’était vrai jadis, mais, maintenant, nous disposons de plantes qui permettent de pallier à cela. Nous n’avons aucune gêne avec le sexe, et ne voyons pas pourquoi il faudrait en avoir. C’est l’affirmation de la vie, l’expression la plus simple et la plus honnête du pouvoir. Dès ma troisième nuit, j’étais dans la couche d’une sœur qui faisait l’amour avec une autre. »
Elle eut un léger sourire nostalgique à cette idée.
« N’allez pas y voir une forme de pédophilie, c’est juste que nous abordons le sexe comme n’importe quoi d’autre. Les femmes y sont bien plus sensibles que les hommes, et nous sommes entraînées très jeune à devoir dominer le sexe, à s’en servir comme d’une arme contre les hommes qui voudraient s’en servir pour abuser de nous. »
Autre culture, autres mœurs. Hélène savait que, dans bien des systèmes, le sexe était quelque chose de tabou, quelque chose de caché. Elle n’avait jamais compris ce mode de fonctionnement, et estimait qu’il était juste différent du sien. Ne pas y mettre un jugement de valeur était dur, car c’était quelque chose d’éminemment subjectif, mais elle avait la bonté de garder ses opinions pour elle. Les flammes, quant à elles, glissaient sur le dos d’Acté, et on pouvait voir les mains tendues de l’autre Amazone lui griffer le dos, faisant gémir Acté. L’Amazone avait toujours adoré ça.
« Ne sont-elles pas magnifiques ? « demanda-t-elle sur un ton un peu plus bas, n’étant après tout pas insensible à ce spectacle.