Hantise (PV)

Cahir accepta sans difficulté la cigarette. Il la prit entre ses lèvres, et toussota légèrement. Il n’avait pas fumé depuis bien longtemps, et trouvait cela rapidement insupportable. L’odeur de tabac l’agressait, mais il n’y fit pas spécialement attention. Ça lui permettait de penser à autre chose. Eclipse soliloquait, commentant à sa manière le conte. Elle envisageait un mariage politique comme une sorte de prostitution. L’image était à la fois fausse et inexacte. Un mariage politique, c’était plutôt généralement assez chiant. Une fois la consommation faite, les époux passaient leur temps à se tromper. Cahir en savait quelque chose. Eclipse désirait le nom de cette femme, et Cahir ferma les yeux, essayant de se concentrer, mais sans réussir. Le mot était là, sur le bout de sa langue, brûlant, mais il ne parvenait toujours pas à remettre le nom.

*C’est frustrant...*

La nécromancienne heurta soudain, avec le talon, un trou entre deux planches. Intéressé, Cahir la regarda s’agenouiller. L’effondrement de la terrasse avait délogé une pierre, et Eclipse en sortit un petit objet qu’elle garda enfouie dans la paume de sa main. Elle le regarda ensuite, et se permit de lui adresser un compliment.

« Vous n’avez pas idée de ce dont je suis capable » rétorqua simplement ce dernier.

Il jeta la cigarette sur le sol, à moitié consumée, et l’écrasa du talon. Elle lui montra ensuite l’objet. Un petit médaillon doré, avec un nom gravé dessus. Un « M. » pour « Marjorie », suivi de...

*Bophessa ! Marjorie de Bophessa !*

Ce fut comme si une lumière venait d’illuminer son esprit. Bophessa ! C’était bien ça ! Il fut tenté de le dire à Eclipse, mais cette dernière se lança dans une longue tirade. Cette bibliothèque était apparemment d’anciennes thermes. Cahir hocha rapidement la tête, et désigna du doigt le médaillon.

« Bophessa... C’est ainsi que ce fantôme s’est présenté à moi... J’avais le nom sur le bout de la langue... La Comtesse Marjorie de Bophessa ! »

Il hocha la tête. Personnellement, il ne savait pas en quoi ce nom était si important, n’étant pas nécromancien, mais c’était sans importance. Eclipse avait enfin le nom de cette femme. Cahir n’avait dès lors plus qu’à partir... En tout cas, en attendant que la tempête se termine. Il s’avança un peu, avant de lâcher :

« Mais, dites-moi... Qu’est-ce qui a pu amener ce fantôme à revenir dans ce château ? Je pense que cette histoire avec la Comtesse a du se dérouler il y a des siècles... Pourquoi maintenant ? »

L’apatride la regarda ensuite, arrivant à la fin de sa réflexion :

« Si quelqu’un l’a invoqué... Il est possible que cette personne l’invoque à nouveau, si jamais vous la scellez... Si toutefois vous arrivez à la sceller. Compte tenu de votre précédent succès en l’ayant invoqué... Et, malgré vos talents, et sans vouloir vous offenser, vous n’avez pas un corps très résistant. Si elle vous balance à travers une vitre, je crains que votre dos déjà endolori nécessite des opérations médicales intenses. »

Cahir ne savait pas trop pourquoi il lui disait ça. Sans doute parce que, derrière ses airs de garce et de nécromancienne, dans un sens, elle lui plaisait.

« Mais bon, peu importe... rajouta-t-il en se dirigeant vers la sortie. J’en ai assez de ce château pourri... Chassez les fantômes si vous le voulez ; demain, j’irais là où le vent me portera. »

La nécromancienne écouta ses questions attentivement, tout en rangeant le collier dans une bourse en cuir, qu'elle noua à sa taille. Cet élément serait crucial ... Mais elle ne pourrait pas lui expliquer le comment du pourquoi. Des histoires d'aura, de revanches, d'esprits frappeurs, de fluides ... Tout une galaxie qu'elle connaissait sur le bout des doigts, après l'avoir étudié durant de longues années. En faire un résumé, là, en trentes petites secondes, ne serait pas consistant. Et puis, elle s'embrouillerait forcément. Comme je vous l'ai dis, Eclipse n'est pas douée pour faire du social. Elle parlait peu, fréquentait peu de gens, et s'en portait très bien. Le silence et la cigarette étaient encore ses alliées favoris. Quand il se permit un " Vous ne savez pas de quoi je suis capable ", la nécromancienne ne put retenir un sourire. Mais quand il remit en question ses capacités et sa résistance ... Là, elle fronça les sourcils. Elle n'aimait guère que l'on doute d'elle.

Aussi plongea t'elle sa main dans sa sacoche, pour en extraire un flacon de verre, où des feuilles séchées se reposaient.

- De la mandragore, préparée par mes soins. Cela vous rend immortel. Cette comtesse m'a jetée contre des murs, m'a brûlée vive, mais je suis encore debout. Je suis très endurante.

... Etait-ce un sous-entendu délicatement dissimulé ? A en voir son regard amusé, oui. Mais elle continua bien vite sur un ton plus sérieux.

- Les esprits peuvent voyager comme ils le souhaitent, entre notre monde et le leur. Il y en a partout, tout le temps, autour de nous. Certains se manifestent, d'autre non ... Et certains spectres peuvent attendre des années avant de refaire surface. Il est possible de Marjorie de Bophessa se ...

Un frisson parcourut son échine aussitôt. Eclipse eut la sensation, soudain, qu'un vent frais s'était insinué dans la pièce, et même cet homme face à elle devait le sentir. Son regard osculta chaque recoin de la pièce, avant qu'elle ne sente un nouveau souffle le long de son dos. Aussitôt, sa main se porta à son cou, où elle vint serrer un de ses nombreux pendentif, un pentacle qu'elle avait fabriquée elle-même.

- Elle m'a sentie ... Elle va revenir.

Murmura t'elle. Etrangement, on ne pouvait sentir aucune peur dans sa voix, mais plutôt une assurance presque déstabilisante. D'une pression, elle ouvrit le flacon, extirpant deux feuilles, les maintenant dans sa main.

- Restez ici. Je vous en supplie, restez ici. Ne quittez les archives sous aucun prétex ...

Un bruit sourd se fit entendre dans la bibliothéque, derrière eux. Vite, elle prit le pendentif, pour l'accrocher autour de son cou. Un autre son se fit entendre, et elle avala les deux feuilles. Les effluves de la drogue ne tarderaient pas à monter.

- Elle est dans la bibliothéque.

Bon, d'accord, il y avait peut-être une once d'inquiétude, dans sa voix, mais son regard était déjà troublé. Ses pupilles se dilataient affreusement, au point qu'il n'y ait presque plus de blanc dans ses beaux petits yeux. Alors, vite, elle poussa Cahir pour l'éloigner de la sortie, et entra dans la bibliothéque à l'instant même où une étagére venait de s'effondrer. Et tout recommença : l'ectoplasme se matérialisa rapidement. Une belle femme, froide, qui glaça d'ailleurs l'atmosphére toute entière. Après le feu, la glace ... Imaginative. Eclipse ne pouvait s'empêcher de frissonner, glacée, commençant à psalmodier à nouveau des cantiques étranges. Un des cantiques la protégeait des attaques, et l'autre se chargeait de chasser cet esprit. Maintenant qu'elle connaissait son nom ... Elle ne put retenir un sourire.

Ce qui agaça l'esprit, forcément. Qui lui balança quelques gros ouvrages au visage, cherchant à viser la nécromancienne par tout les moyens. Mais c'était perdu d'avance ... Eclipse, devenue une sorte de surdouée indestructible, les évitait gracieusement. L'un d'eux, cependant, vint la frapper à l'épaule, et l'autre en plein ventre. Un dernier acheva d'ouvrir la porte qui séparait les archives de la bibliothéque, laissant à Cahir le loisir de voir une nécromancienne en pleine action. Ce qui est plutôt effrayant, soit dit en passant. Les psaumes d'Eclipse n'étaient plus murmurés, ils étaient récités sur un ton monocorde, tandis qu'elle s'approchait de l'esprit sans ciller. La comtesse, aussitôt, la propulsa dans les airs, et la jeune fille se mangea royalement un des murs, avant de retomber lourdement sur le sol. La douleur lançait tous ses muscles, au point qu'elle peina à se relever.

Mais elle le fit. Et elle ouvrit la bouche, pour laisser un son sourd s'en échapper. A cet instant même, ce n'était plus la voix d'Eclipse, mais celle de la Mort, qui ordonnait à Marjorie de Bophessa de retourner dans l'au-delà. D'un bond, Eclipse se jeta sur le spectre, qui semblait être une personne de chair et de sang, pour lui plaquer le pendentif sur le front.

- Salue bien la Mort de ma part, Marjorie de Bophessa. Je te renvoie dans les limbes, sussura Eclipse dans un sourire.

Le reste se passa très vite. Une implosion, et le pendentif vola dans la pièce, pour atterir aux pieds de ... Cahir. La nécromancienne était retombée sur le sol, le corps marqué de traces rouges et de marques sanguinolentes.

- Ecrase-le ! Détruis ce collier ! Elle est dedans !

Hurla Eclipse, à l'intention de Cahir. S'il ne le détruisait pas expressement, l'esprit ressortirait, et lui mettrait une raclée épouvantable. Sur ce coup-là, elle devait bien avouer qu'elle devrait sa survie à cet homme. Si vous saviez à quel point cette idée l'agaçait ... Mais elle n'eut pas le temps de tergiverser : aussitôt l'ordre donné, elle tomba inerte sur le sol, son énergie réduite à néant.

De la mandragore... Cahir haussa les sourcils, sans rien dire. Il connaissait la mandragore. C’était le truc classique, à l’académie, pour réussir les épreuves physiques. Il y avait toujours des cadets et des novices qui se faisaient avoir par des élèves plus âgés : « Si tu veux réussir sans problème à surmonter les épreuves, une feuille de mandragore contre trois dragons d’or ». Les plus fortunés payaient, et se faisaient systématiquement avoir. La mandragore, c’était de la triche, et, pour en utiliser sans devenir dingue, il fallait avoir des prédispositions magiques puissantes. Ce n’était pas le cas de Cahir, et, quand bien même, il n’aurait jamais utilisé ce truc. La mandragore était une arme à double tranchant. Du peu qu’il en savait, elle paralysait tout le système nerveux, rendant le sujet insensible à la douleur. Mais immortelle ? Nulle chose n’était immortelle. Même les Dieux pouvaient disparaître.

Cahir resta également sceptique sur les raisons avancées par Eclipse pour justifier l’intervention du fantôme. Il n’y connaissait rien en nécromancie, mais il avait un soldat, et un soldat était, autant que c’était possible, cartésien. Un soldat, ça croyait en des certitudes, pas en des chimères. Un fantôme ne pouvait pas pour lui apparaître comme ça un beau matin... C’était peut-être l’écoulement naturel de la malédiction, un rythme cyclique... Une apparition centenaire, ou un délire dans le genre... Comment savoir ?

*Et puis, quelle importance ? Ce n’est pas ici que je veux rester... Je n’ai pas traversé tout Terra pour affronter des macchabées...*

Récupérer son épée, c’était tout ce qui comptait. Ensuite, foutre le camp. En bonus, fracasser la tête de l’un des soldats qui s’était foutu de lui. Il commença à sortir quand Eclipse lui demanda de rester. Cahir tiqua. Avait-il bien entendu le verbe « supplier » ? Pour qu’Eclipse en vienne à supplier, à le supplier, lui, c’est qu’elle devait avoir un souci. N’ayant pas entendu cette dernière annoncer que le fantôme était de retour, il s’avança vers elle, indécis.

« Et bien quoi, ne me dites pas que... » commença-t-il.

Il y eut soudain un courant d’air puissant, et la porte se referma violemment sur lui, lui défonçant le nez. Encore une fois, Cahir s’écroula sur le sol, alors que les portes se mirent à battre follement. Se redressant, Cahir recula prudemment.

*Woah ! Qu’est-ce que c’est que ce nouveau délire, encore ?!*

Il comprit que c’était le fantôme, et se rapprocha des portes, lorsque ces dernières s’ouvrirent brutalement. Cahir en profita pour bondir à l’entrée, et portant inconsciemment sa main vers la paume de son épée... Pour constater qu’elle n’était plus là... Un curieux ballet se déroulait à l’intérieur. Une espèce de tempête de givre s’abattait dans la pièce, et les livres tournoyaient dans les airs. Des pages étaient arrachées, et certains s’écrasaient violemment sur Eclipse, ou contre les murs. Cahir se reçut en plein milieu du visage un énorme dictionnaire, et heurta le mur. Des cristaux de glace filaient dans tous les sens, et il ne put que fléchir les genoux, tentant de s’avancer vers le centre d’attention du fantôme : la nécromancienne.

*Bordel... Un bon vieux combat à l’épée, ça serait quand même bien plus simple !*

Eclipse se battait avec force, Cahir devait bien lui reconnaître ça. Une vraie Ashnardienne... Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire à Nexus, celle-là ? Sa place était au sein de l’armée impériale, plutôt. Mettant une main devant son front pour se protéger, il vit un cristal de glace fondre sur lui, et l’évita en bondissant en arrière, avant qu’un autre livre ne vienne le frapper à la joue, manquant le renverser sur le sol. Il se rétablit à l’aide d’une main, alors que Marjorie prenait forme. Même dans la mort, elle avait conversé une beauté terrifiante.

Cahir en fut détaché quand Eclipse se mit à parler d’une voix caverneuse et terrifiante. Une voix aux accents tranchants et sombres, mais qui semblèrent terroriser la Comtesse. Cette dernière sembla alors se volatiliser, s’absorbant dans le médaillon qu’Eclipse avait récupéré. Ce dernier, sous une bourrasque, s’envola, et atterrit devant les pieds de Cahir. Épuisée, Eclipse lui ordonna de le briser avant que Marjorie n’en ressorte. Baissant la tête, Cahir vit en effet qu’une espèce de force cherchait à en sortir. Il releva la tête vers Eclipse.

« Et comment je... ? demanda-t-il, avant de la voir tomber dans les vapes. Et merde ! Bon... On va faire ça à l’ancienne. Désolée, ma chérie, mais les relations d’outre-tombe, ce n’est pas pour moi ! »

Levant le pied, Cahir s’apprêta à l’abattre avec force, quand il entendit derrière lui un mouvement rapide. Encore une fois, il essaya d’attraper son épée, mais ses doigts effleurèrent le vide, alors qu’il se retourna. Il vit une forme encapuchonnée, puis un flash blanchâtre. De puissants arcs électriques frappèrent avec force son torse, et Cahir poussa un hurlement de douleur en s’envolant. Il heurta violemment une bibliothèque, et s’écrasa sur le sol, son torse fumant. Sonné, Cahir tenta de se relever, le corps tremblant. Il souffrait comme un chien, et contempla son armure. Elle était rouge, brûlante. L’ébonite lui avait sauvé la vie. Sans son armure, son corps aurait calciné.

Le mage noir qui avait fait ça se penchait pour récupérer le médaillon. Cahir entreprit de se relever, s’appuyant à l’une des étagères de la bibliothèque, repoussant un livre. Le mage noir tendit une main vers Eclipse.

« Je ne peux pas prendre le risque que tu renfermes à nouveau ma précieuse création... Navré, chère collègue... »

Des liens grisâtres jaillirent alors de ses doigts, plongeant vers Eclipse pour la déchiqueter. Cahir attrapa son collier, et ouvrit le pendentif, brandissant sa dymérite. Les liens grisâtres disparurent alors immédiatement, et l’attaquant poussa un cri de surprise.

« Encore en vie ?! s’étonna-t-il.
 -  Il... Il en faut plus pour me tuer...
 -  De la dymérite... Ce château est plein de surprises... Partez d’ici. Ce combat ne vous concerne pas. La prochaine fois que nous nous reverrons, je ne serais pas aussi conciliant, et ton caillou ne te sauvera pas... »

Le nécromancien se retourna, restant éloigné de la dymérite. Soupirant, Cahir tenta de se relever pour le poursuivre, mais il tomba sur le sol. Son ventre lui faisait un mal de chien, et il resta allongé sur le dos pendant plusieurs minutes, avant de remettre la dymérite dans son pendentif. Reprenant son souffle, l’apatride entreprit de se relever, et avança vers Eclipse. Tâtant son pouls, il réalisa que cette dernière respirait encore.

*Je déteste avoir raison... Surtout quand ça fait aussi mal...*

Il souleva Eclipse. Une main posée sur sa tête, l’autre sous ses jambes, il la décolla, se faisant l’effet d’un chevalier servant. Il n’allait tout de même pas la laisser là. La bibliothèque ne ressemblait plus à rien. L’apatride retourna vers la chambre de la jeune femme. La nuit était profonde, et, soit les gardes dormaient, soit ils étaient agglutinés auprès de leur seigneur, loin de la bibliothèque. Cahir rejoignit donc sans trop de problème la chambre de la femme, ne croisant personne, et ouvrit la porte d’un coup de pied. De manière moins élégante, il balança Eclipse sur le lit, et en profita pour retirer enfin son armure. Le plastron s’écrasa lourdement sur le sol, et il contempla dans un miroir son torse. Sa peau était terriblement rouge.

Soupirant longuement, il s’affala sur un fauteuil, passant une main dans ses cheveux en sueur, et tourna son regard vers la cheminée. Se relevant, il raviva le feu qui commençait à mourir, afin de s’éclairer. Cahir avait déjà suffisamment chaud comme ça. Rallumant le feu, il remarqua ensuite un petit mot griffonné sur une table, et le lut. Eclipse avait sollicité un masseur. Il sourit. Cahir doutait qu’il y ait des masseurs dans ce trou, et, s’il y en avait, la garde était sans doute trop occupée pour ce soir. Roulant le papier en boule, il le balança dans le feu.

*Si j’avais eu mon épée...*

L’épée aurait, soit absorbé l’attaque, soit l’aurait coupé en deux. Sans cette dernière, il était aussi dangereux qu’un chaton. La récupérer allait devenir une priorité. Lentement, Cahir s’approcha d’Eclipse, hésitant à la déshabiller pour voir l’étendue des plaisirs, et s’abstint. Si elle se réveillait en le voyant lui ôter ses vêtements, elle serait capable de le tuer sur place... Il resta donc à proximité, attendant qu’elle se réveille. Son pouls battait normalement, et elle n’avait aucun signe d’une quelconque hémorragie. Partant de là, aller chercher un mage ne servirait à rien qu’à embêter Cahir.

D’autant plus qu’il avait désormais quelques raisons de se méfier du mage... Les mages dans ce château n’étaient pas légion...

Encore une fois, Eclipse avait eu droit à un sommeil sans rêves. Juste une ombre noire, un brin tentaculaire, qui l'avait plus apaisée qu'autre chose. Aucune notion de temps, aucune notion d'espace, rien qu'un vide apaisant. C'est le réveil qui ne fut guère joyeux ... Le corps encore engourdi par le froid, et le dos assez douloureux, elle ouvrait les yeux avec peine. Certains endroits de son corps la piquait, aussi devina t'elle qu'elle avait des plaies partout sur la peau. Un rapide coup d'oeil sur ses bras, et elle poussa un lent soupir. Dieu qu'elle était amochée ... La nécromancienne n'osa même pas remuer un seul muscle, ses yeux oscillant à droite et à gauche. Des souvenirs en rafale l'agressait ... Un nouveau soupir, et elle se releva sans douceur, faisant à nouveau craquer sa colonne vertébrale. Le goût de la mandragore et celui du tabac tachait encore son palais, aussi toussa t'elle doucement, avant de lever les yeux vers lui. Elle ne lui adressa pas un seul sourire, son visage reste inexpressif au possible. Sa main attrapa sa sacoche, d'où elle sortit un autre flacon, cette fois opaque. Quelques pilules noires s'y trouvaient, et elle en goba trois. Histoire de retrouver des forces.

Puis elle se redressa entièrement, soulevant légérement son jupon pour regarder ses jambes marquées de griffures.

- Je ... J'ai complétement oublié ce qu'il vient de se passer ...

Murmura la nécromancienne. Comme une enfant, elle se frotta les yeux, reprenant une certaine contenance.

- Dis-moi qu'il y a une bouteille d'alcool, là ... J'aurais bien besoin d'un remontant.

Continua t'elle, se permettant un sourire. Son corps était complétement endolorie. Elle se sentait comme une poupée de porcelaine, que l'on brise si facilement ... Le feu, qui crépitait dans la cheminée, achevait de la maintenir en vie.

- Je suis glacée ... Ah, putain. J'ai l'impression qu'on vient de me ...

Tuer. Non, ça, évidemment, elle ne le prononça pas à voix haute, le gardant pour elle.

- Je viens de ressusciter, on dirait.

Admit-elle dans un sourire. Son seul réflexe fut de porter ses mains à sa chevelure, pour y raccrocher quelques pinces, afin que sa coiffure ne se détruise pas. Elle jetait, de temps à autre, des regards vers Cahir, sans jamais vraiment le fixer. A ce moment, elle avait besoin de tout, sauf une nouvelle apparition.

- Je vendrais mon âme pour un peu de répit, glissa t'elle finalement dans un sourire, tout en pliant délicatement une de ses jambes, dévoilant l'entiéreté de celle-ci.

Les marques rouges disparaissaient déjà, sa peau redevenant d'un diaphane tendre. Merci à ces trois petites pilules miraculeuses ... 

*J’ai comme une impression de déjà-vu...*

Contre le mur, Cahir s’était contenté d’observer distraitement Eclipse. Il appréhendait légèrement le moment où elle se réveillerait, car il devrait alors lui dire que la Comtesse n’avait toujours pas été renvoyée dans l’au-delà, et qu’ils avaient sur les bras un problème un peu plus urgent. Séparé de son plastron, Cahir ne portait désormais plus que sur le ventre qu’une simple chemise en coton, bien moins lourde, et qui la serrait surtout moi. Dans ce petit laps de temps avant que la belle ne daigne sortir de l’endroit où son esprit se trouvait, l’esprit de l’apatride se mit, comme à son habitude, à dériver sur d’autres lieux. Il songea surtout à ce type qui avait balancé sur lui un arc électrique. Impossible d’identifier la voix ; elle avait semblé lointaine, froide, et caverneuse. Impossible d’identifier le corps ; Cahir n’avait pas vu son visage, et avait été bien trop sonné pour se rappeler autre chose qu’une silhouette noirâtre dissimulée dans une longue robe. Ses soupçons se portaient instinctivement sur le mage du coin, car ce dernier était probablement le seul individu au château à savoir manier la magie, mais l’intuition de l’apatride lui disait que ce serait trop facile... Et puis, certains mots que l’homme lui avait dit semblaient pencher pour une théorie encore plus compliquée.

C’est alors qu’il songeait à cela qu’Eclipse finit par se redresser. Sans un mot, Cahir la regarda. Il entendit le dos de cette dernière craquer comme les os d’une grand-mère. Relevant ses affaires, elle contempla l’état assez triste de ses jambes, tout en avouant avoir tout oublié... Ce qui risquait de simplifier énormément la tâche de Cahir. Elle se frotta ensuite les yeux, dans un geste assez attendrissant, tandis que l’ancien Ashnardien restait silencieux. Lorsqu’elle demanda une bouteille d’alcool, il se contenta d’ouvrir un placard, où se trouvait une bouteille avec un petit mot griffonné à la hâte sur un papier : « Avec tous nos remerciements pour nous aider à sortir de ce cauchemar », de la part de la dame locale. S’emparant de la bouteille, qui avait été ouverte, et d’une verre, il remplit le second objet par le contenu du premier, et déposa le tout sr la table de chevet, ressemblant en ce sens à un véritable serveur.

« Je crois que votre chambre est plus approvisionnée que la mienne. »

Elle avoua ensuite avoir... « Ressuscité ». Littéralement ? Non... Il devait plutôt s’agir d’une forme d’expression abstraite... Quoique, avec une nécromancienne, il fallait s’attendre à tout. Revenait-elle réellement d’entre les morts ? Si tel était le cas, Cahir était en train de discuter avec un foutu macchabée sur pattes, hypothèse suffisamment glauque pour l’amener à estimer qu’il préférait finalement ne pas savoir ce que cette phrase impliquait. Il se mit à avancer un peu dans la pièce, observant l’état de la cheminée, du feu qui crépitait. Ce dernier avait l’air bien parti, et Eclipse avoua ensuite vouloir un peu de répit... Une manière polie de dire qu’elle voulait qu’il dégage ?

« Je crois que vous avez surtout besoin de dormir un peu... L’usage intensif de feuilles de mandragore n’est pas requise, même pour une femme qui semble, comme vous, trop têtue pour mourir. »

Il se retourna vers elle, délaissant la vue des flammes qui dansaient, et se rapprocha du lit.

« Tout ne s’est pas passé exactement comme prévu dans la bibliothèque, avoua-t-il finalement, choisissant prudemment ses mots. Il y avait une inconnue dans l’équation qui s’est dévoilée... En manquant me transformer en torche humaine, au passage. »

Son plastron noirâtre et brûlant déposé dans un coin suffisait à le montrer. Cahir réalisa alors qu’il aurait été facile pour Eclipse de réaliser qu’il n’était pas qu’un simple vagabond, ne serait-ce qu’en observant le plastron. L’ébonite n’était pas un matériau qu’un simple rôdeur pouvait avoir. Une autre armure plus traditionnelle, comme une armure de plates, n’aurait pas pu absorber aussi bien l’attaque magique que l’ébonite. Se massant la nuque, l’apatride poursuivit :

« Je crois que quelqu’un a permis à notre fantôme de venir ici pour embêter le seigneur local... Soit c’est ça, soit c’est un nécromancien qui, comme nous, a profité du fait qu’il y ait un fantôme dans le coin pour venir le protéger. Et je pense à un nécromancien, car il vous a nommé ‘‘collègue’’ après m’avoir balancé contre une bibliothèque, et tenté de vous achever... »

Continuant ses explications, l’apatride se frottait les mains, légèrement nerveux. Pour lui, c‘était un aveu de faiblesse ; il n’avait pas été en mesure de détruire Marjorie, ni de stopper le nécromancien. Certes, l’homme l’avait pris pas surprise ; certes, il n’avait pas son épée, mais ces excuses ne justifiaient pas son inutilité. Parler de son propre échec était toujours un peu délicat.

« J’ai réussi à le faire fuir en sortant ma dymérite, mais je crois que ça ne marchera qu’une seule fois. Je vais tâcher de récupérer mon épée, pour éviter ce genre de désagrément. Si vous voulez que je vous envoie le guérisseur du château, quand il en aura fini avec le seigneur, n’hésitez pas. Pour le reste... N’escomptez pas obtenir un masseur... Enfin, je peux toujours me rendre utile, au cas où, mais je ne crois pas qu’il y ait un masseur dans le personnel qui soit disponible pour cette nuit. »

Sur ce, Cahir se dirigea vers la porte. Elle avait demandé du répit, après tout. Et lui avait besoin de récupérer son épée... Et de disposer d’une chambre, aussi. Un nécromancien avait tenté de le tuer. Il y avait de quoi remettre en perspective bien des situations. L’apatride n’aimait pas spécialement qu’on tente de mettre fin à ses jours.

Ainsi, il comptait quitter les lieux ... Eclipse poussa un doux soupir. Elle n'avait guère besoin de dormir, surtout après la prise de ces pilules miracles. La nécromancienne manqua de dire :" Nous aurons tout le temps de dormir quand nous serons morts ", mais la phrase serait immédiatement mal digérée. Disons qu'elle collait un peu trop au contexte. Et puis même si, habituellement, la jeune femme appréciait la solitude, elle devait bien avouer que ce soir, elle rêvait d'être accompagnée. Un verre d'alcool et des pensées en pagaille ne font jamais bon ménage, surtout dans un environnement aussi peu rassurant que ce fort. La seule chose dont elle rêvait, c'était une alcôve : un lieu où elle oublierait tout, de manière temporaire, histoire de s'offrir un peu de répit. Et ce répit, elle ne voulait pas en profiter seule.

De sa main droite, elle remit en place un de ses bas, et de l'autre, elle attrapa le verre. L'alcool acheva de la réchauffer, et surtout de la réveiller. Et puis, cela lui donna un peu de courage pour prononcer quelques mots :

- Restez ... S'il vous plaît.

Eclipse n'était pas du genre à demander aux gens, habituellement, plutôt à ordonner. Mais elle savait qu'elle avait face à elle une forte tête, comme elle. Si l'idée aurait pu la contrarier hier, elle l'amusait assez aujourd'hui. La nécromancienne appréciait quand ça faisait des étincelles ... Vite, elle servit un autre verre, pour lui tendre, tout en s'installant en tailleur sur le lit. Elle pouvait sentir que quelques méches rebelles s'extirpaient hors de sa coiffure si soignée.

- Je n'ai pas sommeil, et puis ...

Elle prit une légére inspiration, détachant son châle pour découvrir ses épaules, son cou. Si le cou était rempli de colliers de toutes sortes, sans doute autant que les poignets, c'était pour cacher des traces de morsure. Certains spectres étaient plutôt violents, et ne parlons pas des quelques vampires qu'elle avait eu le plaisir de croiser ... Bref.

- ... Il ne faut pas me proposer un massage, et tenter de s'enfuir. Je vais vraiment finir par croire que je vous repousse.

Un sourire, un brin innocent. Un peu trop, d'ailleurs, pour une femme comme elle.

Main sur la poignée, Cahir s’apprêta à l’ouvrir, quand il entendit Eclipse lui demander de rester. Interloqué, Cahir s’arrêta sur le pas de la porte, et, pendant une brève seconde, hésita. Il finit par se retourner. Assise en tailleur, Eclipse lui offrait une coupe de vin. Souriant légèrement, Cahir vint délicatement s’asseoir sur le rebord de ce grand lit, et prit le verre, l’acceptant de bonne grâce. Elle expliqua qu’elle n’avait pas sommeil. Cahir non plus, pour être honnête. Il fuyait le sommeil, pour être exact. Lorsqu’il dormait, Cahir était agressé par des cauchemars. Guère agréable. L’apatride but un peu de vin, et Eclipse lui avoua alors n’être pas contre l’idée d’un massage par ses soins. Elle défit son châle, et, malgré la cascade de bijoux, ici et là, Cahir put apercevoir des espèces de traces de griffures, des cicatrices.

*Dommage qu’elle ait un corps si frêle... Ceci dit, si elle avait un corps plus musclé, elle serait peut-être moins attirante... Peut-être...*

Elle lui fit un délicat sourire, et Cahir hocha la tête.

« Soit... répondit-il. Disons que vous me repoussez autant que vous m’attirez. »

Une réponse énigmatique, assez paradoxale, mais qui était, du point de vue de Cahir, la meilleure manière d’expliquer ce qu’il ressentait. Un curieux mélange d’attirance et de dégoût. Cahir fut encore une fois tenté de partir. Il ne devait après tout rien à cette nécromancienne. Et, par-dessus le marché, il devait récupérer son épée. Sa belle épée en acier valyrien qui croupissait quelque part dans ce château sinistre. Ce ne fut pourtant pas ce qu’il fit. L’apatride reposa le verre, fixant Eclipse dans les yeux, puis descendit sur son corps, passant de sa poitrine à son ventre pour observer ses longues jambes. L’une de ses mains alla tout doucement se poser sur l’un des mollets d’Eclipse, éprouvant son corps. Ferme. Tendre. Doux. Le délicat corps d’une femme, avec cette peau si attirante... Il en fut légèrement troublé, et se reprit, retirant ses gants.

« Je n’ai pas reçu une formation de masseur, pour être entièrement honnête, mais les femmes qui ont eu la chance de recevoir mon doigté ne s’en sont jamais plaints... J’imagine que je vais devoir m’occuper de votre dos, au moins au début... »

C’était une réplique qu’on pouvait interpréter à sa sauce, car l’apatride lui-même n’était pas sûr de savoir ce qu’il voulait. Un simple massage, ou autre chose ? Il n’était pas sûr de pouvoir désirer se rapprocher un peu plus d’une femme qui semblait plus attirer par le monde des morts que par celui des vivants... Il attendit qu’elle s’allonge sur le dos, révélant un dos en piteux état. Malgré les onguents, les baumes, et autres potions, il était strié ici et là de cicatrices. Cahir posa ses mains sur les hanches d’Eclipse, s’avançant un peu plus dans le lit, et commença à promener ses mains.

Surprenant. Il s’était attendu à une peau glaciale, mais celle d’Eclipse était au contraire plutôt chaude. Ses doigts se promenèrent sur les cicatrices, sur ces espèces de fissures, et il frotta avec ses pouces, remontant en passant par la colonne vertébrale, avant de descendre en utilisant ses autres doigts par les hanches, évitant de trop descendre, ou remontant pour titiller la nuque d’Eclipse. C’était un regroupement nerveux, après tout, soit un endroit particulièrement sensible, qu’il se mit à caresser lentement, continuant à se promener, enfonçant parfois ses pouces dans sa belle peau, ou promenant ses ongles le long de son corps.

« Ma foi... Je me dois bien d’admettre que votre dos est plus attirant que ce que j’avais craint... »

Il espérait que son massage le serait aussi.

La réponse la satisfaisait assez. Ce paradoxe attirance-répulsion l'intriguait, et elle devait bien avouer qu'elle adorait cette dualité. Sans un mot, elle s'allongea sur le lit, le visage enfoui dans ses coussins. Elle s'attendait à un massage assez peu agréable ... Mais il en fut tout autre. Chaque pression sur sa peau, chaque effleurement même, lui procurérent un plaisir infini. La nécromancienne ferma même les yeux un moment, un sourire glissant le long de ses lèvres. Mmh, que c'était agréable ... Cela faisait bien longtemps qu'on ne l'avait pas massée ainsi. Et puis, les répliques de Cahir l'amusait assez. Eclipse devait bien avouer qu'elle était friande de ce genre de sous-entendus. Aussi ne répondit-elle pas de toute suite, imaginant une réponse satisfaisante, et savourant le contact de ces mains sur son dos. Un nouveau frisson l'agita, auquel elle répondit par un soupir de plaisir non feint.

Là, elle se sentait vraiment bien. Et elle se doutait que cela n'irait qu'en augmentant ...

- Et je dois avouer que vos mains me font le plus grand bien, bien plus que je ne l'espèrais, répondit-elle dans un murmure.

Avec toute la grâce qu'elle possédait, elle se redressa doucement sur ses coudes, le laissant lui masser encore le dos un moment.

- Alors pourquoi priver le reste de mon corps de vos ... massages ?

Doucement, elle se tourna, pour lui faire face, son corps restant encore allongé sur ce matelas si peu moelleux. Doucement, sa main effleura la sienne, goûtant encore à sa chaleur. Puis elle se redressa, le dos droit, appuyée sur un de ses bras, et son index vint caresser le cou de Cahir, doucement, avant de s'envoler.

- Qu'en dites-vous ?

Un sourire, encore, sur ses lèvres. Et celui-ci n'est guère innocent, croyez-moi.

Les soupirs qu’Eclipse poussa ne semblaient pas feints, et arrachèrent à Cahir un léger sourire amusé. Il n’était qu’un masseur amateur. Un masseur aurait plus talentueux aurait sans doute pu sentir les multiples zones érogènes du dos d’Eclipse, mais Cahir n’en était pas capable, se contentant de frotter son dos un peu partout, la sentant frissonner. Elle le complimenta également, avant de se redresser un petit peu, sortant sa tête des coussins, et Cahir continua. Mine de rien, c’est ainsi qu’il avait séduit sa première conquête. Une poète qui croyait les soldats incapables de la moindre douceur. Il l’avait massé pour lui prouver le contraire. Ça avait été un massage catastrophique, mais il l’avait fait rire.

Eclipse finit par se redresser, après avoir sorti une phrase qui avait surpris Cahir, à tel point qu’il en arrêta son massage, alors que la jeune femme se retourna. Avec son dos nu, le devant l’était aussi, et il loucha sur la poitrine de la jeune femme, sentant quelque chose brûler dans son bas-ventre. S’humectant les lèvres, l’apatride comprit qu’il n’avait pas rêvé, et qu’elle lui avait vraiment proposé d’aventurer ses mains ailleurs. L’invitation était, pour le coup, relativement explicite, et Cahir ne savait pas trop quoi faire. Cette femme était relativement belle, mais c’était aussi une femme qui marchandait avec la Mort...

*Mais est-ce qu’elle est aussi imprégnée que ça de la Mort ? A ce qu’on dit, les nécromanciens ne ressentent aucun plaisir physique, et les femmes sont aussi sèches qu’un grain de sable dans le désert...*

Eclipse avait pourtant apprécié ce massage, ce qui semblait remettre en cause bien des choses qu’on disait sur ces gens. A moins qu’elle ne simule... Hypothèse toujours envisageable, quand on connaissait le talent naturel des femmes pour l’hypocrisie et le mensonge. Cahir était plongé dans ses pensées, quand il sentit les doigts d’Eclipse se promener sur son cou, manquant le faire chavirer. Cette bosse entre ses jambes... Dans le chariot qui l’avait emmené à Nexus, il n’y avait qu’une femme, et, sans être un premier prix de beauté, elle était suffisamment belle pour tenter Cahir... Le tenter, seulement, car son mari était du genre à bien la surveiller.

Elle lui sourit, ensuite. L’apatride étudiait chacun des mouvements de cette diablesse, et déglutit, avant de se reprendre. Il glissa une main sur la base d’une des jambes d’Eclipse, la remontant lentement pour caresser avec son pouce l’aine de cette dernière.

« J’en dis que c’est une idée très tentante... »

Sa main remonta pour caresser la joue de la femme, son pouce frôlant légèrement ses lèvres, appuyant très rapidement dessus, comme pour chercher à se faufiler dans sa bouche, avant qu’il ne reprenne, sa main se retirant pour caresser la nuque de la femme :

« Tant que cela vous relaxe, mes doigts sont prêts à se glisser n’importe où sur votre peau... »

Diablesse ... C'était peut-être un terme parfait pour parler d'Eclipse. Une créature imprévisible, charmeuse et inquiétante à la fois. Il fallait bien croire qu'elle était bien vivante, par moments. Surtout dans ce genre d'instants ... La jeune femme frissonna en sentant sa main se glisser contre elle, s'aventurant sur des endroits de son corps bien plus sensible que son dos. Tout cela commençait réellement à l'enchanter. Mais, même dans ce genre de moments, Eclipse restait pleinement consciente de ses actes ... Et quand on connait son côté joueur et félin, on peut s'attendre à bien des choses. L'index de la jeune femme se posa sur la joue de Cahir, appuyant pour lui indiquer doucement qu'il devait tourner la tête. Ses lèvres effleurérent les siennes, mais se posérent finalement à la commissure de sa bouche, pour y poser un baiser frais. Avant qu'elle ne se décide à le regarder dans les yeux, se reculant doucement.

- Je n'en doute pas, murmura t'elle sans lâcher ce sourire.

Même là, elle conservait cette assurance inébranlable.

La jeune femme se redressa alors davantage, une de ses mains se glissant dans la nuque du soldat, l'autre se posant doucement sur sa clavicule, à l'aube de son torse. Lentement, elle se rapprocha de lui, ses lèvres restant à une mince distance de celles de Cahir. Elle pouvait sentir sa poitrine effleurer le buste du soldat, délivrant une onde de frissons sur tout son corps.

- Montrez-moi donc vos talents ... Je saurais vous faire part des miens.

Souffla t'elle, alors qu'elle s'approchait pour l'embrasser doucement. Elle en profita même pour mordre très doucement la lèvre inférieure de cet homme. Eclipse n'est pas une sauvage, qu'allez-vous croire ? Elle ne vous saignera pas à blanc, bien au contraire. Et puis, elle n'avait pas comme seul "talent" celui de bavarder avec les décédés. Non, non, c'est une jeune fille pleine de ressources.

Elle approcha ses lèvres des siennes, et Cahir en resta figé comme une statue de cire. Ses yeux oscillaient entre le regard troublant de la nécromancienne et sa belle bouche. Une main se glissa au milieu du dos de cette dernière, l’autre glissant sur sa hanche, attrapant sa délicieuse peau. Cette femme ne s’en rendait peut-être pas compte, mais elle ébranlait plusieurs des convictions de Cahir sur la nécromancie. L’homme n’était pas du genre à écouter les racontars, mais il avait lu des traités et des essais sur la question, où les auteurs affirmaient bien des choses sur ces individus, choses qui venaient d’être balayées en un souffle sur ses lèvres. Il sentit la bouche d’Eclipse frôler ses lèvres, comme une tacite invitation, et il en soupira lentement, sentant l’organe entre ses jambes se dresser... « Ton serpent de pierre se réveille, beau guerrier ». Elle l’appelait ainsi. La poète. Le serpent de pierre, prêt à cracher ce venin qui pouvait la tuer, si jamais elle venait à devenir enceinte... Le risque... Il avait adoré ça, à l’époque, et un sourire ravi éclaira ses lèvres alors qu’Eclipse, se redressant, se rapprochait de lui.

Elle posa ses mains sur son corps, et il raffermit ses prises sur le sien. Elle avait un délicat corps de poupée, un corps svelte et fin. Pas étonnant qu’elle soit couverte de cicatrices. Là, entre ses bras, son souffle accéléré heurtant son visage, elle semblait incroyablement fragile. Leurs lèvres semblèrent s’attirer mutuellement, alors qu’il pouvait sentir contre son torse les deux belles bosses que constituaient la poitrine de cette femme. Voilà bien autre chose qui lui avait manqué... Sentir ces deux bosses de chair, avec les deux petites pointes, heurter son corps. Il tira sur son corps, et remonta la main dans son dos pour attraper la nuque d’Eclipse, caressant ses cheveux, celle sur sa hanche se glissant derrière son dos.

« Si vous insistez... » souffla-t-il avant de l’embrasser.

Il ne l’embrassa pas sur la commissure des lèvres, mais en plein sur la bouche. Et, que les Dieux le maudissent, mais c’était terriblement bon ! Elle avait des lèvres superbes, un goût qui n’avait rien à voir avec l’haleine putride des cimetières, et, pour être honnête, c’était sûrement l’haleine de Cahir qui sentait le plus, s’il restait encore des relents de la vodka naine à l’intérieur. Ce fut un baiser assez tendre, sensuel. Si quelqu’un les observait, il aurait presque eu l’impression de voir deux amants en train de s’embrasser en cachette. L’apatride n’était cependant pas dupe. Il sentait les dents d’Eclipse s’enfoncer à l’intérieur de sa bouche. Il en avait délicieusement gémi, avant d’avancer sa langue pour caresser ces belles petites dents. Se prenait-elle pour une vampire ? Mais il devait admettre que c’était agréable, et sa main agrippa un peu plus solidement sa nuque.

Se déplaçant légèrement, Cahir fit grincer le lit. Ce n’était sûrement pas le lit recommandé pour ce genre de massage, mais il se voyait mal débouler dans la chambre du Roi pour profiter de son grand lit solide. Il prolongea le baiser pendant un certain temps, utilisant son nez pour respirer, et finit par renverser Eclipse sur le lit. Cette dernière atterrit en plein milieu, sa tête s’écrasant sur les oreillers, et Cahir s’aplatit sur son corps, avant de s’appuyer sur l’une de ses mains, relevant son corps pour ne pas l’étrangler. Il lui adressa un sourire léger, et caressa avec un doigt les belles lèvres d’Eclipse.

« Je sens effectivement que trouver le sommeil risque d’être très difficile... »

Ses doigts descendirent sur la gorge d’Eclipse, caressant le milieu de sa gorge, pour glisser vers l’une de ces deux bosses. Il caressa avec ses doigts l’un des seins d’Eclipse. Du bout des doigts, il décrivit des cercles autour du téton, s’écartant parfois de ce centre, ou y revenant, se contentant de simplement le frôler.

« Je pense que je vais exercer mes talents sur cette partie de votre anatomie... Ils m’ont l’air d’en avoir grand besoin... »

... Grands dieux. Eclipse la froide, la solitaire, était en train de perdre l'esprit. Elle se transformer une femme presque normale. Presque. Cette jeune femme qui maitrisait si bien les morts, n'en venait même pas à se maitriser elle-même. Au simple contact de ses lèvres, chaque fois qu'elle sentait l'ombre de ses mains contre sa peau, la nécromancienne pouvait entendre son coeur battre plus fort, et tout son corps s'électriser. Quand il l'embrassa, elle se laissa complètement fondre. Oui, elle était comme ça, quand même : sensible et passionnée. Et ce genre de baiser aussi tendre que fou, la laissait toute chose. Ses bras se nouérent autour de son cou, comme si c'était là son seul repére, comme s'il n'y avait plus aucun esprit dangereux dans les environs. Chaque fois qu'elle sentait son étreinte se raffermir, c'était tout son corps qui soupirait de plaisir.

Aussi, elle se laissa tomber sur le matelas, souriant à sa remarque. Il ne lui restait guère que son jupon, ses dessous et ses bas ... Mais en quoi était-ce gênant ? A sa remarque, elle se redressa légérement, sa bouche venant tout contre son cou, y déposant de lents baisers. Puis ses lèvres remontèrent jusqu'à son oreille, pour y embrasser le lobe, et murmurer :

- Je n'attends que ça ...

Sa main revint contre sa clavicule, pour se plaquer contre sa nuque. Et elle l'embrassa, comme lui l'avait embrassé. Avec une sensualité, une passion qu'on aurait jamais pensé voir en Eclipse. Elle se sentait plus en plus tiède, rien qu'en sentant son souffle contre elle.

Puis elle cessa un instant le baiser, plaçant une limite fine entre leurs lévres, testant sa patience. Sa bouche était un sourire, aussi joueur que délicieux.

- Je ne compte aucunement m'assoupir, rassurez-vous.

Souffla t'elle dans un sourire. Pour appuyer ses mots, sa main vint glisser jusqu'au bas du ventre de Cahir, avant de remonter doucement contre sa joue.

Pour une soirée qui avait plutôt mal commencé, on pouvait dire que le final valait le coup. Cahir avait été balancé par une fenêtre, jeté aux oubliettes, et avait manqué être tué. Par ce paradoxe que seul l’esprit humain pouvait réussir à faire, il se retrouvait maintenant à embrasser les lèvres d’une femme dont la profession le repoussait entièrement, et à tâter avec ses mains l’épaisseur de ses seins. Il y avait de quoi en perdre son latin, mais, tout ce que Cahir arrivait à se dire en ce moment dans son esprit, c’est :

*Comment diable une femme qui honore les morts peut-elle avoir des lèvres si passionnantes ?*

Eclipse embrassait plutôt bien, et le corps de cette dernière tremblait d’un désir qui avait tout de vivant, d’une saine et heureuse chaleur, d’un plaisir qui témoignait d’un indiscutable appétit envers la vie. Cahir classa cela dans la longue et interminable liste des incompréhensibles mystères et paradoxes concernant le beau sexe, et répondit avec envie à son nouveau baiser, en profitant pour pétrir ce sein qu’il caressait avec ses ongles, le serrant entre ses doigts, tandis que sa virilité continuait à le tirailler, se réveillant avec la force et l’impatience qu’on lui connaissait. Elle tapait contre les longues jambes de cette superbe femme, ce qu’elle dut sentir, car elle finit par approcher ses doigts de cette zone. Pendant un instant, Cahir se mit à craindre, ou à espérer, qu’elle irait s’occuper de cette partie de son anatomie, mais elle se contenta visiblement de simplement le titiller, tout en lui assenant qu’elle ne comptait nullement s’assoupir.

« Dans ce cas, je n’aurais pas le plaisir de pouvoir vous réveiller... » se contenta de répliquer Cahir.

Leurs lèvres se frôlaient, et ce fut la langue de Cahir qui parcourut la quelque poignée de centimètres qui les séparaient. Il caressa cette superbe et si délicate bouche, enfonçant le bout de sa langue à l’intérieur. C’était chaud et humide, et en même temps assez douloureux, surtout au niveau de l’entre-jambes. Il frottait son nez contre celui de l’envoûtante dame, remontant le long de ce dernier, tout en desserrant un peu le sein qu’il comprimait, retournant tout simplement le caresser.

Ayant de plus en plus chaud, Cahir finit par se redresser, faisant craquer le lit, le temps d’enlever sa chemise. Son ventre était toujours aussi rouge, trace des arcs électriques qui s’étaient abattus dessus, et on pouvait aussi voir, ici et là, quelques griffures et cicatrices. Il y en avait bien moins que sur celui d’Eclipse, mais suffisamment assez pour confirmer qu’il n’était pas un garçon de café. Il portait toujours autour du cou son collier en dymérite, et choisit de le retirer, le posant néanmoins précautionneusement sur la table de chevet.

Avec son torse nu, il profita encore mieux des seins de la jeune femme lorsqu’ils s’enfoncèrent contre sa poitrine. Perdant une main dans ses longs cheveux, il l’embrassa pour de bon, fourrant sa langue dans sa bouche, s’écrasant sur elle, remuant légèrement son corps. Le lit émit de nouveaux gémissements, son serpent de pierre sifflant entre les jambes d’Eclipse. Le baiser dura suffisamment longtemps pour fortement émoustiller Cahir, qui joua avec la langue d’Eclipse, et explora l’intérieur de sa bouche, s’attardant sur les formes de ses dents. Relevant la tête, Cahir utilisa sa main glissée dans les cheveux de la nécromancienne pour tirer sur son visage, et embrassa son cou, le léchant, glissant ainsi vers l’un des seins, lui offrant une paire de baisers.

Son ventre était bouillonnant, provoquant parfois quelques soupirs, l’amenant à relever ce dernier. Cette douleur confirmait que Cahir aurait du, non pas se trouver à embrasser le sin de cette femme, mais à recevoir des bandages autour de sa large brûlure. Mais il tenait ici à faire ce qu’il avait envie de faire, et non ce qu’il devait faire. De toute manière, Eclipse aussi aurait dû se reposer et panser ses plaies, plutôt que faire du sport de chambre.

*Nous sommes deux mauvais jeunes gens...* songea Cahir, cette idée lui insufflant un frisson de virilité parfaitement juvénile.

L’homme s’attarda ensuite sur l’un des seins d’Eclipse, l’embrassant et le mordillant, généralement en se concentrant sur l’un des tétons de la femme. Ses propres mains tremblaient dans le dos de cette femme, et il avait de plus en plus envie de déchirer les quelques vêtements qu’il restait à la nécromancienne.

*M’est avis qu’à ce train-là, c’est ce qui risque de se passer...* se dit Cahir pour lui-même.

Deux mauvais jeunes gens ... L'idée l'amusait beaucoup, elle y avait aussi pensée. De ceux qui se pensent immortels, capables de tous les vices ... Un domaine dans lequel elle excellait. Et lui aussi, semblait-il. Le baiser la fit littéralement palpiter, au point que sa peau si douce devienne aussi ardente qu'un brasier. Les caresses qu'il lui offrait, le contact de sa bouche sur la sienne, puis sur sa poitrine ... Son coeur aller bondir, elle le sentait bien. L'excitation était déjà trop montée en elle pour qu'elle s'apaise. La nécromancienne, dans des gestes lents, se cambrait sous ses attentions. Jusqu'à ce qu'elle se reléve doucement, sa bouche revenant chercher la sienne. Un baiser qu'elle savoura avec une lenteur exquise, avant que sa main ne vienne contre son torse, à nouveau. Il avait une peau si tiéde, bardée de souvenirs. Eclipse prit le temps de savourer son contact, faisant taire un instant le baiser.

A l'instant même où elle venait mordiller à nouveau sa langue, sa main descendit en flèche, pour venir desserrer sa ceinture. Ses doigts ne se trompaient pas. Quelques secondes après, ils venaient ouvrir lentement son pantalon, afin que sa main frêle et douce puisse s'y glisser.

Un baiser, encore. Si elle ne disait plus un mot, elle ne quittait plus ce sourire devenu complétement aguicheur, celui d'une femme pleine de désir. Ce qu'elle était, là, à cet instant prècis. Ainsi, sa main caressa avec une infinie douceur le membre qu'elle avait devinée dur, tout à l'heure, dans l'étreinte. Une de ses jambes vint doucement se replier, pour venir se poser contre celle de Cahir. Elle s'y frotta doucement, faisant glisser peu à peu le jupon qui entourait sa jambe, pour ensuite dévoiler l'entièreté de sa jambe, qui portait encore un de ces bas en dentelle qu'elle chérissait. Quant à cette main qui semblait ne connaître aucune peur, elle effleurait, puis caressait son sexe. Et les baisers qu'elle délivrait trahissaient déjà son excitation.

Le lit craquait doucement, sous leurs étreintes. Elle aimait assez cette idée ... Sa bouche se détacha un instant de la sienne.

- Ne nous trouvez-vous pas trop vêtus ... ?

Ce sourire qui s'accentue, et ce baiser qui reprend. Eclipse est bien vivante, n'en doutez plus un instant.

Il crut défaillir quand elle alla s’attaquer à son sexe. Ses doigts caressèrent avec dextérité ce membre, le faisant frémir. Ciel, ce que ça pouvait être bon... Difficile de croire qu’une simple caresse pouvait le mettre dans un tel état fébrile, mais c’était pourtant le cas. Il sentit cette dernière frotter sa jambe contre lui. Des gestes délicats, mais tellement excitants... Comme son sourire. Clair, beau, tendre, il se perdrait dans l’alignement de ces dents, dans ces yeux sombres qui brûlaient d’une envie fiévreuse. Il l’embrassait sans se retenir, ne comptant plus les baisers qu’il lui prodiguait, glissant ses mains à hauteur de cette espèce de jupe, la serrant entre ses mains moites. Elle lui posa une question à laquelle il répondit en tirant sur ce jupon, manquant le déchirer. Se disant qu’elle n’apprécierait peut-être pas, il glissa ses doigts sous ce jupon, remontant tout le long de ce vêtement, et tira dessus, faisant glisser l’habit le long des jambes de cette dernière. Il finit par le lui ôter, et jeta ce vêtement sur le sol, tandis que lui-même s’empressa de se débarrasser de son pantalon. La ceinture ayant été défaite, l’ôter ne fut pas très compliqué, faisant à nouveau grincer le lit. Il n’avait dès lors plus sur lui qu’une espèce de sous-vêtement peinant à retenir la bosse qui constituait sa virilité.

« Voilà qui est un peu mieux... » glissa-t-il.

Il posa ses mains sur le bas du ventre d’Eclipse, caressant sa peau nue, et retourna une nouvelle fois l’embrasser. Comme s’il était devenu accroc au contact des lèvres de la nécromancienne. Sa main glissa le long du dos de cette dernière, effleurant son postérieur pour frotter les bas sombres de cette femme. Utilisant son autre main, il tira sur son propre sous-vêtement, qui le gênait plus qu’autre chose, et finit tant bien que mal par finir presque totalement nu, à l’exception de ses chaussures.

Dans un geste tout simplement pervers, Cahir remonta sa main pour caresser un peu plus attentivement le postérieur d’Eclipse, ce qui lui arracha un sourire lorsqu’il vint pincer ce morceau de chair :

« Je crois que j’ai affreusement envie de masser cette partie-ci de votre anatomie, ma chère Eclipse... »

Il respirait lourdement. En soi, Cahir n’était pas essoufflé, mais c’était le résultat de son érection, de ce plaisir violent et totalement imprévisible qui semblait l’écraser. Ses joues étaient rouges, alors qu’il ne savait plus où donner de la tête. Que ce soit ses yeux, ses lèvres, ou la forme de sa poitrine, même ses épaules, cette femme était tout simplement exquise. En plus d’être une garce, elle avait un corps qui correspondait.

Que demander de plus ?