Elle eut la bonne grâce de ne pas être curieuse. De toute façon, il ne l’imaginait pas curieuse. Ce n’était pas son style, et Cahir se replongea, silencieusement, dans son passé. On pouvait tout à fait dire qu’il était un homme du passé, en ce qu’il restait accroché à un passé hypothétique, un passé qu’il ne pourrait objectivement plus jamais retrouver. Il avait été sacrifié pour les intérêts de l’Empire. Un coup politiquement impeccable, qui avait permis d’obtenir la soumission d’un puissant royaume commercial et de permettre à l’Empire de raffermir sa mainmise sur le littoral, d’augmenter sensiblement ses capacités militaires navales. Si Cahir avait été à la place du Maréchal qui avait eu cette idée, il l’aurait avalisé sans hésiter. Un sacrifice, un seul soldat disparu, et on pouvait sauver des millions d’autres soldats. Les Dieux avaient voulu que ce soldat soit Cahir.
Vaguement, il tourna la tête vers Eclipse quand elle lui demanda s’il était fatigué. L’était-il ? L’amour le fatiguait, parfois. Mais il pouvait compter sur son inflammation à l’estomac pour l’empêcher de dormir. Elle, elle serait bel et bien là pour lui gâcher cette nuit...
*
Récupérer mon épée... Trouver un apothicaire pour soigner ça... Il y en a probablement un dans le village à proximité... Égorger ce nécromancien... Trouver des informations sur Nexus... Et tout ce que je trouve à faire, c’est coucher avec une femme... Il y aurait de quoi en écrire un roman...*
Eclipse ouvrit une porte à la dérobée. Sûrement... Sûrement quoi ? Les toilettes ? Ouais, ça devait être ça... Il l’observa silencieusement, juste histoire d’observer son derrière, puis contempla à nouveau le plafond, jusqu’à ce qu’elle vienne lui demander de venir. Venir où ? Dans les chiottes ? Elle voulait qu’ils pissent ensemble ?!
*
Non... A moins que ça ne soit une lubie propre aux nécromanciennes... Bordel, mon cerveau fonctionne au ralenti, ou quoi ? Des chiottes... Ça doit être tout, sauf des latrines !*
Il se redressa alors avec un léger sourire, et lança, dans un élan de virilité typiquement masculin :
«
Ma chère Eclipse, il n’y a dans ce monde que deux choses qui peuvent me mettre à terre : une épée dans le ventre... »
Il se rapprocha d’elle, et lui vola un baiser, avant de voir une espèce de grande baignoire. Il ajouta alors :
«
... Et la vodka naine. »
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Loin de là, dans les méandres sinistres du fort, dans des lieux où personne n’allait, personne sauf les habituelles goules et noctules qui hantaient les catacombes et les cryptes funéraires, le nécromancien avançait. Sa silhouette noirâtre se confondait à merveille dans l’obscurité ambiante et la puanteur des lieux. Il descendit un antique escalier en colimaçon, atteignant des ruines encore plus profondes, des cryptes et des crevasses qu’on ne retrouvait plus que sur d’anciens plans. Il s’avança sans inquiétude pour les occupants de ce château, mais avec une angoisse bien plus prononcée pour celui à qui il allait parler.
Il se rendit dans une petite pièce, face à un autel et un grand miroir, et commença le rituel habituel. Le nécromancien glissa l’une de ses mains squelettiques dans son torse, et en sortit le cœur de celui qui se tenait là auparavant. Un exercice difficile les premières fois, mais, avec des herbes maudites, on pouvait tout faire. Il contempla ce cœur palpitant, et le posa sur l’autel, et prononça la sinistre mélopée. Des mots si honnis qu’on disait que même les Dieux se recouvraient les oreilles en les entendant.
Très rapidement, le miroir se mit à prendre vie, et il revit le Maître. Le Maître entouré de ses disciples. Le Maître, juché sur son trône massif, et qui absorbait des âmes. Le Maître, dont les yeux étincelants, rouges, se fixèrent alors sur l’homme qui demandait audience.
«
La voici, Maître... »
Le Maître ne dit rien, et le nécromancien ouvrit le médaillon. Le fantôme de Marjorie en sortit, et poussa des hurlements terrorisés.
«
Chercherais-tu à me fuir, créature ? C’est moi qui t’ait conçu... Reviens vers ton géniteur » susurra ce dernier d’une voix sinistre.
L’âme de Marjorie disparut entre les doigts du Maître, et le nécromancien fixa, muet, son
Conseil.
«
Il... Il y a eu des complications... -
Des complications que tu n’as pas su résoudre ? »
C’en était assez. Le nécromancien se sentit happer, et son âme, ou ce qu’il en restait, fut également absorbé par le « Maître ». Ce dernier fronça ses yeux démoniaques, et comprit ce qui avait tracassé cet individu. Il ouvrit alors les doigts, et Marjorie reparut... Sauf que ce n’était plus vraiment Marjorie. Comme tous les autres, elle faisait désormais partie du Maître, et n’était qu’une émanation de ce dernier. Il ne dit rien, car il n’avait plus besoin de parler. Marjorie traversa le passage, retournant dans le château. Alors, toutes les robes noires qui entourèrent le « Maître » se disloquèrent, révélant des squelettes qui tombèrent en poussières, et passèrent à travers le Portail, qui se referma ensuite, livrant passage à d’antiques nécromanciens, des nécromanciens qui avaient tant joué avec la Mort qu’ils étaient eux-mêmes devenus des esprits, dont le seul point d’ancrage dans ce monde était l’inflexible volonté de celui qu’ils surnommaient « Maître », et qui les envoyait sur Terra à la recherche d’esprits pour renforcer son pouvoir. Il se faisait appeler « Maître », mais il aurait été plus juste de l’appeler l’ « Exilé ».
«
Volez, créatures... Volez, êtres qui avaient brisé les lois fondamentales des Dieux... Accomplissez ma volonté, et offrez-moi la force d’accomplir la Synthèse. »