Dans le couloir, Alice était toujours aussi furibonde, mais sa colère ne dura que quelques secondes. Elle finit par soupirer, et secoua la tête, devant l’escalier, avant de se coller contre le mur. Le sang du dragon, le sang bouillonnant des Korvander…C’était probablement une chance qu’Alice soit née femme. Homme, elle aurait sans doute été encore plus irascible que son père, vu sa manière à partir au quart de tour. Elle était animée de pensées contradictoires envers l’elfe, partagée entre l’envie de revenir, mais aussi par celle de les laisser entre elles. Elle avait tantôt peur que l’elfe interprète cela comme un acte de lâcheté, ou de stupidité. Les elfes, si hautains eux-mêmes, aimaient toujours moquer les accès d’ego des hommes. C’est tout du moins ce qu’on racontait dans les contes, mais le peu qu’elle connaissait de Tinuviel semblait confirmer cela. L’elfe était relativement hautaine, sans pour autant être méprisante, mais Alice était incapable de dire ce qu’elle ressentait pour elle… Ou plutôt, elle le savait, mais se refusait à l’admettre. La manière dont Lorna la contemplait, la manière dont elle se faisait respecter d’elle, sans avoir besoin d‘hausser le ton, ni même presque avoir besoin de parler, comme si un fil invisible les reliait… Oui, elle était jalouse de ce pouvoir de fascination que l’elfe semblait exercer, et elle rougit à de telles pensées.
*De quoi aurais-je besoin d’être jalouse ? se fustigea-t-elle, s’emportant contre elle-même. Je suis une Korvander, Princesse héritière de Sylvandell, et le sang du dragon d’Or coule dans mes veines.*
Le fait est qu’Alice manquait de confiance en elle. Un Commandeur, c’était autre chose que Lorna. Elle ne se ferait pas obtenir d’eux en les caressant du plat de la main, et, si un Commandeur était libre, il n’empêche qu’elle aurait besoin d’eux en cas d’ost. Comment se faire obéir, comment obtenir leur serment de loyauté ? Elle était tellement plongée dans ses questions qu’elle sursauta en sentant quelque chose s’approcher.
Sortant brutalement de ses pensées, Alice tourna brusquement la tête, et vit l’elfe, dans un peignoir assez élégant. La vue de sa poitrine suffit au moins à ôter à Alice pendant plusieurs secondes toutes ses hésitations. Elle se mit à craindre que l’elfe ne vienne la gifler, mais ce n’était pas dans le tempérament de cette dernière, qui se mit à lui parler. La Princesse l’écouta soigneusement, mais n’eut pas le temps de répondre grand-chose que Tinuviel repartait déjà, laissant Alice pantoise.
Il est vrai qu’il existait des contrées sur Terra où on liait intimement le sexe et l’amour. Encore une fois, Alice était bien tentée de répliquer à Tinuviel qu’on ne dirigeait pas Sylvandell comme un harem, et que des conseils politiques de la part d’une femme qui avait décidé de régler son harem en bannissant les hommes lui étaient à peu près aussi utiles que des conseils mathématiques, mais elle ne tenait pas à compliquer encore plus ses relations avec Tinuviel. Elle resta donc dans le couloir, partagée entre des avis contradictoires. Sa fierté princière lui intimait de partir, de ne pas s’abaisser à aller vers elles, mais elle se disait qu’agir ainsi reviendrait à confondre fierté et arrogance, ou, comme le répétait volontiers l’un des conseillers personnels du Roi, à ‘‘confondre les étoiles reflétées par une mare et une nuit étoilée’’. Elle hésita donc, se mordillant les lèvres, se rappelant la forme galbée des délicieux seins de Tinuviel, secoua la tête, trépigna sur place, regretta l’absence d’Hodor, car elle lui aurait naturellement crié dessus, puis soupira, capitulant.
*Je crois que j’ai besoin de me détendre… Et de ne pas penser à Sylvandell et aux Commandeurs…*
Suivant cette pensée, Alice rouvrit donc la porte. La chambre était vide, à part le dragon, qui dormait paisiblement, et, pendant un bref instant, elle le regarda, souhaitant être à sa place. Oh, bien sûr, pas d’être abandonnée en pleine forêt, mais de vivre sereinement, loin de tout, dans la Terre des Dragons, où ses problèmes de gouvernance ne se poseraient pas. Elle referma délicatement la robe, vit le peignoir de Tinuviel qui traînait par terre, et se déshabilla à son tour, retirant tout ce qu’elle avait sur le dos, puis s’approcha de la salle de bains.
Effectivement, la baignoire était grande. En forme circulaire, elle faisait plutôt penser à une petit bassin qu’à ces petites cuves qu’on appelait ‘‘baignoires’’, et qu’elle avait pu apercevoir ailleurs, hors de Sylvandell. Elle resta sur le palier pendant quelques secondes, voyant Tinuviel, sereine, allongée dans l’eau, ses deux seins ressortant de l’eau, comme deux délicieuses tentations, et s’en rapprocha. Alice resta sur le rebord de la baignoire. Après la discussion, plonger comme ça dans l’eau lui paraissait un peu… Incongrue, et elle préféra donc commencer par prendre l’une des mains de Tinuviel, l’embrassant délicatement, fléchissant les genoux. Au moins, les contes ne mentaient pas ; Tinuviel avait cette peau douce et soyeuse propre aux elfes, et elle l’embrassa tendrement, avant de la relâcher, et de s’éclaircir la gorge.
« Je… Je dois vous prévenir que, même si je comprends les raisons de Lorna, et même si j’essaierai de ne pas la choquer, en respectant vos coutumes, je risque sûrement de la toucher, ou de ne pas pouvoir me retenir de la caresser ou de l’embrasser. »
Il s’agissait bel et bien pour elle de coutumes bizarres, car, à Sylvandell, ou, en tout cas, chez les Korvander, on liait bien plus difficilement l’amour et le sexe. Alice estima néanmoins nécessaire de rajouter quelque chose.
« Mais je ne veux pas que vous m’acceptiez dans votre élan de tendresse par pitié. Si j’ai envie de faire l’amour avec quelqu’un, il me suffit de toquer à une porte ; je pense que la plupart des couples de ce village seraient enchantés de pouvoir m’avoir dans leur lit. Si j’ai envie de faire l’amour avec vous, c’est parce que je vous trouve attirantes… »
Elle n’était pas spécialement sûre de cette comparaison, mais elle savait très bien que les baronnies aimaient voir Alice, plutôt que Tywill. Elle était plus belle que son père, plus conciliante, et bien des Commandeurs lui avaient dit que la plupart des barons rêvaient de l’avoir dans son lit. Il devait fatalement en être de même pour les simples serfs, non ? Alice attendit la réaction de Tinuviel et de Lorna, au bord du bassin, après avoir posé ses propres conditions.