Elle le trouvait vraiment enveloppé de mystère. Et considérait cela comme un jeu ; elle adorait ce genre de tableau, abstrait ou symboliste, ou chaque détail offre une nouvelle vision de l’ensemble, mais dont on ne saura jamais la réelle définition. Elle considérait cet homme ainsi, comme un personnage auquel chacun apporte une légende différente, mais dont on ne connaîtra jamais l’histoire. Elle n’était pas satisfaite de sa métaphore, elle avait fait beaucoup mieux autrefois. Elle s’appliqua à saisir son verre de vin, comme le faisait ces grandes dames françaises, et l’huma.
Il semblait délicieux, et ne semblait contenir aucun poison. Elle s'en voulut, un instant, d'imaginer que William puisse essayer de l'empoisonner, mais ce genre de réflexes avaient la vie dure ...
- L'art n'est pas chaste, on devrait l'interdire aux ignorants innocents, ne jamais mettre en contact avec lui ceux qui y sont insuffisamment préparés. Oui, l'art est dangereux. Ou s'il est chaste, ce n'est pas de l'art, récita t’elle. De Picasso.
Ce n’était pas une réponse en soi, juste une sorte d’interlude. Elle but une gorgée de l’alcool, qui anima aussitôt ses papilles et le fond de sa gorge, et l’arôme du vin enivra son esprit, ce qui déclencha un petit sursaut, et ses yeux s’ouvrirent presque démesurément pendant un instant. Décidément, elle se trouvait bien fragile à réagir ainsi face à une boisson ! Mais elle se savait sensible face aux bons alcools : tandis que son palais s’était habituée aux alcools forts et presque sans goûts à force d’en boire, il ne se remettait pas de ses rencontres avec des vins qui conservaient un goût pour le moins épatant.
Elle toussa un peu, chassant ce chamboulement, et reprit :
- J’aime l’art pour son danger, mon cher. Je voulais être comédienne – croyez-le ou non – mais ce n’était pas de l’avis de mes géniteurs, qui me voulait avocate et fortunée. Eux vivaient dans ses conditions insalubres, et ils ont réussis à me convaincre que, si je visais haut, je pourrais ensuite redescendre pour vivre mes rêves. En bref, sacrifier une partie de ma vie, pour amasser assez d’argent pour ensuite tout plaquer et faire ce que je voulais vraiment.
Elle passa sa main dans ses cheveux, le regard troublé. Elle revoyait son père, menaçant, et sa mère, implorante, qui lui ordonnaient de partir à Yale, et non pas dans cette Académie de Théâtre qui aurait pu lui permettre de ne pas résoudre son adolescence aux longues études dans une bibliothèque froide et austère. Au bout du compte, elle se sentait plus perdante que gagnante …
- Mais qui aurait cru qu’une fois arrivé au sommet, il soit si difficile de redescendre ?
Effectivement, elle était désormais bloquée au rang d’avocate. Elle se redressa finalement, buvant à nouveau une gorgée du vin, se laissant piquer par les saveurs, et passa sa main dans sa nuque.
- Alors je nourris comme je peux mon appétit pour l’art, termina t’elle. Je ne voudrais pas en arriver à ce triste statut de femme frustrée. La vie est trop belle pour la jeter du haut d’une falaise, même si elle est capricieuse.
Du bout des doigts, elle attrapa une carte des repas, l’installant devant elle. Et là, elle venait de dire ce qu’elle pensait. Elle détestait être ainsi nostalgique, par moment. Cela ouvrait des brèches à des ennemis potentiels, et n’assurait pas son statut de femme forte et indestructible. Mais au fond, elle ne se mentait plus, cela ne servait à rien ; elle avait toujours eu envie de devenir comédienne, mais elle savait très bien qu’en étant avocate, elle avait une plus grande influence sur le monde qui l’entourait. Si elle redescendait au statut de comédienne, elle n’aurait ni notoriété, ni respect, et plus personne ne la craindrait. Autant reste au sommet, la chute pourrait être mortelle.