Inspiration divine ? (Pv)

Alors qu’il faisait déjà nuit noire et qu’il était déjà tard, une envie subite s’était emparée de lui, un désir manifeste de revenir à son premier amour : le dessin. A l’orée de la flamme vacillante d’une bougie, brasier dansant qui agitait sur les murs de la chambrette des ombres effrayantes, le jeune homme prit part à sa besogne et s’accorda à son caprice. Muni d’un fusain pour seule arme et d’une feuille blanche, il avait esquissé d’une main habile quelques unes de ces lignes noires qui tranchaient si vivement avec l’éclat de sainteté du papier. Les courbes éloquentes du charbon se regroupaient peu à peu sous les doigts experts et délicats du bel ange et subitement ces simples traits devinrent des formes plus  gourmandes, appétissantes, une poitrine généreuse et nue se forma sous ces orbes sombres. La main se stoppa dans son élan, ses joues s’empourprant assurément, l’inspiration ne l’avait pas quitté mais pourtant il semblait hésiter à poursuivre le début de son œuvre…

Voilà un moment que Terpsichore parcourait le monde des hommes, et elle dû se rendre à l'évidence: malheureusement, les artistes se faisaient bien rares ces temps-ci... La fibre artistique qui avait animé tellement de personnes, d'horizons et de classes différentes aux anciennes époques, telles que l'Egypte ancienne, la Grèce antique ou encore Rome pour de longues années! Tout cela avait disparu. Aujourd'hui, seul comptait un design épuré, clean, asceptisé qui n'avait pus rien de beau. Il n'y avait plus rien de beau, puisqu'il n'y avait plus rien.
Et puisque les artistes se faisaient rares, qu'ils le veuillent ou non, la Muse en eut assez. Les passions étaient là pour être vécues, pas pour être enfermées en cage, telles des animaux! Se fondant dans la masse des passants, elle avait alors entrepris de fouiller les âmes des gens au plus profond. Peu importe où se cachaient les artistes, elle les débusquerait. Quoiqu'il lui en coûte. Chercher dans la nature profonde des gens était quelque chose de fastidieux, mais de remarquablement intéressant. Son exercice dura longtemps, très longtemps. Elle ne trouva personne digne d'intérêt. Dépitée, elle se mit à aller de fenêtres en fenêtres, par désespoir... Peut-être qu'au hasard d'une rue, d'un carreau, elle trouverait ce qu'elle cherchait?
Et oui, elle finit par trouver. Enfin...
Traversant la fenêtre de Jack, invisible, légère, inodore et sans poids, juste un très simple courant d'air, elle s'approcha de lui et souffla légèrement, une toute petite brise, par dessus son épaule. Elle se recula ensuite, et attendit. Ce ne fut pas long. En quelques instants, il s'était mis à la recherche de papier et de fusain et avait entreprit de dessiner. Bien, très bien... Peut-être que cela ne serait pas vain après tout!
Par dessus son épaule, Terpsichore l'observa travailler, comme posant sa main par dessus la sienne et guidant ses gestes. Tout se déroulait parfaitement bien, jusqu'à ce qu'il s'arrête. Il avait commencé à dessiner une femme nue, quel mal y avait-il à cela? C'était un sujet qui inspirait beaucoup les hommes habituellement, alors pourquoi s'arrêter en si bon chemin...?
Douce et invitante, Terpsichore s'insinua dans son esprit, qu'elle cajola, l'enjoignant mentalement à continuer, cherchant à lui donner idées et envie de poursuivre... Cherchant également les raisons de son arrêt, de ses hésitations... Peut-être le visage lui posait-il problème? Elle l'ignorait, mais cherchait la réponse.

Aurait-il pu se douter qu’il était ainsi épié tout à la fois par une capricieuse et voluptueuse ? N’aurait-elle pas pu être son amante, son amie, sa sœur, sa mère ? La muse avait revêtu ses différents rôles pour que son protégé lui offre de quoi la combler, de l’art encore et toujours… Le pourpre avait atteint les joues de l’adolescent et ses yeux ne revenaient sous les conseils de l’éternelle que par à-coups, par pudeur de troubler ce corps nu et fantasque, ce n’était encore pourtant qu’une simple esquisse, un corps qui aurait du être pareil aux statues chastes et de marbre pourtant semblait être animé d’une vie propre et d’inviter au plaisir. Son éducation le bridait et l’empêchait de poursuivre le dessin. Sous l’influence croissante de la muse, il reprit le fusain pour définir le minois de sa créature, des lèvres pulpeuses et féminines prirent vie, une crinière d’ébène aux cascades de boucles noires, un regard profond et ténébreux, c’était l’une de ses beautés antiques… Peut-être était-il l’un des descendants de ses artistes torturés… La muse avait trouvé l’oiseau rare, elle devait s’en réjouir. Mais alors que l’artiste découvrait son œuvre toujours un peu plus à la dérobée,  nulle doute que la capricieuse fut contrariée par le froissement du papier qui s’échappa des doigts du garçon pour échoir en boule sur le sol… Une main sur le front, une fièvre maline au corps, l’une de ces fièvres dont seules les dames ont le secret, il soupira en s’exclamant…

« Qu’est-ce qui m’a pris de dessiner cela ?... »

Terpsichore finit par trouver enfin les raisons de l'hésitation de son protégé. Quel dommage! Une âme si prometteuse, corrompue par la vorace censure, par la dure pudeur! Que de pertes! S'il avait repris le dessin, Terpsichore ne s'en aperçu pas. Elle fouillait, encore et toujours, à la rehcerche des clefs qui dévérouilleraient sa gène et permettrait à ce nouvel artiste de ne plus se sentir honteux à l'idée de dessiner des femmes nues. Nombre de personnes l'avait fait avant lui. Ils les avaient rêvées, sculptées, dessinées, peintes, admirées, aimées... Tout à la fois même. Jack n'était pas le premier à éprouver ce genre de sentiment, et ne serait sans doute pas le dernier. Elle ne s'extirpa de la conscience du jeune homme que lorsque le froissement du papier se fit entendre. Elle le ressentit avant de le voir, et un cri fut audible dans la petite pièce où était Jack. Un cri de douleur. Le rejet du papier avait blessé Terpsichore sur son propre terrain, comme si c'était elle, à travers ce papier, qu'il avait refoulé. La main de la muse se porta à sa poitrine et s'y agripa. C'était si douloureux...
Il lui fallu plusieurs minutes pour se reprendre, et ce n'est qu'une fois remise qu'elle apparu aux yeux de son artiste timide. Progressivement, comme elle prenait lentement consistance, il pu voir sa silhouette longue et fine aux charmes voluptueux, drapés de tissus blancs et presque transparents à la lueur des bougie, s'avancer vers la boule de papier et la ramasser.
Elle se retourna ensuite vers Jack, et déplia la feuille, ses cheveux blancs et lumineux tombant en cascade sur ses épaules. Elle inclina la tête, une expression emprunte de tristesse sur ses traits.

"Il ne faut pas me faire mal ainsi..."

Comme par magie, la divine apparut, semblant tout droit s’extirper de la feuille de papier, la chimère devint réalité pour s’immiscer à ses côtés. Qui était-elle ?! Ou plutôt qu’est-ce que c’était ? Etait-ce un tour de son imagination ?
Surprise et étonnement s’emparèrent de son être. L’incompréhension aussi peut-être. Ses orbes noirs s’ouvrirent en grand, étendant le poids de leurs ombres sur cette fille d’Eole, ils la suivirent dans sa course folle alors que l’enfant s’envolait vers la fenêtre, en direction du papier brisé, avant de revenir se prostrée à son chevet.
Au cours de ces escapades, cette fille du vent avait subi la caresse éparse de la lumière tamisée, couverture scintillante qui lui conférait une toute autre prestance ou du moins qui magnifiait ces traits pour la faire gravir l’échelon lui manquant, pour siéger au sein de l’Olympe.
Bouche bée, l’ange la dévisageait en silence, faisant glisser son regard le long de son visage, les océans sombres la recouvrant bientôt, cette nuit obscure la sondant comme pour y déceler une présence humaine ce corps de femme. Car en cet instant et en ce lieu, Jack réalisa qu’il n’était plus en face d’une simple femme. Mais soudain, il réalisa qu’elle s’était appropriée le dessin et peut-être par crise de jalousie, de possessivité ou de pudeur envers son œuvre, il s’exclama avec impulsivité, sortant de sa torpeur…

« Laissez cela !... »

Son éclat de voix fut vif et il se reprit se faisant plus doux comme subjugué par la beauté, un souffle chaud s’échappa de ses lèvres.

« Laissez cela… s’il vous plait…Qui êtes vous ?! Vous moquez vous de moi ?!... qu’êtes-vous ? »

La façon dont l'avait dévisagé son protégé était attendrissante. Il avait quelque chose d'ingénu qui plaisait beaucoup à Terpsichore, elle se sentait un devoir de l'éveiller aux choses de la vie, de ne plus les refouler et de bel et bien commencer à vivre. Loin d'impressionner, ou de faire peur à la muse, l'éclat de voix de Jack ne lui arracha qu'un sourire tendre. Sans doute trop pudique à l'idée que quelqu'un ne voit son dessin. La tête de la muse s'inclina et elle chercha le meilleur moyen de débloquer les serrures de la retenue de Jack, celles qui une fois ouvertes feraient de lui un homme accomplit. Plus aussi timide, mais génial. Car son dessin tenait du génie. Et un génie devait se sentir libre de créer comme bon lui semblait sans être esclave ni de censure, ni de fausse pudeur. Qu'il laisse cela aux âmes simples et mortelles. Elle avait de plus beaux projets pour lui.

"L'ignores-tu vraiment?"

Elle le laissa méditer sur cette question quelques instants, avant d'éclaircir ce point.

"Mon nom est Terpsichore. Je suis une muse. Celle qui a guidé ta main, tracé ces lignes de concert avec toi sur ce morceau de papier... Ce dessin est autant à toi qu'à moi."

Elle lui adressa un sourire doux, autant que son ton l'avait été. Gracieuse et légère, elle gagna le rebord de la fenêtre sur lequel elle s'assit, croisant une jambre sur l'autre, avant de rejeter sa longue crinière diaphane dans son dos.

"M'accorderais-tu un peu de ton attention, Jack?"

Les yeux profondémment bleus de la muse vrillèrent ceux du jeune homme, à la recherche de son assentiment. Si elle ne parvenait pas à l'obtenir cependant, cela serait plus difficile...

Le doux prénom de Terpsichore avait tinté avec plaisir à ses oreilles. Choyés tout deux par Mère nature, ils étaient beaux, mais d’une beauté différente, si elle était le jour, il aurait été la nuit. Deux astres différents mais pourtant semblables, le Soleil et la Lune. Mais le jour et la nuit ne sont-ils pas comme deux amants qui se cherchent et se suivent ? A moins qu’ils ne soient deux ennemis, l’un plus lâche que l’autre se dérobant à la bataille ?
Aux cascades d’or blanc répondait une chevelure ténèbres, à sa charmante frimousse une figure grave, à sa sensualité féminine sa virilité bestiale, à sa joie de vivre une réserve timide et discrète, il était son parfait opposé et c’était peut-être pour ça qu’ils se correspondaient si facilement. Etrange dualité que voilà. Les lèvres rosées et menues du jeune homme restèrent suspendues dans un songe pendant de longues minutes, invraisemblance de la situation, délire individuel, prémices de la folie. Ses pupilles d’encre noire la détaillaient à tâtons, curieuses, envieuses, animées d’une flamme ardente la sondant pour comprendre la réalité de cette créature ! Car Jack s’était bien accordé sur un point avec la divine, elle n’était pas humaine. Il se dressa d’un bond hors de son lit, désir de lui opposer un front de résistance, conscient d’être en position de faiblesse face à ce membre émérite et éminent du beau sexe. Son orgueil se dressa contre l’enfant des dieux, cherchant peut-être à la défier pour mieux l’apprivoiser ou lui succomber.

« Terpsichore.. Je… tout ceci est insensé, je ne vous crois pas…Ce ne sont que des balivernes, vous n’existez pas. Nous vivons dans un monde de science et de raison. »

Les perles bleues se dressèrent à son encontre et tout surpris d’une telle attaque, le jeune homme lui céda, le rouge aux joues, enorgueilli de se sentir en difficulté, sa langue se fit vipère face à la muse.

« Mon esprit me joue peut-être des tours, mais vous n’êtes que le fruit de mon imagination, je vous demande de quitter cet endroit . »

Assaut d’une réplique assassine complétait d’une fusillade de regard en direction de la belle, qui pouvait être sûr qu’elle ne le laissait point l’artiste indifférent.

Terpsichore ne pu que d'aller de questions en questions face à cet humain. Il avait l'air de refouler ses envies, ses désirs, ses aspirations, ses plaisirs... Pourquoi? Pourquoi donc refuser ce qui pouvait lui faire du bien? C'était insensé. Elle secoua brièvement la tête, ses cheveux retournant sagement d'eux-mêmes dans son dos en faisant tintinabuler les perles et barettes qu'elle y avait accrochés. Avec la sensalité propre à la muse de la danse et du langage corporel, son domaine de prédilection, Terpsichore quitta son siège de fortune pour s'approcher de Jack, ses pupilles ne quittant pas les siennes. Les mains dans le dos, la muse franchit les quelques pas qui la séparaient de son protégé et ne s'arrêta qu'une fois leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre. Juste ce qu'il fallait pour qu'ils puissent se regarder sans loucher. Ainsi, la muse put apprécier les traits virils et bien dessinés du jeune homme.

"Si nous sommes dans un monde de raison et que je n'existe pas, c'est que tu es fou Jack."

Loin de l'offenser, la seconde prise de parole de l'artiste la fit sourire avec tendresse. Tant de naïveté était adorable. Les Hommes... Plus ils en apprenaient, moins ils en savaient. Ils couraient après les chimères, cherchant des réponses au futur alors que la totalité de leur existence était régie par le passé. Autrefois, les mortels se sentaient flattés, d'une part d'être inspirés et d'autre part que leur muse leur apparaisse. Aujourd'hui, ils se permettaient d'essayer de la congédier. Elle voyait bien qu'elle le troublait, qu'il était sensible à son apparence physique, alors pourquoi luttait-il? Elle lui avait accordé la faveur de lui apparaître, alors pourquoi tant d'acharnement à réfuter son existence? Mais elle lui laisserait le temps qu'il lui faudrait.
Calme, minutieuse et tendre, elle se pencha près de Jack pour déposer derrière lui la boule de papier froisser, ce qui entraîna le frôlement de leurs visages respectifs, Terpsichore n'arrêtant son visage qu'une fois que sa bouche fut à proximité de l'oreille de l'artiste.

"Si je suis le fruit de ton imagination, il n'y a que toi qui puisses m'en chasser... Mais en as-tu seulement envie? Et si j'étais un rêve? Pourquoi ne pas te laisser aller à la douceur d'un songe...?"

Chaste, en un geste emprunt de douceur, la muse déposa ses lèvres sur le carré de la machoire de Jack, suffisamment proche du cou pour qu'il puisse les sentir l'effleurer, et se retira. Elle détourna la tête et tourna le dos à l'artiste, retournant avec lenteur près de la fenêtre.

"Si tu ne veux pas de moi, je disparaîtrai de ta vue. Mais je serai toujours là Jack, je ne peux pas abandonner les artistes. Ca me tuerait."

Elle lui sourit tristement et accionna le loquet pour ouvrir la fenêtre.

Le regard était sucrée, sa silhouette acidulée, elle s’était éloignée pour le tester, accourait-il pour la sauver ou devrait-elle mettre sa menace de disparaitre à exécution ? Succube dévouée, ange dédiée, elle était pareille à la féminité ; en cet instant, d’une beauté sans nom, sublimée sous le regard de Jack, elle s’élevait telle une déesse.
Comme deux aimants, véritables amants, l’’artiste gagna la distance qui les séparait, Monsieur Hawk réclamait sa présence, plus que cela, c’était un besoin.
Sursaut de politesse, prise de conscience, ses mots furent prononcés à la hâte.

« Restez… mais soyez mienne pour toujours… »

La distance les séparant disparue, et, bientôt l’homme se tint derrière la belle. Bien que façonné à même la glace, son souffle était chaud et vogua sur sa nuque, se faufilant un court instant le long de cette gorge blanche et découverte. Ne dit-on pas qu’un froid extrême peut davantage brûler que la plus chaude des flammes?
La pression de ses mains se fit incessamment sentir sur ses épaules, elles s’abattirent sans un bruit, réconfortantes et rassurantes, imprimant ses paumes masculines parmi ce duvet blanc. Terriblement pâles pareilles à  cette couverture.
Posté derrière elle, elle était soumise de nouveau aux effluves de son parfum, à sa présence imposante, à ses yeux vifs et noirs inquisiteurs.
Se saisissant de ses deux menottes fines et féminines, diaphanes à souhait, il la pressa de s’asseoir sur le bord du lit, la conduisant vers cette assise. S’installant à ses côtés sur le bord de ce lit, il avait maintenu le contact de leurs mains, un regard inquiet s’était emparé de ses perles d’ombre, de ces puits béants dévoreurs de lumière.

« Je m’excuse, je ne sais pas ce qui m’a pris… »[/color]

Le loquet sauta, les fenêtres s'ouvrirent. Terpsichore allait enjamber le rebord de la fenêtre, afin de donner l'illusion à Jack qu'elle partait, mais il semblait enfin se rendre à la raison et revenir sur ses paroles.
L'erreur que faisaient les mortels d'aujourd'hui, c'est que la science était la toute puissante raison et vérité. Sauf que ça n'était pas le cas. Mais en voyant les choses comme telles, ils s'enfermaient dans des carcans dont il était ensuite très difficile de les faire sortir. Croire à la magie par exemple, aux créatures surnaturelles. Quand ils sont petits et jeunes, ils y croient. Aussi durement qu'ils sont persuadés que s'ils laissent traîner un pied près du sol une fois couchés, le monstre sous le lit l'attrapera et le dévorera. Mais en grandissant, ils perdaient cette croyance qui pourtant pouvait dynamiser, embellir ou encore mouvementer leurs journées pour des considérations plus pragmatiques du genre argent, promotion sociale et autre fadaise. On pouvait être un pseudo imbécile, pauvre, et heureux. Ceux que le commun appelaient imbéciles qui plus est étaient ceux qui croyaient en des créatures telles que Terpsichore. Dommage. Enfin, Jack quant à lui semblait se rendre et accepter la présence de la Muse. Mieux, il lui demandait de rester. Elle ne répondit pas immédiatement, la réponse qu'elle comptait lui faire étant plutôt soumise à interprétations, mais du reste, elle n'eut guère le temps de le faire.
Du moment où elle avait commencé à rassembler ses idées à celui où elle comptait ouvrir la bouche, le jeune artiste l'avait rejointe, touchée même, ce dont Terpsichore n'était pas coutumière. Apparaître aux artistes, ça l'était plus ou moins selon ses caprices. Les laisser la toucher à leur convenance, c'était autre chose. Toujours est-il que si elle voulait déshiniber Jack, il ne fallait pas qu'elle joue les capricieuse. Sinon, l'un des rares artistes qu'elle avait pu croiser jusqu'à maintenant se refermerait sur lui-même telle une huître et elle ne pourrait plus l'inciter à dessiner, ce qui serait dramatique pour une Muse. Elle se contenta donc de ne pas bouger, de gorger ses poumons de son parfum, et d'attendre. Les mains du jeune homme quittèrent finalement ses épaules et s'emparèrent de ses mains à elle, qu'elle lui donna sans faire la difficile. Elle le suivit, et s'assit sagement là où il voulait qu'elle soit, les yeux bleu glacés de la Muse cherchant ceux de Jack.
Savait-il quel châtiment l'attendait s'il se mettait la Muse à dos? Ce serait amusant pour quelqu'un qui ne voulait pas croire à son existence au début. Le voile d'inquiétude qui masquait ses yeux incita la femme éthérée à incliner la tête. Elle se doutait que lorsqu'elle reprendrait la parole, cette inquiétude disparaîtrait pour une autre émotion, alors rien ne servait de le consoler vis à vis de cela. Si elle était encore là, il pouvait se dire que son pseudo déni de la Muse n'avait pas vraiment d'importance aux yeux de cette dernière, le principal étant qu'il l'ait retenue.

"Jack, si tu veux que je reste, il va falloir que tu te sentes à l'aise avec moi. Je suis là pour t'aider, pour t'inspirer. Pas pour t'effrayer."

Elle soupira discrètement et secoua la tête.

"Quant à rester tienne pour toujours, je ne le ferai qu'à la condition que tu ne me fasses plus de mal."

Lâchant une des mains du jeune homme, elle prit la boulette de papier et la défroissa pour lui rendre son aspect original. Elle le montra au jeune homme.

"Détruire une création que je t'ai inspirée revient à détruire une partie de moi. Je connais les raisons de ta honte, et je te suis apparue aussi pour t'aider à ne plus avoir honte. Mais pour cela, il faut que j'ai la promesse de ta bonne volonté."

Tenant le dessin d'une main, son autre main gagna le visage du jeune homme et lui caressa la joue avec tendresse. Elle ne comptait pas vérouiller les serrures de sa créativité pour toujours, de ce fait, elle irait doucement.

Victime malgré lui d’un vif émoi, ses joues s’empourprèrent à outrance, se coloriant d’une couleur abrasive mais terriblement appétissante, son regard se déroba, son corps fut pris de frissons et autres tremblements alors que sa respiration se faisait haletante, s’accélérant plus qu’outre mesure. Les pulsations du jeune homme se faisaient irrégulières, s’emballant dans un tempo des plus endiablés. Musique incessante qui bourdonnait au sein de sa personne, cette mélodie était-elle porteuse d’espoirs pour la muse ? C’était chose évidente, elle pourrait en faire son jouet et prouver par la même occasion que sans muses, les artistes ne sont rien. Dans un murmure, un souffle à peine audible, il acquiesça à ses dires et promit à chacune de ses requêtes…

« C’est… d’accord, Terpsichore.. »

Acceptant son offrande de son autre main, il se dégagea du toucher de la voluptueuse comme pour se soustraire à son influence et déposa le nu sur sa table de chevet. La chambrette revêtait des accents de mansarde pour poète maudit et elle était la belle, la divine qui partageait son lieu de travail et de vie. Sa curiosité fut bientôt piquée au vif et alors qu’il s’était déjà engagé envers elle, il l’interrogea et la soumit à ses milles et une questions.

« Que… les muses ne sont-elles pas dédiées chacune à un art ? Qu’entendez vous par m’aider ? Vais-je donc vivre en votre compagnie à présent ?Mais je ne peux pas vous loger, ni… c’est impossible… »

Le noir de ses yeux avait plongé en eaux troubles et soudain conscient de toutes ces questions, il y coupa court, lui proposant quelques fruits…Alors qu’ignorant sa réponse quant à sa faim ou non, il ramena un plateau de raisins et de pommes  mais alors qu’il s’avançait vers la terrible capricieuse, la grappe se détacha, virevolta, les grains se libérèrent, certains vinrent trouver refuge au creux du décolleté de la belle, la rendant encore plus séduisante…

Il prémettait donc, voilà qui était bien. Terpsichore sourit à cette réponse, plus que satisfaite par elle. Elle l'observa se retirer de sa main, et regarda cette dernière. Y avait-il quelque chose qui l'avait piqué au creux de ses doigts? Elle passa sa seconde main sur la première, puisque libérée du dessin, et ne trouva rien qui porta à prétexte pour que Jack ait retiré son visage ainsi. Elle dû donc se rendre à l'évidence, le chemin serait long jusqu'à la prise de conscience de l'artiste. Mais qu'à cela ne tienne. Elle avait tout le temps qu'il lui fallait devant elle, après tout elle était immortelle.
Les questions que le jeune homme lui posa cependant constituèrent un vif amusement pour la créature éthérée. A l'instar de celles de Jack, ses joues s'empourprèrent sensiblement alors qu'un tout petit rire sortait de sa gorge.

"Nous le sommes. Mais mes soeurs se font trop rares ces temps-ci, alors je m'occupe de tous les artistes passant à ma portée. Je vais t'aider en faisant en sorte que tu viennes à bout de tes inhibitions qui empêchent ton art d'exploser. Et non, nous ne vivrons pas ensemble... Tu n'auras pas ni à me loger, ni à me nourrir... Je viendrai le soir, et repartirai le matin sans que tu ne te doutes de rien..."

Sa naïveté était sincèrement touchante. Elle refusa les quelques fruits proposés, n'ayant pas vraiment besoin de manger, alors que Jack lui en avait réellement besoin. Et si elle le savait naïf, elle l'ignorait maladroit. Mais cela ne joua pas en sa défaveur, bien au contraire, elle le rendait encore plus attachant. Elle suivit des yeux les quelques grains de raisin lubriques venus se glisser entre ses seins, et en ramassa un avant de le porter à sa bouche. Frais, sucré, délicieux. Elle se pencha alors en arrière, appuyée sur ses avant-bras, ce qui faisait ressortir sa généreuse poitrine ainsi que les deux grains de raisin restant. Elle voulait connaître les sentiments et envies de Jack à cet instant. La stimulation visuelle devait sans doute être un moyen des plus efficaces pour stimuler l'inspiration. Mais au cas où il aurait encore besoin d'un peu plus, elle laissa glisser l'une de ses bretelles le long de son épaule et souffla doucement l'inspiration dans sa direction. Il pouvait alors décider de prendre une feuille, son fusain et de dessiner, ou alors autre chose. Tout ce qui comptait pour la Muse, c'était qu'il se sente libre. La tête de cette dernière s'inclina sur le côté.

"Tes appréhensions pour tout ce qui possède un caractère sensuel t'empêchent de t'accomplir... Nous devons remédier à cela. Tu m'as promis..."

La scène était éloquente, troublante même ! La muse pouvait se targuer d’avoir des armes dignes d’Eve, et, en cet instant, elle pouvait être sûre de son pouvoir de séduction. Manquant de faire tomber à terre la corbeille de fruit, il s’avança à tâtons vers la « jeune » femme qui prenait une position des plus affriolantes. Pareille à une bête sauvage, il gagna la distance qui les séparait, doucement, subrepticement, sinueusement. Les mots de la créature ajoutèrent à sa rêverie, à ce songe tentant et tentateur. Il s’installa à ses côtés, d’une main légère, aérienne, d’artiste, il effleura de ses doigts les lèvres de cette fleur encore teintée de ce jus de raisin, redessina les contours de sa bouche, son autre main s’était perdue sur l’épaule de la muse, il semblait captivé et tel le sculpteur, il essayait de prendre possession peu à peu de cette Galathée… Suspendu à son souffle, il se stoppa dans ses gestes, rouge de sa folie, ses mains se stoppèrent dans ces caresses légères, bafouillèrent et se retirèrent prestement, Jack remonta même au passage cette indécente bretelle qui avait daigné descendre pour dévoiler un bout de chair.

« J’ai promis mais je n’y arrive… pas… J’ai besoin de temps. »

Un soupir s’installa entre eux, souffle qui trouva écho dans le cou gracile de la muse Terpsichore. La voix du poète se fit de nouveau entendre pour présenter ses sincères et plates excuses à la voluptueuse.

« Je…je m’excuse pour tout, je crois que vous perdez votre temps ici, vous feriez mieux de partir, ne revenez que demain soir, il se fait tard … »

Comme une bête blessée, le monstre d’orgueil s’empressa de fuir le regard de la muse de peur qu’elle ne le réprimande pour son manque d’efforts. Trouvant refuge sous sa tignasse d’ébène, il s’était terré dans un tour de silence et la croyant parti, n’ayant pas même vérifié, il s’allongea complètement sur son lit, occultant ses prunelles d’ombre sous ses lourdes paupières et se massant d’une main les tempes, encore emplis de doute face à tout ceci. Un murmure s'échappa de ses lèvres...

"Terpsichore..."[/color]

Terpsichore savait se montrer patiente. Et cajoler un artiste tel que Jack ne lui posait aucun problème. Elle le laissa la toucher, baissant les yeux sur les mains du jeune homme qui commençait par explorer son visage, sa bouche, et puis son épaule... Tout viendrait en temps et en heure, et Terpsichore espérait qu'à la fin de leurs séances, Jack aurait suffisamment ses formes sur le bout des doigts pour pouvoir les dessiner, ainsi que celles d'autres femmes, à sa guise. Sans la moindre gêne ni honte. Certes, il lui faudrait beaucoup de temps pour venir à bout de toute une vie de conditionnement, sans doute par des parents trop puritains. Mais elle espérait qu'en lui faisaint découvrir combien les plaisirs de la chair pouvaient être bons, et inoffensifs, il saurait faire la part des choses et admettre que l'amour, sous sa forme charnelle, n'avait rien de sale ni d'indécent. Au contraire, c'était quelque chose de merveilleux que les hommes et les femmes prenaient autrefois un plaisir de consommer sans modération. A l'heure actuelle, les mentalités avaient trop été séquestrées pour ne voir en l'acte sexuel qu'un plaisir bénin que la nature leur offrait. Rares étaient les créatures qui prenaient du plaisir en touchant leurs congénères et l'humainité était en train de gâcher ce don pour de la fausse pudeur. Mais Terpsichore espérait bien sauver Jack de cela. Loin d'être indifférente à ses caresses chastes d'ailleurs, son rythme cardiaque s'accéléra quelque peu, et il parvint même à lui donner la chair de poule. Bien habiles sont les doigts des artistes.
Cependant le plaisir qu'éprouvait Terpsichore à être touchée ainsi ne dura pas, et Jack se retira. Elle comprit son malaise, et n'insista pas, pas plus qu'elle ne l'accabla de reproches. C'était à lui de se fixer ses propres limites. Il lui avait promis de faire des efforts, elle se satisferait donc de cela.
Sans rien ajouter de plus, elle se leva et le laissa s'installer sur son lit. Elle disparu de son champ de vision, et resta là, à l'observer quelques instants. Qu'il prononce son nom l'étonna, et la fit sourire gentiment. Sans faire de bruit, elle rematérialisa ses lèvres, uniquement, et les posa brièvement sur celles de Jack avant de disparaître entièrement à nouveau. Omniprésente, un peu comme le vent autour de lui, elle l'enlaça et murmura à quelques mots à son oreille.

"Je reviendrai demain, promis..."

Et, cela dit, elle s'en alla, le laissant à sa nuit. Et une promesse étant une promesse, sacrée donc aux yeux de la Muse, Jack pouvait être certain que le lendemain soir, elle serait de retour...

La muse devait se réjouir, la voluptueuse avait bien choisi son heure pour apparaître. Alors que les minutes défilaient en cette soirée pluvieuse, la chaleur régnait au sein de la petite mansarde, faisant de la chambre un havre de paix, un cocon protecteur, Alors qu’au dehors, l’orage s’annonçait. Avait-il pensé à elle durant le temps qui s’était écoulé ? Oui et non, certes elle avait accaparé son esprit durant de longues heures mais il l’avait finalement relégué au monde des songes, à l’une de ces chimères qui n’a la force d’apparaitre que la nuit. Pour tout dire, pour le jeune Hawk la journée s’était déroulée de manière usuelle et pour suivre les rites et coutumes de la journée, tout se terminait dans la petite pièce d’eau où une baignoire de porcelaine trônait. Un à un, les vêtements furent retirés, l’armure face à la société fut délaissée alors que le jeune homme se dévoilait entièrement nu. Le teint était d’albâtre, les muscles finement ciselés, un torse saillant, un port élégant, une virilité imposante, il aurait pu se vanter d’être pareil à ces statues antiques fières et nobles. D’une enjambée, il fut dans la baignoire. Si son teint s’accordait à merveille avec tout ce blanc, sa tignasse d’ébène se plaisait à casser la monotonie de l’ivoire. L’eau s’écoula doucement, lui arrachant frissons et soubresauts à son contact, puis la couverture le recouvrit complètement, le détendant, le relaxant. Le monde des songes s’ouvrirait-il de nouveau à lui ?