Nouvelle rencontre [Pv ~> Marine]

Si la question de Kei lui avait posé quelques soucis, sa question, à elle, semblait lui avoir fait mal ce qui n’avais jamais été dans les intentions de la jeune femme. Il semblait avoir un passé aussi complexe que le sien. En cet instant, toute la tristesse du monde se lisait dans ses yeux. Elle aussi avait toujours été seule.

« Je suis désolé si ma question t’as peiné. Ça n’a jamais été mon intention mais je suis très maladroite en ce qui concerne les relations humaines. En général, moins je parle aux gens, mieux je me porte »

Elle sourit un peu tristement. Néanmoins, elle tendit la main vers celle du jeune homme et la posa la sienne. C’était presque instinctif. Elle sentait que ce jeune homme avait souffert autant qu’elle, peut-être plus ou différemment. Mais dans ses yeux, c’était sa propre douleur qu’elle voyait.

« En vérité, je ne sais pas parler pour ne rien dire comme les gens disent. Je n’en vois pas l’intérêt. Du coup, ça pose problème pour notre dîner. Je vais avoir du mal à trouver un sujet de conversation banal»

Elle lui sourit franchement cette fois-ci, elle s’amusait d’elle-même et de sa difficulté avec les autres.
 
« Aurais-tu une idée de conversation qui ne pose pas de soucis à l’un comme à l’autre ? »

Son sourire s’était largement élargi. Elle essayait de se rattraper sans savoir si elle allait y arriver ou si le jeune homme allait finir par s’en aller.

« Je suis désolé si ma question t’as peiné. Ça n’a jamais été mon intention mais je suis très maladroite en ce qui concerne les relations humaines. En général, moins je parle aux gens, mieux je me porte. En vérité, je ne sais pas parler pour ne rien dire comme les gens disent. Je n’en vois pas l’intérêt. Du coup, ça pose problème pour notre dîner. Je vais avoir du mal à trouver un sujet de conversation banal »

Elle était comme lui. Elle avait menée dès son plus jeune âge une vie solitaire. Il pouvait le sentir. Et apparemment, elle pouvait lire à travers lui comme dans un livre rien qu’en voyant l’expression de son visage. Etais ce vraiment si voyant ? La main de la jeune femme se posa sur celle de Kei, qui sursauta légèrement à son contact. Un contact si chaud, si doux. Il ferma doucement les yeux, et lorsqu’il les rouvrit, il put voir un véritable sourire sur le visage de Marine, ce genre de sourire qui se voulait réconfortant. Son regard se posa ensuite sur la main de la jeune fille qui était toujours sur la sienne, et il sourit. C’est alors qu’il comprit : il n’avait jamais été seul. Trop fier et trop obstiné, il ne s’était pas intéressé aux relations qu’il aurait pu construire avec les autres personnes. Pendant toutes ces années, il avait vécu comme un rejeté de la société, essayant de se persuader que ce n’était pas lui le fautif mais les autres. Quelle triste illusion …

« Aurais-tu une idée de conversation qui ne pose pas de soucis à l’un comme à l’autre ? »

Vu comme c’était partit, dans peu de temps il risquait de dire une bêtise et ce serait repartit. Mais l’envie d’en découvrir plus sur cette femme se faisait ressentir au plus profond de lui, et qu’importe si ce n’était pas réciproque : il avait besoin de parler à quelqu’un, et ce quelqu’un en l’occurrence serait Marine ! Lentement, il tourna le poignet de façon à ce que la pomme de sa main soit collée contre celle de son interlocutrice puis lâcha.

« Pourquoi es-tu venu ici et pas ailleurs ? Qu’est ce qui t’attire ? »

Au moins avec ça, le risque de mettre le pied sur quelque chose de douloureux était limité. Si ça ne marchait pas, rien ne marcherai. Du moins, c’est ce qu’il pensait. Le seul réel problème, après coup, c’est que si la question se retournait contre lui, il ne saurait pas quoi répondre. La prochaine fois, il y réfléchira deux fois plutôt qu’une.

Elle se mit à rire devant la question de Kei. Ce n’était pas un rire méchant ou moqueur, bien au contraire.

« Pourquoi être venue ici ? Eh bien, je ne sais pas. De manière générale parce que le Japon était totalement à l’opposé de l’endroit où je me trouvais avant. Après, j’ai pas mal voyagé de ville en ville. Pour l’instant, je suis ici. Si je m’y sens bien, je resterai sinon j’irais ailleurs. J’ai du mal à me fixer quelque part »

C’était vrai. Elle avait déjà pas mal voyagé. En réfléchissant, c’était la première fois qu’elle restait aussi longtemps dans une ville. Elle regarda le jeune homme.

« Si tous les gens de cette ville sont aussi gentils que toi, je risque de vouloir rester »

Là voilà qui se mettait à faire des compliments ! Elle devait certainement s’être endormie et rêver à ce qu’elle pourrait être ou faire. Ce n’était pas possible autrement. Ça ne lui ressemblait vraiment pas.

Elle n’avait pas encore pris conscience qu’elle n’avait pas lâchée la main de Kei. Lorsqu’elle s’en rendit compte, elle voulut la retirer mais la main du jeune homme était douce et rassurante. Il semblait tout aussi seul qu’elle. Elle n’eut pas envie de la retirer comme si ce contact physique pouvait suffire, à lui seul, à se rapprocher des gens, de Kei.

« Qu’est-ce que tu aimes faire ? Tu as des passions ? Des matières préférées ? »

Une question que la jeune femme espérait sans risques. Elle lui souriait.

Marine se mit tout à coup à rire. Ce qu’il avait dit était drôle ? Il sourit donc, un peu rassuré que l’atmosphère se soit améliorée autour des deux jeunes gens.

Donc, si comme elle disait le Japon était un endroit totalement de là où il vivait autrefois, il ne devait pas y avoir grand monde. Car ici, c’était vraiment incroyable le nombre de personnes qui déambulaient dans les rues. Toutefois, ne connaissant rien de cet endroit, il ne pouvait donc pas juger, et ne souhaiter pas parler une nouvelle fois de son passé : il ne commettrait pas une nouvelle fois cette erreur. Et il eut même droit à un compliment de la jeune fille, ce qui eut pour effet de le faire se sentir un peu gêné, mais dans le bon sens : hormis ses défunts parents, elle devait être une des seules personnes à avoir agit de la sorte …

« Des matières préférées ? Si la sieste en fait partie, alors oui. »

Il dit ça en faisant une grimace. On lui avait toujours dit d’aller à l’école et de bien y travailler, mais il n’était pas fait pour ça. Si ça ne tenait qu’à lui, il ne serait plus depuis belle lurette. Mais par respect envers ceux qui l’avaient recueillis, il continuait d’y aller, sachant pertinemment que ça ne servait à rien. N’ayant jamais ça, il préféra ne pas se risquer à poser cette même question à la jeune femme.

« De toutes façons, j’arrive à rien … Mais à côté de ça, j’ai beaucoup d’admiration envers les illusionniste et les magiciens. Enfin, plus particulièrement avec les choses paranormales. »

En vérité, ce qui attirait le plus son attention dans ce genre de spectacle était les regards admiratifs des enfants devant toutes ces choses qu’ils ne voyaient pas, qu’ils ne comprenaient pas. Pour lui, tout était si facile : après tout, il pouvait faire bien plus que de simples illusions, il l’avait démontré plus tôt en soignant le poignet de Marine. Peut être se reconvertirait-il un jour la dedans, qui sait. Le futur était si incertains …

« Et toi ? Tu as des hobbys ? »

Elle sourit quand il lui dit que son occupation favorite était la sieste, elle qui avait du mal à dormir. Elle aurait donnée beaucoup aussi pour se trouver comme lui sur les bancs de l’école. Mais c’était un peu tard.

« Et toi ? Tu as des hobbys ? »

Des hobbys ? Elle ne savait pas trop si on pouvait considérer l’étude comme un hobby mais comme elle n’en avait pas d’autres. Elle trouvait d’ailleurs ça amusant car lui ne semblait guère apprécier les études.

« Je ne sais pas si on peut parler de « hobby » mais je passe tout mon temps à la bibliothèque à étudier : philosophie, histoire, sciences, géographie – elle sourit malicieusement – Je pourrais te donner des cours de rattrapage ! »

Cette pensée la faisait rire en même temps ça lui donnait une idée. Elle n’avait pas de travail. Pourquoi ne pas devenir professeur au lycée ou à l’université ? Il lui suffisait de se présenter en candidat libre aux concours. Mais ce n’était pas le moment de songer à ça.

Elle revint vers le jeune homme.

« C’est dommage de ne pas profiter de ta chance d’aller au lycée. Les études, c’est quelque chose de passionnant. Ça permet d’avoir un esprit critique sur les choses et de se faire sa propre opinion »

Elle s’arrêta. La jeune femme se dit qu’elle s’engageait sur un chemin bien glissant. Ce n’était pas parce qu’elle aimait étudier que ça devait être le cas de tout le monde. Chacun était libre d’aimer ce qu’il souhaitait, y compris ne rien faire.
 
« Désolé. J’ai tendance à m’emporter un peu quand je parle d’études. Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Et à part la sieste, que fais-tu d’autres ? »

Elle avait vraiment de le connaître à présent. Kei lui était de plus en plus sympathique surtout parce qu’il lui ressemblait d’une certaine manière sauf, bien sur, sur le côté études.

Qui l’eut cru ? Elle qui n’allait pas à l’école passait son temps à la bibliothèque à étudier. Une chose était sure, en y allant, elle ne perdrait surement pas son temps. Et à vrai dire, faire cela ne lui était d’aucune utilité. Il connaissait déjà deux siècles d’histoire pour les avoir vécus, et avait encore l’avenir afin d’apprendre de nouvelles choses. Voilà quel était vraiment le pourquoi de tant de paresse. Mais bon, il fallait avouer que la proposition de Marine fut la bienvenue, et Kei ne se fit pas prier pour hocher la tête et montrer son approbation. Il aurait au moins une chance de la revoir …

« Si étudier te plait tant que ça, pourquoi ne pas venir un jour au lycée avec moi ? Je te présenterai au directeur si tu le souhaite, il a l’habitude de me recevoir dans son bureau … »

Non pas pour un manque de respect ou autre, mais par un manque de travail. Et tout grâce à ses « bonnes » notes. En effet, il ne se passait pas un mois sans qu’il n’ait un rendez vous avec le dirigeant de son établissement afin de parler de son cas, qui était selon lui désespéré. Cela ne poserait surement pas trop problème. Et puis en parlant d’études, elle avait l’air si passionnée … S’il pouvait faire quelque chose, il n’allait pas se gêner. Et puis l’idée d’être dans le même lycée qu’elle était plaisante. Au moins, il connaissait quelqu’un à qui parler, et qui plus est une personne qu’il appréciait …

Sinon, d’autres hobbys ? A vrai dire, il ne sortait plus trop en ce moment, et passait donc ses journées à jongler entre sieste et télévision. Il avait essayé quand même toutes sortes de choses, mais le fait d’être un peu solitaire, voire même asocial, n’avait pas arrangé la situation. Et en ce moment, il était plus préoccupé par ses pouvoirs qui semblaient s’accroitre que par autre chose.

« Hé bien on va dire que j’ai mes périodes. Plus jeune, j’ai fais toutes sortes de sports comme du base-ball, du tennis, du football. J’ai même essayait le judo. Mais on ne peut pas dire que j’ai vraiment accroché à tout ça. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que j’ai arrêté. »

Il avait toujours son sourire ancré sur les lèvres en lui parlant.

Marine ne pensait pas que le jeune homme lui ferait une telle proposition. Rencontrer le directeur du lycée ? C’était presque inespéré. Elle en serait ravie, bien sûr, d’autant plus que son pécule avait tendance à largement diminué. Kei la ramena au présent.
 
« Hé bien on va dire que j’ai mes périodes. Plus jeune, j’ai fais toutes sortes de sports comme du base-ball, du tennis, du football. J’ai même essayé le judo. Mais on ne peut pas dire que j’ai vraiment accroché à tout ça. D’ailleurs ce n’est pas pour rien que j’ai arrêté »

Elle n’avait jamais pratiqué un sport pour lui-même. Elle l’avait toujours fait dans le but d’aider son « travail ». Aujourd’hui, elle en faisait un peu mais plus pour se maintenir en forme que réellement pour le plaisir.

« Je fais un peu de sport mais juste comme ça »

Leurs plats arrivèrent, coupant court à la conversation. Marine attaqua le sien avec un certain enthousiasme. Elle prenait rarement de vrai repas. C’était le plus souvent des sandwichs mais lorsqu’elle en avait l’occasion, elle se mettait en devoir d’apprécier son dîner. Et pour se faire, elle ne voyait qu’un seul moyen, tout engloutir. Elle avait ce qu’on appelait un bon coup de fourchette. Son corps dépensait beaucoup d’énergie et il avait besoin de compenser ses pertes. Le régime était hors de propos pour elle.

« C’est bon. Tu aimes ? – elle posa sa fourchette et fit une pause – Ta proposition de voir le directeur m’intéresse mais je ne pense pas que se soit le moment d’en parler. Inutile de gâcher notre repas par le travail »

« Je fais un peu de sport mais juste comme ça »

A cette remarque, Kei la jaugea vite fait d’un bref coup d’œil. Juste comme ça, hein ? Au premier regard, elle paraissait être une jeune femme tout à fait normale. Un beau visage, un corps fin. Mais pour un œil un peu plus « expert », il était vrai qu’elle paraissait … différente ? Il ne l’avait pas vu car il n’y avait pas fait attention, mais elle avait l’air forte. Toutefois, tout cela ne gâchait en rien sa féminité.

Leurs plats finirent par arriver, et se souhaitant un bon appétit, ils commencèrent à manger. Il dut se rendre à l’évidence : il fut agréablement surprit par ce restaurant. Il y régnait une bonne ambiance, et la nourriture était bonne. Au moins, ça le changeait de toutes ces caisses de nourriture réhydraté qu’il s’achetait. Même pour la cuisine il ne faisait pas d’effort … Ils continuèrent donc de manger en silence, jusqu’à ce que Marine brise le silence.

« C’est bon. Tu aimes ? … Ta proposition de voir le directeur m’intéresse mais je ne pense pas que se soit le moment d’en parler. Inutile de gâcher notre repas par le travail »

Il releva la tête, s’essuyant la bouche avec sa serviette. Elle avait donc accepté de rencontrer son directeur, c’était une bonne chose. Si ça lui permettait au moins de moins s’embêter et faire quelque chose qu’elle aimait …

« Oui, c’est très bon. De plus, c’est vraiment un endroit charmant ! Et puis avec la compagnie que j’ai, de quoi j’irai me plaindre ? »

Cette remarque était bien sur destinée à la jeune femme. Il lui fit un clin d’œil complice.

« Oui, c’est très bon. De plus, c’est vraiment un endroit charmant ! Et puis avec la compagnie que j’ai, de quoi j’irai me plaindre ? »

Marine sourit à son clin d’œil. Elle appréciait le compliment même si elle se demandait si elle était de si bonne compagnie que ça. Elle qui ne savait pas faire la conversation.
 
« Merci. Mais je ne suis pas certaine d’être la meilleure compagnie qui soit. Je ne sais pas trop de quoi parler. Je dois vous avouer… t’avouer qu’en réalité c’est… la première fois que je me retrouve dans cette situation. Je ne parle pas seulement de l’invitation à dîner mais du tout. C’est la première fois que je me retrouve à discuter de cette manière là avec quelqu’un »

La jeune femme rougit et se concentra à nouveau sur son assiette, évitant ainsi le regard de Kei. Elle ne savait pas trop si elle avait bien fait de le lui dire. Maintenant, elle considérait la franchise comme une vertu et le jeune homme lui était sympathique. De plus, Kei semblait plutôt ouvert et large d’esprit. Elle espérait qu’il ne se moquerait pas d’elle. A mots couverts, elle lui avait fait comprendre que c’était la première fois qu’elle sortait avec un garçon. Dans la mesure où le mot « sortir » était approprié.

« Je me sens un peu bête pour le coup ! »

Elle n’osait toujours pas le regarder et sentait bien que ses joues étaient toujours aussi rouges.

Bien que la voir sourire lui faisait plaisir, il n’en était pas de même pour la confiance qu’elle avait en elle. En effet, on aurait dit qu’elle ne se sentait pas à la hauteur dans ce petit rendez-vous car elle ne parlait pas beaucoup. C’était pas très grave, lui-même n’était pas du genre bavard. Mais ce qui était plus surprenant, c’était que pour elle, ce rendez-vous était une première fois. Kei se demandait d’ailleurs comment cela aurait pu être le cas : elle était vraiment belle, et n’importe qui de normalement constitué s’en serait rendu compte. Quoi qu’il en soit, la jeune fille rougit après ces paroles. Peut être était-elle timide. Cela expliquerait un certains nombre de choses. Ses yeux se reposèrent sur son assiette, comme s’ils fuyaient ceux du jeune homme …

« Je me sens un peu bête pour le coup ! »

Son regard était toujours rivé au creux de son assiette, et ses joues avaient toujours cette petite couleur rouge. Il souriait, cherchant quelque chose à lui dire. Mais il eut beau chercher, rien ne traverser son esprit : et dire qu’elle se trouvait bête. Que pouvait-on dire de lui ? Bien plus il fallait croire.

« Ah ? Y’a pas de raisons pourtant. Surtout que je ne me considère pas comme quelqu’un d’intéressant. »

Il passa une de ses mains dans ses cheveux en rigolant, allant même jusqu’à oublier qu’ils n’étaient pas tout seuls dans le restaurant. Plusieurs yeux convergèrent vers leur table, et à cet instant précis il voulut. Il leva une main en signe d’excuse.

« Désolé … »

La gêne du jeune homme était amusante à voir. Non, vraiment il n’avait pas l’habitude de déranger les gens. Tout son contraire. Elle avait plutôt tendance à choquer.

« Moi, je suis loin de vous… Oh mais c’est pas vrai ça ! »

Elle s’était exclamée d’une voix forte. Elle avait vraiment du mal à vouvoyer, rien à faire. C’était vraiment une plaie. Là, pour le coup, de nouveau tout le monde les regardait. S’il n’y avait eu qu’elle, elle n’aurait rien dit mais vu que cela semblait embêter son compagnon, elle fit un effort.

« Veuillez m’excuser »

Son ton était des plus calme et froid envers les autres personnes du restaurant. Un contraste étonnant avec le comportement qu’elle avait avec Kei. Son visage s’était fermé d’un coup durant ses excuses.

Elle reporta son regard vers le jeune homme. Le sourire avait du mal à regagner son visage.

« Je suis désolé. Je … je te l’avais dit c’est compliqué pour moi de tutoyer. On m’a… bien fait comprendre que je ne devais jamais tutoyer qui que se soit – elle sourit tristement – Mon dos s’en souvient très bien »

Combien de coup de fouet avait-elle ramassé à chaque fois qu’elle s’était trompée ? Elle ne s’en rappelait plus vraiment. Mais la leçon avait été particulièrement bien apprise. Même maintenant, elle ne l’oubliait pas.

« Donc, je disais que j’étais bien loin de te trouver inintéressant. Ce n’est pas parce que tu es réservé que tu es insignifiant. C’est plutôt moi qui dois l’être. Je n’ai jamais vraiment eu d’existence, alors je n’ai pas grand-chose à raconter – là, elle le regarda droit dans les yeux et son visage s’illumina d’un sourire – En tout cas, moi, j’apprécie ta compagnie, Kei »

« Moi, je suis loin de vous… Oh mais c’est pas vrai ça ! »

Il leva de grands yeux vers elle, la regardant entre l’envie de rire et l’envie de se cacher. Apparemment pour elle, ça n’avait pas trop l’air de la gêner. Il essaya de se faire tout petit alors que tout les regards se reportèrent sur eux. Puis, d’un ton presque glacial, Marine s’excusa. Le ton de sa voix était si froid que l’effet fut immédiat. Elle avait prononcé des mots d’excuse qui avait sonnés comme un ordre …

Elle reporta son attention sur Kei, mais son visage était impassible : pas un sourire, plus de traces de colère. Une seule lueur de tristesse se lisait au fond de ses yeux. Elle s’excusa une fois de plus. C’est vrai, elle l’avait prévenu : tutoyer était assez dur pour elle. Mais il n’avait jamais été aussi loin de la vérité. Pas une seconde il se serait douté que la jeune femme s’était fait battre dans sa vie. A tel point que d’après ce qu’il comprenait, elle était « marquée » par ses bourreaux. En effet, ce n’était pas quelque chose qui pouvait s’oublier avec un seul sourire. Elle avait surement une très forte volonté.

« Donc, je disais que j’étais bien loin de te trouver inintéressant. Ce n’est pas parce que tu es réservé que tu es insignifiant. C’est plutôt moi qui dois l’être. Je n’ai jamais vraiment eu d’existence, alors je n’ai pas grand-chose à raconter. En tout cas, moi, j’apprécie ta compagnie, Kei »

Un nouveau sourire vint illuminer son visage. A première vue, il ne s’agissait pas d’un sourire de façade, mais un réel sourire. Ses mots touchèrent l’ange au plus profond de lui. Ce fut cette fois à lui de faire le premier pas. Il tendit ses bras et prit l’une des mains de Marine dans les siennes, puis lui dit d’un air sérieux.

« Si c’est vraiment ce que tu penses, profite de cette nouvelle vie que tu es venue chercher ici … Et sache que si tu as un problème, tu pourras compter sur moi – il se mit à alors à sourire – Du moment que ça ne concerne pas les études, je pense que ce devrait être bon. En tout cas, je te remercie. »

Les choses seraient toujours plus faciles lorsque leur poids ne reposait pas sur une seule personne. Certes, c’était un peu présomptueux de lui dire cela, mais au moins elle savait que s’il se passait n’importe quoi, elle pouvait compter sur lui. Puis il repensa à ce qu’elle lui avait dit.

« Sans dire que je connais un très bon docteur … »

Bien entendu, ça sous-entendait lui-même. Comme il lui avait soigné son poignet plus tôt dans la soirée, il pouvait réitérer l’opération sur ses cicatrices. C’était réalisable pour lui. Le problème résidait dans le fait qu’il devrait se justifier après l’avoir « guérie ». Les marques disparaitraient sans nul doute, mais ce passage de sa vie restera ancré au plus profond de sa mémoire.

Marine se demanda ce qu’il entendait par le fait qu’il connaissait un bon docteur. Elle savait qu’il parlait des traces qu’elle portait. Il  avait compris qu’elle devait avoir des cicatrices sur le corps. Elle n’aurait pas du autant parlé. Elle ne se livrait jamais autant d’habitude surtout pas en ce qui concernait les marques qu’elle portait.

« Les cicatrices peuvent s’effacer au niveau physique mais pas dans l’esprit. Ces dernières sont indélébiles »

Elle serra la main du jeune comme pour se raccrocher à quelque chose, à quelqu’un. Comme toujours à chaque fois qu’elle y pensait, elle se sentait mal. Ce soir-là, ça ne faisait pas exception. Son visage devint plus blanc que d’habitude. Mais la main de Kei lui faisait du bien, elle ne savait pas pourquoi. Son malaise finit par passer.

Si elle n’avait plus envie de vomir, elle se sentait toujours aussi triste et seule. La fatigue la faisait craquer. Les larmes lui montèrent aux yeux et finirent par couler sur ses joues. Elle mit quelques minutes à s’en apercevoir. Elle lâcha alors la main du jeune homme et s’essuya les yeux du revers de sa main.

« Je suis désolé. Je suis très fatiguée ça va faire une semaine que je n’ai pas fermé l’œil »

Elle cherchait à sourire mais son sourire sonnait faux, elle le savait. Elle n’arrivait pas à se reprendre même ses larmes n’arrêtaient pas de couler. Cette perte de contrôle était si éloignée d’elle que ça ne faisait qu’accentuée sa détresse physique et morale.

« Je suis désolée »

S’excuser, c’était tout ce qu’elle réussissait à dire ou à faire à présent.

Ça, pour sur, il le savait très bien. Elle vivrait toujours avec cette hantise. Mais il ne fallait pas que ça la freine dans cette nouvelle vie qui débutait pour elle. Du moins pas tout de suite. Elle était jeune, belle, et avait du temps devant elle. Autant en profiter un maximum avant qu’elle ne le puisse plus. La main de Marine se resserra légèrement autour de celle de Kei. Elle n’avait plus du tout l’air dans son assiette. Et ça le peinait de la voir dans cet état. Pas après tout les sourires qui s’étaient dessinés sur son visage.

Ses yeux se firent de plus en plus vitreux, puis des larmes coulèrent le long de ses joues. Jamais il ne se serait doutait que cela arrive. Pas à elle. Mais ça prouvait bien une chose : derrière ses aspects de femme intouchable, elle n’en restait pas moins humaine. Cela était la vraie Marine. Elle retira sa main pour s’essuyer les yeux, et ce fut au tour de Kei de sentir des larmes couler le long de ses joues. Bien entendu, elle ne voyait rien, trop occuper à sécher ses yeux d’un revers de main.

« Pas la peine de t’excuser, tu n’y es pour rien … »

Il lui avait dit ça avec un sourire, les larmes roulant toujours sur ses paumettes. A présent, le fait d’être entouré d’inconnus ne le dérangeait plus. Il n’évoluait que dans un très petit espace avec Marine en face de lui. Il n’avait plus honte. Il jugea donc que la soirée devait se terminer. Ce ne serait pas un adieu, mais un simple au revoir. Et Marine avait du sommeil à rattraper…

« Je pense qu’il est temps d’y aller… »

 Il leva la main, appelant ainsi un serveur, le priant de rapporter l’addition. Il paya en laissant un bon pourboire, puis il se leva de sa chaise et se dirigea vers Marine à qui il tendit la main pour l’aider à se relever.

« Je pense qu’il est temps d’y aller… »

Marine l’aurait béni quand il prononça ces mots. Elle hocha simplement la tête. Il appela le serveur et régla l’addition. Avec beaucoup de gentillesse, il lui tendit la main pour l’aider à se lever. Aide qu’elle accepta.
 
Elle se leva et le suivit jusqu’à la sortie du restaurant. Elle se dirigea vers son hôtel et il l’accompagnant. Arrivé devant le vieux bâtiment, Marine ne pleurait plus. Elle avait réussie à se reprendre. Elle esquissa un léger sourire.

« Je suis désolé, une fois de plus. J’ai du te gâcher la soirée et te blesser ce qui n’était pas du tout dans mes intentions »

Elle avait que lui aussi avait pleuré. Elle n’avait pas voulu le peiner, ni qu’il la prenne en pitié. Elle n’attendait pas qu’on la console.

« Je crois que c’est là qu’on se quitte, Kei. En tout cas, merci pour le restaurant et la soirée »

Dans un élan, elle déposa un rapide baisé sur sa joue.

« Merci encore »

Elle lui souriait à présent.