Nonchalamment installé sur son trône – un inquiétant siège pourpre garni de cranes et de piques et entouré de restes humains, l’Archidémon Daharosnazora’Diel attendait patiemment son heure. Plusieurs semaines auparavant, ses subordonnées l’avaient informé qu’un groupe d’adorateurs s’était manifesté dans un autre plan de l’existence. Dans une dimension baptisée Terre, quelque jeunes humains avaient réalisé de multiples rituels et incantations pour attirer l’attention d’une quelconque entité cosmique.
Diel ne pouvait s’empêcher de trouver amusante la soif de pouvoir des humains. Il s’agissait sans doute d’une des espèces les plus faibles de tous les univers, et néanmoins la plupart nourrissait toujours l’ambition de s’élever au-dessus de sa condition initiale. Selon toute vraisemblance, cette pitoyable petite secte cherchait à invoquer un démon afin de s’en servir pour réaliser leurs propres objectifs. Une occasion parfaite de s’introduire sans effort dans un monde sans défense pour créer un peu de désordre. L’Archidémon avait alors ourdi un plan à toute épreuve.
Eredan, un démon en qui Diel avait placé une grande confiance au fil des millénaires, avait été choisi comme intermédiaire. Au gré des incantations de la secte, il établirait un contact à travers le voile qui sépare les mondes et ferait entendre sa voix et ses commandements aux inconscients humains. Se faisant passer pour le roi des Enfers, il promit aux leaders du groupe de leur donner des pouvoirs dépassant leurs espoirs les plus fous s’ils parvenaient à l’invoquer auprès d’eux.
Les jours qui suivirent, la secte fut débordée par les préparatifs pour l’avènement du roi des Enfers. Convaincus qu’ils contribuaient à ressusciter la plus puissante créature jamais vue, tous étaient convaincus d’être récompensés pour leur servitude. La vérité était néanmoins tout autre. Leur désespoir et leur terreur serait d’autant plus délectable quand ils réaliseraient qu’ils avaient été dupés. Diel était presque impatient de goûter à ce délicieux carnage. Mais s’il y avait une chose que les humains de la Terre craignaient par-dessus tout, c’était l’inconnu. C’est pourquoi il était impératif que les démons ne se révèlent pas au monde. L’essentiel était d’éliminer le moindre témoin, se nourrir de leur douleur et leur crainte jusqu’à ce que la mort les prenne, avant de retourner dans leur monde jusqu’au prochain imbécile qui se croirait suffisamment puissant pour asservir des êtres surnaturels. Le son retentissant des sabots d’Eredan sur le sol tira Diel de sa rêverie.
- L’heure est venue, Mon Maitre.L’Archidémon sourit, dévoilant plusieurs rangées de dents jaunes tranchantes. Il suivit son second jusqu’à une grande salle en pierre dépourvue de meubles. Au centre, on discernait avec peine des formes floues et des sons étouffés provenant de ce qui ressemblait à un portail pourpre qui scintillait faiblement. Il semblait gonfler à vue d’œil. Autour du portail se tenait le groupe de démons que Diel avait décidé d’emmener avec lui. Eredan, Larvaius, Iarocon et Nacomir. Un seul d’entre eux aurait suffi à éviscérer une poignée d’humains stupides mais ses troupes avaient besoin de distraction. La frustration et l’ennui avaient tendance à pousser les démons à s’entre-déchirer.
Eredan prit la parole en langue ancienne et sa voix sinistre emplit la pièce d’une atmosphère plus lugubre encore. Une autre voix, plus diffuse, lui répondit avec les mêmes mots. La délivrance approchait. Il serait le premier à traverser le portail, et une fois de l’autre côté, rien ne l’empêcherait plus d’agrandir la faille pour laisser passer les quatre autres monstres. Les images visibles dans l’autre monde se faisaient plus nettes à chaque minute. Des silhouettes encapuchonnées étaient disposées en cercle, éclairées uniquement de chandelles aux flammes vacillantes. Au centre, un mouton noir éventré agonisait en hoquetant sur le sol, des volutes pourpres jaillissant de ses entrailles.
Puis Eredan plonga sa main griffue dans le portail. Celle-ci émergea vigoureusement du ventre béant de l’animal, et quelques-uns des adorateurs tressaillirent. Peu à peu, le démon traversa la fissure entre les mondes jusqu’à finalement se matérialiser entièrement sur Terre. Certains parmi les humains avaient déjà pris la fuite, le peu de volonté qu’il leur restait ayant volé en éclats en assistant à l’insoutenable vision. D’autres étaient figés de terreur, dépassés par les événements. Le démon poussa un rugissement qui éteignit net toutes les chandelles encore allumées. L’unique source de lumière était désormais le portail qui, une fois sa taille maximale atteinte, avait commencé à briller d’une lumière rougeâtre inquiétante. Le mouton explosa alors sous la pression dans un ultime bêlement et le portail apparut dans toute sa splendeur tandis que les autres créatures en sortaient une à une.
Le spectacle était horrifiant. Après l’humanoïde griffu aux pattes de chèvre qu’était
Eredan, le pire était néanmoins à venir. Ensuite apparut
Nacomir, au corps de centaure, dont les extrémités brûlaient d’un feu inextinguible. A sa suite,
Iarocon, créature immonde à la bouche constamment ouverte dans un râle incessant et dépourvu d’yeux, sa tête finissant à la place par un long tentacule frétillant. Le portail se déforma brièvement pour laisser passer le titanesque
Larvaius, mélange confus de dents, de piques et d’yeux mauvais. Fort heureusement, ses ailes étaient encore repliées, seule raison pour laquelle il parvenait à rentrer en entier dans cette sale. Ces quatre monstres entouraient le portail, expectant patiemment la venue d’un dernier cauchemar.
Diel savoura cet instant, ménageant son effet. Toutefois, il choisit de prendre une
apparence plus humaine, gardant uniquement son épaule et bras gauches. Bien que moins monstrueux que ses serviteurs, il restait impressionnant tant par son charisme autoritaire que par sa taille, atteignant presque les trois mètres de haut. Il acheva enfin de traverser la faille et posa les pieds sur Terre, face à des visages pétrifiés, inondés de larmes de terreur, et d’autres humains qui avaient pathétiquement perdu connaissance, submergés d’émotion. Diel sourit de toutes ses dents tranchantes et déclara d’une voix diabolique qui se réverbéra sur les murs :
- Bonsoir. Vous avez rendez-vous avec la mort.