Hideo Suzuki claque la porte de la berline noire aux vitres teintées, adresse un signe de tête au chauffeur, dans le rétroviseur et s’éloigne d’un pas lent, chaloupé. De taille moyenne, l’héritier s’est sculpté un corps musculeux, mis en valeur par un élégant costume trois-pièces ajusté anthracite. Légèrement ébloui par le soleil de ce début après-midi, il plisse les yeux, avant de sortir une paire de Tom Ford qu’il place sur son nez. Aujourd’hui, Hideo a un rendez-vous important avec un promoteur immobilier, mais il a prévu de le faire poireauter un peu. Il regarde sa montre. Pourquoi pas un café ? Soit. La rue est animée, mais les terrasses sont dégarnies ; la plupart des gens sont encore coincés au bureau, à cette heure-ci. Pas moi. Il avise un café, qui fait l’angle. Un peu cheap. Il s’éloigne de quelques pas. Mh ?
Quelque chose le perturbe, si bien qu’il se retourne, observe de nouveau la terrasse. Une silhouette lui semble familière. Tu délires mon pote, tu délires complètement. Son cœur s’emballe, pourtant.
Ces cheveux bruns, cet air pensif, cette manière de croiser les jambes… Astrid, c’est Astrid.
Tétanisé, la bouche légèrement entrouverte, le puissant Hideo Suzuki, négociateur hors-pair, play-boy à ses heures perdues se décompose. Il a chaud, il se sent fébrile. Rien à foutre de cette sale pute. Faux. Il déglutit avec difficulté. Il a l’impression d’être de nouveau dans le corps rachitique de ce timide étudiant en art qu’il était, il y a presque dix ans, incapable de prendre une putain de décision. Astrid, ce putain de fantôme qui le poursuit depuis tant d’années. Il a un mauvais sourire, soupire avant de prendre une décision.
“Je peux m’asseoir ?”
Hideo n’attend pas la réponse de l’intéressée. Il tire la chaise à lui, s’installe confortablement en face de la jeune femme, les yeux rivés sur son visage circonspect. Putain, elle a quasiment pas changé elle. Toujours ce putain d’air angélique, presque tendre - alors que c’est une putain de chienne. Son visage se crispe, un peu de bile lui remonte dans le gosier.
“Tu me remets ?”
Il retire ses lunettes de soleil, les balance sur le verre de la table. Son regard est dur, acéré. Astrid fucking Grace, la sale garce qui lui a volé son cœur pour le réduire en miette, neuf ans plus tôt. Ils étaient jeunes, alors, insouciants - du moins en ce qui le concernait. Une rencontre à la bibliothèque, quelques rendez-vous, des baisers timides dans le cou. Il l’avait aimée comme jamais il ne l’avait cru possible. Pas de sexe ; Hideo voulait faire les choses bien, dans l’ordre. Lui, l'unique héritier d’une richissime famille de notables, elle, brillante étudiante en médecine, promise à un avenir tout tracé.
“Dis-moi Astrid, est-ce que t’es toujours une sale petite pute ?”
Il prononce ces mots en anglais, avec un accent parfait, un sourire glacial. Ses mains tremblent légèrement et il les pose sur ses cuisses. Il bouillonne. De rage.
Comme ce mardi de mai, où, pour lui faire la surprise, il avait séché les cours, acheté un bouquet de fleurs, et s’était pointé chez elle. Il avait sonné une fois, puis deux. Sourcils froncés, il avait tourné la poignée de sa porte - non verrouillée - et s’était introduit à l’intérieur, sourire aux lèvres. Astrid aimait écouter de la musique lorsqu’elle travaillait, elle n’avait probablement pas entendu la sonnerie de la porte d’entrée.
Sauf qu’Astrid n’était pas en train de travailler. Astrid était prostrée sur le parquet de sa piaule, le cul en l’air, les seins écrasés sur le sol et les poignets soigneusement attachés ensemble derrière son dos. La chienne chouinait tout son soûl, pendant qu’un gaijin musculeux pilonnait brutalement son arrière train de son chibre épais. Interdit, Hideo avait tour à tour regardé le visage de sa petite amie, déformée par l’arrivée imminente d’un orgasme, l’air goguenard de l’intru qui l'enculait méthodiquement, le mélange poisseux de fluides mélangées qui souillait le sol. Le bruit mouillé, obscène des bourses de l’homme qui claquaientt contre la vulve gonflée de de son premier amour résonnait, et résonne encore aujourd’hui dans sa boîte crânienne.
Ce jour-là, il avait envie de lui faire mal, de la tuer, et de tuer le gaijin. Mais à l’inverse, il avait tourné les talons, incapable d’affronter le regard d’Astrid et s’était enfui en courant, comme une sombre merde.
Pas aujourd’hui.
Il voit la jolie petite gueule d’Astrid se déformer sous l’effet de la surprise, hoche silencieusement la tête. Après s’être vautré dans la prostitution et le sexe facile, combien de petites idiotes Hideo a-il dévoyé, souillé, humilié ? Une bonne quinzaine. Il ne se souvient même plus de leurs visages, il n'en a jamais vraiment eu grand chose à foutre. C’est Astrid, qu’il voulait punir. Et aujourd’hui, c’est Astrid, qui se tient devant lui, vulnérable. Et c’est cette fille presque banale, qu’il a eu peur d’affronter ?
“Un café allongé s’il vous plaît”, lance-il au serveur, sans même le regarder.