"Comme certains le disaient lorsque j'étais... vivante, je connais le principe du « papa dans maman », mais c'est tout. Je...Je n'ai rien vu, je n'ai rien fait, je n'ai rien touché...Si on peut le résumer ainsi..."
Alors là, se dit le vampire, on n'est pas sorti du désert.
Il avait connu des gens un peu isolés, du genre qui ne pouvaient réalistement pas survivre sans le support d'autrui en raison d'une négligence familiale ou éducationnelle, mais quelqu'un avait vraiment arraché à cette pauvre demoiselle toutes ses chances de pouvoir survivre dans sa nouvelle position; aucune connaissance de ses propres capacités, aucune façon de se nourrir convenablement, aucune éducation quant à sa nature, et même pas une éducation de base pour pouvoir séduire une victime potentielle. Hadrian ne faisait pas souvent le parallèle entre le vampire séducteur de la télévision avec le vampire réel, qui se passait bien volontairement du consentement des autres pour son propre bénéfice.
Elle lui présenta encore des excuses, et il eut encore un brin de frustration, refoulé de nouveau pour ne rien laisser paraître sur son visage, et il lui rendit le baiser quand elle le lui offrit. Encore un baiser chargé d'incertitude, maladroit, sans conviction.
"Pardonnez ma fermeté, Calypso, mais pour ce soir, c'est non," dit le vampire en lui caressant délicatement la tête. "Le temps viendra peut-être où la chose vous engouera davantage. Pour le moment, je crains que ce ne devienne qu'un traumatisme. Essayons d'abord de reprendre des forces, et voyons si simplement être près d'une autre personne vous suffit pour ne pas être assaillie de cauchemars. Au retour de la nuit, nous essaierons de trouver un chemin pour regagner notre plan, en espérant ne pas croiser d'autres hommes-oiseaux."
La discussion sur les affaires du sexe, cependant, semblaient être close. Calypso n'était pas sa victime, ou une ennemie; il ne voyait donc pas l'intérêt de pousser la chose plus que de raison. Il pourrait, évidemment, manipuler son esprit d'une autre façon, instillant en elle des désirs et des appétits qu'elle ne possédait pas, mais cela pourrait avoir des conséquences dramatiques sur sa confiance en lui, et ils étaient clairement à une étape où ils ne pouvaient pas se permettre de méfiance.
Il l'attira donc de nouveau, la faisant passer sur lui, et passa ses bras autour de ses hanches. Il prit cette main douce et délicate qu'elle tenait contre sa joue, et baisa la paume d'une légère caresse des lèvres.
"Plus tard."
Et plus tard… fut sacrément loin.
Dès la tombée du soleil suivant, les deux vampires se tirèrent de leur antre. Hadrian, fort gorgé de sang grâce à son repas, s'extirpa de son sommeil de mort, et se leva de leur couche, afin de se rhabiller et de préparer le voyage à venir. Il ne savait rien de cette contrée, et pour être parfaitement honnête, son seul besoin était de trouver un endroit où se cacher de jour pour reprendre le voyage de nuit.
Le presque-moment sembla passer entre eux, ou du moins Hadrian ne chercha-t-il pas à pousser les limites de sa protégée plus que de raison. Il lui parla, bien sûr, et lui prodigua les enseignements qu'elle désirait, mais seulement selon sa curiosité. De toute façon, comme la nuit était plutôt solitaire et protectrice pour deux prédateurs nocturnes, ils n'eurent rien d'autre à faire que de discuter. Par quelques opportunités, un groupe de brigands ou de voyageurs égarés se mirent sur leur chemin. Les premiers furent exterminés rapidement, et leur sang récolté, les seconds, à l'inconfort de Calypso à commettre un meurtre sur des victimes innocentes, furent épargnés. Ces quelques rencontres leur permirent, cependant, de se changer de leurs loques et d'adopter une mode plus contemporaine. Une tunique noire, des pantalons gris et des bottes de marche devinrent la nouvelle garde-robe du vampire, ainsi qu'une cape à capuchon. Des brigands, il récupéra un poignard de bonne facture et quelques pièces d'argent, lesquelles il n'avait aucune chance de connaître la valeur légitime.
Deux semaines, c'était fort long. Même avec leur endurance surhumaine, il ne pouvait nier que ce ne fut guère plaisant. Plusieurs fois, ils furent forcé même de rebrousser chemin, incapable de trouver une cachette pour se dissimuler au regard du soleil, et Hadrian fort peu intéressé à s'exposer.
Après ce long périple, ils gagnèrent, de nuit, un endroit qui s'appelait, tout simplement, la Ville, une grande cité indépendante. C'était un poste de commerce s'étant établi comme un ramassis d'un peu tout ce qui pouvait passer dans les rues; des marchands, certes, mais aussi des mercenaires, des voyageurs, des putains, des aventuriers, des voleurs et probablement des tueurs. Un endroit où ceux qui, comme eux, n'avaient que leurs affaires en tête ne sembleraient pas hors norme.
C'était vite dit, cependant, de croire qu'ils seraient laissé à leur compte.
Alors qu'ils s'étaient installé sur une petite promenade pour se reposer et épargner leurs jambes endolories, Hadrian aida la jeune femme à retirer ses bottes et examina ses pieds, lesquels présentaient déjà des ampoules ayant éclatées.
"Hm. Des chaussettes ne seraient pas de trop," dit le vampire en tirant de son sac une petite huile qu'il avait chapardé à l'un des voyageurs commerçants. "Ne bouge pas."
Il versa un petit peu d'huile sur le pied abîmé de Calypso, avant de le masser délicatement, s'assurant de bien faire pénétrer la substance désinfectante dans ses blessures.
Alors qu'il passait enfin un pansement autour de son pied, des bruits de pas s'approchèrent.
"Alors, mes amis, une belle soirée en tête à tête?"
Hadrian eut un moment d'agacement à cette voix nasillarde. Typique des introductions d'antagonistes dans les téléséries américaines, il n'eut même pas à se retourner pour deviner que, derrière lui, devait se trouver un homme avec ses camarades arborant un grand sourire semi-édenté, probablement vêtus de loques et puant l'alcool.
Il finit de panser le pied de Calypso, et lui remit sa chaussure.
"Cette fois, tu t'en occupes, Cal," dit-il, doucement, utilisant le pseudonyme qu'il avait trouvé. Calypso était un nom un peu trop beau pour les va-nu-pieds qu'ils étaient. Pour sa part, il avait simplement changé l'accent de son nom pour Adrien, une version plus commune de son prénom.
Si la plupart de leurs soirées avaient été utilisées pour marcher, il n'avait pas omis de lui inculquer, un peu par la force, quelques aptitudes martiales. Rien de bien élaboré, mais d'eux-deux, elle était celle qui avait encore un peu de sang à dépenser, alors que lui avait dû s'interposer dans la plupart des conflits sur la route. Il lui avait montré à utiliser ce sang, à renforcer ses capacités physiques. Même sans son aide, elle devrait être au moins capable de gérer une bande de petites frappes, surtout si elle décidait de ne pas tuer.