Quelle journée merdique. J’étais pourtant parvenu à convaincre une connaissance de me présenter à un de ces passeurs, un ami d’un ami comme on dit, pour enfin écouler toute les saloperies qu’il me restait sur les bras. Vieux artefacts qui vous pètent à la figure, barrettes à fumer, liquides fluo qui vous font planer et dont je ne voudrais même pas savoir la composition. Et pas du neuf. Autrement dit, de quoi sérieusement décoller, et carrément pas dans le bon sens du terme. Il me fallait des pigeons en mal d’exotisme, et il n’y avait pas mieux que sur Terre pour cela. Seulement, c’est pas du tout le coin aisé où aller, si vous voyez ce que je veux dire.
J’avais été obligé de supporter ce passeur, qui se faisait appeler Blake le coupe-gorge pour se donner un genre. Tu parles d’un blaze. Pendant qu’il me montrait le chemin, tout un tas de surnoms m’ont traversé le crâne, surtout Blake le morveux parce qu’il ne pouvait pas s’empêcher de caler un mollard à chaque coin de rue. Bref. Je débarque dans cette ville proprette et, avec ma chance, il tombe des cordes. Evidemment, quasiment personne dans les rues, pas un chat, pas un radis, pas une brouette, rien.
Après avoir déambulé au hasard dans les rues, j’en ai sérieusement ma claque d’être trempée jusqu’au os sans avoir mis la moindre oseille dans la poche à tel point que mes cheveux me donnaient l’impression d’être décoloré. L’humeur massacrante, je me rapproche du premier bar sur lequel je tombe, encore un de ces tripots avec les lumières criardes et la musique qui vous casse les écoutilles. Tant pis, j’ai besoin de me mettre au sec et de prendre un truc chaud. A l’entrée, j’avise le type patibulaire qui est planté là comme un navet au milieu de la cambrousse et il me scrute avec un air inquisiteur. Je déteste ça mais je prends sur moi, et je lui fais mon meilleur sourire de pouffiasse parfumée comme il doit en voir des dizaines chaque soir. Ça doit fonctionner parce qu’il me sourit en retour et s’efface pour me laisser entrer. Quel crétin, mais au moins, je suis au sec.
Je file tout droit au bar pour fuir cette abomination musicale qui me viole les oreilles et me caler le postérieur sur un tabouret pour commander un thé. J’ai l’impression de sentir le chien mouillé quand je frotte ma tignasse trempée pour essayer vainement de la sécher. Après avoir récupéré ma tasse de thé, j’ai la désagréable impression d’être observée. Je tourne à peine la tête, et voilà que je tombe sur cette blonde qui me sourit en exhibant son décolleté. Il manquait plus que ça. J’ai aucune envie de sourire mais je me force quand même pour tortiller des lèvres avant de retourner à ma boisson.
Et ça continue. J’ai l’impression qu’elle me déshabille mentalement avec ses regards appuyés. J’inspecte rapidement ma tenue en me demandant si la flotte a moulé mes fringues ou quelque chose dans ce goût là. C’est là que je la vois commander un énième verre. Ceci explique cela, elle doit être beurrée. Mais hé, pigeon beurré, pigeon tondu, c’est peut-être l’occasion de conclure cette journée avec au moins une vente. Je ravale alors mon agacement et au bout d’un moment, la voilà qui se rapproche pour engager subtilement la conversation en étalant son corps. Aussi subtile qu’une fanfare avec tambours et trompettes je veux dire. Au moins, elle paye la boisson et elle n’est pas dégueu’ à regarder.
- "Non, j’attends personne. La totale journée de merde. Y'a mieux comme compagnie vu que j’ai l’air de sortir d’une poubelle, j’suis sûre, pas vrai ?"
J'ai dû tourner ma langue sept fois dans ma bouche pour sortir ça et réussir à afficher un sourire de circonstance. Avec du bol, ça va passer crème.