"Est-ce que tu me trompes avec le proviseur-adjoint ?"
La question résonna dans l'esprit de Cynthia et elle réprima un frisson. Tôt ou tard, elle se doutait que cette question viendrait, et elle avait préparé son discours des heures et des heures les nuits où elle ne dormait pas. Elle l'avait perfectionné à chaque instant, et il venait de disparaître en un coup de vent. Elle s'entendit prendre son air le plus faussement amusé :
"Quoi ? C'est quoi cette question ?"
Comme si elle n'en savait rien, comme si, quelques minutes avant que Quentin ne rentre, elle n'avait pas été au téléphone avec lui, en train de le supplier de raccrocher tout en lui obéissant, la main dans sa petite culotte pour le plus grand bonheur de ce pervers. Adrien était un pervers, un sale petit pervers, mais il avait su la pervertir pour en faire sa chose. Depuis, elle avait tenté plusieurs fois de se détacher de lui, d'arrêter tout, d'en parler avec Quentin...mais à chaque fois, elle ne parvenait qu'à glisser un peu plus sous son contrôle.
Cela avait commencé en douceur, sans qu'elle ne s'en rende compte. Les petites grandissaient et Quentin s'était tellement investi dans l'éducation des filles qu'il l'avait oubliée, semblait-il. Oh, elle l'aimait, elle adorait le voir jouer avec les filles, passer des heures à les regarder dormir et faire des plans sur ce qu'elles feraient plus tard, avec des étoiles dans les yeux. Il avait quelque chose de délicieux à jouer les papas-poules...sauf qu'après l'accouchement difficile, la reprise de poids, la fatigue, les heures à rattraper et le nouveau programme d'arts plastiques, elle s'était sentie inapte à tout : elle avait eu l'impression de ramer pour trouver de nouveaux axes d'étude pour ses élèves et encore plus pour faire voir à Quentin que ses envies étaient celles d'une femme parfois, et non exclusivement d'une mère. Il ne la regardait plus comme son épouse, mais comme une génitrice bienveillante.
Et le moral avait flanché. On avait parlé du baby-blues, mais c'était une simple dépression qui avait cloué Cynthia à la maison pendant quelques mois, avant qu'elle ne reprenne le travail, encore plus dépassée qu'avant. Quentin n'avait rien changé de ses habitudes, s'était adaptée à son rythme alors qu'il aurait dû au contraire la remotiver... Elle avait failli abandonner son poste, et c'est là qu'Adrien, lui, avait réagi. Il avait proposé son aide, son soutien administratif et professoral pour l'aider à reprendre pied dans son travail. Il lui avait présenté de nombreux exemples, avait apporté des solutions, avait fait en sorte que les perturbateurs de la classe soient muselés, pour lui offrir un contexte favorable à sa reprise en main. Il venait la voir à la fin des cours, pendant la récréation, pour la conseiller et lui remonter le moral, toujours avec un gentil mot, un compliment. Oh, bien sûr, elle avait surpris une fois ou deux un regard intéressé sur ses formes, mais n'y avait pas attaché d'importance.
Puis, il avait institué des réunions de projet, avec les "représentants de la culture". Au début, il y avait eu de nombreux professeurs de musique, d'art plastique, de technologie et de littérature, puis ils s'étaient raréfiés. Ils avaient un couple, des enfants...Cynthia, elle, savait que Quentin s'occupait des filles, alors, elle avait continué, jusqu'à ce que les réunions ne soient plus qu'un tête à tête régulier. Un tête à tête de plus en plus discret, car Adrien pensait qu'on "pouvait s'imaginer des choses" si on les voyait tous les deux. Aussi, il fermait les volets et l'établissement, s'assurait qu'il n'y avait personne dans les bâtiments pour leurs réunions.
Et un soir, cela avait dérapé. Elle se sentait peu à peu désirable grâce à lui, avait repris goût à la vie grâce à lui. L'avait-elle cherché ? En y regardant, elle avait peut-être eu un désir secret en remettant cette petite robe noire plutôt courte pour cette réunion, en enfilant ce joli string en dentelle et ces collants légèrement strassés, en chaussant ces jolis escarpins noirs... Elle voulait lui montrer que grâce à lui, Adrien, elle était redevenue femme. Et c'est en femme qui l'avait prise...
"Qui t'a raconté une chose pareille ?"