«
Besoin d’aide… ZZZZRRRRR… Urgent… ZZRRRRRRR… Aokigahara… ZZZZZZZZZZZZZZRRRRRRRRR… Sotoro, l’auberge, je… ZZZZZZZRRRRRR… »
La voiture de Lara filait à bride abattue le long d’une portion d’autoroute, en voyant au loin l’impressionnant Mont Fuji. Elle avait roulé toute la nuit, et le soleil était paresseusement en train de se lever, ce qui faisait qu’elle croisait surtout des routiers, ou quelques touristes très matinaux. Ils affluaient vers le Mont Fuji, qui était au Japon ce que la Tour Eiffel était à la France. Une magnifique montagne se dressant fièrement dans le ciel, au milieu de cinq épais lacs formant comme des mers intérieures, et d’une épaisse forêt. Avec son sommet enneigé, et cette symétrie qui semblait presque parfaite, le volcan endormi attirait continuellement d’innombrables visiteurs... Mais il n’était pas la cible de Lara.
Aokigahara... Elle était aussi connue au Japon sous le terme «
Jukai », qui signifiait «
mer d’arbres ». Une autre expression désignait toutefois la forêt d’Aokigahara : «
la forêt des suicides ». La littérature décrivant cet endroit était des plus morbides, comme Lara avait pu s’en rendre compte après une brève recherche sur Internet. En 1993, Wataru Tsurumi avait par exemple écrit un livre qui avait fait polémique, «
The Complete Manual Of Suicide ». Ce livre, qui ne pouvait sortir que dans un pays comme le Japon, avait suscité à l’époque une controverse dans le pays, entre ceux considérant que ce livre était immoral, et ceux estimant qu’il permettait d’avoir une approche scientifique du suicide, et de pouvoir lever un voile sur un tabou de la société japonaise : le fait que le pays abritait le plus fort taux de suicides du monde entier. Sans rentrer dans le débat, ce livre avait retenu l’attention de Lara, car il décrivait Aokigahara comme le lieu parfait pour se suicider. Continuant ses recherches, surfant sur le Net et sur les forums de discussion, elle avait appris qu’Aokigahara était une sorte d’endroit hanté, un lieu maudit, réputé ensorcelé par les Japonais. Le Japon avait toujours abrité une forte dose de superstition, et
Jukai en faisait partie. Certains internauters publiaient des photos d’eux dans la forêt, comme pour attester qu’ils y avaient survécu.
De manière plus glauque, la forêt abritait effectivement un fort taux de suicides, et elle était si vaste que les autorités publiques ne trouvaient pas rapidement les corps. On trouvait donc, sur le Net, des photos de personnes pendues à des arbres, et qui s’étaient décomposés sur place. Si certains criaient aux
fakes, d’autres soutenaient que ce spectacle pouvait arriver à
Jukai. La police ne retirait les cadavres qu’une fois par an, ou quand un randonneur tombait sur eux. Pour en rajouter au charme, la forêt était si épaisse que les communications avaient du mal à passer, et ce d’autant plus que le Mont Fuji se trouvait à côté. Quantité de rumeurs filaient sur cette grande forêt, et son histoire était également assez exceptionnelle. Aokigahara était une forêt maléfique, qui avait poussé sur une éruption volcanique. Elle n’avait que 1 200 ans, car, durant le neuvième siècle, le Mont Fuji avait été en éruption. La forêt avait ensuite poussé sur les anciennes coulées volcaniques, ce qui, évidemment, donnait lieu à quantité de fantasmes et de légendes sur d’anciens trésors engloutis par la lave, et qui avaient ensorcelé la forêt.
*
Je ne crois pas aux légendes...*
Lara avait exploré le monde, elle avait visité tous les continents, s’était perdue dans les profondeurs des océans, dans les jungles sudaméricaines, dans le désert africain, dans les montagnes de l’Eurasie... Elle avait vu tous les endroits les plus dangereux du monde, et elle avait vu à quel point la superstition était une arme impressionnante. Des phénomènes surnaturels, elle en avait vu, oui, mais rien qui ne soit lié aux légendes et au folklore local... Le folklore local restait tout simplement le folklore local. Pour elle,
Jukai était la Roswell japonaise. Un lieu fait de fantasmes, que les autochtones encourageaient, afin d’attirer à eux des touristes, et pouvoir profiter de la soif de sensationnels des gens pour pouvoir remplir leurs caisses.
Nathan avait eu une piste sur un ancien trésor, une relique ayant appartenu à l’Empereur Kanmu, connu pour avoir un grand nombre d’épouses, et pour être le dernier Empereur de la lignée des Nara. Les Nara s’étaient inspirés des Chinois, dans le but de créer un système politique fort, un pouvoir central. Nathan était sur la piste d’une relique chinoise qui, d’après ce qu’il savait, avait été offerte aux Japonais de cette époque. Il était donc parti vers Nara-shi afin de consulter les archives locales, et, pour une raison que Lara ne s’expliquait pas encore, son périple l’avait conduit à Aokigahara.
Dans sa voiture, elle réécoutait le message de l’homme, tout en bifurquant sur une sortie d’autoroute, rejoignant des routes plus petites, et, pour le coup, désertes. Quelques panneaux discrets indiquaient la destination vers Aokigahara, mais il n’y avait quasiment personne, et quasiment aucune maison. Elle ralentit légèrement. Nathan ne l’aurait jamais appelé à l’aide sans raison, et il avait mentionné Sotoro.
Sotoro était un village se situant au cœur de cette vaste forêt. C’était un village essentiellement composé de bûcherons, bâti près d’un lac avec une vue assez belle sur le Mont Fuji. Curieusement, elle n’avait vu la mention de Sotoro sur aucune carte nationale, et avait dû se rendre dans une station-service locale, afin de trouver une carte très précise de la région. Fatiguée, elle vit justement une petite station, et s’y arrêta. L’aventurière avait roulé une bonne partie de la nuit, et avait besoin d’un café.
C’était l’aube, et la boutique était ouverte. Il y avait plusieurs pompes à essence, et elle pénétra à l’intérieur. Lara était la seule cliente, et il n’y avait aucune machine à café. Elle s’approcha du vendeur, voyant l’aspect délabré de cette bicoque, avec des lézardes au plafond, de la moisissure le long des murs, et commanda un café. L’homme obtempéra silencieusement, et Lara essaya de se renseigner sur Sotoro.
«
Pourquoi vous voulez vous rendre là-bas ? Il n’y a rien à voir à Sotoro... -
On m’a dit que c’était un endroit charmant... -
Charmant ? ironisa l’homme, avant de secouer la tête, en lui apportant sa tasse de café.
Autant qu’un furoncle dans le cul, ouais... »
Belle comparaison... Lara ne dit rien, se contentant d’écouter les explications de l’homme.
«
Y a de vieux panneaux qui indiquent comment s’y rendre... Mais je vous conseille de vous méfier, la route est pas très bien entretenue, et elle a jamais été bétonnée... C’est que d’la terre et des cailloux qu’on utilisait pour les chariots. Après, vous faites ce que vous voulez, mais, si vous voulez aller au Mont Fuji, ou même vous plonger dans la forêt, je vous conseille plutôt de pousser jusqu’à la péninsule de Kii... »
Lara le remercia, et sortit, laissant l’homme maugréer sur les
gaijins. Elle retourna dans sa voiture, remit le contact, et goûta à un café infect... Ce qui eut au moins pour effet de la réveiller. Elle démarra à nouveau, et s’engagea dans la forêt. Il n’y avait qu’un seul panneau, poussiéreux, indiquant la route vers Sotoro, et le chemin était effectivement fidèle à ce que le vendeur avait dit... Il n’y avait que de la terre, des nids-de-poules, et des branches tombées en plein milieu de la route. Lara s’avança prudemment, les feux de routes allumés.
*
Nathan, Nathan... Où diable as-tu encore été te fourrer ?*