La réponse de Vaelh fusa, à hauteur de ce que l’Incube pouvait dire... Une réponse confuse, tout en étant à la fois précise et empreinte de son arrogance insolente. Silke avait déjà pu remarquer que l’Incube aimait jouer avec le feu, et il était justement en train de le prouver en ce moment, en narguant la mystérieuse femme. Et, tandis qu’il parlait, Silke sentit des gardes glisser contre ses poignets de lourdes menottes, terminant leur humiliation en les reliant à un collier autour du cou. Attachée comme une esclave, Silke fut relevée, et Vaelh, de son côté, laissa entendre que son intérêt envers Silke était purement sexuel, ce dont l’Amazone ne doutait pas. Il était un Incube, après tout. Néanmoins, il garda ses secrets pour lui-même, refusant de dévoiler la raison de sa présence ici, et termina même en invitant la femme à l’inviter à une discussion en privé. Un léger silence plana suite aux assertions du démon, avant que la femme ne finisse par hocher la tête de haut en bas, un léger sourire amusé venant ensuite éclairer ses lèvres.
« Tu as la langue bien pendue, Incube... Mais tu ignores visiblement tout de ta petite amie... C’est amusant. »
Silke grogna, et regarda Raven en biais. Cette dernière continuait à la fusiller du regard, et la mystérieuse femme se retourna ensuite sur Raven.
« Va mettre cette insupportable Red dans une cage. Quant à vous, démon, puisque vous êtes si curieux, et si bavard, suivez-moi. »
Raven acquiesça sans mot dire, et Silke sentit le bout d’une lance heurter son dos, la faisant s’avancer. Elle soupira, et continua à marcher, devant parfois courber l’échine sous le poids des chaînes la retenant. Raven s’avança rapidement, et la femme, elle, monta le long du sentier.
« Je m’appelle Rayla, par ailleurs. »
Rayla rejoignit la tente de Raven, et s’assit sur un confortable fauteuil, avant de croiser élégamment les jambes. C’était une femme d’une grande beauté, et dont l’arrogance égalait sûrement celle de Vaelh. Elle laissa planer quelques secondes, et reprit ensuite, en tendant sa main vers une bibliothèque dans un coin. Un livre s’envola, et se posa sur une table basse au centre de la pièce.
« Hyrkania... Ou l’Hyrkanie... As-tu entendu parler de ce royaume légendaire, Incube ? »
Ses chaînes lui furent ôtées quand on la balança dans une cage. C’était une cage pour chiens, étroite, où Silke était obligée d’être courbée, face à Raven.
« Pourquoi travailles-tu pour elle, Raven ? Jusqu’à quel point t’es-tu ainsi abaissée ?!
- Je fais ce qui est nécessaire pour la survie de mon peuple, Silke. Ni plus, ni moins.
- Tu es folle ! s’exclama-t-elle. Nous savons tous les deux que ça n’a rien à voir avec ça. Tu ne fais ça que par vengeance ! »
Raven rigola lentement, et secoua la tête, avant de déambuler légèrement.
« Je te hais, Silke... Mais je voulais vraiment que tu partages mon rêve, que tu découvres ce que j’ai découvert. Crois-tu donc que le but de la Horde ait toujours été de marcher ? Que notre peuple n’ait pour seule horizon qu’une errance sans fin ?
- C’est là notre destinée, dans un monde qui nous rejette...
- Non ! Non, Silke ! Tu te trompes ! La Reine se trompe ! Le Conseil se trompe ! Les écrits ont été perdus, mais j’ai retrouvé des traces de notre passé ! Crois-tu donc que je sois devenue folle ? Ne comprends-tu donc pas ? Les Amazones... La Horde... Notre objectif n’a jamais été d’errer sans fin d’un bout à l’autre de Terra comme des clochards incapables de se trouver un logis. Ce n’est pas une errance que nous faisons, mais un exode. »
« ...À l’origine, il y a Themiscyra et les cités antiques. Themiscyra, la légendaire cité d’où sont originaires les Amazones. La capitale d’un royaume insulaire composé de femmes guerrières attaquant les rivages proches, afin de capturer des hommes, et de s’en servir comme esclaves. L’existence historique de Themiscyra a été confirmée dans des rapports historiques détaillés, dans des gravures et des motifs, que les Ashnardiens détiennent au sein des Archives Impériales. Themiscyra a connu bon nombre de guerres, mais c’est finalement une horde barbare qui l’a vaincu... Des Barbares redoutables et puissants, venant d’Hyrkania. Un royaume redoutable, entouré par des montagnes, où les habitants ont pour chats des tigres, et pour ours des mammouths. »
C’était un long récit. Là encore, l’Hyrkanie était une contrée dont on retrouvait des traces dans les procès-verbaux et les écrits des nations antiques. Le Tribun Flavius Pontiminus, relatant une campagne maritime menée par un ancien Empire antique, attestait ainsi des redoutables sauvages et barbares hyrkaniens, qui ravageaient les steppes et les colonies lointaines de l’Empire, rasant, pillant, volant et asservissant toutes les personnes qui s’y trouvaient. Cependant, la position exacte d’Hyrkania avait toujours été une énigme. Les Ashnardiens avaient mené des expéditions archéologiques autour d’une mer, qu’un historien antique avait appelé « Hyrkanian Sea », mais sans trouver de traces quelconques.
« Les Amazones ont été asservies aux barbares d’Hyrkanie... Du moins, pour celles qui ne se sont pas enfuies, et ont fondé d’autres tribus. Bon nombre d’Amazones se sont ainsi retrouvées à travailler dans les champs, et à servir de concubines pour ces barbares rustres et sauvages. »
« Cette histoire est une légende, Raven...
- C’est la pure vérité ! répliqua-t-elle. Notre peuple, brisé, parvenant à s’arracher de ses chaînes... »
Pendant des siècles, disait-on, les Amazones avaient été les esclaves des riches barbares hyrkaniens, qui multipliaient les guerres et les atrocités, menant des sacrifices barbares et cruels pour leurs Dieux sinistres et abominables. Cependant, les Amazones n’avaient jamais oublié leur origine. Elles avaient réussi à briser leurs chaînes, et la Reine avait tué le Roi hyrkanien. La guerre civile avait éclaté, et les Amazones avaient été contraintes de fuir, de s’isoler.
« Hyrkania nous revient de droit, Silke... Voilà l’objectif de la Horde, sa raison d’être : reconstruire Hyrkania. C’est ce que je compte m’appliquer à faire ici.
- En sacrifiant pour cela des milliers d’âmes...
- C’est ainsi que la Horde a toujours fonctionné, Silke... Toi mieux que personne, tu devrais le savoir. »
Silke serra les lèvres. On y était donc... Évidemment. Elle savait que c’était là l’explication de tout.
« Qu’as-tu fait, Raven ? » demanda Silke d’une voix éteinte, sur un ton très faible.
Raven haussa les épaules.
« Ce qu’une mère est supposée faire... »
« Par allégeance envers Artémis, le seul héritage que les Amazones aient conservé de Themiscyra, elles protègent tous les temples de la Déesse. Il y a quelques années, Silke a défendu, avec plusieurs Amazones, un temple assiégé par des hordes barbares. Un combat sans espoir, car, malgré tous leurs talents, leur infériorité numérique était flagrante. Silke a été mortellement blessée, d’un coup de hache dans le ventre sur les marches du temple. Elle a rampé vers l’autel d’Artémis, tandis que ses prêtresses se faisaient violer et égorger. Son sang a heurté l’autel, et elle a supplié la Déesse de l’aider... Et la Déesse a entendu sa prière. »
Elle avait accompli un miracle divin, mais un miracle n’était jamais gratuit. Artémis avait doté Silke d’une nouvelle vie, et d’une force accrue, mais, en échange... Et c’est là que Rayla sourit en regardant l’Incube.
« En échange, Silke ne peut coucher avec aucun homme qui n’arriverait pas à la battre. Elle a accepté ce pacte, et, à partir de là, a été surnommée Red Sonja... ‘‘La Tueuse Rouge’’, en un vieux dialecte barbare, je crois. Elle s’est relevée, et a pu se venger de ceux qui l’avaient torturé... Et violé aussi, je crois. »
Depuis lors, Silke, ou Red Sonja, arpentait le monde, afin de protéger les femmes et les faibles, au nom d’Artémis.
« Pour les Amazones, Silke est bénie par la Déesse, ce qui explique pourquoi Raven ne l’a pas tué quand elle en avait eu l’occasion. Cependant... Il y a aussi autre chose entre elles, quelque chose que je n’ai appris que très récemment. »
« J’ai marché, Silke... Je me suis rendue vers le royaume légendaire de Gilead. Jadis, c’était un grand royaume marchand, avec de nombreuses gemmes magiques. Maintenant, il n’en reste plus rien que la mort et la pestilence, mais on disait que les habitants de Gilead avaient percé les secrets de la Vie et de la Mort, et pouvaient communiquer avec les morts. Je me suis rendue, oui, et c’est là que je l’ai vu...
- Raven...
- Le Magicien est venu à moi, alors que j’étais blessée, désespérée, et seule, si seule... Il m’a parlé de notre passé, et m’a parlé des promesses oubliées... Il m’a dit que seule celle qui reconstruirait Hyrkania et Themiscyra serait la véritable Reine des Amazones. Andromaque est reine, mais son titre n’a aucune légitimité, pas plus que ta si précieuse Horde. Et, une fois que j’aurais reconstruit Hyrkania, que j’aurais rebâti Themiscyra, les Dieux m’accorderont une faveur. »
Et Silke savait de quoi il s’agissait. Ce Magicien, quel qu’il soit, lui avait menti, mais ça n’avait pas été difficile. Il avait tiré sur la corde la plus sensible, la plus efficace qui soit. Et Silke savait qu’elle avait sa part de responsabilité dans ce désastre, et que c’était pour cette raison que Raven était son fardeau.
« Silke est morte sur cet autel, morte en invoquant en vain sa Déesse... Les Dieux, en vérité, et comme tu le sais sûrement, sont des êtres fort cruels. Elle est morte, mais, au milieu de son sang, la vie était là... Son bébé avait encore un souffle de vie... Oh, il n’aurait assurément pas tenu plus d’une minute, mais le fait est qu’il était là, viable et né, à brailler au milieu du sang de sa mère. Une vie en échange d’une vie... La Déesse a ressuscité Silke en sacrifiant son enfant. Et je suppose que tu as compris, maintenant, qui était l’autre parent de cet enfant. »
L’amour d’une mère... Raven était prête à tout pour que son enfant revienne à la vie. Les Amazones affirmaient qu’il n’y avait qu’une seule famille entre elles, la Horde. Elles affirmaient que les liens de parenté s’estompaient, car une Amazone était éduquée par l’ensemble de ses sœurs aînées... Mais, dans les faits, une mère n’oubliait jamais son enfant. Aucune force au monde ne pouvait supprimer ce lien, et Raven l’avait cruellement compris quand elle était arrivée dans le temple, et qu’elle avait vu le cadavre de son enfant.
« Les cartes seront bientôt redessinées, Vaelh... Et je ne parle pas que de Terra. L’Enfer, les Cieux... La réalité elle-même sera bientôt refaçonnée par un pouvoir qui nous englobe et nous dépasse tous. Tout ce qu’il te reste à décider, maintenant, c’est si tu comptes rester avec les faibles, ou embrasser une nouvelle existence qui te permettra de survivre à la grande vague qui se prépare. »