Les doutes de Vaelh étaient compréhensibles, en ce sens qu’ils rejoignaient ceux de Silke. Toutefois, cette dernière ne pouvait pas nier l’évidence : les armes des Amazones de Raven ne venaient pas de la réserve de la Horde. Partant de là, comment cette dernière avait-elle bien pu les récupérer ? La contrefaçon d’armes à feu tekhanes était en vogue dans certaines régions du globe, comme à Nexus, mais, ici, ils étaient très loin de la cité-État. Raven s’était associée avec de sinistres puissances, et Silke hésitait. Elle hésitait à appeler en renfort ses nouveaux alliés, tout en sachant très bien que l’une des raisons l’empêchant de le faire était sa légendaire fierté. Cette même fierté qui l’avait amené à vouloir affronter Raven seule, à tenter de raisonner les druidesses dans la forêt, ou à suivre cet Incube instable aux désirs changeants. Assez curieusement, elle choisissait un Incube comme allié, alors même qu’elle pouvait obtenir l’aide d’une Nephalem ou d’une Ange. Knaël lui avait donné les moyens de la contacter si jamais elle avait besoin d’aide, en lui soulignant combien la Rose « tait dangereuse, et combien il était suicidaire de vouloir les affronter seule.
« Raven est plus forte que ce que tu crois, lui avait dit Knaël sur les remparts du fort où son chemin avait croisé le sien. Elle s’est alliée avec de sombres puissances, et a obtenu de nouveaux pouvoirs... »
Nouveaux pouvoirs ou non, elle restait une femme éloquente, persuasive, qui avait su rallier avec elle les esclaves. Silke la traquait depuis trop longtemps en suivant les traces de ses carnages, que ce soit dans des villes, des villages, ou dans les fermes d’esclaves, où elle avait fait des ravages. Elle se rappelait les champs calcinés, les esclavagistes écorchés et crucifiés, leurs chairs gonflés pendant au soleil, dévorés par les oiseaux et les corbeaux. Elle se rappelait les villages ravagés, massacrés, avec des charniers puants remplis de cadavres que Raven et les siennes avaient massacré. C’était une femme impitoyable, qui tuait hommes et enfants sans le moindre signe de pitié.
« Et pourquoi pas ? finit-elle par lâcher. Raven est une guerrière puissante, éloquente, une meneuse d’hommes... Ces gens, s’ils existent, et j’ai peine à croire que ce n’est pas le cas au vu des éléments dont nous disposons, ont besoin de personnes. Raven ne massacre pas tous ceux qu’elle croise. Elle a aussi beaucoup de prisonniers. Que peut-elle en faire ? Elle ne demande pas de rançons. Qui finance son mouvement ? »
Elle avait forcément des alliés, et, encore une fois, l’Amazone hésita à appeler ses propres alliés en renfort. Un nouvel échec contre Raven était tout à fait possible, et, dans la mesure du possible, Silke tenait à l’éviter. Mieux valait donc mettre toutes ses chances du même côté... Mais, d’un autre côté, Raven était son fardeau. Elle était son amie d’enfance, et c’était à elle qu’avait incombé la tâche de la capturer. Elle ne pouvait pas se permettre d’échouer maintenant. Pour appeler Knaël, elle pouvait passer par Iranaël, une Ange. La Nephalem lui avait, à cet effet, remis une rune magique qui, en appuyant dessus, enverrait un signal à Iranaël. Tandis que Vaelh se reposait, en attendant que la nuit soit suffisamment avancée, Silke, elle, finit par sortir de ses seins la fameuse rune. C’était un cristal blanchâtre étincelant, et elle le tritura entre ses doigts.
Ses abus de confiance étaient là. Ils étaient parlants, et criants de vérité. Quelle Amazone serait-elle si, tout en conseillant à Vaelh la prudence, elle-même ne suivait pas ses propres conseils ? La Reine Andromaque ne verrait assurément aucun problème à ce que Silke s’aide d’une complicité extérieure à celle de la Horde pour ramener Raven, du moment que cette dernière ne se soustrayait pas à la justice des Amazones. Silke frottait donc entre ses doigts la rune, pensive, et le temps, lui, défilait.
Vaelh finit par s’avancer le premier, et Silke le suivit de très près, essayant de le guider pour éviter les pièges. Ils empruntaient le chemin des deux sentinelles, évitant donc les pièges, mais, très rapidement, le duo arriva face à un nouvel obstacle : deux femmes, en train de bivouaquer. Les contourner était impossible, et Silke se pinça les lèvres, réfléchissant à un moyen de les neutraliser rapidement... Quand l’Incube utilisa sa redoutable magie rose.
« Hum... »
Proche de Vaelh, Silke sentit cette dernière la frapper, et elle ferma les yeux, se mordant les lèvres. Tandis que des images de coucherie défilaient dans l’esprit des Amazones, elle-même sentit les mêmes pensées impures la traverser... En temps normal, elle aurait fantasmé sur une femme, mais, faute d’en avoir une à côté, ces dernières se tournèrent vers son proche compagnon. Les joues rougissant légèrement, ses tétons se durcirent. Sa main s’appuya sur sa tempe, l’autre main sur le sol. Elle se vit, dans ses songes, en train de gémir, de soupirer, tandis que Vaelh, imperturbable, la besognait contre les arbres, dans les fourrés, ses soupirs et ses gémissements se perdant dans sa tête.
*Ça suffit ! Ressaisis-toi !*
Ce n’était que de la magie, elle y était préparée... Mais elle se trouvait très près de Vaelh, et, pendant quelques instants, il lui fallut un peu de temps pour résister à l’envie, complètement suicidaire, de se rendre dans la tente des deux sentinelles. Elle suivit l’Incube, reprenant peu à peu son souffle, laissant l’adrénaline dans ses veines et la peur tuer tout désir sexuel. C’était la nuit, et le camp était encore très animé. Il y avait des patrouilles, des sentinelles, des feux de camp, et des bruits venant d’une sorte d’arène enfoncée dans le sol. De multiples Amazones se trouvaient tout autour, encerclant le trou en commettant un obscur combat.
La cible du duo était toute tracée : la partie supérieure du camp. Cependant, l’accès direct était bloqué par plusieurs gardes, et, alors qu’ils s’avançaient, longeant les bords de l’arène, Silke commença à voir ce dont elle avait parlé à l’homme : les cages en bois et les prisonniers. Ils s’accumulaient dans toute une partie du camp. Des cages en bois abritant, soit de redoutables animaux, comme d’épais ours, soit de multiples prisonniers, des hommes qui semblaient épuisés. Ils portaient des haillons, et plusieurs gardes patrouillaient le long des cages.
« S’il-vous-plaît... Mon fils...
- Tais-toi, sale mâle ! »
Un hurlement d’agonie déchirant se fit alors entendre venant de l’arène, avec le rugissement d’une bête, et le hurlement de joie des Amazones.
« Peuh... J’aurais préféré voir ses semblables se faire déchiqueter par nos ours, plutôt que veiller sur ces êtres puants !
- Chaque chose en son temps, ma sœur. »
Silke serrait les dents entre les arbres. Des fermiers, et même des enfants... Ces femmes ne respectaient rien. Elles étaient l’aberration des Amazones. Le père de famille essayant d’indiquer aux Amazones que son fils avait un rhume s’était reçu un coup de manche d’une lance entre les côtes.
*Toutes les femmes n’ont pas pu rejoindre ces folles... Qu’en ont-elles fait ?*
L’Amazone ne voyait que des hommes ici. Est-ce que les femmes étaient dans une autre partie du camp ? Une autre prison ? Elle devait trouver un moyen de les libérer... Et, pour cela, il n’y avait qu’une seule solution. Il fallait trancher la tête de ce monstre. Il fallait trouver Raven, et la neutraliser. Ce n’était qu’à ce prix que ce cycle de violence pourrait se terminer.