Deisui n’était pas très enclin à aller vers les ruines elfiques, et Nariko commençait à comprendre un peu mieux Tannhauser. Parfois, la solitude avait pour elle qu’on ne tombait pas sur des compagnons passant leur temps à envisager les pires scénarios possibles. À vouloir refuser dans tout endroit dangereux, Nariko en venait à se demander pourquoi ce guerrier avait voulu venir jusqu’ici. S’était-il donc attendu à une promenade de santé ? Tout était dangereux dans cette forêt, et avoir un point de repaire autre qu’une grotte infestée de goules était toujours une bonne piste. De surcroît, même si le temple elfique était indiqué sur la carte, Nariko ignorait depuis quel point cardinal il était regardé. Ce faisant, l’estimation de leur position lui semblait trop large.
*J’aurais du faire route toute seule, regrettait-elle silencieusement en avançant. Je n’aurais pas eu à me traîner ce lâche.*
Elle l’avait vu se battre, elle savait qu’il était doué, mais, visiblement, affronter la strige avait du refroidir les ardeurs de Deisui. Nariko prit les devants, et Kaï ne tarda pas à la rejoindre. Elle reniflait les arbres, manifestement heureuse de retrouver enfin le dehors, de pouvoir à nouveau savourer cet air pur et frais, celui de la Nature. Kaïo était une enfant-sauvage, une enfant à qui le clan de Nariko avait essayé d’inculquer les bienfaits de la civilisation... La tâche n’avait pas été aisée. Kaï avait du mal à s’exprimer, ne savait ni lire ni parler, et elle excellait dans le maniement de l’arbalète, sans doute parce qu’elle préférait affronter ses problèmes à distance. En somme, se retrouver dans la forêt lui plaisait, là où Nariko, elle, aurait plutôt préféré une grande plaine dégagée. Au moins, il était plus difficile de vous piéger ainsi.
L’éternel duo se mit en marche, Deisui les suivant. Nariko avait défié la Mort, elle avait affronté le Roi Bohan et ses armées, elle avait combattu son fils dégénéré dans une arène de gladiateurs, elle avait déjoué les plans de la Mort en ramenant Kaï à la vie, avait terrassé Acerodon dans une volière géante... Est-ce qu’elle allait vraiment se sentir effrayée par quelques aberrations de la nature ? C’était ridicule. Où était-elle passée, cette légendaire et téméraire guerrière qui avait affronté à elle seule des centaines et des centaines de soldats, Heavenly Sword les fauchant par dizaines. Nariko aussi était morte ce jour-là, et elle avait été ramenée à la vie... Elle en ignorait encore les raisons, elle ignorait encore qui avait fait ça, mais elle sentait bien que, depuis sa mort, elle avait perdu de son assurance et de sa combativité. Ce combat dans les cryptes où elle avait été submergée en était l’illustration. Elle portait Heavenly Sword, pas un jouet en plastique ! Il fallait qu’elle retrouve de sa superbe, de sa hargne.
La neige les entourait, un décor familier, bienvenu, lui donnant le mal du pays. Kaï renifla alors une odeur plus sauvage, et se tourna alors vers Nariko... Quiposa un doigt sur ses lèvres.
« Je sais, Kaï, je sais… »
Comme Tannhauser l’avait prédit, ils étaient là. Les Lycans. Il se dissimulait dans l’ombre, et, si Kaï venait de les sentir, Nariko, elle, avait déjà perçu leur présence. Ils n’étaient pas discrets, craquant parfois quelques branches sur leur passage. Si elle n’avait rien dit, c’est parce qu’elle attendait qu’ils se rapprochaient. Tournant sa tête, elle regarda Deisui, un air entendu sur le visage, en portant sa main vers la poigne d’Heavenly Sword, prête à la dégainer. Ils rejoignirent ensuite une espèce de petit lac aux pieds d’une cascade, le roulement de l’eau formant une couverture sonore efficace pour les Lycans. À côté du lac, il y avait une ancienne porte elfique, envahi par le lierre. Des zébrures ornaient la pierre, et il y avait, sur la devanture, une description en elfique, une langue que, malheureusement, Nariko ne parlait pas.
Ils allaient forcément attaquer ici. L’un d’entre eux agrippait délicatement sur le tronc d’un arbre, s’appuyant sur une branche solide, en visant le cou de la belle guerrière. Nariko faisait mine de se rapprocher de l’eau, comme pour se désaltérer. Le Lycan hésitait, remua un peu sur place, et bondit subitement... Comme par enchantement, la lame de Nariko jaillit alors de son fourreau, et cueillit le Lycan à la nuque. Son sang explosa, et il s’écroula devant la guerrière. Les autres Lycans hurlèrent alors, poussant de féroces aboiements, puis se ruèrent alors vers les trois guerriers.
Le fun continuait.