ELENA IVORY
«
Tal’Shik’Kree… Ne’Taah’Kreee… »
Le Zerrikanien semblait s’énerver… À moins que ce ne soit son timbre naturel de voix. Difficile à dire, Elena n’avait pas l’habitude d’entendre le patois zerrikanien, et la seule Zerrikanienne qu’elle connaissait, Zephyr, était à Nexus depuis tellement longtemps qu’elle avait incorporé l’accent nexusien. Pour autant, elle comprenait toujours sa langue natale, et elle serait indiscutablement la meilleure aide de la Reine dans l’interrogatoire à venir. Imperturbable, le Zerrikanien qui avait tenté de tuer Oswald Mandus restait assis, fixant silencieusement les enquêteurs qui se succédaient. Ces derniers avaient beau tenter de le menacer, le Zerrikanien, au corps strié de tatouages et de peintures rupestres, répétait les mêmes mots, dans cette langue hachée et tranchante. Depuis une vitre sans tain, Elena l’observait en serrant les lèvres, bras croisés. Que savait-il donc sur ce Mandus qu’eux-mêmes ignorent au point de vouloir le tuer ? La jeune Reine était convaincue que tout était lié à cette expédition archéologique menée à Zerrikania, et à cet ancien culte qui y avait été mené en l’hommage d’un Grand Ancien. Shub-Niggurath.
Leur seul nom suffisait à la faire frémir. Elena avait profité de sa journée pour se renseigner sur eux, et rien de ce qu’elle avait vu ne donnait envie. Des tyrans ancestraux. Colossaux. Ils étaient l’incarnation d’une profonde peur collective, profondément enracinée dans l’inconscient collectif de Terra et de ses habitants. Quel pouvait donc bien être le rapport entre Mandus et eux ?
«
Il est énervé », intervint Zephyr, à côté d’Elena.
Bras croisés, la Zerrikanienne écoutait l’individu parler. Elle était la seule à pouvoir comprendre son dialecte, et comprit rapidement que, malgré une irritation très largement perceptible, le Zerrikanien voulait surtout reprendre sa tâche, sa mission.
«
Quelle mission ? s’enquit Elena.
-
Ça, je ne le saurais dire, rétorqua Zephyr.
Tuer Mandus, sans doute… »
Mais
pourquoi ? Voilà la seule véritable question qui mériterait d’être posée ! Pourquoi vouloir à ce point la mort de cet homme ? Que dissimulait-il ? Les réponses était peut-être ici, de l’autre côté de cette glace.
«
Il faut aller l’interroger, décida Elena.
-
C’est effectivement ce que nous avons de mieux à faire », acquiesça Zephyr.
Zephyr était venue aussi vite que possible, et, avec l’aide de la Zerrikanienne, Elena espérait bien que le mauvais pressentiment qui était en train de lui nouer l’estomac disparaîtrait. Comment dire ? Elle avait le sentiment que quelque chose de grave était en train de se dérouler dans sa ville. Il n’y avait aucun fondement logique à cette hantise. Elle était juste là, cette angoisse, la tiraillant.
Et elle refusait de partir.
NOLAN TROMEYN
«
Où sommes-nous donc ?! »
Pour Nolan Tromeyn, les choses allaient de mal en pis… Ou de Charybde en Scylla. Il se trouvait maintenant, en compagnie de Karl et de Shad, dans une pièce sombre. Comme Shad, il entendait néanmoins des vibrations, et vit aussi, lorsque ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, d’énormes tuyaux filant le long du plafond, s’enfonçant dans un couloir sombre. Tromeyn entendit à nouveau les hurlements des hommes-porcs, et se releva rapidement. Il n’était pas vraiment blessé, surtout sonné. Karl, de son côté, se manifesta alors en allumant une
lampe-tempête à huile qui trônait dans un coin.
«
Bien joué, Karl, bien joué. »
Karl ne dit rien, et leva sa lampe, éclairant la pièce. C’était une sorte de cave, et Nolan comprit qu’ils avaient descendu du grenier à la cave, dans une espèce de long toboggan. Il y avait des tuyaux qui semblaient filer sous le manoir. Servaient-ils à alimenter la maison en eau ? Il n’y avait rien d’autre dans cette pièce, à part une table en bois et un meuble abritant une série de livres techniques poussiéreux. Nolan ouvrit le meuble, en inspectant certains. Ils étaient très vieux, recouverts de toiles d’araignées, jaunis, certains se brisant sous ses doigts, tombant en poussières sous ses yeux.
«
Rien à en tirer… »
Rien, en effet. Karl se pinça les lèvres, et regarda autour de lui. Il ne voyait rien, et observa le couloir devant lui, avec l’impression diffuse que cet endroit s’enfonçait dans les profondeurs de l’Enfer. Karl tenait la lampe, les éclairant, et Nolan, prudemment, s’avança vers l’origine du bourdonnement. C’était un son fort, de plus en plus intense, et le couloir les conduisit progressivement dans ce qui s’apparentait à une ancienne crypte perdue dans une vaste grotte.
C’était une zone très large, avec des murs tracés ici et à, des alcôves dans les coins, et quelques chauve-souris piaillant en l’air. Nolan descendit prudemment des marches, surpris par ce spectacle. La cave semblait mener directement dans des grottes souterraines filant dans les profondeurs de la falaise.
*
Je n’aurais jamais pu sous-estimer une telle installation…*
C’était une ancienne crypte religieuse, et l’escalier taillé dans le sol les conduisit le long d’un couloir, avec, à gauche et à droite, des gravures représentant des croix sacrées. Une crypte faite jadis par l’Ordre Immaculé, ce qui laissait entendre que, peut-être, ce manoir, autrefois, avait été un immeuble appartenant à l’Ordre.
«
C’est par ici… »
Nolan suivait un fil sur le sol, qui le conduisit devant une grande pièce centrale… Avec un générateur en plein milieu, qui vibrait dangereusement en bourdonnant.
Et les grognements des hommes-porcs se rapprochaient, enflant de plus en plus, comme une sourde tempête.