La magie s’enflammait. Adamante en avait mal au crâne. Toute cette mana en elle risquait d’exploser. Elle en avait une surcharge qui filait dans ses veines, et, pour ne rien arranger, elle ressentait la présence du Grand Ancien, ainsi que les légendes circulant sur eux... Le simple fait de les voir suffisait à vous faire perdre la raison. Shub-Niggurath était en train de sortir de sa prison éternelle et immatérielle. Elle voulait aider Mandus, mais ce dernier était résolu... Car il allait mourir. Adamante le comprit. Pour fermer la Machine, pour la détruire, il devait se sacrifier. Un rituel ancestral, malgré la présence de tuyaux, de vapeurs, et de mécanismes. Les araignées géantes venues à l’aide de Shad enfermaient les prisonniers dans des cocons de soie, et Adamante utilisait sa magie pour écarter les gravats qui leur tombaient dessus. Le sol devenait instable, comme si un séisme était en train d’avoir lieu. La Machine n’avait été conçue que dans ce but : permettre à Shub-Niggurath de sortir, permettre le retour des Grands Anciens. Un mélange horrible et cruel entre la magie et la technologie, les deux au service de la folie d’une créature ancestrale. Il était temps de partir, et son regard croisa une dernière fois celui de Mandus.
« Je sais ce que vous pensez, Adamante... Et vous avez tort. Le Professeur existe réellement.
- Alors, qui ? Qui est-il ?!
- Ce que je vous ai dit ! Un membre du Centaur Club... Mais il est autre chose que ça, bien plus que ça. Je n’aurais jamais pu développer une telle construction au cœur de Nexus sans une aide extérieure !
- Son nom, Mandus ! Donnez-moi son nom ! »
Mandus ferma les yeux, réfléchissant. Son visage était méconnaissable, ses cheveux formant une bouillie de sang, des lignes pourpres glissant le long de son visage. Cependant, il savait encore des choses, comme si la mémoire lui était enfin revenue. Le plafond continuait à se désagréger, tout était en train de s’effondrer, mais il fallait impérativement qu’Adamante en sache plus.
« Vous devez partir, Adamante...
- Son nom, Mandus ! Son nom !
- C’est le Marcheur, Adamante. L’Étranger-sans-Âge... Il n’a pas de nom. Vous le rencontrerez, Adamante. Rappelez-vous de ce que je vous ai dit, et... »
Il y eut un terrible craquement, et un tentacule supplémentaire jaillit, traversant le plafond, traversant la Machine pour atterrir à la surface, défonçant le toit de la triperie.
« Brennenburg, Adamante... Brennenburg ! »
Oswald se recula alors, et Adamante lui hurla dessus... En vain. Il se dépêcha de marcher, et ouvrit une porte ne fer dans un coin. Elle se retourna alors. Deux araignées géantes étaient là, attendant qu’on les chevauche pour filer. Adamante acquiesça lentement devant les explications de Shad.
« Vite, alors... »
Elle grimpa sur l’araignée, qui se mit à partir, du haut de ses huit multiples pattes. Les hommes-porcs poussaient des hurlements ignobles, et n’essayèrent même pas de les stopper.
Il avait tué ses enfants. Tout était clair, maintenant, dans sa tête. Il descendait un escalier en fer qui tremblait sur place, et, malgré sa douleur, malgré la souffrance physique qui étrillait chacun de ses membres, ses pensées étaient claires, cohérentes. Il avait découvert à Zerrikania une orbe magique, infernale, qui lui avait montré le futur... Le pire des futurs possibles, l’Apocalypse, le chaos formien... L’Orbe lui avait montré des jours sombres en devenir. Il avait vu la fin des temps, et l’Orbe lui avait dit que le seul moyen de protéger l’humanité était de rappeler ses anciens créateurs, qui avaient été bannis il y a des millénaires. Tout lui revenait en tête : ses insomnies interminables, la souffrance qu’il ressentait continuellement en sachant ce qui allait arriver... Les êtres humains seraient tués, massacrés, ou, pire, récoltés, utilisés comme ressources pour permettre à des envahisseurs galactiques ancestraux de renforcer leur influence. Un futur effrayant, des images horribles qui l’avaient poursuivi toute la nuit, et qui l’avaient amené où il était là, à rencontrer le Baron, puis le Professeur, et à fonder la Machine.
L’escalier l’amena dans un couloir que l’homme traversa rapidement.
« Mandus !! »
Le Professeur jaillit d’un coin d’ombre, l’envoyant heurter le mur, devant une double porte menant à l’Orbe.
« Tu ne peux pas l’en empêcher, Mandus, c’est trop tard ! Il le faut !! »
Oswald se débattit, et le repoussa. Le Professeur disparut à nouveau, puis l’homme s’avança vers l’épaisse double porte. Il était en sueur, il avait mal partout, mais sa détermination était inébranlable. Ses doigts tournèrent la manivelle, et la double porte s’ouvrit dans un grincement, montrant un long escalier menant à un temple... Une reproduction du temple zerrikanien. Oswald s’avança lentement, et tomba à genoux devant ce spectacle.
*Allez, Oswald, allez, n’abandonne pas maintenant !*
Lui seul pouvait le faire, et il se releva à nouveau, marchant lentement, laissant derrière lui des traînées de sang. Cet escalier était interminable, comme s’il était en train de s’étaler, de se distendre à l’infini. Dans sa tête, le Professeur continuait à le narguer, lui hurlant de faire demi-tour, lui ordonnant de ne pas y aller, qu’il était trop tard, que tout était terminé. Oswald serrait les dents, s’appuyant contre le mur, en continuant à grimper. Il crachait du sang parfois, titubant lentement, la tête venant lui tourner. Oswald tomba à genoux, à nouveau, fermant les yeux. Il avait chaud, il se sentait mal à l’aise. Sa tête n’était plus qu’un amas ensanglanté de douleur.
Oswald continua à marcher, ou à ramper... Tout se mélangeait dans sa tête, et il atteignit le Cœur... Il atteignit la structure centrale. L’Orbe était là, sur un piédestal, l’éclairant comme un phare, et il tomba à genoux.
« Mes petits... Mes petits... »
Deux cadavres grimaçants lui faisaient face. Des cadavres qui commençaient à pourrir, reliés par des tubes à l’Orbe. Deux petits corps fébriles encore dans leurs beaux habits, des habits rapiécés et poussiéreux. Oswald se mit à pleurer, incapable de retenir ses larmes devant les deux corps momifiés.
« Il fallait le faire, Oswald... Qu’essaies-tu donc de prouver en faisant ça ? De racheter ton âme ? Nous avons fait ce qu’il fallait faire... »
Le Professeur était derrière lui, et continuait à parler, mais il ne l’écoutait plus. Oswald se releva. Le temps lui était compté, ses joues étaient un mélange de crasse, de larmes séchées, et de croûtes de sang. Ses deux mains se posèrent sur l’orbe, et il serra dessus, en grinçant des dents. Non, ce n’était pas encore totalement terminé... Il y eut comme un gémissement plaintif, et Oswald vit des yeux grimaçant set infernaux le regarder, une bouche qui semblait cracher les flammes de l’Enfer. Deux pointes traversèrent son corps, du sang jaillit de sa bouche, de ses doigts, rougissant l’Orbe, la recouvrant. La lumière se mit à flamboyer, à brûler, faisant disparaître le sang, faisant abandonner la douleur.
« C’est beau... Si beau... »
Il n’y avait plus que du blanc autour de lui, du blanc qui l’envahissait, du blanc qui effaçait toute la noirceur de sa Machine... Plus de douleur, plus de souffrance, plus d’hésitation. Son corps était transpercé par de multiples pointes, et le blanc était partout, devenant immaculé. Plus de douleur...
...Plus rien.
Les gardes nexusiens avaient réussi à reprendre l’abattoir, et étaient en train d’aider les décombres quand le séisme éclata. Plusieurs maisons s’écroulèrent, les rues bordant l’abattoir se retrouvèrent ouvertes en deux... Puis il y eut l’explosion. Elle jaillit des profondeurs de l’abattoir, et tout le monde la ressentit. Les magiciens qui avaient senti la perturbation, l’ouverture de la faille, sentirent l’explosion magique. Depuis sa terrasse, la Reine vit l’énorme dôme blanc jaillir des bas-fonds. Les mages ashnardiens sentirent la perturbation depuis leurs boules de cristal. Les satellites tekhans enregistrèrent l’anomalie. À Sylvandell, les dragons dorés poussèrent des hurlements catastrophés en plein milieu de la nuit. Les Anges, depuis leurs cités célestes, posèrent leurs regards sur Nexus.
Le dôme blanc recouvrit toute la ville, et provoqua une violente onde de choc. Une onde qui aurait pu anéantir toute la ville, mais qui fila le long des murs, comme un flash lumineux. Elena ferma les yeux sous le choc, et, quand elle les rouvrit, tout semblait différent.
De l’abattoir, il ne restait plus rien qu’un immense cratère... Dans lequel quelques gardes virent des araignées géantes déposer des coins, avant de repartir dans le trou. Les gardes s’approchèrent, et ouvrirent les cotons, avant d’entendre une voix les appeler. En s’approchant des gravats, en les repoussant, ils virent le corps fatigué d’Adamante Mélisi.
« C’est la magicienne de la Reine ! Appelez des guérisseurs, vite !!
- Mais qu’est-ce que c’est ?
- Brancardiers ! »
Adamante sombre à son tour dans l’inconscience.