RACHEL HAWKES
Fait comme un rat, Rachel bouillonnait, intérieurement. Pas contre Drake, qui, s’il était un garçon un peu naïf, n’en restait pas moins, à ses yeux, innocent de la machination de Jiro. Il n’y avait, à vrai dire, rien en particulier qui la faisait rager, si ce n’est la patience... Un sentiment qu’aucune œuvre culturelle ne parvenait vraiment à retranscrire, que ce soit les films, les livres, et encore moins les jeux vidéos. La guerre, ce n’était pas des explosions à répétition et des fusillades mortelles. C’était avant tout de l’attente, une longue attente, à observer l’horizon, à craindre chaque jour que les ennemis n’arrivent enfin. La guerre, c’était la routine quotidienne. Aller vingt fois dans le même village, faire cinquante fois les mêmes patrouilles sans rencontrer un seul problème, puis tomber un bon jour sur une escouade de talibans dissimulés dans les rochers. La guerre, c’était de l’usure mentale avant d’être physique. C’est pour ça qu’il fallait un mental d’acier. Ne jamais relâcher sa vigilance, faire attention à tout. Parler peu, car, en parlant, on était moins attentifs. Même au repos, même au camp, même en dormant, il fallait s’attendre à être réveillée en urgence, à ce qu’une unité alliée soit en embuscade, et nécessite impérativement des renforts.
Le pire ennemi du soldat, c’était la patience. N’importe quel vétéran le disait. Jeune, Rachel avait lu de nombreux reportages de guerre, et se souvenait notamment de celui d’un journaliste français durant la guerre d’Indochine, Robert Guillain. Paru dans «
Le Monde » en Février 1954, l’article avait fait grand bruit, car, à travers les lignes, à travers la description de la forteresse de Dien-Bien-Phu, il annonçait l’effondrement de l’armée française, encerclée par des ennemis invisibles, craignant chaque jour que les troupes du Vietminh n’attaquent. Elle se souvenait encore des mots employés par Guillain pour décrire cela : «
Week-end à Dien-Bien-Phu : tout est calme, et le drame c’est cela ».
En somme, Rachel n’aimait pas attendre. Distraitement, elle écoutait Drake, qui semblait encore moins patient qu’elle... Si elle n’avait pas fait ses années de service en Afghanistan, elle aurait peut-être réagi avec la même impulsivité. Il lui expliquait que le MB4 était un modèle furtif, mais Rachel n’arrivait toujours pas à comprendre comment l’armure pourrait passer devant le nez de tout le monde sans que personne ne le remarque... Et, contrairement à Drake, elle était intriguée par le souhait de Jiro de retourner dans un endroit où il avait toutes les chances d’être repéré. Certes, l’Arsenal était un centre de recherches secret, mais elle ne voyait pas pourquoi Noventa Senior refuserait de coopérer avec le SHIELD en indiquant son emplacement. Il jouait, non seulement la vie de son fils, mais aussi l’avenir de sa firme. Dans le monde des affaires, la réputation avait une grande importance. Il fallait que les investisseurs aient confiance pour investir dans le capital d’une société. Si on apprenait que Noventa Corp était lié à une sombre histoire de meurtres, que l’un de ses plus éminents chercheurs était un traître, et qu’il avait réussi à s’emparer d’un bunker de recherche ultrasecret, Noventa Corporation risquerait de connaître des fins d’années difficiles. Il n’était même pas exclu que le conseil d’administration, qui exerçait
réellement le pouvoir au sein d’une entreprise, ne se décide à renvoyer Noventa Senior, en lui mettant tout sur le dos.
Son attention s’attira à nouveau vers Drake, quand il lui expliqua que le désir de Jiro était de cracker son armure, afin de l’utiliser, pour se lancer dans une «
Guerre des Armures ». Ce nom lui disait quelque chose... Elle avait accédé à bon nombre de dossiers confidentiels lors de sa formation. La «
Guerre des Armures » avait été un élément décisif qui avait grandement influé la construction d’Iron Girl.
*
Peut-être cherche-t-il à exploiter les ressources de l’Arsenal pour ouvrir le disque, et pouvoir utiliser Iron Girl...*
Elle continuait à réfléchir, sans rien dire, quand Drake lui présenta son portable, en lui disant que le WiFi passait. Elle cligna lentement des yeux. Un mail d’urgence... Naturellement, ce genre de procédures existait au sein du SHIELD.
«
Mets-toi sur un navigateur, et rentre dans la Barre de navigation cette série de chiffres... »
Rachel communiqua alors un curieux lien URL, commençant par le classique «
http:// », avant de se poursuivre par une série de chiffres et de symboles. C’était une adresse cryptée, et la page entreprit de se charger, lentement.
«
Ton navigateur va débarquer sur une page d’erreur. C’est normal. En attendant, je vais t’expliquer certaines choses... »
Elle allait lancer des choses confidentielles, mais Drake en savait déjà trop pour qu’elle le laisse dans l’ignorance.
«
Tu connais Tony Stark, je suppose ? Iron Girl a été conçue sur sa technologie. Pendant des années, le gouvernement américain a essayé de mettre la main sur les schémas de construction de cette armure, des schémas que Tony Stark a toujours jalousement gardé. On lui a intenté des procès, en arguant que la défense nationale était en jeu, et qu’un individu ne pouvait pas conserver une telle arme avec lui. Stark a toujours refusé de transmettre ses schémas, en craignant que son invention ne soit utilisée à mauvais escient... Ce qui a fini par arriver. »
Elle reprit son souffle, avant de poursuivre :
«
Des terroristes ont réussi à s’emparer de ses secrets de fabrication, et ont confectionné, à leur tour, des armures. C’était ça, La Guerre des Machines. Comme le train de Zola, Stark a perdu le contrôle de sa propre création, devenu un monstre incontrôlable. Pour le gouvernement, c’était le signe que Tony Stark ne contrôlait plus les choses. À partir de cet épisode, Stark s’est rapproché du gouvernement, et, in fine, une nouvelle armure a été conçue... La mienne. »
Rien ne l’autorisait à en parler à un civil, mais elle considérait Drake comme trop impliqué pour ne pas satisfaire sa curiosité.
«
Mon armure est inviolable, martela-t-elle.
Le disque qui l’active est verrouillé en permanence, et ne réagit qu’à des empreintes digitales spéciales. De plus, lorsque le disque est séparé de moi, un signal GPS s’active immédiatement, et, si quelqu’un tente de le forcer, un opérateur peut le verrouiller totalement. Même moi, je ne pourrais alors pas l’ouvrir. »
La hantise du gouvernement, en créant une arme si puissante, était naturellement qu’on la lui vole. Des sécurités draconiennes avaient donc été prises. En attendant, sur le portable de Drake, le message attendu finit par arriver : «
Page Web inaccessible ». Elle lui conseilla de réactualiser la page en utilisant le lien URL donné directement dans le message d’erreur. Au lieu d’avoir un nouveau message d’erreur, une ligne s’afficha. Se rappelant du numéro à donner, Rachel demanda à Drake de recopier un certain nombre de chiffres, puis d’actualiser encore la page. Le code qu’elle avait envoyé était simple : «
Agent capturé. Demande extraction de toute urgence. Civil. »
CASSANDRA CAIN
Perdre sa ceinture ne faisait pas partie du plan. Cette femme était plus rapide que ce que Cassandra pensait, mais ce n’était pas bien grave. Le disque était certes à l’intérieur, mais les sécurités de la ceinture étaient lourdes. Elle avait tout le temps d’aller la récupérer ensuite, après avoir neutralisé la femme. Son armure n’était pas aussi résistante qu’elle se plaisait à le dire, et le gel explosif l’avait endommagé. Or, Cassandra, si elle n’avait plus son armure, avait toujours son petit pistolet, logé dans le creux de sa main.
À la surprise de cette dernière, elle vit la femme rétracter son armure. Un piège ? Elle se le demandait, et resta prudemment sur ses gardes, son attention se tournant surtout vers les gardes se trouvant autour d’elles. Elle craignait que les Yakuzas ne lui tirent dessus en traître, et elle devait donc réagir rapidement. Il ne lui restait plus de Batarangs. Elle n’avait que son gel explosif, ce qui risquait de poser problème contre leurs armes à feu.
*
Un problème à la fois... Je dois d’abord neutraliser cette furie...*
Et la neutraliser pour de bon. Elle devrait donc trouver ensuite ce qui alimentait son armure, afin de le détruire. Malheureusement, Cassandra manquait encore d’informations sur le fonctionnement de ces armures. Son adversaire lui balança de la neige au visage, et elle en profita pour tenter de l’attaquer. Elle attaqua avec ses deux mains. La neige ne dérangeait pas Cassandra, qui avait l’avantage de porter une visière. Sa vision infrarouge s’actionna automatiquement quand sa vision fut obstruée, et elle vit très clairement l’adversaire se rapprocher. Ses mains interceptèrent son attaque, et la femme bondit en arrière, tentant un coup de pied latéral pour la faucher. Le coup fit mouche, et Cassandra bascula sur le sol, tombant sur le dos. La femme leva alors le pied bien haut, pour tenter de la frapper au ventre, afin de lui couper la respiration. Cassandra roula sur le côté, et le pied heurta le sol. Elle entreprit de se lever, mais se reçut le talon de l’autre pied de la femme sur le cou, la faisant éternuer. Les griffes jaillirent alors, griffant sa joue, déchirant le costume en faisant perler des gouttes de sang.
Elle ignorait ce que cette femme avait, mais elle était complètement déchaînée. Elle faisait preuve d’une agressivité excessive, négligeant sa défense, optant pour la rapidité et des enchaînements puissants. Cassandra opta pour une espèce de repli stratégique, et bondit en arrière, se laissant tomber sur le sol, et ses jambes filèrent en hauteur. Elle se remit sur place, et vit la femme tenter de la rattraper... Mais Cassandra fut plus rapide, levant d’un coup sec son pied, l’envoyant au-dessus de la poitrine de la femme.
Cassandra entendit alors un déclic et se retourna, voyant un Yakuza la regarder avec le canon froid et mortel d’un Desert Eagle.
«
Je ne tiens pas à être là quand le SHIELD va débarquer... Mais, d’un autre côté, je me vois mal rater l’occasion de tuer l’une des Bats... Tu n’as plus ta ceinture, donc plus tes maudits Batarangs... »
Cassandra regardait le canon, cherchant une solution de secours. Bondir sur le côté ? Non. Il lui faudrait au moins deux secondes pour bondir, et la balle mettrait moins d’une seconde à l’atteindre. Et le Yakuza ne tenait pas à attendre que la cavalerie débarque. Et puis, Yana n’était qu’une femme. Si elle le faisait chier, il l’abattrait aussi sec. Elle avait beau être une furie, c’était lui qui avait un flingue. Il appuya sur la gâchette... Et la balle se logea dans la neige.
Cassandra n’était plus là, et le Yakuza sentit un léger déplacement d’air.
«
Mais que... ?! »
Est-ce qu’elle s’était téléportée ? Il regarda autour de lui, sentant un frisson de nervosité le traverser... Quand quelqu’un lui tapota l’épaule. Il se retourna vivement, et eut une vision sur une belle poitrine plantée dans une sorte de justaucorps bleu. Une femme, qui avait les bras croisés, de longs cheveux blonds remuant dans le vent, et une cape rouge qui flottait derrière elle. Il pointa instinctivement son arme vers la femme, et fit feu. Encore une fois, le Desert Eagle se mit à rugir. La balle fila à bout portant sur le corps de la femme, et heurta sa main, qu’elle tendit en avant, s’écrabouillant contre sa peau, avant de rebondir dessus.
Il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit que cette main vint filer vers sa tête, à toute allure, s’arrêtant à un centimètre à peine, frôlant son nez. Le déplacement d’air fut suffisant pour souffler le Yakuza, qui tomba sur le sol, en lâchant son arme. Le pied de la femme s’abattit alors sur son ventre, tandis que les autres tueurs se mirent à faire feu avec leurs armes automatiques. La femme tourna alors la tête vers eux, ses yeux semblèrent rougeoyer, et on entendit une série d’explosions, les armes tombant sur le sol, tandis que les Yakuzas avaient les mains brûlées.
«
Merde, mais t’es qui, salope ? »
Cassandra se mit à tomber d’un arbre, s’écrasant pieds joints sur un autre Yakuza, puis envoya son pied dans la tête de l’autre, l’envoyant sur le sol. Bien sûr, elle n’avait pas pu échapper au tir du Yakuza, mais, au moment où ce dernier avait tiré, et que la balle filait vers sa cible, une femme l’avait empoigné par la taille, la déposant contre un arbre.
Les canons de défense du chalet se mirent à faire feu, et les yeux de la femme rougirent à nouveau, provoquant désormais une forte explosion, qui provoqua un incendie, tandis que les canons moururent dans des hurlements électroniques et des grésillements. La femme en bleue souleva alors l’homme par la gorge.
«
Je suis une femme qui n’aime pas les gens comme toi... »
Elle le frappa ensuite au ventre, et le Yakuza se plia en deux, en perdant sa respiration, avant de s’effondrer sur le sol. Le regard de Supergirl se tourna ensuite vers Yana, mais Cassandra se déplaça alors.
«
Je peux la gérer. Il y a des otages à sauver là-dessous. Il n’y a pas une minute à perdre. »
Supergirl pencha la tête sur le côté, puis sembla alors regarder le sol.
«
J’y vais. Je reviens vite. »
Elle s’envola alors, arriva au-dessus du chalet, puis passa par le trou qu’elle avait provoqué, défonçant le sol en faisant trembler toute la base.
Cassandra, de son côté, se remit en position de combat, en regardant Yana, et entreprit alors de lui donner un conseil, tranchant avec son mutisme.
«
Tu t’énerves trop. »
Ce serait le seul conseil qu’elle lui donnerait. Un tel comportement pouvait être assez difficile à comprendre, mais, pour Cassandra, une bataille était quelque chose de sacrée Il y avait une forte notion d’honneur là-dedans. Même quand son adversaire était une ordure, il méritait le respect s’il connaissait les
budō, ce qui était le cas de cette femme.
C’était aussi simple que ça.