D’un bout à l’autre du monde, peu importe les océans qui séparaient les civilisations, les abîmes, les idéologies et les principes, le cul restait toujours la même chose. C’était, sommairement, le point de vue que Jane se faisait. C’était d’autant plus vrai au Japon, qui était, sur ce point, un pays à la fois bien plus ouvert et bien plus fermé que les Occidentaux aux relations sexuelles. L’iconographie pornographique japonaise n’avait jamais été brimée par le christianisme dans le passé, d’où une littérature assez riche dans ce domaine... Et une situation actuelle complexe, où le Japon, tout en étant l’un des pays les plus productifs en matière d’œuvres pornographiques, réprimait aussi assez sévèrement les pulsions sexuelles, les enfermant dans une société excessivement conformiste. Du peu que Jane en savait, le sexe n’était nullement appréhendé de la même façon, selon qu’on soit en Occident ou en Orient. D’un bout à l’autre du Pacifique, les conceptions changeaient radicalement. Les Américains voyaient le sexe comme un mal nécessaire, une sorte de plaisir secret et tabou, qui n’était réservée qu’à la partie la plus intime des sphères privées, ainsi qu’aux magazines people, tandis que le Japon voyait le sexe comme une pulsion libre, permettant d’épanouir les individus... Ce qui expliquait la forte créativité érotique nippone, dans la mesure où elle constituait un moyen d’échapper à la pression sociétale. S’il avait fallu demander à Jane son avis, elle aurait réuni tous les dirigeants américains et japonais, leur aurait conseillé de sodomiser avec des bambous les mormons et les puritains, de transformer les églises en baisodrome, et de transformer la messe en une séance de pelotage national pour relancer le bien-être de toute la nation. Jane se voyait bien faire ça, à vrai dire : devenir Présidente des Etats-Unis en ayant un programme bâti sur le sexe. Ce serait sans doute plus honnête que tous les discours habituels.
Pour l’heure, habillée en latex, elle était étalée contre une Yakuza aussi belle qu’intimidante, et ignorait toujours quel serait son sort. Est-ce que Nô, le Papillon, était en train d’enfoncer ses doigts dans son corps pour en faire, par la suite, une pute ? Jane savait que la prostitution était l’un des modes de production de richesses des Yakuzas. Ils capturaient de jeunes filles paumées dans les villes, qui venaient des campagnes, des adolescentes broyées par un système scolaire punitif et élitiste, les droguaient, et les envoyaient dans des circuits de prostitution internationales en Asie du Sud-Est, soit directement au Japon, soit dans d’autres pays, comme la Thaïlande, ou le Vietnam. Nô avait tout à fait la tête d’une matrone... Et puis, elle avait des gros seins, c’était un signe !
*Peut-être qu’elle se dit qu’une bonne Américaine, ça lui rapportera des fortunes, de quoi poser son royal cul sur des édredons en or... Ça doit rapporter chère, ça, une Américaine pure souche à fourrer, avec un accent californien.*
Jane ne se faisait pas grand-espoir si elle se retrouvait dans un bordel de Bangkok. Les putes étaient droguées, battues, humiliées, écrasées, baisant dans des endroits sinistres remplis de moisissure, et ces activités s’opéraient sous l’œil complice d’une police corrompue et inefficace, la société moralisatrice estimant que les prostituées méritaient leur sort. Jane se surprenait à faire de l’humour, alors qu’elle était sur le bord de la crise de nerfs. Nô se remit à la caresser, posant une main à hauteur de son cou. Elle était relativement froide, et fit frissonner Jane, tandis que son autre main retourna la pénétrer. Jane gémit en soupirant, se tortillant lentement, se mettant à mouiller. Le Papillon entreprit ensuite de la détacher pour de bon, et Jane s’affala sur le sol, s’écrasant par terre dans un petit couinement.
Le sol était froid, guère confortable, lui meurtrissant les seins. Elle s’appuya sur ses bras pour se redresser, et vit que la femme s’était écartée, s’asseyant sur une sorte de confortable chaise, en levant les deux doigts qui avaient servi à pénétrer l’apprentie-sorcière.
« Je suis curieuse de voir comment tu vas t'y prendre avec ces doigts. Si tu montre que tu es une gentille petite fille, j'aviserais peut-être quelque chose. »
Jane se redressa lentement, en essayant de comprendre ce que la femme voulait. Elle désignait probablement ses doigts, mais qu’était-elle censée faire avec eux ? Jane savait qu’elle ne pouvait pas se permettre de trop réfléchir. Nô était comme un prof cruel et sadique, qui n’hésiterait pas à la punir si elle ne réussissait pas son épreuve... Et, si la punition impliquait de se retrouver dans un bordel de Bangkok, Jane préférait l’éviter. Elle se rapprocha donc, et se mit à genoux devant la femme, attrapant la main tendue vers elle, pour venir lentement s’y frotter, la caressant avec son nez et avec sa joue, avant de lécher ses doigts. Elle n’était pas idiote, elle avait vu que le fait de lécher les doigts avait plu à Nô, la confortant dans cette impression de puissance qu’elle avait. Jane était comme un deux face à un flush royal : elle savait qu’elle devait caresser Nô dans le sens du poil si elle voulait espérer s’en sortir.
« Si j’étais une gentille petite fille, tu ne m’aurais pas capturée, intervint-elle alors, ses yeux se plantant dans ceux de Nô. Et tu ne chercherais pas à faire de toi ma soumise, car je hurlerais comme la petite Princesse blonde de ces contes occidentaux débile... »
Jane léchait lascivement l’un des doigts de la femme, le suçotant ensuite, avant de retourner la main de Nô, pour déposer un baiser sur sa paume. Sa peau restait toujours relativement froide, alors que, sous l’effet des lèvres et de la salive de Jane, elle aurait du se réchauffer... Et, si elle s’était bien légèrement réchauffée, elle restait toujours assez froide, confirmant ce que Jane se doutait déjà : cette femme n’était pas normale.
« Je n’aurais pas du m’énerver sur toi, je le reconnais... Mais, si je ne l’avais pas fait, tu ne te serais pas intéressée à moi... Je ne m’incline que devant ceux qui sont plus puissants que moi, et je suis attirée par la puissance... Comme une fille qui chercherait à épouser un milliardaire dans la seule optique de trouver un avocat ensuite pour le dépouiller... Oh, bien sûr, je ne veux pas te dépouiller, mais... Tu m’attires... Et pas uniquement parce que tu as des gros seins et que ta seule présence suffit à terrifier des hommes qui n’hésiteraient pas à me violer ou à me briser le cou. »
Jane flattait probablement l’orgueil de Nô, mais ce qu’elle disait était sincère. Elle attrapa la main de Nô, afin d’amener les doigts de la femme à se frotter contre sa joue.
« Je veux être tienne, car je sens que tu es plus forte que moi. »
Jane avait toujours le choix. Elle aurait pu essayer de s’évader, résister, se battre, mais elle n’essayait même pas de le faire. Elle faisait ce que les Américains savaient faire de mieux, et qui expliquait sans aucun doute pourquoi ils constituaient encore la principale puissance du monde : négocier, et s’adapter.
« Et puis... J’aime le latex » précisa-t-elle finalement, avec un léger sourire sur le bord des lèvres.