Un hasard bien inspiré (Marko)

Un vrai désastre. Tout a été brûlé. De fond en comble. C'était clairement criminel.

« Si je retrouve les chiens qui ont fait ça... Ils comprendront aisément le sens du mot regret. »

Je me détourne et passe les grilles en fer ouvragées d'un pas vif. C'était une si belle propriété ! J'y venais, étant gamine. Et maintenant, tout est réduit à néant à causes d'olibrius écervelés. Frémissante de rage, je fonçais vers ma voiture. Direction l'agence de détective que j'ai ouverte il y a peu. Je devais trier de la paperasse.

En chemin, un coup de fil arriva. Mon portable vibra dans ma poche tandis que je me garais sur une place libre. Le portable au volant, c'est mal. Je m'arrête toujours avant de répondre.

« Oui ? »

C'était l'agence immobilière. Ils avaient trouvé un grand loft qui pourrait correspondre à mes goûts. Ils me proposaient une visite dès maintenant. J'acceptais. Au diable la paperasse. J'avais avant tout besoin d'un logement. Marre de crécher au bureau.

« Très bien, j'y serais. »

Je raccrochais, et fit demi-tour. Je n'étais pas loin du lieu de visite à vrai dire. En dix minutes, j'y étais. Sans doute un peu tôt. J'avais rendez-vous dans une demi-heure seulement. Mais si j'étais en avance, ils pourraient bien me faire visiter en même temps que le client précédent, n'est-ce pas ?

Je verrouillais la petite Peugeot que j'avais loué, et m'avançais. L'agent immobilier était là, attendant sûrement le rendez-vous d'avant moi.

« Bonjour. Je suis Jude Sinclair. Je dois avoir rendez-vous dans une demi-heure, mais j'aimerais autant faire la visite tout de suite. Je suppose que ça vous arrangerait d'avoir un créneau horaire de libre ensuite. J'imagine que bosser à midi ne doit pas être plaisant. »

Il était onze heure trente bientôt. L'homme argua qu'il avait déjà une visite à faire, mais je balayais cet argument d'un revers de main.

« Une visite ça peut se faire à deux. Vous économiserez de la salive ainsi. »

Et la visite, c'était moi.
Pas facile de trouver un créneau horaire qui correspondait à ce qui faisait office de pause repas pour un inspecteur fraîchement débarqué d'Europe de l'Est, vous pouvez me croire ! J'avais dû batailler sec tant avec mes supérieurs qu'avec quelques nouveaux collègues pour pouvoir me libérer sur les coups de onze heures trente, mais j'y étais finalement parvenu. Et j'avais donc traversé la ville depuis une scène de crime sordide pour me rendre sur les lieux, en périphérie directe du centre-ville. Un grand loft, m'avait précisé l'agent. De quoi loger deux personnes et même prévoir l'arrivée de charmants bambins, ce qui n'était pas vraiment dans mes projets. Mais au moins, je pourrais étendre mes tentacules un peu partout sur les meubles et laisser quelques insectes s'accaparer les recoins sombres et ça, c'était bien !

Ma Nissan 350Z arriva à l'heure au pied de l'immeuble résidentiel qui acceuillait mon peut-être nouveau futur chez moi et tandis que je me garais, j'aperçus sur le trottoir tout à côté de moi l'agent en grande discussion (visiblement à sens unique, en fait) avec une fort jolie blondinette. Une petite voix en moi -probablement un quelconque appendice du Ver logé du côté de mon coeur- me souffla que ça, ça ne sentait pas bon. Pas de problèmes. J'étais prêt à gérer tout et n'importe quoi pour abandonner enfin l'hôtel miteux que j'avais investi en arrivant. Sortant de la voiture tout en chaussant les lunettes de soleil qui empêchaient surtout de voir la couleur singulière de mes yeux, je m'approchais du duo et saluais la demoiselle d'un mouvement de tête poli avant de m'intéresser à l'agent, qui prit les devants.

- Inspecteur Dragna, euh... mademoiselle...euh...Sinclair ici présente voudrait partager la visite avec vous, elle est pressée et... enfin... Voulez vous... S'il vous plait...euh...

- Mouaip, ça peut se faire. Enchanté, mademoiselle. Marko Dragna, lui dis-je en lui proposant ma main à serrer dans un petit sourire tranquille.

Oh, je n'avais pas fais attention au départ mais mes yeux me révélèrent que la fille était magicienne et pas forcément des moins compétentes. Une vraie bombe H dans le domaine des arts occultes, la blondasse ! Si je n'avais pas été bridé par le Ver, elle aurait put prétendre être aussi puissante que moi. Enfin, peu importait. Normalement de mon côté rien de filtrait et je n'avais que faire pour le moment du monde magique. Ce que je voulais, c'était un toit au-dessus de ma tête. Laissant donc ma petite découverte de côté, j'emboîtais le pas de l'agent qui déjà nous entraînait dans le hall d'entrée en direction de l'ascenseur.

- Vous aussi, vous venez d'arriver ?

Autant combler un peu les silences de façon polie. C'était toujours plus que "Hey, à quand remonte ton dernier Sabbat ? Celui du mois dernier était franchement à chier et les pétasses d'Angleterre ont encore descendu toute la sangria après le sacrifce des nouveaux-nés."
Et puis, c'était marrant, mais son nom me disait quelque chose. Bon... Je verrai bien. D'abord, direction le sixième étage, vers mon potentiel futur petit paradis.

Dans mon dos, la visite de onze heures trente venait d'arriver. Je l'ai senti, plus que je ne l'ai vu arriver. Mon sixième sens magique qui me prévenait de tout mouvement autour de moi fonctionnait à merveille. Et c'est pourquoi je n'ai pas été surprise de l'attitude soudain hésitante de l'agent immobilier.

Je répondis au hochement de tête du nouveau venu, machinalement, et admirait silencieusement l'élégance de ses lunettes de soleil. Il faudrait que je m'en rachète une paire tiens, les miennes sont HS. Mon regard dériva ensuite rapidement vers la superbe Nissan qu'il venait de garer, et je me dis que ce mec avait du goût. C'était un inspecteur en plus, d'après les dires de l'agent. Intéressant. Mais je ne suis pas là pour draguer. Je suis là pour un putain de logement, à cause de putains de dégénérés qui me craignent.

« Jude Sinclair. Ravie également. »

Je lui serrais la main, cordiale malgré mon agacement certain dû au spectacle que je venais d'avoir avant d'arriver ici, et hochais la tête en direction de l'agent immobilier.

« Vous voyez ? Rien de compliqué. »

Dès fois, je plaignais mon entourage. Je pouvais être si imprévisible. Mais au final, ils me connaissent, non ? Alors c'est de leur faute s'ils veulent continuer à me supporter. Et ça m'arrange. Je reste donc moi-même, c'est plus simple.

« Oui. Je suis là depuis une semaine environ. Vous aussi je suppose ? A moins que vous ne cherchiez juste à déménager, ou à trouver plus grand. »

Un petit sourire effleura mes lèvres quand je retins de sortir quelque chose en rapport avec des incendies. Il n'avait pas besoin de savoir. S'il le voulait, il pourrait le demander.

Pour le moment, nous suivions l'agent qui nous fit entrer dans un vaste hall d'immeuble. De l'extérieur, ça ne paie pas de mine, mais l'intérieur est franchement bien. C'est clair et aéré. Il y a un même un ascenseur, que l'on emprunte. Et on s'arrête au troisième étage. Les couloirs étaient grands, aménagés aux nouvelles normes pour faciliter la vie de ceux qui ont des handicap physiques.

Il nous fait par la suite entrer dans le loft proprement dit. Un espace hall large, avec un sol en lino blanc cassé.

« Joli. Mais franchement, la tapisserie verte comme une pomme... »

« C'est l'ancien locataire mademoiselle. Vous serez libre de changer à votre guise si vous prenez l'appartement. Ou.. Ou vous, Inspecteur Dragna. »

Ils nous entraîna ensuite dans le salon, bavardant à propos de ci de ça.. Je ne suivais pas trop à vrai dire. J'étais occupée à observer les lieux. C'était pas mal, pour une première visite. J'aurais pu tomber sur un truc plus miteux.

« Dites-moi. Vous n'avez pas précisé. Quel est le montant du loyer ? Et les charges sont-elles comprises ? »

- On a possiblement emprunté le même vol, ou nous nous sommes ratés de peu. Je suis arrivé sensiblement en même temps que vous.

La discussion, vous dis-je ! Avoir des contacts avec une belle étrangère pouvait créer des liens assez juteux et, avec un peu de chance, me permettrait assez rapidement de me dégourdir les tentacules. Au moins, avec une sorcière, j'aurais eu moins de scrupules. Mais les femmes de magie étaient souvent des garces qui ne s'intéressaient à moi que pour mon nom de famille ou mon potentiel... En plus de ma fortune familial. Pauvre sort d'enfant riche et puissant, pas vrai ? Bah.
L'intérieur de l'immeuble s'avéra agréable, décoré sobrement et bien équipé. C'était propre et neuf, rien à redire là-dessus. Et la suite ne me déçu pas quand nous pénétrâmes dans le loft en lui-même, avec son grand hall. Mais effectivement, j'étais assez d'accord avec ma concurrente en ce qui concernait le papier peint.

- Sûr que je dégagerai tout ça vite fait... La personne d'avant avait vraiment mauvais goût. Qu'est ce que vous disiez tout à l'heure à propos du salon ?

Et il me réexpliqua que l'orientation de la baie vitré de la pièce de vie où nous venions d'arriver était parfaite, donnant une très bonne vue sur un parc public qui s'étendait une rue en contre-bas. Je pris le parti d'aller vérifier en ouvrant les fenêtres qui donnaient sur le balcon avant de revenir vers le lumineux séjour dans lequel la dite Jude Sinclair posait de judicieuses questions. L'agent donna les montants (somme toute correct bien qu'un peu au-dessus des prix du marché) et indiqua que oui, les charges étaient comprises.

- Place de parking au sous-sol et cave... Fibre optique pour internet... Non, vraiment, c'est un bel appartement.

- Assurément. Je dois dire que je suis assez séduit. C'est bien placé, pas trop loin de mon lieu de travail... Par contre, c'est grand pour une personne seule, je trouve. Pas vous, mademoiselle Sinclair ?

La question était aimable et vaguement désintéressée. N'étant pas là pour séduire, je me moquais de savoir si elle avait un compagnon mais gardait en tête que l'information était toujours bonne à prendre. Et dans la foulée j'avais glissé que oui, je dormais tout seul ces derniers temps. Bon, autant jeter quelques as dans le jeu. L'air de rien, j'ôtais mes lunettes tout en parlant à Jude, dardant volontairement sur elle mes yeux colorés afin qu'elle sache tout de même à qui elle avait affaire. Finalement, je me retournais vers l'Agent, qui marqua un temps d'arrêt devant la teinte de mon regard avant de feindre poliment l'ignorance.

- Comment est la salle de bain ? J'espère qu'elle est grande, j'aime assez me... répandre.

Littéralement, mais je n'allais pas entre dans les détails. Il nous entraîna donc vers la salle d'eau, continuant de nous vanter les mérites du quartier et du voisinage avant de nous montrer ce que j'attendais. Et je ne fus pas déçu : la baignoire était tout simplement immense, un modèle avec plusieurs types de jets intégrés. Une cabine de douche était en plus présente à côté du lavabo et la décoration, pour une fois, ne jurait pas.

- Le précédent locataire avait fait quelques aménagements.

- Je vois et j'aime. Bien, je crois que je vais signer ! Mais comme je suis beau joueur, je vais vous demander ce que vous comptez faire, mademoiselle Sinclair. Le cas échéant, je pense que nous aurons à négocier.

Reportant mon regard dans le fond du sien, j'affichais un sourire tranquille. Qu'avait elle à dire ? Avec un peu de chance, l'endroit ne lui plairait pas et elle irait voir ailleurs, perspective qui faisait déjà frémir quelques tentacules un peu partout entre mes intestins.

Les prix me convenaient. En même temps, ce n'était pas comme si j'avais des soucis d'argent. De plus, la place de parking et la cave assuraient que j'aurais un endroit où mettre ma moto. Elle allait arriver par cargo dans quelques jours. Et je rendrais enfin cette jolie petite voiture française. Pas qu'elle soit désagréable à conduire, ou autre. Mais je préférais mon petit bijou. C'était plus rapide pour aller et venir en ville.

Mon regard se porta sur l'Inspecteur qui venait de faire une remarque... Je ne dirais pas judicieuse, mais je n'ai pas le mot en tête et ce dernier est le seul qui venait me chatouiller l'esprit. Un petit sourire naquit sur mes lèvres.

« Très bel appartement en effet. Je crois pouvoir m'accommoder de la taille. Je trouverais bien des choses à bazarder par terre pour masquer l'espace vide... »

Exact, je venais de confirmer que j'étais seule également. En fait, je le trouvais amusant ce "concurrent" pour l'appartement.

... Et je le trouve encore plus intéressant lorsqu'il enlève ses lunettes. Je me mord la lèvre inférieure, positivement surprise. Et je trouvais d'autant plus bizarre de ne pas l'avoir senti. Qu'il était "extraordinaire", tout comme moi. Mes pupilles brillèrent alors d'une flamme argentée, tandis que l'agent immobilier prenait les devants pour aller nous montrer la salle de bain.

Salle de bain qui faisait rêver. Je me voyais d'ors et déjà habiter là. Et apparemment, c'était réciproque pour Marko. Il proposa de signer. L'agent se frottait déjà les mains, heureux, quand il me demanda aussi mon avis.

« C'est très aimable à vous, inspecteur Dragna. Car je dois avouer être grandement tentée également. Que proposez-vous pour négocier ? »

L'agent se figeait sur place. Il craignait une querelle. Comme si je n'avais pas assez de maturité pour me jeter sur l'autre comme une furie pas partageuse. Franchement. Je levais les yeux au ciel, avant d'avoir une idée. Il n'avait pas dit qu'il trouvait l'appartement grand pour une personne seule ?

« Je crois avoir une idée. Mais il reste à savoir si vous seriez d'accord. »

Un petit sourire amusé flottait sur mes lèvres tandis que je m'approchais de lui d'un pas lent.

« J'aimerais savoir si, comme le dit la fable française de La Fontaine, vous seriez plutôt partageur, ou plutôt fourmi ? »

Je ne lui laissais pas le temps de répondre, et repris juste après avoir effleuré l'une de ses épaules du bout de mes doigts.

« Comme vous l'avez fait souligner tout à l'heure... L'appartement est grand pour une personne seule. Alors qu'à deux... Et cela partagerait les frais, en plus. »

Mon index vint tapoter mes lèvres un instant alors que je réfléchissais.

« Mais ce n'est qu'une proposition en l'air, bien entendu. »

Ohoh,  elle avait réagit à la découverte de mes yeux ! Parfait, c'était positif. Au moins de ce côté là, le courant passait pour le moment plutôt pas mal. Après tout, aucun de nous n'avait convoqué les forces des ténèbres pour envoyer l'âme de l'autre errer quelque part dans les limbes infernales... Signe parlant si il en était de notre tolérance mutuelle. Quand ses pupilles brillèrent comme en réponse, je lui adressais un sourire entendu dont le sens n'aurait pu être compris qu'entre nous. Un peu comme si deux vieux amants se retrouvaient après un temps, quelque chose du genre.
Toutefois, même si ça se passait pour l'heure plutôt bien, il était légitime de croire que ça serait rapidement plus problématique. Comment gérer notre intêret vif et commun pour ce bel appartement qui nous avait séduit tout les deux ? Je n'avais pas envie d'en venir à des moyens surnaturels, préférant de loin régler ce différent qui pointait le bout de son nez de façon tout à fait civilisée et anodine. Mais je dus avouer que la proposition de Jude me surpris. Aussi étonné que l'agent immobilier qui me glissa un regard interrogatif, je laissais planer un petit temps avant de répondre.

- Pour être franc, mademoiselle Sinclair, je suis plutôt fourmi. Une colonie à moi tout seul, véritablement.

Je doutais que l'agent ne saisisse le sens de mes propos, mais je ne m'en souciais pas. Tout en parlant, j'avais fixé Jude et laissé passer sur mon front, sous la peau, la forme d'un ver qui semblait s'y déplacer avant de disparaître. L'intimider ? Non non. Juste lui donner une information quant à mes petites caractéristiques les plus saugrenues.

- Mais les atouts d'une jolie femme me rendent cigale. Je veux bien signer le bail avec vous, je suis sûr que nous allons vite constater une foule de petites choses qui vont nous rapprocher. Et puis, ça sera une expérience intéressante que de se découvrir au risque de ne pas se supporter.

Sans réellement me montrer gêné, je passais un bras autour des épaules de la belle blonde tout en apostrophant l'agent immobilier. Dans quoi est-ce que je m'embarquais, au juste ? Qui pouvait le dire ? Bah. Nous verrions bien et j'étais persuadé que nous arriverions à nous supporter juste ce qu'il faudrait pour que le plus gêné ne trouve un autre appart'. Et puis, aussi fou que ça pouvait sembler l'être, il restait la possibilité que ça fonctionne.

- Ma compagne et moi allons donc prendre l'appartement, monsieur. Je pense que ça sera plus simple pour les papiers de ne faire qu'un, nous nous arrangerons entre nous.

L'homme nous regarda tour à tour, comme héberlué de ce qui se passait. Pourtant, il n'en oubliait pas non plus le commerce et sortait déjà quelques papiers de sa serviette, fixant à présent Jude.

- Si... Si vous êtes d'accord je... euh... enfin, signons ?

Mes yeux accrochèrent son front. Ce qu'il avait laissé passé me tira un frisson. C'était assez étrange à voir. Mais un sourire se dessina lentement sur mes lèvres tandis qu'il poursuivait. Je n'étais pas réfractaire à la nouveauté, ni même à la présence de confrères. Je savais qu'il existait d'autres sorciers. Même si dans ma famille, nous étions sorcières de mère en fille. Aucun mâle n'avait le don.

Je le laissais familièrement poser un bras sur mes épaules, comme si nous étions les meilleurs amis du monde. Puisqu'il était disposer à signer pour une colocation, je n'allais pas chipoter. Je souriais intérieurement de voir la tête de l'agent immobilier.

« Oui, signons ! »

J'allais enfin pouvoir dormir dans un vrai lit. Il ne me restait plus qu'à l'acheter, puisque celui que je devais avoir avait brûlé dans l'incendie de ma propriété. D'ailleurs, j'allais devoir racheter tous les meubles. Je m'en occuperais dès que nous aurons signé.

« D'ailleurs... A quelle date pourrions-nous nous installer ? »

« Dès cet après-midi, si vous.. Le désirez.[/font] »

« Parfait pour moi. »

Mon regard se tourna vers mon nouveau colocataire, pour l'interroger.

« Et vous ? »

Quand elle demanda la possibilité d'emménagement et que l'agent lui répondit, j'hochais la tête doucement. J'espérais juste que tout cette vitesse ne cachait pas un vice dans l'appartement, n'ayant aucune envie de me lancer dans des travaux quelconque ou des embouilles juridiques. Enfin, nous aurions le temps de voir si nous nous êtions fait avoir, pas vrai ? Je partageais le regard de Jude et lui adressais un sourire amical avant de lui répondre.

- Je vais tenter de me libérer, je vous aiderai pour les cartons et nous aurons l'occasion de faire un peu plus connaissance.

Une affaire rondement menée. Heureux de conclure la vente, l'Agent immobilier nous invita à revenir au salon dans lequel traînait une table et deux chaises. Je laissais Jude s'asseoir tandis que l'homme rédigeait les papiers, nous demandant quelques informations indispensables pour remplir les manquements. Je me pliais à l'excercice tranquillement, avant de signer le premier et de passer le stylo à ma nouvelle colocataire. Alors que j'allais lui proposer une accolade pour marquer le coup, mon portable sonna. Je consultais rapidement l'écran : le central. Merde... Pas moyen de l'ignorer. M'excusant poliment des deux autres personnes, je m'écartais un peu et décrochais.

- Dragna. Hm. Oui. Oui. Ce quartier ne fait pas partie de ma juridiction, désolé. Je sais, c'est un élu de la région mais c'est à Fuji qu'il faut donner les rênes. Hm. Un meurtre rituel, vous êtes sûr ? Dans ce cas là... D'accord, envoyez moi l'adresse en sms, je pars tout de suite.

Je raccrochais et pestais un moment, écrasant un juron en roumain. Bon, changement de programme pour l'après-midi. Revenant vers l'agent et Jude, j'attrapais un stylo et la main de la belle, griffonnant mon numéro à même la peau avant d'y déposer un baiser.

- Je dois malheureusement me défiler pour ce soir. L'appel du devoir... N'hésitez pas à me contacter en cas de besoin, je rentrerais certainement tard ce soir.

Je présentais également mes excuses au vendeur avant de récupérer mon trousseau de clés en lui laissant un chèque de caution rapidement rempli. Il prétendit comprendre mes impératifs et me signifia qu'il reprendrait contact avec moi rapidement. J'acquièsais et saluais la petite troupe rapidement, filant vers l'entrée et l'ascenseur. Après quelques minutes, la Nissan rugissait dans la rue et prenait la direction du port.
Dans l'un des entrepôts, un des élus de la ville avait été éventré en compagnie d'une jeune femme mineure et visiblement, c'était un crime rituel. Et forcément, qui on appelait ? Tant pis pour l'appartement et pour la drague de mademoiselle Sinclair, le boulot d'abord.

Et nous signâmes. Je me sentais étrangement heureuse après avoir signé les papiers. J'étais chez moi. Pas que je ne me sentais pas chez moi à l'agence, mais c'était différent. Le bout est le boulot, hein ? Alors, avoir un endroit où se reposer, loin du travail, c'était réconfortant.

Le téléphone de mon nouveau colocataire sonna. Il partit répondre, tandis que je renseignais les derniers trucs nécessaires à l'agent immobilier. Quand il revint, il s'excusa de devoir y aller.

« Ne vous en faites pas. Pour tout carton, je n'ai que deux valises. Je m'en arrangerais. »

Je souris en voyant qu'il avait écrit son numéro dans la paume de ma main, et le saluais d'un geste alors qu'il partait. L'agent immobilier me donna les clés qui me revenaient, et nous sortîmes à notre tour tandis que la Nissan disparaissait au coin de la rue.

« Je vous remercie pour votre temps monsieur. C'était une agréable visite. »

Et tandis qu'il retournait à sa voiture, je retournais à la mienne. Direction, le marchand de meuble. J'y arrivais rapidement. A force de déambuler dans les rayons, quelques meubles attirèrent mon attention. Un lit d'abord. J'avais en tête les dimensions des pièces, aussi n'eus-je aucun mal à trouver mon bonheur. Les montants en bois du lit étaient en chêne massif, et le lit faisait facilement deux places et demi. Je le commandais donc, et le vendeur me répondit que tout ce que je commandais serait livré dès le lendemain. J'aurais préféré dès ce soir. Mais bon. J'hochais la tête, et signais. J'avais pris aussi quelques autres meubles, des fauteuils, et des tapis.

J'allais ensuite acheter des draps et des serviettes. Au moment de payer, mon téléphone sonna. Je répondis, en insérant ma carte dans le lecteur de carte. Apparemment, c'était une dame très importante en ville. La femme de l'un des élus. Elle le soupçonnait d'avoir fait des combines dans son dos, de l'avoir trompée, et de s'être initié à un culte secret. Tout en composant mon code, j'acceptais l'affaire. La dame allait passer à mon agence rapidement, pou me donner tout ce que je devais avoir pour mener mon enquête.

Et je quittais le magasin avec mes draps et mes serviettes.

~ ~ ~

« Très bien madame. Je vous promet de faire mon possible. Où est votre époux à cet instant ? »

Elle n'en savait rien. Elle ne l'avait pas vu depuis hier matin. J'hochais la tête, et notais ce renseignement avec ce que j'avais déjà.

« Je vous appelle dès que j'ai du nouveau. Bonne journée madame. »

Je jetais un oeil au dossier que je venais de constituer alors que la dame s'en allait. J'allais commencer par me rendre sur ses lieux favoris. Elle l'avait déjà fait suivre, mais l'homme n'avait pu trouver la moindre preuve compromettante. J'observais les différentes photos, et décidais de commencer par le club de cigare.

« A nous deux, monsieur l'infidèle frauduleux. »

Néanmoins, il n'y avait rien de concluant. Je passais ainsi l'après-midi à aller aux quatre coins de la ville, sur les traces de l'époux de ma cliente. Je finis par un entrepôt sur le port. Mais quand j'arrivais, il y avait déjà du monde. La police scientifique, la criminelle, bref, la totale.

En fronçant les sourcils, je m'approchais de l'agent qui maintenant les civils à l'écart.

« Qu'est-ce qu'il se passe ici ? »
« Je suis désolée madame. Nous ne parlons pas aux journalistes. »
« Je ne suis pas ici en tant que journaliste, mais en tant que détective, monsieur. »

Je montrais ma carte.

« Vous voyez ? »
« La règle s'applique aussi madame. »

Je pinçais les lèvres. Toi mon coco, tu vas vite me dire ce qu'il se passe. Je réunis mon énergie dans ma main gauche. Puis, avec un sourire cordial aux lèvres, je la posais sur l'épaule de l'agent en faction. Mon énergie se libéra, et orienta l'esprit de l'homme dans la direction que je voulais. Une compulsion mentale parfaitement exécutée.

« Alors, monsieur. Puis-je savoir ce qu'il se passe ici ? »

L'entrepôt se trouvait parmi des dizaines d'autres, alignés le long des quais Ouest, les plus à l'écart du reste des installations du port. J'y étais arrivé assez rapidement, alors que mes collègues ne faisaient que terminer le cordon de sécurité qui allait délimiter la zone de crime. Je saluais quelques personnes rapidement avant de rejoindre l'inspecteur Hirohito, qui m'avait contacté sur mon portable. Tout en échangeant de parfaites banalités, il me renseigna sur la situation. C'était un groupe de jeunes à la recherche d'un endroit qui leur servirait de squat temportaire qui avait découvert les corps et alerté la police, avant sûrement de diffuser l'information à leur réseau d'amis via leurs téléphones. Les curieux et les journalistes allaient rapidement rappliquer, aussi aurions nous peu de temps pour avoir la paix.
Nous enfonçant dans l'entrepôt, Hirohito et moi dépassions de nombreuses piles de caisses et autres immenses rangements métalliques avant de trouver, tout au fond de l'endroit, la dite scène de crime. Et ce n'était pas du n'importe quoi.

Les caisses et autres containers avaient été agencés en cercle comme pour délimiter une salle au centre de laquelle se dessinaient à même le sol des runes d'incantation maléfiques tracées avec ce qui était clairement du sang. Au centre, le corps chauve et bedonnant de l'élu était nu et éventré alors qu'il semblait en position de levrette avec le corps d'une jeune femme décapitée. Le dos de la pauvre avait été recouvert des organes libérés. L'odeur qui montait était insupportable et incommodait nombre des personnes présentes dont la plupart portaient des masques.

- D'après le légiste, elle a été décapitée avant que le sous-préfet ne la prenne, me dit alors Hirohito. C'est dégueulasse de faire ça.

- Dans certains cultes de sorcellerie, la nécrophilie est une pratique très courante. Lier le sexe et la mort pour communier avec des démons puissants est une sale habitude très bien vue en Enfer, paraît il. Bon. On va commencer par identifier la fille pour prévenir la famille. Retrouvez moi sa tête ! Je doute qu'elle ait été emportée. Ensuite, préparez une histoire pour les journalistes, je ne veux pas que la nature exacte du crime soit exposée dans les médias. Hirohito, vous avez des sorcières dans le coin avec lesquelles vous travaillez ?

- Tu plaisantes ? Il me fixa, interdit.

- Pas tout à fait, il va me falloir un coup de pouce pour déchiffrer les symboles sur le sol.

****

A l'extérieur, l'esprit du policier qui s'était adressé à Jude était bien mieux disposé à répondre aux questions de la blonde. D'ailleurs, il se montra assez bavard dès lors qu'il se mit à parler.

- Le préfet Tesshima a été retrouvé éventré durant un acte nécrophile. Il y a des traces au sol, faites au sang... On pense que c'est un meurtre rituel, c'est pour cela qu'on a fait venir l'inspecteur Dragna. Vous savez, c'est un expert venu d'Europe pour traiter ce genre de dossiers. Sinon je suis marié et je vous trouve très sexy, je veux bien vous laisser passer si vous me promettez une petite gâterie. Parce qu'avec ma femme c'est un peu trop platonique, et...

Il continua à exposer sa vie tout en levant la bande jaune sérigraphiée aux idéogrammes de la police de Seikusu, proposant à Jude de passer. Le policier donna quelques informations grâce à sa radio, disant que la jeune femme était une invitée spécialement convoquée pour l'enquête et ce sur la demande de l'inspecteur Dragna. Décidément, le sortilège avait des bien des effets sur cet esprit faible ! L'agent ne cessa pas ses propositions indécentes tout en lui disant où elle trouverait la scène de crime.

****

- Inspecteur ?

- Quoi ?

- Votre expert arrive, mais... euh...

Je me redressais alors que j'étais agenouillé tout à côté des corps que j'examinais depuis cinq bonnes minutes. Mon expert ? Hirohito m'avait affirmé avec conviction que la police de Seikusu ne connaissait personne ni ne voulait voir personne de non-assermenté sur la scène de crime. Haussant un sourcil, j'invitais l'agent à continuer.

- Et bien... D'après l'un des collègues dehors, c'est vous qui lui avez demandé de venir, mais... C'est une journaliste, je l'ai déjà vue à la télé et tout, inspecteur...

- Voilà autre chose... Soit, laissez la venir, je vais lui coller les bracelets moi-même pour usurpation d'identité. Allez lui coller le train, je ne veux pas qu'elle furète et me laisse des empreintes partout. Ah, et dites lui qu'elle est mal barrée, aussi.

L'homme s'inclina rapidement et poliment en acquièsant à la japonaise, filant d'une bonne foulée pour aller cueillir la journaliste qui devait avancer dans l'entrepôt. En voilà une qui allait faire connaissance avec Marko Dragna et qui allait pouvoir titrer que oui, les flics étaient de sales cons.

Bon. Je crois que j'avais un peu trop dosé la compulsion. Je devrais pourtant me rappeler que ma puissance n'est pas négligeable. Et qu'elle enfle avec le temps et l'expérience. Parce que là.. Disons que l'officier en faction dérapait un peu. Je soupirais en levant les yeux au ciel. Mais au moins, il me renseigna. Et franchement, je plaignais la pauvre madame Tesshima. Autant pour son récent veuvage que pour les actes dégradants auxquels c'était livré son époux.

Un nom, cependant, attira mon attention. Dragna.. Inspecteur Dragna. Quelle coïncidence. Je doute que notre colocation ne dure bien longtemps... Ou alors, il fallait que j'aplanisse les choses. Mais déjà, si cet abruti pouvait arrêter de parler sans discontinuer... Certes, il me laissa passer. Mais il m'invitait également sur la scène de crime, en inventant un prétexte de toute pièce. Mais merde, ferme-là !

Je levais la main, et levais le sort sur le policier. Il eut un mouvement de recul, et se retrouva comme étourdi. Néanmoins puisque j'étais là... J'allais donc sur la scène de crime. Surtout qu'un crime rituel... Ce devait être pour la secte à laquelle il appartenait depuis peu. Peut-être une cérémonie d'intronisation, ou d'invocation. Tout en réfléchissant à cela, j'approchais de la scène de crime. Déjà, je voyais la silhouette de mon charmant colocataire. Autant affronter le danger la tête haute !

« Tiens... Je ne pensais pas vous revoir avant ce soir. »

La meilleure défense, c'est l'attaque dit-on. Alors j'attaquais, pour ne pas laisser le temps à l'accusation de fuser. J'avais très bien vu les regards des autres flics. Ils devaient m'avoir tous déjà vue à la télé. Et à en juger par la réaction première de l'agent que j'ai ensorcelé, ils doivent ignorer ma licence de détective qui date de quelques mois déjà, pourtant.

J'avais encore mon porte-carte dans la main. J'arrangeais rapidement une carte vierge en en faisant une carte d'experte en sorcellerie, avec une infime dose de magie, et je repris.

« Avant que vous ne disiez quoi que ce soit... Oui, je suis journaliste. Mais je suis aussi détective, et cela, bien peu en ont eu vent j'ai l'impression. »

Je me sentais scrutée de toute part. Heureusement que j'en avais l'habitude. Je ne rougis même pas. Je présentais plutôt ma carte de détective, avec en-dessous, la fausse carte d'experte réalisée de façon plus que réaliste.

« Et j'ai été engagée par Mme Tesshima. La pauvre ignorait où était passé son déplorable époux, tout comme elle le soupçonnait de tout un tas de trucs. »

Relevé et en grande discution avec un médecin légiste, je vis arriver la forme féminine à contre-jour, ne distinguant que sa silhouette alors que mes yeux déjà perçaient à jour sa nature. Une sorcière, en plus ! Elle était gonflée de se pointer ici après ce qui venait de se passer et j'étais tout disposé à l'acceuillir quand je découvris enfin son visage, marquant un temps d'arrêt sous la surprise. JUDE ? Alors là, c'était juste... Incroyable. J'étais prêt à l'apostrophier afin de l'assaisonner comme il le fallait quand elle prit les devants, se permettant même un petit trait d'humour.

- Curieusement, moi non plus. Et surtout pas ici, sur une scène de crime. Je ne vais pas perdre mon temps à vous demander comment vous êtes passée, j'ai déjà mon idée.

Elle se saisit d'une carte qu'elle me présenta après l'avoir ensorcelée. C'était certes très bien fait et si j'avais été un homme normal je n'y aurais rien trouver à redire, mais il se trouvait que j'étais du même calibre qu'elle. Si elle croyait m'avoir avec ce genre de tours, franchement, elle se trompait. Jouant toutefois le jeu, je scrutais la carte tout en l'écoutant. Elle, détective et journaliste ? Recrutée par madame Tesshima, en plus ? Pour le dernier point, c'était possible. La vieille Tesshima était, d'après ce qu'on m'avait raconté, une vieille peau amatrice de ce genre de potins salaces. Et très suspicieuse envers son mari, qui était d'une infidélité notoire.
Doucement, je rendis la carte et m'adressais à Jude sans cesser de la fixer.

- Vous pensiez pouvoir tromper mes yeux, franchement ? Je suis déçu. Mais comme la carte est bonne, je vais vous laisser jeter un oeil.

Je donnais quelques ordres autour de moi disant que Jude pouvait fouiner un peu mais qu'il fallait la garder à l'oeil, puis je revins à elle.

- Vous ne diffusez aucune image ni aucune info avant d'avoir mon feu vert et en échange, je vous promets d'être la première à pouvoir le faire. Pour le moment, nous devons garder le secret. Et ne vous amusez pas à me tromper, hm ?

D'un revers de la main, je désignais à ma colocataire la scène de crime morbide qui se présentait sur notre gauche. Un peu partout, les hommes en blanc de la section scientifique relevaient des éléments divers et se prêtaient à quelques analyses sur le terrain pendant que des policiers en uniforme avaient entreprit de lancer une fouille en règle afin de retrouver la tête de la pauvre fille encore souillée.

- Ce n'est pas un rituel asiatique, il me semble. Ça ressemble à un sacrifice satanique qui aurait mal tourné, mais je n'arrive pas à déchiffrer les runes tracées au sol. C'est clairement de la vieille sorcellerie venue d'Europe... Je pense à une convocation d'esprit. Votre avis, Sinclair ?

Je savais que pour ça, je m'adressais à une experte qui pourrait probablement m'aider. Les arts magiques, c'était son domaine après tout ! Tandis que je la laissais prendre ses aises, je la dévorais du regard. C'était vrai qu'elle était sacrément bien foutue, la blondinette... Miam, l'idée de me retrouver dans le même appartement que cette jolie bombe aux yeux clairs attisait déjà en moi quelques appétits. Je sentais mes tentacules s'agiter ça et là, me donnant terriblement envie de leur faire prendre l'air. Peut-être que je pourrais en profiter pour aller saluer ce charmant popotin l'air de rien ?

Je savais qu'il devinerait facilement comment j'avais passé les rubans. Bien que, je l'avoue, je n'ai absolument pas fait exprès. Je voulais juste savoir ce qui se passait, et pas en tant que journaliste. Je savais aussi que la carte de l'experte ne passerait pas comme telle à ses yeux. Mais c'était plus pour les autres autour. Quant à ma carte de détective vraie celle-là, je savais qu'il en douterait. Comme tout le monde, malheureusement. Comme si une journaliste ne pouvait pas aussi être détective. Après tout, c'était le même boulot d'investigation. C'était juste la finalité qui différait.

Un petit sourire étira mes lèvres.

« Pas les vôtres, très cher. Pas les vôtres. »

Je pinçais les lèvres lorsqu'il me demanda de ne rien diffuser avant son feu vert. Comme si j'avais envisagé de faire un article là-dessus. Là, pour le coup, j'étais vexée. Je savais distinguer le boulot de détective de celui de journaliste. Mais mon attention fut retenue par la scène de crime. Dégueulasse à souhait.

« Hm. Définitivement pas asiatique en effet. »

Je m'approchais des runes tracées au sol. Certaines me disaient quelques choses. Je me souvenais avec perfection de l'instruction de ma grand-mère. Et ces signes... Ce n'était pas satanique non. C'était plus ancien encore. Ces runes dataient du tout début de la période celtique. C'était une invocation, par contre. Pas de doute. D'après ce que je déchiffrais, ils invoquaient Aed, dieu des Enfers pour les irlandais.

« Convocation d'esprit oui. Mais c'est loin d'être satanique. En fait, ça remonte encore plus loin. Je dirais trois ou quatre siècles avant la venue du christianisme en Europe. Ce qu'ils ont convoqué ici, c'est Aed. Le dieu des enfers pour les irlandais. »

Je me relevais, et fit le tour des deux cadavres imbriqués. Décapitation ante coitus, je présume. Et la jeune femme devait sans doute être vierge. Je me penchais légèrement, pour apercevoir l'entrecuisse de la décapitée, et je réussis à apercevoir une fine traînée de sang qui remontait à la fleur intime de la pauvrette. Le reste, c'était les entrailles du bonhomme qui s'étaient répandues. L'odeur, d'ailleurs, pourrait en incommoder plus d'un. Mais j'ai vu pire. J'ai senti pire aussi.

« Etrange. Je ne vois pas de carbonisation sur les corps. On dirait que l'invocation n'a pas fonctionné comme prévu... Normalement, le passage du dieu des enfers dans le corps de Tesshima aurait dû laisser des traces. »

Je m'éloignais du cercles de runes, et observais le sol aux alentours. Des résidus indiquaient la place de chacun des membre de la secte. Et.. Là, je vis des cendres. O dirait qu'elles avaient été soufflées, mais c'était bien des cendres. Aed n'avait pas dû être content. Il faudra que je me renseigne sur le rituel exact pour savoir ce qui avait cloché.

« J'en saurais plus après avoir feuilleté quelques grimoires, mais je pense qu'Aed a trouvé que quelque chose manquait au sacrifice, et les invocateurs ont été... Réduits en cendres. »