Sarah ne laissa pas Garo seul bien longtemps. Elle revint dans la voiture avec des instructions écrites sur un format antédiluvien et annonça, après avoir entré les coordonnées dans l’ordinateur de bord, qu’ils avaient six heures de route devant eux avant d’arriver à la planque qui leur avait été fournie. De quoi avoir le temps de bien discuter précisa la jeune femme, sarcastique.
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Génial ..." laissa échapper Garo sur le même ton
Alors qu’ils sortaient du parking, un frisson remonta dans la nuque du jeune homme qui tourna vivement la tête en direction des gratte-ciels, scrutant l’obscurité de ses yeux jaunes à travers les vitres teintées. Mais il n’y avait rien, rien d’alarmant en tout cas. Pourtant il avait le sentiment que quelqu’un ou quelque chose les observait. Etait-ce la fatigue ? Un syndrome paranoïaque qu’il avait développé ? Ou simplement le fait que dans cette mégalopole tout citoyen était, sans exception, surveillé de près ou de loin ?
Le monstre de laboratoire se laissa retomber dans son siège, mais adressa une remarque assez pertinente à la policière
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Maintenant qu’on sait qu’on va utiliser cette voiture pendant un bon bout de temps, tu pourrais désactiver sa balise de géolocalisation ? ça serait dommage que la police remonte jusqu’à notre petit nid douillet."
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Le début du trajet fut assez pénible. Son statut de passager inactif au côté de Sarah semblait mettre mal à l’aise Garo. Il n’était pas habitué à ce genre de situation. Au Centre, il n’avait été qu’un sujet de laboratoire : enfermé des heures durant, le plus souvent attaché, il n’était sortit de son isolement que pour subir des expériences, des tortures ou tout autre test sadique.
Seul Reann l’avait considéré autrement qu’un objet ou une arme mais avec la froideur d’un légiste qui éprouve de l’empathie pour le cadavre qu’il dissèque. Alors que Sarah, elle, le considérait comme un humain à part entière, ce qui avait pour effet de le déstabiliser et de l’agacer tout à la fois car lui même ne se considérait pas comme humain !
Il ne connaissait d’ailleurs rien des relations sociales entre citoyens lambdas et, son côté sociopathe prédominant largement sur sa personnalité, il n’était pas dans ses priorités de se mettre à la page. Si l’on y ajoutait sa toute récente crise de confiance en lui, cela ne faisait pas du jeune homme un très agréable partenaire de voyage : à chaque fois que Sarah lançait un début de conversation, la réponse était systématiquement mono-syllabique ou inexistante. Leur échange le plus fourni fut sans conteste une dispute au sujet de la sélection musicale de la policière, destinée à meubler le silence, et que Garo jugeait d’un goût douteux. Sarah remporta tout de même l’argument.
Puis, au bout d’un moment, alors que les kilomètres défilaient au compteur, que le jour laissait place à la nuit et que la métropole disparaissait dans le rétroviseur, Garo commença à se détendre et à accepter à la situation. Il essaya même de lancer une discussion alors qu’il observait le paysage à travers la vitre :
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Qui est cette Yulia pour toi ? Et quel genre de dette as tu contracté en lui demandant ce service ?"