Garo récupéra au vol le morceau de la herse métallique découpée en un temps record par Sarah avant qu’il ne tombe dans un fracas de tonnerre et ne fasse rappliquer la moitié du Ghetto sur leur position. Une fois la jeune femme passée, le monstre de laboratoire s’engouffra à son tour dans la brèche et repositionna la grille en place : la policière avait été si précise dans sa découpe - peut être au micron près - qu’une fois qu’il eut terminé de la replacer, la grille semblait intacte. Le jeune homme laissa échapper un sifflement admiratif :
"
Ça c’est ce que j’appelle de la précision chirurgicale ! Ils n’y verront que du feu !"
Ils s’enfoncèrent ensuite dans le métro, et après avoir parcouru d’interminables couloirs labyrinthiques et poussiéreux, ils débouchèrent enfin dans la station du complexe commercial. Probablement magnifique autrefois, elle ressemblait désormais, plongée ainsi dans la pénombre, à une caverne située dans les entrailles de la terre, cathédrale de rouille et d’acier, et cimetière de rames hors d’usage : comme si ce lieu autrefois ultra-moderne avait mué pour retourner à un état plus sauvage.
Mais Sarah et Garo n’étaient pas là pour faire du tourisme archéologique. La jeune femme indiqua la voie à suivre : ils n’avaient d’autre choix que de suivre une ligne de métro jusqu’à un embranchement un peu plus loin, changer ensuite de voie puis continuer à pieds encore quelques stations…
L’écho de leur pas se réverbérait sur la voûte bétonnée qui les surplomblait. Même avec toutes les précautions du monde, il leur était impossible de ne pas faire de bruit dans ce genre d’endroit plongé dans un silence absolu. Si Garo n’avait pas une aussi bonne vision nocturne que celle d’un chat, ses améliorations génétiques ainsi que ses sens aiguisés par des années d'entraînement lui permettaient de se déplacer dans l’obscurité sans trop de difficulté. Et il ne doutait pas que l’armure de Sarah lui offrait toute sorte de moyens de voir dans le noir.
Après avoir longés des mètres et des mètres de rails, les deux fugitifs arrivèrent à l’intersection qu’ils recherchaient. Ici, trois lignes de métros se croisaient dans un entrelacs sur plusieurs niveaux qui se voulaient impressionnant et artistique, mais ce lieu désormais rempli de rames de métro qui ne bougeront plus jamais n’était plus que des catacombes high-tech.
Garo observa les tunnels qui s’offraient à eux avant de se tourner vers Sarah :
"
Et maintenant ? On prend quelle ..."
Le jeune homme s’interrompit brusquement en tournant vivement la tête : le coup de pied arriva de nulle part et il ne le para que par pure réflexe, mais un second suivit immédiatement et le percuta violemment au ventre, l’envoyant voler à travers la vitre d’une des rames de métro. Alors que Garo se relevait en essuyant le filet de sang qui coulait de sa bouche, une voix résonna soudain à l’extérieur :
"
C’est terminé Garo ! Il est temps pour toi de rentrer au Centre, de gré ou de force !"
"
Que ? … Bordel, apparemment la doc n’en a pas encore eu assez !"
Car oui, la voix était bien celle du Docteur Reaan, la responsable du projet qui avait vu naître Garo. Ce dernier n’eut pas le temps de se poser de question que deux silhouettes surgirent dans la rame : taillées en V, indubitablement masculine, elles étaient vêtues des mêmes combinaisons que les Black Squadrons ainsi que de casques similaires qui masquaient leur visage, mais elles n’étaient étrangement pas armées et avaient une apparence plus gracile que les brutes qu’ils avaient déjà rencontrés dans les rues du Ghetto.
Le regard du monstre de laboratoire passa de l’un à l’autre et un sourire carnassier réapparut sur son visage. Il ne faisait aucun doute que ces deux combattants étaient des experts en arts martiaux : ils étaient forts, rapides et avaient réussit à le prendre par surprise en masquant totalement leur présence dans ce lieu pourtant désert !
Du coin de l’oeil, Garo constata qu’au dehors Sarah était au prise avec au moins deux autres combattants masqués. Bah ! Elle saurait bien s’en occuper, il pouvait se concentrer sur les inconnus silencieux qui l’encadraient de près.
"
Alors comme ça vous voulez jouer, hein ? Amenez-vous !"
Musique d’ambianceLes deux combattants l’engagèrent simultanément au corps à corps dans le plus pure style des arts martiaux tekhans. Les coups fusèrent avec force, rapidité et précision, et Garo les para au mieux avant de contre-attaquer mais à son grand étonnement ses propres attaques ne connectèrent pas, finissant déviées ou parées à leur tour.
Les deux inconnus accentuèrent la pression, forçant le monstre de laboratoire à se dégager puis à reculer dans la rame de métro. Dans cet espace exigu, les combattants devaient composer avec les obstacles qui entravaient leur mouvement : ils sautaient sur les sièges et les strapontins, s’aidaient des barres de maintien pour se propulser ou se mouvoir et bondissaient d’une paroi du wagon à l’autre.
Le combat était féroce. Garo atteignit ses adversaires plusieurs fois, mais sans dommage notable, et reçut à chaque fois des coups en retour. Il en resta incrédule : personne, en dehors de la GEFT et de Sarah, ne l’avait mis en difficulté au corps à corps. Alors qu’il était repoussé dans le quatrième wagon de la rame, il siffla entre ses dents :
"
Tch ! Vous êtes qui, bordel ?"
Les deux inconnus ne répondirent pas. À vrai dire, ils n’avaient pas décoché un mot depuis leur apparition, de vrais tombes. En dehors de la rame, la même voix résonna à nouveau sans qu’il ne soit possible d’en déterminer la provenance :
"
Tu n’as aucune chance de t’échapper Garo ! Nous te retrouverons toujours, abandonne !"
"
Vous croyez encore aux fées, Doc ?"
Le jeune homme ricana et reprit le combat. Ses deux adversaires étaient, comme il l’avait deviné, experts en arts martiaux tekhans. Ils connaissaient toutes les techniques qui lui avaient été enseignées au Centre, et donc tous leurs contres et parades. Mais en sachant cela, il pouvait les piéger !
Garo lança une série d’attaques dans le style tekhan, et les inconnus ripostèrent, comme prévu, par des techniques dans les règles de l’art : ces techniques étaient redoutables contre un adversaire moyen, mais elles en devenaient téléphonées face au monstre de laboratoire ! Et il allait en profiter !
Après une série d'enchaînements, il parvint à repousser un des deux combattants, le temps de s’offrir quelques précieuses secondes pour s’occuper du deuxième. Le jeune homme lança une attaque dont la riposte classique était un contre suivi d’un direct du droit, et cela ne manqua pas : le coup fusa vers son visage. La proie était tombée dans la toile !
S’il avait suivi les règles de l’art, Garo aurait dû parer le coup de la main gauche et contre-attaquer d’un coup du poing droit ou de la jambe droite. Il fit tout le contraire, pour prendre son adversaire à contre pied : il dévia le coup de sa main droite, sortant ainsi de la garde de son adversaire, et sa main gauche jaillit, les doigts joints, pour venir frapper le visage de son adversaire au niveau des yeux en passant par dessus son épaule avancée, pile dans son angle mort. C’était une technique mortelle - même contre un casque - qu’il avait lui même inventé durant sa captivité et qu’il n’avait jamais encore utilisé. Le sourire du monstre de laboratoire s’élargit, il jubilait, il avait gagné !
Son sourire disparu et ses yeux s’écarquillèrent, lorsque sa main ne frappa que le vide : l’inconnu avait disparu ! Le temps sembla se figer. Garo, le bras gauche tendu, emporté dans son mouvement, tout son corps en avant, baissa les yeux et vit l’inconnu qui s’était jeté en avant, dans une roulade aérienne, évitant ainsi son coup mais pas seulement. Ecarquillant encore plus les yeux, le jeune homme eut tout juste le temps de relever son regard, pour voir la jambe tendu de l’homme s’abattre sur lui, talon en avant.
Garo fut frappé en pleine tête. Le choc fut si violent que son corps frappa le sol et rebondit à presque un mètre de hauteur. Sous l’effet de ce contre monstrueux, il perdit même connaissance pendant un dixième de seconde, mais se réveilla à temps pour se protéger en croisant les bras d’un nouveau coup de pied qui le cueilla au vol et l’envoya s’écraser contre une des parois de la rame. Les deux inconnus ne lui laissèrent pas un instant de répit et l’acculèrent dans un coin en enchaînant coups de poings et coups de pieds.
Garo, les bras devant lui, se protégeait tant bien que mal, trop choqué pour pouvoir riposter. Ce n’était pas l’attaque, aussi violente soit-elle, qui l’avait mis en état de choc - ce n’était rien par rapport à ce que Starlight lui avait fait subir - mais la lente réalisation de ce qui venait de se passer, l’énormité de la situation. Assaillis de coups, il murmura entre ses dents serrés :
"
Tu n’as pas réagi à mon attaque… Tu savais déjà que j’allais utilisé cette technique ! Tu l’avais prédis ! Comment pouvais-tu savoir ? COMMENT ??"
Dans un hurlement de rage, Garo repoussa ses deux adversaires qui se remirent en garde à quelques mètres de lui, et, alors qu’il les regardait comme si c’était la première fois qu’il les voyait, toutes les pièces se mirent soudainement en place dans son esprit et ses yeux s’écarquillèrent comme jamais : L’inconnu… non, les inconnus connaissaient toutes ses techniques ! Ils avaient le même style de combat que lui ! Mais aussi la même morphologie ! La même façon de se mouvoir ! Sa vitesse ! Sa force !
Des veines palpitantes apparurent sur le visage du monstre de laboratoire alors qu’il serrait les dents à se les briser. La seconde d’après, les trois combattants se ruèrent les uns sur les autres et échangèrent des coups d’une violence inouïe et des éclaboussures de sang aspergèrent bientôt l’intérieur de la rame du métro. Après un combo fulgurant d’attaques, Garo projeta enfin un des combattants en dehors de la rame avant de plaquer le second contre une des parois.
Les deux adversaires luttèrent de longues secondes aux corps à corps, mais finalement Garo parvint enfin à arracher le casque de la tête de l’inconnu. Ce dernier en profita pour asséner au jeune homme un coup de pied dans le ventre qui l’envoya contre la paroi opposée. Garo se releva en s’aidant des barres de maintien mais se figea quand il vit enfin le visage du mystérieux combattant.
Ce fut comme s’il se regardait dans un miroir : les mêmes traits du visage, le même regard, les même cheveux.. C’était impossible et pourtant l’inconnu était lui, et il était l’inconnu. Et l’inconnu qu’il avait projeté dehors était également lui ? Et les deux autres inconnus aux prises avec Sarah aussi ?
Garo sentit un gouffre s’ouvrir sous ses pieds alors que la voix, désormais habituelle, retentit à nouveau :
"
Tu te crois unique, mais tu n’es qu’un parmi une légion Garo. Et nous contrôlons cette légion. Sans nous tu n’es rien, tu n’es personne.."
Le monstre de laboratoire sentit un grondement montait du plus profond de son être, comme une déferlante, une vague que rien ne pouvait arrêter. Alors il hurla comme il n’avait jamais hurlé :
"
REAAANNNN !!!"
Et son cri retentit longuement dans les couloirs du métro abandonné...