Garo était-il venu à bout de la patience de Sarah ? Pour la première fois, elle eut un accès de colère envers lui, lui balançant ses quatre vérités à la figure, ou plutôt à son dos vu que le fugitif était partie en avant. Surpris, il ne lui répondit pas et se contenta d’un sourire ironique invisible pour la jeune femme. Enfin elle réagissait à ses provocations ! Il en aura fallu du temps ! Même si cette dernière provocation avait été involontaire.
Par contre il se demandait bien ce qu’elle voulait dire par “
des cheveux pointus façon Dragon Ball Z”. C’était un compliment ? Il ne connaissait pas la référence mais il était bien coiffé ainsi, non ?
Alors que le jeune homme avait levé les yeux et touchait machinalement sa crinière d’une main, la policière passa devant lui bien décidée à prendre les choses en main. Non loin, ils tombèrent sur une des zones de contrôle qu’elle avait évoquée, verrouillée par des lasers et lourdement surveillée. La jeune femme lui jeta un regard noir, voulant s’assurer qu’il avait pris aux sérieux ses avertissements. Garo répondit par un petit sourire insolent mais ne dit rien.
La porteuse de la Witchblade les fit passer par des chemins de traverses, jonchés de corps et de traces d’affrontements, jusqu’à rejoindre une cour. Là, ils repérèrent une bande de malfrats en patrouille, et Sarah lui fit signe de se taire et de rester discret. Cette fois le fugitif ne sourit pas : une portion de lui commençait à s’agacer d’être ainsi sous-estimé, alors qu’il en jouait peu de temps auparavant. Pensées contradictoires d’un esprit ténébreux.
La patrouille quitta le secteur, et le duo arriva enfin en vue de l’hôtel. Des cadavres encore frais indiquaient ici aussi une fusillade récente. Alors que la policière appréciait les défenses du bâtiment depuis l’intérieur d’un appartement, des véhicules surgirent de nulle part et déversèrent une vague d’assaillants. Aussitôt l’enfer se déchaîna dans un tempête de balles et d’explosions ! Sarah se mordit les lèvres. Comment allaient ils pouvoir atteindre le métro souterrain ? La policière jeta un regard en biais à Garo, semblant attendre un nouveau sarcasme de sa part, mais il n’en fit rien.
À vrai dire, le jeune homme, appuyé contre un mur les bras croisés, était inhabituellement sérieux, et même lui ne s’en expliquait pas la raison. S’était il simplement lassé de se moquer de la jeune femme ? Cela paraissait peu probable : même dans les pires situations il provoquait ses adversaires. Mais … Sarah n’était pas un adversaire, non ? Qu’est-ce qu’elle était alors ? Lui, le loup solitaire, n’avait pas de réponse à cette question, cependant il commençait à réaliser quelque chose d’inconcevable encore quelques heures auparavant : ce que la jeune femme pensait de lui ne le laissait pas indifférent.
“
Tch !”
Musique d’ambianceLe fugitif se décolla soudain du mur contre lequel il se tenait alors qu’un cocktail molotov, atteint par une balle, explosa dans la main d’un des assaillants qui s'apprêtait à le jeter, et embrasa le malheureux ainsi que deux de ses comparses. Le jeune homme désigna la scène de guerre d’un geste brusque de la tête :
“
Cette attaque frontale est stupide. À moins que ce ne soit une diversion pour masquer l’assaut par des angles d’approche différents d’une ou deux escouades supplémentaires, ces crétins vont se faire massacrer. Or leur victoire serait notre meilleur chance.”
Ces yeux jaunes balayaient inlassablement la façade de l’hôtel, notant la position des combattants et leur armement, déterminant les points forts et les points faibles de leur dispositif, calculant les pourcentages de succès des assaillants selon tous les scénarios possibles et imaginables. Son analyse tactique terminée, Garo déplia les bras, fit craquer les muscles de son cou, puis cita un des enseignements qu’il avait reçu au Centre tout en étirant ses bras :
“
Dans le moment qui suit une attaque victorieuse, l’immense majorité des unités ne vaut qu’un tiers - au mieux - de son potentiel théorique. Même si l’attaque ne lui a pas valu de pertes sensibles.”
Mortellement sérieux, il prit une grande inspiration avant de se mettre dans une posture semblable à celle d’un sprinteur attendant le départ d’une course. Sans un regard pour Sarah, il termina sur un ton qui n’admettait aucune réplique :
“
Reste ici. Je vais faire en sorte que ces idiots prennent l’hôtel. À la seconde où ils crieront victoire, fonce ! ça sera notre meilleure chance d’accéder au métro.”
Garo s’élança à l’instant même où une voiture des assaillants explosa dans la rue, frappée par une roquette. Profitant du flash lumineux qui aveugla l’espace d’un instant les combattants, il traversa la rue et atteignit les abords de l’hôtel en un éclair !
Sans ralentir le moins du monde, il sauta vers le panneau de néons qu’arborait le bâtiment, en saisit le bord de la partie inférieure du bout des doigts et se propulsa en hauteur sans un bruit, tel un gymnaste. Forme sombre tournoyante quasiment invisible dans la nuit, il se réceptionna souplement sur le dessus du panneau en position accroupie. En une fraction de seconde, il balaya des yeux les fenêtres de l’hôtel et repéra ce qu’il cherchait !
Sur un balcon, un homme dont une bonne moitié de la face n’était qu’un agglomérat d’implants cybernétiques, réarmait un lance-roquette, tout en étant encadré par d’autres tireurs armé de fusils d’assauts. Le gangster épaula l’arme, et son oeil électronique rivé sur le viseur, il aligna le réticule sur le fourgon blindé des assaillants, bien décidé à leur donner le coup de grâce. Soudain, une mêche de cheveux lui boucha la vue.
”
Putain, que .."
Garo venait de se projeter jusqu’à l’extérieur du balcon, surprenant ceux qui se trouvaient dessus, et alors que d’une main il se tenait au rebord, il frappa du plat de son autre main en plein dans le torse de l’homme qui fut projeté à l’intérieur de l’hôtel. Ce dernier ne comprit jamais ce qui venait de lui arriver : lorsqu’il percuta le parquet moisi, il appuya par réflexe sur la gâchette de l’arme et la roquette partit vers le plafond.
L’explosion pulvérisa la pièce, ébranlant l’immeuble tout entier et projetant les défenseurs encore sur le balcon dans le vide à la grande stupeur et à la grande joie des assaillants. Garo, quant à lui, avait déjà sauté sur un autre balcon du 4eme étage : là aussi, les défenseurs furent pris par surprise quand une tornade de coups les neutralisa en l’espace d’un clin d’oeil, mais Garo ne s’arrêta pas là et fonça à l’intérieur du bâtiment, mettant hors d’état de nuire tous ceux qui lui barraient le passage. Profitant de cet instant de flottement dans le dispositif défensif, les assaillants lancèrent l’assaut et parvinrent à atteindre le rez de chaussée.
Plus haut, le monstre de laboratoire traversait les étages en décomptant à haute voix ses victimes :
“
Douze … Onze … Dix !.. ”
Ce n’était pas là du sadisme : il cherchait à faire pencher la balance en faveur des assaillants mais sans trop leur donner non plus l’avantage afin que leurs rangs soient également diminués au maximum pour faciliter leur infiltration dans le métro. Cette tâche était autrement plus difficile que de simplement annihiler un des camps ! Elle pouvait même être qualifiée de titanesque ! Car Garo n’avait qu’une vision partielle de la situation, et il devait continuellement remettre à jour son analyse tactique en fonction des données qu’il récoltait, tout en se battant contre les défenseurs et en subissant les tirs à l’aveugle des assaillants ! C’était un dangereux jeu d’équilibriste dont la récompense était sa liberté.
Le jeune homme fit passer un énième gangster à travers une cloison et disparut dans un faux plafond, faussant compagnie aux camarades du malheureux. Des tirs le poursuivirent mais le manquèrent largement. Profitant d’un instant de répit, Garo se laissa retomber dans une petite pièce vide et reprit son souffle : son entreprise était bien plus épuisante qu’il ne l’avait imaginé au préalable, aussi bien physiquement que mentalement, et sa peau s’était vite recouverte de sueur. De multiples éraflures - dont une profonde à la joue droite - causées par des éclats recouvraient également son corps, témoignant de la violence de l’affrontement dans le bâtiment.
Un mouvement attira le regard du fugitif, et il s’avança vers une petite lucarne qui donnait sur l’arrière de l’hôtel. Pendant une seconde il ne vit rien, puis il constata que des silhouettes sombres s’avançaient furtivement. Il faillit laisser échapper un sifflement admiratif : finalement les attaquants n’étaient pas si bêtes que ça, même si le timing n’était pas terrible. Avec cette nouvelle vague, les chances de victoire des assaillants étaient maintenant de ...
*Clic*Un bruit familier bien particulier, unique même. Celui d’une grenade qu’on dégoupille. Frisson.
*Clic*Deux grenades désormais. Et toutes près, juste derrière la porte de la pièce dans laquelle il se trouvait.
Dans un mouvement instinctif, Garo frappa la porte d’un violent coup de pied, la propulsant hors de ses gonds : elle percuta de plein fouet l’homme qui tenait une grenade dans chaque main, et il bascula par dessus la rambarde de l’escalier central de l’hôtel. Mais il n’était pas seul, et alors qu’il tombait dans le vide en poussant un hurlement, deux de ses acolytes, qui avaient déjà leurs armes épaulées, ouvrirent le feu en direction de l’intrus : Le fugitif ne put éviter tous les projectiles cette fois, et une balle traversa son flanc droit dans une éclaboussure de sang. Mais cela ne le ralentit pas et il se jeta dans un cri de rage sur les deux importuns :
“
Tsaaaaa !”
Les deux grenades explosèrent quelques étages plus bas alors que leur propriétaire n’avait même pas touché le sol, secouant encore un peu plus le bâtiment, tandis que les assaillants prenaient pieds au rez de chaussée et au premier étage. La fusillade se transformait en un corps à corps ultra-violent : on se battait pour chaque pièce, chaque marche d’escalier, utilisant armes à feux, armes blanches et tout ce qui pouvait tomber sous la main.
L’affrontement atteignait son paroxysme, sa conclusion était proche.