Il ne fait aucun doute qu’il existe un monde invisible. Cependant, il est permis de se demander à quelle distance il se trouve du stand de nouilles et jusqu’à quelle heure il est ouvert. Un homme peut voir des esprits. Un autre entendra des voix. Un troisième, à son réveil, se trouvera en train d’escalader le Kilimandjaro. Lequel d’entre nous n’a jamais, à un moment ou à un autre, senti une main glaciale se poser sur sa nuque alors qu’il se croyait seul ? Pas moi, Dieu merci, mais d’autres ont connu cette sensation.
Qu’y a-t-il derrière ce semblant d’univers que nous appelons réalité ? Ou même devant ? Est-il vrai que seule une minorité d’individus peut prétendre à un destin extraordinaire ? Si vous êtes de ceux qui pensent que les grands destins font les grands hommes, je vous déconseille de poursuivre votre lecture. Mais si vous voyez ce que je vois, si vous croyez en ce que je crois, si vous sentez ce que je sens…c'est-à-dire l’odeur fétide d’un slip sale en putréfaction juste sous votre clavier, alors lisez cette histoire. Immergez vous en elle, buvez chaque syllabe de cet océan de mots, engloutissez unes à unes les nombreuses phrases qui inondent votre écran d’ordinateur et peut être alors qu’au milieu de ces flots de lettres vous parviendrez à percevoir les subtilités et les incohérences de cette histoire… je reviens je vais boire !
Un grand sage a dit un jour que certains individus sont happés par leurs objectifs, comme le fer est attiré par l’aimant et que d’autres sont poussés par une force invisible, comme la corde propulse la flèche. Je pense pouvoir m’avancer sans me tromper en affirmant que ce fut le cas de Yasumasa qui par la force des choses fut propulsé sur le champ de bataille de la vie, là où tigres et dragons s’affrontent, avant même de naître…
Dieu le regardait. Il venait de prendre la décision de remonter au Ciel et d’abandonner les hommes ; Yasumasa n’avait que le temps de s’offrir en lui montrant le sourire de son âme. « Tu seras heureux » lui dit Dieu. Notre héros se tordait les mains « Mais… j’ai quoi en plus pour que vous m’ayez choisi Seigneur ? ». Là-dessus Dieu répliqua : « Rien de particulier. ». Son sourire ayant disparu au profit d’une mine perplexe, Yasumasa le questionna de nouveau « Bah…euh…alors pourquoi moi ? ». Dieu haussa les épaules « Sans raison. » - « Fin… c’est con votre truc. Je veux dire, j’ai forcément un truc en plus… je sais pas moi, je vais pécho de la poulette ? Sortir popole, tremper le biscuit, faire pleurer le colosse ? » - « Crois-tu réellement que copuler avec une femme te mènera au bonheur ? » - « J’sais pas si ça mène au bonheur mais ça m’fera voir les portes du paradis ça c’est sûr ! Hahaha » - « C’est complètement hors de propos ! J… »- « Oh allez le barbu tu vas pas m’faire croire que y’a pas de la coquine là haut ! Comment tu ferais sinon ? Y’a bien un moment où tu leur tape dans l’auréole, où tu donnes l’hostie, hein mon cochon hein hein » Dit-il en jouant du coude avec l’être divin, une œillade complice achevant cet instant burlesque. « Il suffit ! » - « Allez sois sympa raconte moi les détails croustillants !» - Sur ce, un éclair venu tout droit du ciel s’abattit pour interrompre le clochard. « Il suffit ! J’étais venu te transmettre un message divin, est-ce que tu rends compte de la rareté de ce moment ?! Ca n’arrive qu’une fois tous les di… » - « P’tain je suis certain qu’elles ont des gros nibars là-haut ! » Le vieil homme ne put s’empêcher de se masser les tempes « Tu seras heureux lorsque tu te rendras compte de ta propre médiocrité ET NON JE NE SAIS PAS SI LES ANGES PORTENT DES CULOTTES ! » Sans plus de cérémonie, Dieu disparu « P’tain trop balèze, il savait quelle question j’allais poser ! ».
Cet évènement était bien commode : il permettait à Yasumasa de proclamer son insignifiance, la trivialité de son existence et simultanément, de vénérer en lui l’homme heureux qu’il sera dans le futur. Il était élu, marqué au fer rouge du caractère « ordinaire » avant même de n’être extirpé de sa mère : Tout viendrait à force de patience, il n’avait qu’à rester lui-même jusqu’à l’instant fatidique où il sentirait qu’il est finalement heureux.
Y’a de quoi avoir les boules que cette histoire débute ainsi.
Lorsque les yeux du clochard s’ouvrirent sur le monde il réalisa avec stupeur qu’on l’avait ligoté. La tête encore embrumée par les souvenirs de la veille qui vinrent le hanter, il mit du temps à inspecter du regard l’endroit dans lequel il se trouvait. Il ne savait pas réellement où il se trouvait, une cave peut-être… ce qui était sûr en tout cas c’est qu’il n’était pas seule. Attaché derrière lui, au même poteau, se trouvait une jeune fille visiblement apeurée si l’on se fiait à ses reniflements bruyants. Le sans-abri chercha à la rassurer comme il pouvait.
« Bon tu m’aime pas et je t’aime pas mais je pense qu’on peut s’entraider pour sortir de là ! »
« Mais euh… je vous aime bien moi…bouhou…sniff »
« Ah ouais ? Bon bah moi aussi je t’aime bien alors… »