Le quartier de la Toussaint. Le seul endroit dans cette ville pourrie où je me sens bien. Le seul endroit où je ne suis plus obligée de faire semblant, où je peux être moi même. Un lieux peu fréquentable pour une gamine comme moi mais c'est un passage obligatoire si je veux la retrouver. La revoir. Brûlée, mon ancienne maison ne ressemble plus qu'à un vieux tas de ruine. Pourtant, je m'y sens bien. J'ai besoin d'y retourner. Je DOIS y retourner.
J'attends que la vieille (c'est affectif) s'endorme pour sortir de mon lit, et me faufiler hors de sa maison. Cela fait quelques mois qu'elle m'héberge maintenant et sa compagnie est très appréciée. C'est qu'elle est plutôt cool, mamie. Mais pour l'heure, je me dirige vers ma véritable maison, mon chez moi.
Pour sortir, j'opte pour un sweat capuche. Le visage couvert, personne ne peut clairement me voir et donc découvrir mon âge. Mon jean, lui, est bleu foncé et volontairement déchiré au niveau des cuisses. Dans une des poches, un couteau suisse et une lame de rasoir pour accueillir ceux qui auraient décidé de me casser les couilles. L'endroit ne m'effraie plus vraiment mais il grouille de types relous et dégueulasses. Pire même, il arrive que des couples -ou pas- baisent comme des animaux contre les murs crasseux et abîmés par le temps. Mais bon, il faut bien s'occuper.
Capuche sur la tête, je me dirige tranquillement vers le quartier de la Toussaint en prenant soin d'éviter les zones les plus bruyantes. A cette heure-ci de la nuit, les hommes révèlent leurs côtés les plus sombres. Quant aux nanas, elles, -lorsqu'elles sont consentantes- ont une fâcheuse tendance à libérer leur côté salope. Les scènes de viols me mettent particulièrement mal à l'aise et c'est pour cette raison que j'essaie de les éviter à tout prix. Pourtant, une surgit devant moi alors que je ne m'y attendais pas. Comme si elle m'avait trouvée, elle se déroule juste sous mes yeux et je reste immobile, fixant la victime et leurs bourreaux. Ils sont 5. Ou 6. Je n'arrive pas à bien les compter. Ces enflures l'insultent, l'humilient, lui crachent dessus... La traitent comme si elle n'était qu'un défouloir à queue, un vulgaire trou à baise. J'aimerai faire quelque chose pour l'aider mais je ne peux pas. Je suis paralysée, tendue comme un putain de piquet devant eux. Je me remémore toutes ces fois où, moi aussi, j'ai subis le même sort. Ces bâtards méritent qu'on leur casse la gueule... Ils méritent même de finir en prison pour se faire ravager le cul par des taulards. Mes cinq doigts serrent mon couteau suisse mais je suis incapable d'en faire plus. Finalement, je m'enfuis comme une conne et trace, trop honteuse d'agir ainsi.
Au bout d'une dizaine de minutes, je retrouve ma chère maison. Les murs sont noirs, carbonisés et des rats se faufilent entre les décombres pour rejoindre leur nid. Pourtant, cela ne m'empêche pas d'entrer. Pas besoin de pousser la porte puisqu'il n'y en a pas. Je ferme les yeux pour laisser mes souvenirs m'envahir et m'assied dans un coin de la pièce. Je distingue clairement les choses. L'escalier menant à l'étage, le salon, la petite commode où étaient cachés les biscuits, nos chambres... Ma chambre. Impossible d'y accéder puisque les escaliers sont inutilisables. La gorge nouée et une boule au ventre, je commence à me recroqueviller sur moi même pour me laisser aller et pleurer. Quelle vie pourrie. Plutôt crever.