Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Messages - Ozvello Di Luccio

Pages: [1] 2 3
1
L'Art / Re : Le Grand Concours qui fait trembler dans les basses-cours !
« le: samedi 18 avril 2015, 23:54:54 »
Heureusement que tu programmes pas les horaires des avions, hein ? :P

Vingt-quatre heures en avance, félicitations à Darth ! Aux deux autres aussi. C'était finalement plutôt serré.

Sinon, encore une fois, super qualité des poèmes proposés. Il va être encore plus difficile cette fois de faire un choix.

Et donc je rappelle le titre du nouveau sujet de la troisième semaine : le cœur et l'enveloppe. Bon courage ! :D

2
L'Art / Re : Le Grand Concours qui fait trembler dans les basses-cours !
« le: lundi 13 avril 2015, 13:39:36 »
On est sur le même format que la dernière fois (cf le premier message) !  :)

3
L'Art / Re : Le Grand Concours qui fait trembler dans les basses-cours !
« le: lundi 13 avril 2015, 05:48:36 »
Alors voilà, Maelie n'est pas là ce soir, alors je me fais Maelie d'intérim. <3 Hum. Non, ce n'est pas la bonne couleur. Désolé.

Nous sommes vraiment heureux du nombre et de la qualité des participations. Nous craignions un peu que ça n'intéresse pas les gens. Merci de nous prouver (mais avait-il vraiment besoin de le prouver ?) que les membres de LGJ sont des poètes !

Les poèmes que vous nous avez écrit sont donc placés dans le premier message, et vous allez pouvoir voter pour votre préféré, et ce jusqu'à la semaine prochaine !

Mais le concours ne s'arrête pas là ! Une nouvelle semaine, un nouveau thème. Le suivant est donc :

REGARD et de REFLET.

En espérant que cela vous inspire au moins autant !

4
Je promets rien, hein, parce que je suis VRAIMENT mauvaise en vers, surtout s'il s'agit d'alexandrins. Mais j'essaierai.

Ma chère, de douze pieds il n'est nul besoin. :)

5
L'Art / Re : Le Grand Concours qui fait trembler dans les basses-cours !
« le: dimanche 05 avril 2015, 23:46:32 »
Venez, il va y avoir du sport !

6
Le coin du chalant / Re : Ozvello : bottes, rapière, chapeau [OUVERT]
« le: dimanche 07 septembre 2014, 05:09:31 »
J'en prendrais bien un petit nouveau. N'hésitez pas. :)

7
Blabla / Re : Horloge parlante
« le: mercredi 03 septembre 2014, 11:47:27 »
Je ne résiste pas à l'envie de venir me pavaner ici avec ce nouvel avatar sur-mesure. Joie.

11h48. Bon matin ! :)

8
One Shot / Re : Les premiers martyrs du faste [Malk]
« le: jeudi 01 mai 2014, 01:38:05 »
Ils auraient pu le savoir, eux tous. Elle était la seule qui le savait avant tout le monde. Bien avant que cela arrive, elle l’avait déjà senti. Elle était capable de sentir ce genre de chose : les déformations, les anomalies. Il y en avait toujours, des bizarreries dans la matière, de petites réactions ici et là qu’on était tentés d’appeler magie. Mais cette impulsion là avait été différente. Si puissante qu’elle l’avait vue venir bien en avance, bien avant qu’elle ne déferle sur la réalité. Si puissant que cela l’avait touché au plus profond de son être, et qu’elle l’avait paralysée, de stupeur et d’effroi, pendant de nombreux jours.

Lorsqu’elle avait retrouvé la parole, la veille, elle leur en avait bien parlé, pourtant : elle avait essayé de leur dire, le plus sincèrement possible. Elle avait crié, elle avait hurlé. Ils auraient pu le savoir, et alors, ils auraient tous été encore en vie. Ils se seraient enfuis à temps, ils auraient échappé au massacre. Elle leur avait hurlé, mais ils ne l’avaient pas écoutée. Ils ne l’écoutaient jamais. Ils ne l’entendaient jamais, en réalité. Ils avaient toujours été sourds à ses appels : elle n’avait jamais eu de prise sur tous les membres de cette famille qu’elle connaissait maintenant si bien. Cette famille, c’était comme sa famille, elle avait toujours voulu en faire partie. Elle avait un père, deux sœurs et un frère.

Enfin, il y avait Tizio. Tizio n’était pas comme un frère. C’était différent, et plus fort. Tizio était l’exception, comme une part d’elle-même, l’extension de son être. C’était le seul avec lequel elle avait toujours pu communiquer, et le seul qui la rattache au monde réel. Elle ne savait pas ce qui arriverait si Tizio disparaissait. Elle n’avait pas envie que cela arrive, elle avait peur. Elle avait pourtant l’habitude de parler avec Tizio : elle lui parlait souvent... sauf dans les jours qui avaient suivis sa découverte, où elle avait été trop troublée pour s’adresser à lui.

Son mutisme avait inquiété le garçon, bien sûr. Il était devenu plus froid et plus paranoïaque encore. Elle savait que la plupart des membres de sa famille ne l’aimait pas beaucoup, le trouvait étrange et désagréable. Elle savait que c’était de sa faute. Elle n’avait pas choisi d’exister, d’être ce qu’elle était. Elle avait eu longtemps l’impression de n’être qu’un parasite, un poids mort qui l’empêchait d’avancer, de vivre une vie normale. Mais il n’y avait pour elle aucune échappatoire possible. Elle n’aurait même pas été capable de l’abandonner, si elle l’avait voulu. Elle pouvait se détacher de lui un moment, cependant, elle était toujours contrainte de lui revenir, inexorablement.

Puis elle était parvenue à discuter au matin, avec lui. D’abord, Tizio ne l’avait pas crue. Il pensait à une plaisanterie. Elle s’était alors mise à regretter toutes les blagues qu’elle avait faites jusqu’ici. Il avait raison de penser qu’il aurait pu s’agir d’un canular, car ses facéties avaient été une multitude. Elle ne comptait plus les heures où elle avait, dans sa jeunesse, cherché à ridiculiser son alter-ego. Il s’était retrouvé dans d’innombrables situations ridicules, par la faute de ses badinages parfois mesquins. Leur lien s’était ensuite fait plus fort, néanmoins, il avait toujours continué à s’en méfier.

Finalement, il avait réussi à percevoir la vérité. Il n’avait pas tout compris. Une partie de la vérité seulement, et cela avait suffi pour que la terreur l’assaille, coupant de nouveau court à toute forme de communication. Si seulement Tizio avait pu entendre tout son discours, alors peut-être il serait parvenu à agir autrement. Mais elle n’avait pas de lèvres pour parler comme les humains parlent... ou plutôt les siennes étaient-elles immatérielles. Elle ne pouvait faire aucun bruit. Elle n’avait pour tout mode d’expression, imprécis et implacable à la fois, prompte à générer les émotions les plus vives et les plus fatales, que la capacité de faire jaillir des images dans l’esprit. Dans l’esprit et sur les murs, lorsque sa silhouette se détachait.

Sa silhouette était la même que Tizio ; presque, car cela dépendait de l’heure. Elle était son ombre, après tout.

Elle n’était pas toujours collée à lui, et c’était vrai en cet instant. Car lui était resté dans la cour, et elle était allé explorer les environs. Elle avait assisté, impuissante, à la mort rapide et brutale de Numyë, la centaure que Tizio aimait tant. La seule capable de le comprendre vraiment, et la seule qui avait pour lui du respect. Elle n’avait pas voulu le lui dire, elle ne lui avait pas encore dit. Elle ne lui dirait que s’il était sur le point de faire une bêtise. À cette distance, il ne pouvait pas lui poser de question, seulement recevoir ses réponses. En revanche, elle lui signifia clairement la mort des trois autres terranides.

Le plus jeune était mort très vite. Les deux autres s’étaient battus vaillamment, mais cédaient du terrain sous les assauts. C’était un hurlement d’agonie qui était venu confirmer ses propos, celui de Talmide, qu’on aurait pourtant cru capable de briser une montagne, mais qui avait ployé sous le nombre. Shney ne s’en était pas mieux sorti. Il n’avait jamais aimé ni l’un, ni l’autre : pas de haine, plutôt de l’indifférence. Cela n’eut pas l’air de l’émouvoir beaucoup. Il savait aussi déjà que sa sœur aînée était perdue, que c’était trop tard pour la sauver. Là aussi, elle le sentait toujours impassible : elle n’était pas certaine que, même si cela avait été possible, il aurait entrepris quoi que ce soit en ce sens. Son frère et son père, eux, étaient pour l’instant toujours en vie. L’information ne l’avait même pas intéressé.

Tout-de-même, il avait bien vu deux choses, et elle le savait : une créature qui, de toute sa difformité rampante, s’approchait de lui. En face de lui, il y avait Stella. À travers ses oreilles, elle entendit la jeune fille hurler à son jumeau, sa voix pleine de sanglots :

« Tizio ! C’est affreux... c’est vraiment affreux... Il faut que tu fasses quelque-chose. Dis lui de faire quelque-chose ! Je t’en supplie. »

Elle avait alors vu le démon non-loin, s'égosillant en un borborygme affreux, et s’était arrêtée nette, ne sachant plus dans quelle direction aller.

« Prends ma main » lui avait-il alors ordonné, glacial mais d’un ton posé qui pouvait être rassurant, fuyant toujours le monstre.

Il commençait lui-même à avoir peur, et son ombre le sentait. Il avait besoin d’informations sur sa propre position. Plus que cela, il avait besoin d’elle, tout-de-suite. Elle était alors revenue vers lui : en un clin d’œil, elle y était. Lorsqu’il s’agissait de remonter le lien vers lui, l’obscurité dont elle était faite pouvait égaler en vitesse la lumière. La bête cauchemardesque était alors sur le point de les atteindre. Elle ne le put.

La nébuleuse les avait enveloppés : les deux jumeaux s’étaient alors drapés de ténèbres. Leurs corps devenus sombres s’étaient détachés de la matière, atteignant un autre plan d’existence dont l’ombre était la projection. Un instant, ils n’existèrent plus pour ce monde que sous la forme d’une tâche sombre. Les choses tangibles, et toutes les forces physiques et de la nature, pendant une fraction de seconde, n’eurent sur eux plus aucune emprise. Elles ne regagnèrent leur droit sur leur corps que lorsqu’ils eurent tout deux traversés l’épais bois de l’étable.

Tizio s’était alors précipité pour sceller la porte en faisant passer dans les poignées le manches d’outils dont on se servait pour remuer le foin. Les murs du fenil étaient solides, récents. Profitant des bonnes récoltes, ils avaient été rebâtis il y a peu, de façon à résister aux météo les plus violentes et aux incendies qui prenaient facilement dans la paille. Les seules fenêtres étaient trop petites pour laisser passer une des créatures aux appendices mortels. Ils seraient en sécurité pendant un petit moment.

D’autres avaient moins de chance. Dazio, constatant avec effroi le trépas des deux combattants bien plus expérimentés que lui était également revenu vers eux, suivant les pas de sa sœur. Il voulait encore la protéger, mais il n’eut que le temps de la voir disparaître à travers la paroi avec l’obscur personnage qu’était son frère. Tapant à une des fenêtres, il s’enquit :

« Vous êtes là ? Il les aperçut par l’entrebâillement. Merde, Tizio, fais moi rentrer. Ils sont derrière moi. Tizio ! Merde ! »

Le jumeau n’avait même pas semblé l’entendre. Il était tourné vers Stella, toujours tremblante, mais qui parvint à articuler :

« S’il te plaît... fais le rentrer. S’il te plaît, Tizio.
Je ne peux pas. Je suis désolé
, répondit-il, les lèvres pincées. »

L’ombre savait que c’était faux, et qu’elle aurait pu aller le chercher lui aussi. Toutefois, elle n’était plus sûre d’elle-même. Son jugement l’avait conduit jusqu’ici à permettre un drame. Elle ne pouvait plus s’offrir le luxe de ne plus écouter la volonté de son alter-ego. Se fier entièrement à lui, c’était à ses yeux la meilleure chose à faire. Elle lui devait bien ça : alors elle ne fit rien.

« Merde, merde, merde, Tizio ! »

L’aîné, comprenant que les portes de l’abri lui étaient fermées, avait alors attrapé une fourche qui était appuyée sur un des murs. Il la brandissait comme une lance, instrument dérisoire, face aux démons qui arrivaient vers lui. Il devait se sentir encerclé et perdu.

Son attitude et sa bravoure, sa détermination à se battre jusqu’au dernier moment lorsque la mort venait, sans se laisser troubler par les circonstances, ressemblait à celle de son père. Le vieil homme, l’ombre l’avait vu lui aussi, avait pris l’épée familiale qui reposait au-dessus de la cheminée, et qui était tout juste aiguisée. Il était sorti de sa maison, et avait pris la direction du fleuve, où se baignait sa fille la plus âgée. Il pensait peut-être avoir encore un espoir de la sauver.

9
Les contrées du Chaos / Re : Le Torrent [Laura]
« le: mercredi 30 avril 2014, 16:58:00 »
Qu’aurait fait un bretteur aguerrit en une telle situation ? L’adolescent s’interrogeait, se demandait ce qu’aurait fait dans un tel cas son frère aîné. Son éducation était excellente, à n’en point douter, elle avait passé en revue toutes les connaissances nécessaires pour un marchand de bonne famille, et pour le noble plein d’honneur qu’il était destiné à être. Mais la magie, elle, n’avait pas été jugée par ses aînés comme un sujet indispensable à son cursus. La gestion des affaires était bien trop prenante et riche en elle-même, et la sorcellerie était bien trop complexe : il fallait y passer des années pour en savoir les rudiments seulement. Même quelqu’un de vif d’esprit se devait de faire des choix, l’on ne pouvait être expert en tout. S’il était resté à Castelquisianni, il aurait eu un conseiller dédié à ce type de question, et n’aurait eu à se préoccuper que des finalités.

L’ambiance se faisait inexplicablement de plus en plus lourde et de plus en plus inquiétante. Ses oreilles se perdaient à savoir si ce qu’elles entendaient était ou non le fruit de son imagination, qu’il avait toujours eu fertile. C’était en cet instant un défaut majeur. Il aurait été préférable, songea-t-il, d’être dans ce type de situation beaucoup plus cartésien. Un homme avec seulement du bon sens et très peu de fantaisie s’en serait sans doute bien mieux sorti que lui, car il aurait su ne pas disposer de suffisamment de créativité pour engendrer sans source extérieure de telles impressions. Mais le bretteur se devait d’agir seul ; par défaut, il se devait s’efforcer au mieux de faire usage de sa raison. Une première chose lui passa par l’esprit :

« Nous devrions prendre garde à ne pas nous séparer. Il me serait difficile de vous porter secours si... » commença-t-il en se retournant.

Il chercha Laura des yeux, et se rendit compte que celle-ci avait déjà gravi les marches de l’escalier, et se trouvait vraisemblablement au premier étage. Perdu dans une analyse introspective rigoureuse, il ne l’avait même pas entendu annoncer son départ. Il fronça les sourcils et se renfrogna un peu, passant par un bref moment de panique. Où était-elle passé ? Comment était-il donc supposé la protéger si elle n’en faisait qu’à sa tête ? Ne voyait-elle donc pas qu’ils se trouvaient dans un environnement plus que suspect ? La jeune femme était d’une témérité si stupéfiante qu’après l’avoir surpris et outré, elle le rassura presque. Après tout, elle avait encore moins de biais pour se défendre que lui... alors il serait risible de sa part, lui qui était armé, de ressentir plus d’angoisse qu’elle.

« Vraiment, ce serait une chose ridicule » murmura-t-il pour lui-même.

Il allait la rejoindre en toute hâte, sans prendre garde lorsqu’il entendit l’imprudente redescendre. Elle n’affichait toujours pas  de  signe de grand malaise, et cela le calma. L’étage était peut-être sûr, après tout. Il voyait son regard bleu, sans aucune trace, ni de malice ni de peur, et il ne pouvait aussitôt plus lui, ni lui en vouloir, ni éprouver d’inquiétude. Tout était beaucoup plus rassurant lorsque l’on était plus tout seul dans le noir. Il attrapa la bougie qui brûlait encore et accepta son aide, en répondant :

« Volontiers, je préfère être à vos côtés jusqu’à être complètement persuadé que rien en ces lieux ne se dissimule à notre vue. Deux personnes sont plus difficiles à surprendre qu’une seule. »

Pourtant, les quelques secondes qui suivirent le glacèrent. Sa certitude qu’il y avait une présence à les observer refit aussitôt surface. Il ne voulait pas trop se montrer fébrile, mais il craignait à tout moment une attaque dont il ne connaissait pas la nature... ce qui rendait l’éventualité plus accablante encore. Dans chaque recoin sombre semblait se cacher un monstre prêt à bondir sur eux. Un monstre, au final, ça ne l’aurait pas dérangé ! Mais qu’il se montre, de suite, et sans le faire attendre ! Bon sang, c’était surtout cela, l’angoisse de se faire prendre par surprise, sans savoir quand, sans avoir où, tout en étant persuadé que cela arriverait. L’attente était anxiogène, et Ozvello tentait au mieux de percer les ténèbres à l’aide de la seule minuscule flamme qu’il avait à disposition.

« Voyons, si ces paysans sont assez fortunés pour posséder une boîte à musique, ils devraient l’être également pour disposer du temps d’entretenir leurs intérieurs. L’évidence même est que cet endroit est inhabité depuis une durée déjà substantielle. Il y a certainement un élément qui nous échappe ! Je le pense malsain, sans doute une créature, peut-être un esprit ou une fée malveillante. Les récits sur les tourments qu’ils infligent aux voyageurs sont légions. Il faut espérer qu’il ne représente pas trop de danger. Il n'y à rien à craindre ! Je, ah ! Voilà ! »

Un bruissement plus fort que les autres, une porte qui s’ouvrait, lui fit tirer sa dague. La lame courte brillait, à demi-sortie de son fourreau, le regard du bretteur attentif et nerveux au plus infime mouvement douteux autour de lui. Il distingua rapidement la silhouette dans l’entrebâillement de la porte. Il s’agissait d’une jeune femme, qui ne devait pas être plus âgée que Laura, et qui avait une grâce presque équivalente, si ce n’était qu’elle était beaucoup moins soignée.

« Nous vous entendons, en effet... en doutiez-vous ? » répondit rapidement l’adolescent.

En fait, l’état d’hygiène dans lequel elle se trouvait faisait même peine à voir. Sa voix était étrange, mais elle avait au moins le mérite de communiquer. Ozvello sentait son cœur ralentir un peu, et l’adrénaline qui lui faisait bouillir les veines redescendre. D’accord, c’était une paysanne négligée et louche. Il pensait pouvoir faire face dignement à une telle menace... même s’il était encore convaincu que quelque-chose n’allait pas, sans pouvoir dire quoi.

« Votre demeure n’est guère rassurante, cependant... nous devons nous excuser pour y avoir pénétré sans votre autorisation. Nous avons frappé mais, sans réponse, nous pensions que l’endroit était inhabité. Nous sommes des voyageurs en route pour Castelquisianni, et nous aurions souhaité faire escale en votre demeure. Nous disposons bien sûr de toutes les ressources pour vous dédommager de votre hospitalité. »

Le bretteur, qui était poli, sourit en réponse à l’air amical de son interlocutrice. Amical n’était peut-être pas tout-à-fait le mot... mais la volonté de le paraître, elle, était bien présente. C’était à peu près tout ce qui comptait, même si la sincérité aurait été plus apaisante. Il rangea son arme et n’y toucha plus. En lieu et place, il se détacha légèrement de Laura, et salua comme il le put. Il fallait se montrer simple avec les petits gens, et cela ne lui était malgré tout pas sorti de l'esprit.

« Je manque à l’étiquette. Je suis Ozvello Di Luccio, et c’est un plaisir de faire une rencontre si charmante ! C'est là une chance qui m'est donnée pour la seconde fois aujourd'hui. »

Il adressa un regard en coin à la jeune femme, l’appelant à se présenter elle-même en détails. Après tout, il ignorait jusqu’à son nom de famille, et la manière dont elle préférait se montrer lui était tout aussi inconnue. C’était pour un castelquisian un élément très personnel.

10
One Shot / Re : Les premiers martyrs du faste [Démons]
« le: lundi 28 avril 2014, 21:34:53 »
« Vous vouliez me dire quelque-chose, monsieur ?
Ça va, tu n'as qu'à m'appeler Dazio, comme tout le monde, viens. »


Il avait emporté ainsi le jeune terranide avec lui, en lui répondant d'un ton à la fois sympathique et rude, alors que Stella s'éloignait, et que les deux esclaves continuaient leur dur labeur. Un labeur qu'ils auraient fait sans se plaindre jusqu'au midi, même si l'aîné des fils Pohel n'était jamais revenu les aider. Mais il n'y comptait pas : le détail qu'il avait à régler promettait d'être bref. Dazio se promettait d'être de retour dans moins de deux minutes.

Comme son père avant lui, il avait toujours pris le travail de la ferme, comme le travail en général, très au sérieux. S'il avait pu, il n'aurait jamais pris d'ouvrier pour cela, et tout fait lui-même. On était jamais mieux servi que par soi-même, pensait-il sans concession. Toutefois, les affaires avaient trop bien marché, ces derniers temps, et ils avaient du faire des concessions. Son géniteur avait fini par le convaincre. Avec la meilleure volonté du monde, son âge et ses rhumatismes ne lui permettaient plus de l'aider comme il l'aurait fait.

S'il n'y avait pas eu les esclaves, il n'y aurait eu que les dames de la maison pour l'assister. Les dames de la maison, et son imbécile de petit frère. La famille comptait plus que tout pour le jeune homme : son père, ses sœurs, la ferme dont il hériterait... Mais lui demander d'aimer son petit frère, c'était pour lui une chose trop difficile. Il le tolérait seulement parce qu'il partageait avec lui son sang. En dehors de cette obligation, jamais il ne se serait lié d'aucune manière avec lui. Ils étaient de tempérament trop différents.

Le plus jeune des frères n'avait aucune force physique. Il souffrait à soulever la moindre botte de foin, et s'y refusait le plus souvent. Cela, Dazio aurait pu lui pardonner, car il pouvait comprendre que la nature l'ait fait frêle, et qu'il n'y pouvait pas grand-chose. Il y avait néanmoins quelque-chose à ses yeux d'infiniment plus grave, et c'était que Tizio n'avait aucun goût pour le travail. Le garçon se contentait d'aller et de venir, tous les jours et de flâner, grognant et s'enfuyant lorsqu'on lui confiait une tâche. Il n'était pour lui qu'un bon-à-rien désagréable, malpoli, malhonnête, obscur, et notablement paranoïaque. Il ne lui aurait pas confié la moindre chose de valeur.

Et il y avait une chose qui avait pour lui une valeur particulière.

« D'accord garçon, on va se parler franchement. Quelles sont tes intentions, exactement ?
Euh, c'est-à-dire que... travailler avec vous jusqu'à la fin de l'été... est-ce bien cela qui est prévu ?
Arrête de faire l'imbécile. J'ai bien vu qu'elle te regardait. »


La voix du fils de fermier s'était faite soudain beaucoup plus dure, ayant attendu qu'ils soient à l'abri des regards pour afficher un visage fermé, presque menaçant. L'incrédule terranide en face de lui, témoin du changement, restait stupéfait et manifestait les signes d'une nervosité croissante. Il n'assumait même pas la faute qui lui était reprochée, et cela agaçait beaucoup son interlocuteur.

« Je-je ne vois pas que qui... de quoi... vous parlez...
Tu ne poseras pas de tes sales pattes de bouc sur ma sœur, on est bien d'accord ?
J... euh...
BORDEL, dis le.
Oui, bien sûr Dazio.
C'est monsieur pour toi. »


Le sans commençait à monter aux joues du jeune homme qui rougissait sous le coup de la colère, et d'un ton qui montait crescendo. Il y avait un implacable sérieux, sans aucune légèreté ni même complaisance, dans la manière dont il réprimandait Eolin. S'il n'avait pas eu les bras le long du corps, on aurait pu s'attendre à ce qu'il se mette à le frapper. Il se contentait pour l'instant de serrer les poings. Il n'avait rien de concret, pas de preuve manifeste pour justifier un comportement violent. Il se disait que s'il était assez impressionnant, assez effrayant même, il n'aurait pas à le faire, alors il y mettait du sien. C'était pour la bonne cause ; c'était son devoir de frère. Il était presque obligé de jouer les durs.

« C'est pas en te donnant des airs que tu vas t'intégrer ici. Tu crois quoi, qu'on a besoin d'un beau garçon à la ferme ? Non, et ne crois pas que je vais me laisser avoir par ton genre de timidité apparente. Je ne comprends même pas comment on t'ai choisi. Tu vois Talmide, tu vois Shney ? Tu te vois toi ? Est-que tu penses sérieusement que... »


Un cri ne le laissa pas terminer sa remarque assassine. La voix de sa sœur, il l'aurait reconnue entre mille. Il se retourna en direction du champ où elle était partie, un air furieux au visage, car il tolérait mal la surprise lorsqu'il était énervé. Il fronça les sourcils lorsqu'il vit la masse musculeuse du terranide tigre se précipiter en suivant une ligne droite.

« Qu'est-ce qu'il fout ? Il se passe quoi ? » demanda-t-il, furibond, sans s'adresser à personne en particulier.

Il jeta encore un regard noir à Eolin, mais son attention était déjà ailleurs, sur cette silhouette informe sur laquelle Shney venait de bondir. Stella revenait vers eux. À cette distance, il était incapable de voir les détails de son visage, mais la panique de sa jeune sœur était évidente. Les échos de l'avertissement du tigre qui résonnaient jusqu'à lui finirent de le mettre en état d'alerte générale.

« Merde, ramène-toi » il ordonna à l'esclave.

Hors de question qu'il l'attende toutefois, et s'il l'entendait courir derrière lui, il avait déjà pris un peu d'avance et ne se laissait pas rattraper. Il voulait prendre sa sœur dans ses bras, et lui dire que tout allait bien aller. Il ne faisait pas confiance à grand-monde, mais il croyait savoir que Shney était plus dangereux que n'importe qui d'autre dans cette ferme.

Pourtant, un sentiment désagréable l’assaillit, et il finit par faire volte-face. Juste à temps pour constater l'horreur : Eolin, à quelques pas de lui, venait de se faire renverser par un autre monstre. Ce dernier ne laissa aucun répit à l'esclave, et à peine une seconde pour avoir peur. Déjà, le jeune terranide était étendu dans la marre de son propre sang, le haut du corps broyé par une arme impressionnante de rapidité et de puissance. Il n'avait même pas eu le temps de crier, tout juste de gémir lorsqu'il s'était retrouvé à terre. Dazio n'avait même pas eu le temps d'avoir pitié de lui. Il détourna la tête. C'était terminé, Eolin était mort, et le monstre avait continué sa route avec un braillement surnaturel et qu'il n'identifia même pas comme possédant les sonorité de sa langue.

Désorienté, son premier réflexe fut de se retourner à nouveau vers sa sœur qui s'était arrêtée. Le monstre qui avait terrassé le jeune esclave lui barrait la route, alors que deux autres l'encerclaient pas les côtés.

Plus loin, il voyait Shney donner de nouveau l'assaut à un quatrième intrus. Il était incroyable en soi que celui-ci soi encore debout après la charge qu'il avait du encaisser. Le tigre n'avait maintenant plus d'élan, et son combat s'était fait plus technique. Plus technique encore que Dazio ne l'aurait cru. Où avait-il pu apprendre de telles postures ? Cela ne correspondait en rien à ce que l'on pouvait attendre d'un simple ouvrir agricole, même d'une force titanesque. Le terranide tournait, à la fois prudent et agressif, tout en faisant toujours barrage de son corps à la bête. Ils étaient assez éloignés de lui, à l'extrémité du premier champ.

Dazio n'avait pas d'armes. Il y en avaient plantés dans le dos de la créature la plus proche de lui ; mais il doutait de pouvoir l'atteindre. Il n'avait reçu qu'une formation rudimentaire au corps à corps, pour se défendre contre les brigands. Le jeune homme était assez costaud et agile pour emporter une bagarre contre les autres garçons de ferme, un et peut-être même deux, mais c'était là une autre affaire. N'écoutant que son courage, il allait tout-de-même se précipiter, à mains nues, sur le démon.

Puis un sifflement retentit à ses oreilles, bref et aigu. Il reconnut le bruit d'un carreau d'arbalète. La pointe de métal pénétra la tête du monstre qui faisait face à Stella, et resta logé quelque-part à l'intérieur. Miguel Pohuel avait toujours été un excellent tireur. Son fils se doutait qu'il devait être là, son arme appuyé sur le rebord d'une fenêtre, en train de viser encore de ses yeux qui ne lui avaient jamais fait défaut. 

« Merci papa », murmura-t-il.

Profitant de sa chance, le jeune homme tira de toutes ses forces sur l'un des pics enfoncés dans la chair de l'abomination. Il se retrouva armé d'une lance rudimentaire, assez longue pour garder un peu de distance. Pourtant, il n'en fit rien, et entreprit de la replanter aussitôt dans le corps de la créature blessé, visant l'espace entre sa tête et ses épaules déformées. Cela constituait un point vital pour un humain, qu'un trait d'arbalète aurait déjà du faire expier... mais comment en être sûr avec de telles horreurs ? Il espérait que Shney s'en sortirait. Il ne connaissait au monde qu'une seule personne possédant plus de puissance encore que le tigre...

C'était ce nouveau combattant,  d'une incroyable corpulence, qui fit son entrée. Le sol tremblait sous les pas de Talmide et de sa demi-tonne de muscles et de graisse. Il n'avait jamais eu d'entraînement particulier, lui, et cela était évident. Il était également évident qu'il n'en avait aucun besoin. Sa faux dans sa main énorme, dont la lame devait pourtant faire plus d'un demi-mètre, paraissait minuscule. Cela non-plus, il ne paraissait pas en avoir besoin. Il fonçait, bipède mais tête baissée sur l'un des assaillants latéraux. Ses cornes étaient des armes plus solides et plus fiables que la meilleure des lames. Des millénaires d'évolution, de combats entre mâles, les avaient rendues presque indestructibles.

Avec une force démente, il entreprit d'emboutir le buste du démon, et l'empaler et le soulever pour mieux l'écraser contre le sol, et contre toute sa masse bovine. Peut-être ne parviendrait-il pas à cela... mais peut-être parviendrait-il à créer une diversion suffisante, une brèche, pour que la jeune fille puisse filer. Dazio, son arme de fortune serrée dans ses poings crispés, défendrait sa sœur avant même de songer à défendre sa propre vie.

*
*       *

Lorsqu'Elea Pohuel allait se baigner, comme elle le faisait tous les jours, elle espérait à chaque fois que quelque-chose de spécial allait se passer. C'était un fantasme qu'elle entretenait depuis maintenant longtemps. Elle y pensait souvent, sans jamais vraiment se l'avouer. Pourtant, rien ne lui aurait fait plus plaisir qu'un beau jeune homme la surprenant, par le plus curieux des hasards, dans son plus simple appareil. Qu'auraient-ils fait alors ? Elle ne le savait pas vraiment, car elle ne se voyait pas comme une fille facile, même si elle s'en donnait parfois les airs. Mais la perspective avait pour elle quelque-chose de terriblement tentant, de terriblement excitant. Lorsque les images lui défilaient dans la tête, elle sentait son ventre comme se nouer : comme se nouer sur un vide.

À dix-huit ans, elle était dans un âge où les jeunes filles se fiançaient, et commençaient même à songer mariage. Pour elle, rien de tout cela à l'horizon. Hélas pour ses ambitions amoureuses, elle avait hérité d'un grand-frère particulièrement protecteur. Celui-ci n'avaient encore jamais trouvé de prétendant à son goût, et avaient repoussé fermement tout ceux désirant s'approcher d'elle.

Ils étaient nombreux, car pour une fille de fermier, elle était tout-de-même admirablement faite. Bien sûr, elle n'avait pas la candeur juvénile et entraînante à la fois de sa jeune sœur, mais elle avait bien d'autres atouts. Son corps, tout en restant mince et en apparence fragile, était plus généreux, ses seins plus ronds et plus volumineux, ses hanches plus larges, abritant un pubis couleur de feu. Elle contemplait souvent pendant plusieurs minutes son reflet dans l'eau, songeant qu'il ne faudrait qu'une quinzaine d'années, peut-être moins, pour que ce corps si beau se flétrisse et devienne à tous insipide.

Elle était déterminée à trouver le père de ses enfants bien avant ce funeste jour. Le fils de la ferme voisine – à deux kilomètres de là – ou même Eolin, le nouvel esclave aux yeux si bleus... un homme libre ou un esclave, un humain ou un hybride... elle aurait accepté n'importe qui d'assez romantique à ses yeux. Une maison, une marmaille, elle avait tant de projets ! Tant de projets que son frère repoussaient tous. Elle s'était mise en colère plusieurs fois contre lui... rien n'y avait fait. Elea ne pouvait lui en vouloir. Il était son frère, le plus grand de ses frères, le plus vaillant de ses frères, le meilleur de ses frères, et c'était son devoir de frère. Elle se rassurait en pensant que Stella, dans le domaine, ne s'en sortait pas mieux qu'elle.

C'était en se regardant, encore, qu'elle avait compris que quelque-chose n'allait pas. Pas chez-elle ; elle était toujours resplendissante, mais dans l'aspect du fleuve. Une expression d'horreur au visage, elle se détourna et se rhabilla à la hâte. Il fallait qu'elle prévienne son père. Tizio avait fait une crise d'angoisse le matin même, alors qu'il devait aller chercher Eolin. Il avait fallu l'allonger, et il s'était relevé bien plus tard, encore paniqué, mais comme résigné. C'était la même angoisse primale que ressentait alors Elea.

Juste avant que cette angoisse ne se transforme en peur. Elle étouffe, elle sent un contact sur son corps, et plusieurs. C'est visqueux et implacable à la fois. On la tire, on la renverse : on lui arrache la robe qu'elle venait de revêtir, on la traîne dans la vase, dans cette vase si dégoûtante. Elle peine à reprendre son souffle, la panique rendant sa respiration aléatoire. Lorsqu'enfin un peu d'air arrive à passer la barrière de sa gorge, elle l'utilise pour hurler. Une seconde plus tard, elle manque à nouveau d'oxygène. Elle tente de se débattre, mais a peur de toucher quoi que ce soit. Elle brasse dans le vide, tente de s'accrocher à n'importe quel support tangible et sûr. Elle n'en trouve pas. La spirale s'arrête, finalement. Elle est trempée, nue, et l'odeur de poisson mort s'est accrochée à sa peau.

Pourtant, elle rampe, poussée par un instinct de survie. Elle la sent toujours, pourtant, cette horrible chose, quelque-part, non-loin, en dehors de son champ de vision. Elle lui est presque reconnaissante de ne pas se montrer. Elle ignore si elle supporterait la vision de ce qui était déjà si effrayant au toucher. Elle n'est plus en mesure de réfléchir correctement, elle revient à des croyances d'enfants. Peut-être que si elle le la voit pas, elle ne la verra pas non-plus. Son cerveau s'embrouille. Elle rampe, elle gémit. À quatre pattes, ses genoux deviennent bruns de boue. Ses bras tremblent, et elle paraît être à peine encore capable d'avancer. Elle avance, mais son avancée est lente, fébrile.

« S'il vous plaît... à l'aide... »

Son appel se perd au fond de sa gorge. Elle toussote. Elle réalise que son appel n'en était pas un ; qu'il ne s'agissait guère plus que d'une supplication, tout juste murmurée.

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One Shot / Re : Les premiers martyrs du faste [Démons]
« le: dimanche 27 avril 2014, 21:44:52 »
La journée s'annonçait comme toutes celles avant elles : travail aux champs depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, avec deux pauses assez généreuses aux heures des repas. C'était la vie que menait depuis une quatre saisons déjà Shney Ajay Avinash. Cela faisait quatre saisons, déjà, que ses titres, comme le reste de son nom, avaient été oubliés.

Il n'était plus que Shney. Shney le tigre, ou plus couramment Shney le chat (car peu nombreux étaient ceux qui connaissaient l'espèce dont il partageait l'ascendance). Mais les félins n'étaient pas des animaux mis en cage, eux. Ils ne pensaient pas en faire partie, il ne le pensait plus. Il avait aussi le droit au titre de « garçon » qu'on lui donnait affectueusement ici, même s'il avait dépassé les trente-cinq printemps. Shney l'esclave était pourtant ce qui se rapprochait le plus de la vérité.

Il était un esclave : un parmi d'autre. Lorsqu'il ne serait plus assez fort pour travailler, peut-être aurait-il la chance de travailler comme reproducteur, car son potentiel génétique était intéressant. Toutefois, un esclave incapable de travailler ne durait jamais très longtemps, usé par la vie de labeur. Dans sa vieillesse, rien ne justifierait que l'on s'occupe de lui, et peut-être même qu'on le nourrisse. Bien vite, les maux de l'âge et de la besogne auront raison de son endurance déclinante. À sa mort, il n'y aurait personne pour le pleurer.

« Le cri du mérou ?
« Bignolles »... ?
Hehehe. »


L'homme-taureau, en dépit de la piètre qualité de sa plaisanterie, et du fait qu'elle était bien connue, riait quand même. Il fut rapidement rejoint par son camarade, qui se mit à pouffer à son tour. Il abandonna sa tâche une seconde pour lui taper vigoureusement dans le dos. Bien évidemment qu'il la connaissait, cette blague : Talmide avait du la lui raconter au moins trois fois depuis le début de l'année.

Il fallait comprendre le minotaure. Les blagues étaient rares, et le renouvellement ne pouvait se faire que lorsque tous les esclaves étaient ensemble, lors de la traversée. Certains maîtres racontaient parfois des histoires à leurs esclaves. Mais surtout, Talmide était un bon camarade. C'était ce qui comptait avant tout. Il pouvait bien raconter les choses les plus sordides, la camaraderie était une magie puissante. Elle rendait tout plus facile à supporter. L'on supporte tout, lorsqu'on est pas le seul à devoir le faire.

Ses mains énormes et griffues maniaient la faux avec une certaine dextérité ; ses bras, très longs et aux muscles puissants ne se laissaient pas décourager par l'effort, et répétaient le geste, inlassables. Il ne s'en était jamais plaint, et l'idée même lui aurait parue saugrenue. Il avait connu pire... et surtout, il était persuadé d'avoir eu ce qu'il méritait, et peut-être même davantage. La vie de la ferme, ça n'était rien.

« D'ailleurs, c'est quoi -exactement- un mérou, au fait ?
Un poisson qui vit dans les mers du sud.
T'en as rencontrés lors de la bataille de Bassecombe ?
J'avais d'autres choses à faire que de regarder la flotte.
Ah ouais... quoi par exemple, tiens ? »


Ça n'était rien en comparaison de la guerre. Il avait été dès l'âge de quinze ans homme de troupe, utilisé comme bête féroce par des régiments qui devaient frapper vite et fort. En ce temps là, il mesurait déjà deux mètres, et il avait encore grandi depuis. Des carnages, encore des carnages : il avait mis fin à d’innombrables vies humaines, en majorité celles de barbares assemblées en horde. Rien que des meurtres juste, de son point de vue, mais il se gardait bien de s'en vanter. Puis la promotion pour bravoure, et avec elle, l'affranchissement, la liberté.

Il n'aimait pas vraiment parler des conflits qu'il avait vécu. Il avait déjà fait l'erreur, soumis à une pression insistante, d'en discuter avec Talmide. Ce dernier avait beau être un frère, il était un peu trop enthousiaste concernant ces choses là. Le félin ne pouvait pas le lui reprocher, juste réorienter la conversation au mieux.

« Me faire les humaines de la taverne de Blanroc, qu'est-ce que tu crois ! Il y avait une jeune femme, superbe, les cheveux noirs et les yeux bleus... Elle nous servait, passait entre les tables, se déplaçait avec beaucoup de grâce.
Et alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Elle se déplaçait avec beaucoup moins de grâce le lendemain matin.
Hehehe. »


Sa liberté n'avait pas duré longtemps. Tout juste celle-ci acquise, il avait été employé comme garde du corps par un riche marchand, qui craignait qu'on tente d'enlever sa fille unique. Certains de ses concurrents étaient prêts à tout pour le faire chanter. Mais l'adolescente avait une quinzaine d'années, et supportait mal qu'un colosse terranide la suive partout. Sur le marché, profitant de sa petite taille, elle avait réussi à slalomer entre les badauds et à le semer.

Lorsqu'il avait fini par retrouver sa piste, elle était tenue par un bandit qui la menaçait d'une dague. La situation s'était déjà présentée à lui lors de ses années de service. Il n'avait jamais échoué, il n'avait jamais pensé qu'il pouvait échouer. Elle criait. Shney avait bondit sur le kidnappeur, certain d'être assez rapide. Il ne l'avait pas été : elle était morte égorgée, la lame du poignard entaillant son cou quelques dixièmes de seconde trop tôt. Le père ne lui avait jamais pardonné, et l'avait fait accuser de l'assassinat de sa fille. Il avait profité du bénéfice du doute, et sa peine avait été commuée. Ce fut un simple retour à la case départ, la servitude.

« T'as entendu ça ?
Meh ? La taille démesurée de ton... ?
Non, ça ressemblait à un cri. »


Réveillant ses plus vieux souvenirs, le cri résonna encore une seconde dans son crâne. Shney lâcha son outil, qui tomba sur le sol meuble. Il tendit l'oreille, puis fit, d'un ton inquiet, tout en s'éloignant déjà de son camarade :

« Je vais voir si tout va bien. Attend moi.
Tu penses que quelque-chose va mal, toi aussi ? »


Shney n'avait pas le temps de répondre à la question de l'homme taureau. Il avait commencé par marcher, mais très vite, cela se transforma en course. L'inquiétude gagnait, le rongeait, et se transformait en angoisse. Il y eut un deuxième cri, plus proche et plus aigu : celui d'une voix qu'il pouvait identifier. L'appel au secours provenait d'une personne terrifiée, une jeune fille. Il n'y avait plus pour lui de doute possible.

Stella était en danger.

Sur deux pattes, il était encore trop lent. Sa posture changea, et il adopta des foulées quadrupèdes. C'était comme autrefois, pendant les charges de ce que les généraux appelaient « la cavalerie ». Lui n'avait pas besoin de destrier. Il était le destrier. Il piétinait, écartait, passait à travers les herbes hautes des champs sans que cela ne semble le ralentir le moins du monde, menaçant d'envoyer voler à plusieurs mètres quiconque aurait eu le malheur de se trouver sur son chemin.

Puis son regard tomba sur ce qui dépassait au-dessus des épis. Une tête sombre, des traits qu'il ne parvenait pas à faire entrer dans aucune catégorie. Il n'avait jamais vu de pillard aussi laid de toute sa vie. Il se dit que ce n'était sans doute pas des pillards. En tout cas pas des pillards humains. Des ogres ? Ils étaient à la bonne taille. Mais même les ogres n'étaient pas aussi laids, aussi difformes, aussi, surtout, éloignés de ce que la nature pouvait produire. Néanmoins, il ne réfléchit pas davantage, car devant le monstre se trouvait l'adolescente, pétrifiée.

« COURS GAMINE » rugit-il tout en accélérant encore son allure.

La jeune fille, comme libérée de son épouvantable paralysie, parvint miraculeusement à suivre le seul ordre que Shney ne lui avait jamais donné. Elle fit demi-tour et prit ses jambes à son cou.

Au même moment, la masse de l'homme-tigre entrait en collision avec la créature. Le choc, à pleine vitesse, fut brutal, et aurait renversé le plus colossal des hommes. Sitôt, les griffes acérées du terranide pénétrèrent dans la chair impie. Il n'avait pas besoin d'arme. Il était une arme. S’agrippant à sa victime avec une force surhumaine, il y laissait de profondes entailles. Sa gueule, pleine de crocs, constituait un danger plus mortel encore. Elle cherchait une prise pour mordre, pour déchirer, pour tuer. Son adversaire était plus grand encore que lui, et il ignorait s'il allait parvenir à conserver longtemps son avantage. Cela n'était peut-être plus si important. Cette fois, Shney avait rempli son objectif.

Cette fois, Shney n'avait pas été trop lent.

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One Shot / Les premiers martyrs du faste [Malk]
« le: mardi 22 avril 2014, 22:09:09 »
Cette histoire s'est déroulée aux alentours du hameau qui allait devenir Castelquisianni, plus de six-cent ans avant notre ère. Ce n'était alors encore qu'un petit bourg paysan, en périphérie lointaine d'une Nexus déjà radiante. En ce temps là, on le connaissait encore sous le nom de la Quinquinière. Pour la métropole de Terra, on exportait des céréales, de la vigne, et quelques plantes médicinales qui ne poussaient guère ailleurs. En empruntant le sens contraire du fleuve qui reliait les deux viles, on importait également des produits d'artisanat, et des esclaves.

L'histoire d'Eolin, elle, n'avait rien de remarquable, mais c'était par le fruit de ce commerce qu'il s'était retrouvé à la Quinquinière. Bien malgré lui : dans sa courte vie, on ne lui avait jamais vraiment laissé le choix. Comme beaucoup de terranides, il vivait dans la servitude. Il était descendu du bateau à fond plat, puis avait été guidé dans une bâtisse en bois, qu'on avait fermé, sans vraiment leur donner de consignes.

Il ne s'en inquiétait pas trop, car c'était pour lui une situation familière. Sa mère, déjà, était née en captivité, et il n'avait jamais connu le moindre frisson d'aucune liberté. Très tôt, il avait su de quoi serait faite son existence. Sa destinée serait principalement dictée par le travail.

Un travail de force lui conviendrait, car ses gènes étaient ceux du bélier, encore que certains l'associaient davantage au mouton. Il ne goûtait pas les comparaisons faciles, mais était d'un bon caractère, et s'était toujours laissé taquiné par ses camarades de labeur. Le pelage brun, le ventre et le museau blanc, il était plutôt grand, quoiqu'il ne fut pas particulièrement massif. Sa carrure athlétique et ses jolis yeux bleus auraient pu lui fournir un travail tout autre, mais les hommes n'étaient pas aussi demandés que les femmes pour ce genre de service, dont il ne savait du reste rien. [-]

C'était en vérité la première fois qu'on allait lui confier une tâche en dehors du marché de son propriétaire, qui le gardait jusqu'alors pour l'entretient de sa propre maison. Certains esclaves avec lui avaient l'habitude de ce genre de trajet. L'aventure avait auprès d'eux bonne réputation, et ils ne s'en plaignaient pas. Quelques uns le faisaient tous les ans depuis plusieurs années déjà, avant de repartir servir à Nexus quelques mois plus tard.

En effet, peu nombreux étaient les agriculteurs, qui, cependant, possédaient les moyens d'acheter et de nourrir pendant les mois d'hiver une main d’œuvre, même travaillant gratuitement. En général, ceux-ci se contentaient donc de louer quelques hommes à des propriétaires plus riches pendant les périodes de récoltes et de semis, coûteuses en efforts physiques. Ce type de transaction était très courant, et avantageait tout le monde... esclaves compris.

Dans la pénombre de la grange où il avait été installé, il entendait les autres terranides discuter à voix basse. Eolin ne savait pas vraiment à qui se mêler. Constatant sa perplexité, un hybride au visage chevalin, un peu âgé, tenta de le rassurer.

« Tu verras gamin, la vie ici est rude, mais c'est moins cruel qu'en capitale. Si tu fais ton boulot, les fermiers t'embêteront pas.
Je suppose que oui. Mon frère a déjà été y travailler l'année dernière
, répondit-il avec un peu de timidité.
– Ah, et il s'en porte bien ?
Je crois, mais nous avons été séparés depuis.
– Je suis désolé. »


Peu de temps ensuite, les portes s'ouvrirent, éblouissant momentanément les esclaves. Le terranidier s'avança, un parchemin à la main, un monocle dans l'autre. Il ajusta la loupe à sa vue, puis ses petits yeux se mirent à arpenter le papier. À ses côtés se tenaient plusieurs autres hommes, qui paraissaient être des agriculteurs. Vérifiant systématiquement dans le registre qu'il détenait, le responsable distribua les ouvriers aux fermiers, au fur et à mesure que ceux-ci arrivaient. Certains en prenaient deux, d'autres trois. Bien vite, les rangs se clairsemèrent. Appelé à son tour, l'équidé qui avait discuté avec Eolin parti également, en lui adressant un signe de la main.

Finalement, Eolin fut le dernier à rester, seul dans le vaste hangar. Fronçant les sourcils, l'esclavagiste pointa d'un doigt accusateur son nom qui devait demeurer sur la liste. D'un geste sec, il sorti une montre à gousset de sa poche arrière, et la consulta, désapprobateur.

« J'espère qu'ils sont juste en retard. Hors de question que j'annule le paiement.
Excusez-moi, voilà !
fit une voix féminine derrière lui.
– C'est pas trop tôt.
Mon frère Tizio qui devait venir a fait une crise d'angoisse.
– Hum. Vous êtes bien Miguel Pohuel ?
Euh, ben non. Je suis sa fille, Stella Pohuel.
– Certes, c'est pareil. Voilà, vous n'en aviez pris qu'un. »


Se dégageant de l'ombre du marchand qui la cachait, la jeune fille apparut en pleine lumière aux yeux d'Eolin. C'était une demoiselle qui ne devait pas faire plus d'un mètre cinquante, et qui ne devait pas avoir plus de quinze ou seize ans. Elle avait un visage rond et amical, recouvert d'éphélides, et entouré d'une abondante chevelure rousse, maintenue par un bandeau vert. Sa peau était très blanche, et ses grands yeux verts la faisaient paraître joyeuse, pétillante et gentille. Le terranide sentit son cœur battre un peu plus fort dans sa poitrine : c'était bien mieux qu'un énième fermier à moustache. [-]

« Bonjour !
B-Bonjour
, parvint-il à bafouiller, atteint d'une étrange et soudaine paralysie qui soudait ses jambes entre-elles.
Je pense que tu devrais me suivre... »

Un peu gêné, il secoua la tête, et s'avança vers elle précipitamment. Elle sourit, et bien que cette vision lui fut infiniment agréable, Eolin sentit une boule se former dans sa gorge. Ils entreprirent de s'éloigner, sans un regard pour le commerçant. Elle-même attendit d'avoir mis quelques distances avec l'homme peu sympathique avant de s'exprimer de nouveau.

« Je m'appelle Stella ! Mais tu le sais déjà... et toi ?
Eolin. C'est un plaisir de vous s...
Es-tu un bouc ou un bélier Eolin ?
Je, euh, ce que vous voulez mada... demois...
Tu n'as qu'à m’appeler Stella ! Et tu as quel âge ?
Je l'ignore exactement. Je crois qu'il est marqué que j'ai vingt ans... mais l'on vieillit souvent les jeunes esclaves pour ce genre de travaux.
D'accord, comme mon frère Dazio, alors ! Moi je n'ai que quinze ans, comme Tizio. En tout cas, tu es beaucoup plus grand que moi. »


Le bourg de la Quinquinière était encore assez peuplé à cette matinée. Les premiers bourgeois de l'endroit faisaient leur marché. C'était un tout petit marché où il n'y avait que l'essentiel, bien loin du faste qu'on lui connaîtra six-cent ans plus tard. Le terranide et sa maîtresse passèrent entre les étals. Cette dernière avait le nez en l'air, cherchant à capter chaque odeurs de nourriture se dégageant des présentoirs.

« On pourrait acheter des poires, qu'est-ce que tu en penses ? Il fait tellement chaud. Ça ferait plaisir à tout le monde, attend ! »

C'était vrai qu'il faisait chaud : mais Eolin n'étant habillé que d'un pagne, simple mais de facture décente, cela l'affectait assez peu. La tunique légère, assortie de bretelles et d'une petite jupe brune que portait la jeune fille était aussi plutôt bien adaptée. Elle échangea quelques pièces et se retrouva en possession de près d'une dizaine de poires.

« Tu m'aides à les porter ? lui demanda-t-elle en lui tendant une partie de ce qu'elle tenait dans les bras. Garde une main libre pour en manger une ! »

Le terranide jeta un regard interrogateur, voire un peu effrayé à Stella, craignant un piège. Les maîtres qui tentaient leurs esclaves pour mieux les battre n'étaient pas rares. Il fut cependant obligé de reconnaître qu'il n'y avait là aucun mauvais coup apparent. La remerciant, toujours confus, il porta le fruit juteux à sa bouche. Il n'avait encore jamais goûté de met aussi sucré et aussi doux ; c'est du moins ce qu'il lui parut. Probablement avait-il au visage une expression stupéfaite, car cela fit rire la demoiselle.

« Tu as l'air gentil. Tu vas bien t'entendre avec Talmide et Shney ! Ce sont deux autres terranides qui travaillent pour nous tous les ans.
Je ne les ai pas vus dans le bateau.
C'est parce qu'ils ont été avec nous pendant le printemps. Mon père commence à être un peu vieux pour travailler aux champs. Mais ne lui dis pas, il le prendrait mal ! Enfin, la récolte promet d'être tellement bonne qu'on a eu besoin de te prendre toi. »


Sous le soleil qui frappait de plus en plus fort, ils sortirent de la ville. Ils prirent un sentier assez peu marqué qui passait à travers des plaines couvertes d'herbes denses et grasses, les tiges atteignant parfois plus d'un mètre de haut.

« Il y aussi Numyë... mais elle est un peu difficile de caractère. Les garçons l'aiment bien parce que,  hum... » Elle plaça ses mains sur sa poitrine menue, la remontant légèrement à travers le tissu pour la faire paraître plus ostensible. « Elle se balade sans haut. Ça attire le regard. Mais c'est parce qu'elle a que ça pour plaire. Entre-nous, c'est une pou... Oh, mais j'y pense, tu es un garçon toi aussi. Alors tu l'aimeras sûrement autant que les autres. »

Elle avait ajouté cette dernière phrase sur ton un peu résigné, toutefois, son visage ne montrait toujours qu'une gaîté empreinte de légèreté. Eolin aurait bien voulu lui objecter que personne ne pouvait être aussi charmante qu'elle. Malheureusement, encore mal-à-l'aise et craignant de commettre une erreur, il ne trouva aucune façon élégante pour cela. Il se contenta alors de bégayer quelques réponses standards et faiblement assurées.

Les deux marcheurs progressèrent sans difficulté autre que la température. La peau de Stella était si pâle que le terranide se demandait comment elle faisait pour ne pas brûler sous les rayons ardents. Il songea que c'était peut-être ses cheveux fauves qui protégeaient efficacement l'épiderme sensible de son cou. La jeune fille était si bavarde qu'au bout des deux heures de randonnée qui les amenèrent jusqu'à la ferme, il eut l'impression de déjà tout connaître de ses habitants.

Finalement, ils purent apercevoir le domaine Pohuel se détacher nettement du paysage devant eux. Il apparut alors clairement à Eolin qu'ils avaient suivi le cours du fleuve, car celui-ci serpentait à une cinquantaine de mètres seulement de leur position.

La disposition de la ferme lui sembla moderne et bien pensée : elle s'étendait sur un espace rectangulaire dans lequel toute l'herbe avait été taillée à raz. Sur le côté, on pouvait distinguer une vingtaine d'arbres de type pommier, bien disposés et espacés, dont les fruits ne paraissaient pas encore mûrs. Plus loin derrière, un bâtiment à l'architecture sommaire devait servir à entreposer le foin, et à abriter quelques bêtes. Sans doute est-ce là que je vais dormir, pensa le terranide.

Du côté opposé, mieux bâti et mieux isolé de l'humidité, un autre hangar était utilisé pour stocker le grain. Le périmètre d'un poulailler était délimité par un grillage totalement fermé, y compris en hauteur : on y accédait par un petit portail de bois. Quelques belles volailles étaient sorties pour picorer. On pouvait aussi distinguer une poignée de clapiers. Derrière encore étaient les champs eux-même, divisés en quatre portions, et où se détachaient des silhouettes.

« Viens, on va te présenter à père ! »

Stella attrapa Eolin par la main et l'entraîna, dévalant la colline sur laquelle ils se trouvaient. Elle ouvrit la porte en bois massif et possédant plusieurs verrous qui avaient l'air de ne pas avoir servi depuis longtemps. À l'intérieur de la pièce, il y avait une table tout en longueur, et au bout de celle-ci, un petit homme affairé à la lecture d'un épais livre. Celui-ci releva la tête, interrogateur. C'était un individu dont les rides témoignaient d'un âge commençant à lui peser. Ses cheveux étaient  entièrement blancs, à l'exception des tempes, où persistaient des mèches d'un roux un peu délavé. Il ressemblait assez à sa fille, si l'on exceptait ses yeux, qui étaient bruns, mais tout aussi vifs. [-]

« Bonjour père ! Je te présente Eolin.
Bonjour monsieur.
Salut garçon
, fit le vieil homme en se levant. Hé bien, avec des muscles comme ceux-là, le travail va être vite terminé, cette année ! Sacré gaillard ! »

Si la tradition dans la famille voulait qu'on appelle les esclaves « garçons », ce ne fut pas ce qui surprit le plus le terranide. En effet, à peine se fut-il extrait de sa chaise – avec une grimace indiquant qu'il souffrait peut-être du dos – Miguel Pohel s'avança vers le nouveau-venu, et lui serra la main. Eolin était à nouveau stupéfait, ce que dut comprendre Stella, qui enchaîna aussitôt :

« Nous t'avons apporté des poires, mon petit papa. »

Elle lui tendit un fruit qu'il accepta avec un sourire. Au-dessus, des escaliers craquèrent, et c'est une autre jeune femme qui jeta un regard curieux dans la pièce.

« Ma fille, Elea, voici Eolin. »

La demoiselle resta muette un instant, puis son visage prit une teinte rosée. La ressemblance avec sa sœur était encore plus frappante, même si elle avait peut-être quatre ou cinq ans plus. Elle possédait un visage plus mature, mais non-moins attrayant, sur lequel manquait seulement des tâches de rousseur. Ses cheveux noués en une unique natte étaient en revanche du même roux prononcé, et ses yeux étaient d'une teinte de vert légèrement différente de celle de sa cadette. Elle portait dans les bras des linges, qui n'étaient autres que ses propres vêtements. [-]

« Bonjour toi, lança-t-elle simplement. Je vais me laver dans le fleuve, père. Dites aux ouvriers d'en rester éloignés ! Il ne faudrait pas qu'ils me surprennent à l'endroit, derrière les buissons épineux, en contrebas, où je vais toujours... »

Elle laissa traîner son regard longuement sur Eolin, et enfin, sorti sans se presser de la demeure, attrapant au passage une poire dans les bras de sa sœur. Celle-ci, exaspérée, levait les yeux au ciel.

« Fais pas attention, elle aussi c'est une al...
Stella ! Et si vous alliez plutôt porter des fruits à ceux qui travaillent ? C'est l'occasion de te les présenter, garçon.
Bonne idée p'pa. Viens Eolin. »


Une nouvelle fois, le jeune terranide se trouva agrippé par le bras. Ils firent le tour de la bâtisse, et marchèrent pendant une demi-minute avant d'arriver au champ. Il y avait quatre hommes, dont trois seulement paraissaient travailler. Deux d'entre-eux étaient des terranides massifs, et Eolin comprit aussitôt que le père avait voulu le ménager en complimentant sa musculature. L'un était un taureau noir et beige, incroyablement haut et large, auquel les cornes donnaient encore de la hauteur. Un énorme anneau de métal traversait son museau carré. L'autre était un félin, d'un genre que le nouveau-venu ne connaissait guère. À peine moins massif et aussi grand, ses muscles saillaient sous un pelage qui alternaient les rayons jaunes et brunes. L'un comme l'autre, malgré leur masse, avaient un air tranquille. Ils se retournèrent en entendant les bruits de pas sur la terre. [-]

« Talmide... et Shney, dont je t'ai déjà parlés » indiqua Stella en pointant successivement le taureau et le tigre. « Lui c'est mon frère Dazio, qui a le même âge que toi. »

Le troisième individu était pour Eolin un peu plus rassurant, car sa carrure d'humain lui paraissait plus accessible. Pour autant, il ne s'agissait pas moins d'un grand jeune homme très bien bâti. La parenté avec le reste de la famille était là encore absolument évidente, même si ses cheveux, agencés en de nombreuses tresses, tiraient plus sur le miels que le roux. Son visage et son torse et son dos nus, constellés de tâches de rousseurs, et les yeux bruns de son père se remarquaient aussitôt. [-]

« Enfin, lui c'est Tizio, mon frère jumeau. Ça va mieux Tizio ?
Non. »


Le ton du garçon était dur et sec. De plus, personne n'aurait parier sur son appartenance à la fratrie : sa peau plus foncée et sa tignasse en partie attachée en arrière, châtain sombre, détonnaient dans l'océan de rousseur de ses frères. Pourtant, on reconnaissait encore le regard noisette paternel. Il ne paraissait pas méchant, mais profondément troublé, et presque absolument renfermé sur lui-même. Il regardait le sol avec un air à la fois nerveux et autoritaire, comme s'il avait voulu commander au grain de pousser. Il était le seul à ne pas être au travail, et à porter un habit complet. [-]

« Bon... Voilà, dites bonjour à Eolin ! Il va travailler avec vous toute la saison. »

Les deux terranides hochèrent la tête avant de le saluer à l'unisson. Ils le détaillèrent quelques secondes, paraissant évaluer son potentiel musculaire, mais ne firent pas peser trop de pression sur lui. Ils dégageaient une aura de confiance, de force, de simplicité. Eolin se sentit un peu plus à l'aise avec eux, et alla spontanément leur proposer les poires.

« Bonjour, garçon, dit le plus âgé des frères avec peut-être un peu trop de fermeté et de concision.
Je vais ailleurs, lança soudainement l'autre frère, en repartant vers la cour de la ferme. Quelque-chose ne va pas.
Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu ne prends même pas une poire ? Hé, Tizio ! »

Les appels de sa sœur jumelle n'entravèrent pas la trajectoire de l'ombrageux garçon, qui ne daigna même pas y répondre, et s'enfuit d'un pas colérique.

« Tizio n'est pas toujours... enfin... c'est un gentil frère, je t'assure.
Tu n'as pas non-plus à te justifier pour lui, Stella. Il est comme ça depuis toujours.
Pas toujours ! Mais si papa et toi l’embêtiez un peu moins...
C'est vrai que c'est particulièrement sévère depuis ce matin, va. »


Plus profondément dans les champs, il y avait trois autres silhouettes, néanmoins, celles-ci n'avaient rien d'humanoïdes... ou presque. Portant son regard au loin, Eolin distinguait deux chevaux... et un cheval avec un buste humain. Un buste de femme. Un buste de femme qui ne s’embarrassait d'aucune tunique. [-] Le terranide tiqua.

« Ah ah ! Je savais bien que tu allais les regarder ! T'es vraiment comme tous les garçons, Eolin.
Je euh, non. Qu... qui est-ce ?
La trop belle Numyë, je t'ai dit. Je me demande si elle voudra des poires... Elle en a déjà une belle p...
Tu n'as qu'à aller lui en apporter
, proposa sans appel Dazio. Moi je vais parler en privé avec Eolin. Vous continuez seuls un moment les gars ?
Pas de problème
, fit d'une voix grave et posée Talmide, en agitant sa tête aux impressionnantes cornes. »

Le poussant légèrement, le jeune homme emmena l'esclave un peu à l'écart. Derrière une haie qui séparait deux pâturages, ils se trouvaient hors de vue des deux autres ouvriers, qui avaient de toute façon reprit le travail.

Une carte d'époque (authentique).

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Les contrées du Chaos / Re : Le Torrent [Laura]
« le: jeudi 17 avril 2014, 17:30:14 »
C'était toujours la même chose avec les femmes, finit par penser Ozvello, quoi qu'il n'eut aucune expérience pertinente dans ce domaine. Elles n'avaient pas d'objectif précis, créatures indécises et volages, incapables de constance, mais souhaitaient quand même imposer leur volonté changeante à ceux assez galants pour les écouter. Il avait même une théorie sur pourquoi Laura souhaitait rallier Castelquisianni en particulier, tout en sachant que ce serait pour lui la plus dangereuse des destinations : ce que les femelles cherchaient en premier lieu, c'était que l'on se batte pour elles. Il y avait une analogie certaine avec ces bêtes aux grandes cornes, dont seuls les mâles ayant triomphé à grand fracas de leurs concurrents recevaient les grâces des femelles. Plus proches encore, les joutes chevaleresques pendant lesquelles s'affrontaient soldats en armes pour l'amour d'une princesse. Voilà qui n'était qu'une illustration particulièrement éloquente du désir des femmes d'être au centre de conflits.

Heureusement, un tel comportement avait toujours fait parti des aspirations romantiques du bretteur. Il y avait, songeait-il, beaucoup de noblesse à se battre pour une demoiselle ; bien plus qu'il n'y en avait d'ailleurs à guerroyer pour des terres ou des richesses... Aussi n'était-il pas particulièrement réticent à ce qu'on le balade un peu, et n'en tint aucunement rigueur à son interlocutrice.

« Aucunement, madame. » répondit-il, avec un sourire démuni et un peu résigné. « Votre intuition ne vous trompe pas si elle vous amène à supposer qu'il s'agit d'une cité merveilleuse. C'est simplement qu'elle ne l'est pas pour tout le monde... »

Au bout des pérégrinations des voyageurs s'offrit alors la porte d'entrée de la ferme. Le jeune homme se permit de sourire encore au calembour de Laura. Puis il ne put qu'acquiescer lorsqu'elle lui proposa de parler pour eux deux. Il avait l'habitude de prendre la parole, dialoguer avec son prochain était pour lui une seconde nature. Cependant, les occasions qu'il avait de se frotter aux gens du peuple avaient été peu nombreuses, et il craignait que sa verve un peu trop littéraire ne le desserve lorsqu'il allait s'agir de communiquer avec ces individus simples. Devrait-il éliminer de son vocabulaire les termes trop recherché, tels que « objurgation », « impécuniosité » ou encore « munificence » ? Il ne s'agissait pas non-plus les prendre pour des imbéciles complets. Les paysans devaient au moins connaître le second, tant la chose leur était familière.

Alors que les coups avaient été frappés et que l'adolescent préparait ses phrases les plus élémentaires, la porte s'ouvrit soudain... sans qu'aucun hôte ne s'en trouve révélé pour autant. Ozvello se demandait là s'il devait croire à une intervention du hasard. Les légers chocs sur le bois avaient-ils été suffisants pour faire céder une clenche usée ? C'était l'explication qui lui parut la plus rationnelle sur l'instant. C'était sans compter sur la musique douce qui remplaça aussitôt le silence, et un coup de vent aussi imperceptible qu'inattendu. Troublé, il murmura :

« Voilà qui n'est pas absolument rassurant... Non ! Je veux dire, un accueil comme celui-ci n'est pas chose commune. »

Il s'était vite repris, ne voulant laisser penser que l'étrangeté de l'événement l'effrayait, ou même le mettait seulement mal-à-l'aise. Il n'y avait rien, ou tout du moins personne : c'était le cas de le dire. La conjecture la plus vraisemblable aurait été que la ferme était abandonnée... Mais alors, comment expliquer la mélodie ? Pire, le bretteur aperçut un peu plus loin la flamme d'une bougie. Ne se laissant pas aller au doute, il entreprit d'appeler de vive voix un éventuel résident.

« Bonjour ! … Quelqu'un demeure-t-il ici ?! … Bien...  Disons qu'il convient d'entrer, alors. Peut-être nos hôtes souffrent-ils d'hypoacousie. »

C'était un mot un peu compliqué, destiné au cas où un paysan écouterait encore... il ne s'en sentirait ainsi sans doute pas vexé. S'il y avait encore quelqu'un qui habitait ici, ne put-il s'empêcher de penser, il était bien négligé. Cependant, il convenait de faire preuve de tolérance, car probablement les petits gens ne disposaient pas de tout le temps qu'il aurait fallu pour garantir une hygiène impeccable. Abandonnant là son immobilité et les derniers fondement qui le poussaient à croire à quelque-chose de banal, Ozvello s'avança dans la pièce aux allures de cuisine. Le bois était froid sous ses pieds, et bien que le sol fut poussiéreux, il ne s'en formalisa pas, car il n'avait plus non-plus de propreté plantaire à faire valoir.

Aussitôt, il porta son attention sur l'étrange cierge, encore allumé. Une observation minutieuse lui apprit que la cire était encore majoritairement froide et solide. Les gouttes blanches autour de la mèche s'étaient solidifiées depuis longtemps, et n'étaient réveillées que lentement par le feu. C'était particulièrement troublant considérant qu'aucune présence n'était détectable.

« Je peux me méprendre, mais il me semble que cette bougie n'a été embrasée qu'à l'instant... Une personne se trouvait donc ici il n'y pas plus d'une minute. Curieux... Si Caracole avait été avec nous, elle aurait su nous dire si une quelconque sorcellerie était à l’œuvre ici. Qu'en pensez-vous, madame ? »

L'adolescent se retourna vers la jeune femme. Évidemment, les chances qu'elle en sache plus que lui sur le sujet étaient minces... encore que les familles de bohémiens étaient parfois versées dans de petites magies. Toutefois, peut-être un conseil féminin ne serait-il pas de trop, même s'il ne valait pas l'expertise d'un objet lui-même enchanté et dont les énergies mystiques constituaient la nourriture.

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Les contrées du Chaos / Re : Le Torrent [Laura]
« le: mardi 08 avril 2014, 16:18:35 »
Succédant à une expression de surprise, c'est une expression plus sombre qui vint s'inscrire sur le visage d'Ozvello. Quel statut social se cachait-il donc derrière cette déclaration un peu obscure de descendante de musicienne ? Cela pouvait signifier à la fois tout et rien, et ne lui en apprenait en somme pas beaucoup sur son interlocutrice, qui paraissait vouloir rester plus que jamais mystérieuse. En effet, les musiciens, à Castelquisianni comme dans de nombreuses autres régions semblables, étaient divisés en plusieurs catégories qui avaient entre-elles peu de choses à voir.

Il y avait pour une part que beaucoup des nobles savaient jouer d'un ou plusieurs instruments. Cet enseignement ne concernait dans la cité marchande, contrairement à certaines cultures voisines, pas seulement les progénitures féminines. Les plus doués de ces individus privilégiés se consacraient également à la composition, dont certains faisaient même une activité prenante. Toutefois, on appelait rarement ceux-là musicien, car même s'ils y passaient beaucoup de temps, ce n'était pas là leur titre principal. Il y avait pour une autre part les fabricants d'instruments, qui savaient assez souvent en jouer, mais qui ne se représentaient qu’exceptionnellement. Le terme consacré était luthier lorsqu'ils faisaient des cordes, facteur quand il s'agissait de vents ou de claviers. Ceux-là étaient de petits artisans, et les plus réputés, des artisans d'art.

Puis il y en avait encore d'autres, qui se spécialisaient uniquement sur l'interprétation. Cependant, pour combien gagnant leur vie grâce au mécénat d'une personnalité fortunée en existaient-il qui trimaient, ne se produisant guère ailleurs que dans les auberges et les places ? Une grande partie de ces derniers, et tout ceux qui vivaient à la campagne plutôt que dans les villes, n'étaient des vagabonds... des forains à l'honnêteté discutable qui se déplaçaient en caravane, cherchant leur public sur les routes et gardant dans leur roulotte toute leur famille. En conséquence, lorsque le père était musicien, de quel travail pouvait bien écoper leurs proches ? Ozvello n'était pas naïf au point de penser qu'une majorité d'entre-eux ne s'adonnaient pas à une mauvaise vie... Une mauvaise vie qui aurait pu d'ailleurs tout-à-fait expliquer leur disparition prématurée. La combinant aux autres éléments qu'il avait réussi à récolter, cela s'orientait vers une explication crédible quoiqu'assez déplaisante.

Toutefois, il n'était pas garçon à garder de suspicions trop encombrantes sur les gens qu'il croisait. Caracole, si elle avait été encore là, songea-t-il malgré lui, aurait certainement tenté de le mettre en garde. Il n'avait connu l'épée que pendant une courte période, mais il avait déjà pu éprouver la méfiance qu'elle avait des individus. Sans doute, se dit-il, aurait-elle fait une partenaire idéale, comblant son manque de prudence et son ambition par sa paranoïa et son scepticisme. En l'absence de la rapière enchantée, il n'avait plus aucune sinistrose pour tempérer son optimisme. Cependant, encore un peu troublé par sa réflexion, qui jetait une lumière particulière sur la nudité dans laquelle il avait trouvé la jeune femme, il se contenta de baisser les yeux et d'affirmer, de façon lacunaire et d'une voix blanche :

« Je suis désolé. »

Comment ses spéculations pouvaient-elles se mouvoir avec une si grande vivacité de cela à l'être mystique ? Probablement parce qu'aucune n'était sûre. Et quand bien même il se serait agit d'une follieuse –il se refusa à la nommer ainsi, et préférait le terme de courtisane–  il n'avait pas à la juger de quelque façon que ce soit. Beaucoup de filles, il ne l'ignorait pas, avait leur beauté pour toute ressource, ce qui ne les rendait pas moins dignes d'être considérées. S'il s'était échappé de Castelquisianni, du reste, ce n'était guère pour côtoyer encore la belle aristocratie à la vertu préservée, comme il l'avait fait jusqu'ici. Croiser le chemin de telles personnes ferait partie intégrante de l'apprentissage qu'il avait lui-même décidé de s'imposer. Restait la nécessité de se comporter en homme honorable face à ceux et celles auxquels la vie n'avait pas donné d'éducation semblable.

« Je vous suivrais jusqu'au bout du monde, madame, s'il m'en incombe, et cela avec un plaisir infini. Je vous dois plus que tous les risques qu'il me serait donné de prendre. Toutefois, j'ai pour devoir supérieur de veiller à votre sécurité, et il me faudra faire preuve de discrétion si je veux m'assurer que ma présence à vos côtés ne constitue pas un danger trop important pour vous. Je pourrais peut-être concevoir de me déguiser à l'avenir, car dans la tenue où vous me trouvez, je demeure encore trop identifiable. Il ne faudrait pas plus de quelques pas dans l'enceinte de la ville pour que l'on signale mon retour à la princesse, qui elle me ferait aussitôt emprisonné, et vous avec si je n'y prends pas garde. C'est une perspective qui ne m'enchante guère, mais l'habit d'un bourgeois sera sans doute pour moi salvateur dans le cas de figure où je devrais vous accompagner à l'intérieur même de Castelquisianni. Nous pourrons probablement acquérir tout cela sur la route. »

Il aurait préféré affronter un dragon que de pénétrer à nouveau dans sa ville natale, mais pour autant, les dragons ne l'avaient jamais tant effrayé que cela. Pour celle qui l'avait secouru, de plus, il aurait affronté tous les monstres cracheurs de feu de Terra. Faire face à une famille furieuse et à une monarque voulant plus que sa mort ne demandait après tout qu'un degré légèrement supérieur de courage. Celui d'affronter la possibilité d'un regard sur ce qu'il valait. En plus d'être mort, il risquait bien d'être jugé, et c'était bien plus dérangeant que l’office d'une chimère, qui, elle, se serait contenté, sans autre forme de procès, de le brûler vif.

« Je serais bien en peine de  vous comparer la garde de Castelquisianni avec celle de Nexus, ou de toute autre grande ville. Je suppose qu'elles sont toutes plus ou moins semblables, à l'exception de la Specia, la garde militaire, à laquelle nous n'aurons je l'espère pas affaire. C'est un bon corps d'armée, pauvre en hommes mais dont les entraînements sont très exigeants, d'autant que j'en sais. J'ai un frère qui y officie en tant que lugarteniante... ce qui est un bon grade pour un mâle de son âge : les officiers sont le plus souvent des femmes, qui conservent jalousement un pouvoir acquis il y a de nombreux siècles. Quant à ce que vous souhaitez faire au sein même de cette ville, vous voudrez peut-être me le dire ? »

Que son interlocutrice soit en mesure de s'attirer régulièrement suffisamment d'ennuis pour s'en préoccuper ne le rendait pas particulièrement serein. L'inquiétude était pourtant compréhensible, pensait-il, car les provinces où s'exerçait un pouvoir xénophobe relevant de la tyrannie militaire ne devaient pas être rares. On lui avait toujours affirmé qu'il possédait beaucoup de chance de vivre dans une cité dont les dirigeants étaient si éclairés et modérés en toute chose. Évidemment, depuis qu'il était recherché par les dirigeants en question, l'affirmation lui parlait moins.

[…]

Le trajet ne fut pas particulièrement agréable pour Ozvello, qui n'appréciait pas vraiment de se souiller les pieds sur les terres molles de la route. Toutefois, malgré le défaut évident qu'elles présentaient : elles étaient salissantes, elles avaient pour avantage de faire moins souffrir sa cheville que ne l'aurait fait un sol plus ferme. S'enfonçant légèrement dans la glèbe tendre, ses appuis étaient moins violemment sollicités, permettant la marche soutenue qu'il s'imposait. Devant eux, le paysage s'annonça d'abord comme désespérément vide. Les narines du garçon, moins entraînées que celles de sa complice, ne relevèrent dans l'air rien de particulier. Il n'y avait que des collines verdoyantes ou boueuses autour desquelles serpentait inlassablement le cours d'eau au tracé peu régulier. Il espérait seulement que ce voyage épuisant et douloureux pour lui prenne fin au plus vite, et qu'ils trouvent un lieu sûr pour faire escale.

Ses prières furent entendues dans la soirée, après plusieurs heures encore de randonnée éreintante. Arrivés au sommet d'un relief, se découvrit enfin devant les yeux des marcheurs, non-pas le village attendu, mais un hameau isolé. C'était la demeure typique d'un paysan qui devait vivre à une distance relativement importante de toute autre bourg, et qui devait pour cela être dans la capacité de se défendre d'éventuels petits groupes de pillards. Excepté cela, le bretteur, peut-être trop meurtri pour bien voir, ne nota rien de particulier. La vision lui fit tout-de-même grand plaisir :

« Ce n'est pas la cité que nous espérions, mais cela fera à n'en pas douter le meilleur des endroits pour faire escale ! Les cultivateurs sont des gens bons et généreux, possédant un sens inné de l'hospitalité ! … du moins, c'est ce que l'on m'a dit. »


Le garçon n'avait bien sûr aucune expérience de ce type de milieu... en sus, il fallait ajouter que les agriculteurs des alentours de Castelquisianni, bien plus riches que la plupart de leurs homologues, étaient aussi pour cette raison bien moins rustres. La ferme était toutefois trop éloignée pour bénéficier à coup sûr du rayonnement de la cité.

« En revanche, il me semble que ce sont des gens extrêmement religieux et conservateurs. La retenue est de mise : il ne s'agit pas de heurter leurs croyances et leurs convictions profondes. Il nous faudra éviter les sujets qui pourraient faire des polémiques, même s'ils semblent vouloir les aborder, et nous montrer modérés ou abstraits dans toutes nos réponses. Soyons humbles et consensuels, et ils nous accueillerons avec bienveillance. »

Ozvello secoua la tête, conscient de faire preuve d'un peu trop de prévenance. Ce serait beaucoup plus simple, il était prêt à le parier, lorsqu'ils seraient face à un vieux paysan, le cheveux blanc mais l’œil vif et bon, prêt à leur offrir gîte et couvert sous le toit qui abritait sa petite famille.

« Enfin, vous avez peut-être une meilleure connaissance que moi en la matière. J'ai pu assister à de nombreux cours de diplomatie et de protocole, mais je doute de leur pertinence. L'étiquette Castelquisianne est affaire complexe. Il ne faut peut-être pas chercher matière si compliquée. Que diriez-vous d'aller frapper à leur huis ? »

Il sourit gaiement à son interlocutrice, et entreprit de descendre la colline, suivant un sentier qui les conduirait droit à la propriété.

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Ville-Etat de Nexus / Re : Lorsqu'on est gentilhomme [Libre]
« le: dimanche 23 février 2014, 18:05:36 »
Si la conversation eut été plus posée, il aurait été probable qu'Ozvello s'assoie à la table de ses interlocuteurs pour la continuer, ainsi qu'il s'apprêtait à le faire. Cependant, les deux femmes semblaient d'humeur inégale. L'une souhaitait vraisemblablement renvoyer une impression de calme, même si sa tension était perceptible, encore qu'elle se confortait parfaitement aux usages. La seconde, en revanche, et c'était celle qui s'était battue, était visiblement d'un tempérament plus explosif, prompte à s'emporter. À moins que ce ne furent les paroles de l'adolescent qui, pour une raison qu'il ignorait, attisèrent une colère tonitruante.

Hélas, là où un homme plus avisé et plus serein que le bretteur aurait entendu la dimension personnelle qui pouvait se cacher derrière une telle réaction, lui n'était pas un fin psychologue. Plus encore, son caractère était tout aussi fougueux, et s'il n'avait pas la même agressivité, si sa volonté n'était souvent pas de briser ses adversaires, il réagissait toujours vivement à ce qu'il percevait comme étant des provocations. Les mots que venaient d'insulter celle que sa compère avait appelé Lucy étaient d'une importance capitale pour le castelquisian, comme d'ailleurs pour la plupart des castelquisians d’ascendance noble. En cela, ils constituaient un point tout aussi sensible que ceux qu'il avait pu heurter.

« Serais-je mesquin de relever qu'en plus des autres valeurs que vous méprisez, vous ignorez aussi celle de la politesse ? » fit-il sur un ton d'abord lent.

Ses sourcils se relevèrent à l'écoute du monologue de la fille rousse. Évidemment, il n'était guère habitué à ce qu'on le sermonne sur un ton aussi familier, et les éléments critiques qu'il aurait pu tenter de comprendre se transformèrent en une joute verbale aveugle. De son point de vue de gentilhomme bien élevé, il s'agissait là d'une agression en ordre, même si elle n'appelait pas à croiser le fer.

« Il ne me coûte rien d'affirmer de nouveau, si la chose doit vous paraître plus claire, qu'agresser un homme seul, de dos, au profit de la surprise et alors qu'il s'apprête à un autre affrontement est une vicissitude qui ne trouve comme seule justification que la protection des faibles. Faibles dont je ne suis pas, et quand bien même cet homme aurait été mage, ce dont je doute de tout mon être, il aurait encore été bien désavantagé face à moi. J'étais encore prêt à vous faire crédit pour la mauvaise estimation que vous auriez pu faire de mes aptitudes à assurer ma propre sécurité. Toutefois, je crois comprendre que la cause de ce méfait se trouve à un autre endroit de votre âme. »

La voix d'Ozvello s'était faite plus forte. Son phrasé était rapide, mais extrêmement travaillé ; il ne doublait ni n'accrochait sur aucune syllabe, car sa langue avait été tout aussi affûtée que sa lame par l'éducation qu'il avait reçu. Il était d'usage, à Castelquisianni, de s'affronter par les mots, et les nombreux cours de rhétoriques qui lui avaient été dispensés par les précepteurs engagés par sa famille avaient porté ses fruits. Peu nombreux étaient les rhéteur qui, même en le surpassant dans leur oraison, se trouvaient en mesure de l’impressionner suffisamment pour qu'il ne fasse pas usage d'un droit de réponse.

« Sachez mademoiselle qu'honneur et triomphe ne sont pas liés comme vous l'entendez. Bien souvent, la préservation de son honneur rend le triomphe moins aisé. Il existe mille façons, poisons et ruses pour se défaire d'un adversaire plus fort, et pourtant ! L'on ne devient pas héros en usant de ces artifices. L'héroïsme ne s'illustre pas ailleurs que dans la difficulté. Si respecter les règles est loin de garantir une victoire, le méfait de les enfreindre ne sera conséquent, et ce quelle que soit l'issue, qu'à l’opprobre et la honte. Sachez ainsi que je tiens plus à mon honneur qu'à ma vie : qu'à choisir entre une vie de couard et une mort honnête, même obscure, je ne souffrirai d'aucune hésitation. »

Il y avait d'autre part que Lucy utilisait des mots dont le bretteur n'avait jamais entendu jusqu'alors. Un tel vocabulaire n'existait pas dans les régions de Terra d'où il était originaire, et où les armes à feu, fonctionnant seulement grâce à une magie, étaient trop peu répandues pour qu'on leur ait trouvé des noms d'argot. Cela ne faisait qu'ajouter à la confusion qu'il pensait détecter dans le discours de son interlocutrice, et le confortait dans l'idée que son argumentaire était d'une clarté bien plus cinglante.

« L'existence, regrettable, sur cette terre, d'êtres sans honneur, ne dispense en rien de se comporter avec moins de respectabilité. Une turpitude ne saurait en justifier une autre, et, a fortiori, la mienne ou la votre. Quant à la réputation, elle suit presque toujours l'honneur, à l'exception des fois où règnent la fallace, la calomnie des trompeurs et des trompés. Une calomnie que vous n'avez hélas fait qu'alimenter. Je ne m'en inquiète pas cependant ! L'homme d'honneur finit toujours reconnu, car ses fautes imaginaires ne résistent pas aux épreuves de noblesse qu'il ne manquera jamais de rencontrer. Car l'honneur, mademoiselle, est le meilleur des chemins vers la vertu, et c'est là sans doute son plus grand mérite. »

L'adolescent était dans une position d'orateur inspiré, les bras décrivant parfois quelques courbes devant lui, sans trop d'excès, et finissant sur ses hanches. Il s'adressa enfin à la jeune terranide, qu'il avait jusque si bien ignoré qu'on aurait pu croire qu'il ne l'avait pas entendu.

« Recevez mes excuses de n'avoir aucun scrupule à m'avancer sur un terrain de vous considérez sensible. Cependant, si votre amie a du souffrir de crapuleries, alors elle devrait se réjouir qu'il subsiste encore des individus dont les actes sont dictés, autant qu'il leur est possible, par leur morale. Je renonce à lui demander réparation : en reniant les valeurs qui font les honnêtes hommes, son affront s'est porté bien davantage contre elle-même que contre moi. Je crains malheureusement de devoir prendre congé. La destinée vous soit favorable, et corrige les travers de son inexpérience. »

Il s'inclina respectueusement devant la jeune femme, puis tourna les talons. À sa taille, une voix métallique, plus basse et plus discrète ne prononça que quelques mots :

« Voilà un démon qui ne dissimule pas sa nature perverse sous des mièvreries comme celui avec lequel tu t'es lié d'amitié. Je les préfère ainsi, lorsqu'il n'y a plus aucun doute sur leur ignominie. »

Ozvello, dont l'avis différait en plusieurs points, se garda bien de répondre à son arme enchantée.

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