S'il avait eu des poches, Oneiros aurait sans aucun doute fourré ses mains dedans. Kyô s'exprimait avec un ton grave. Et ça, franchement, ça emmerdait pas mal le jeune dieu, qui poussa un long et lourd soupir. Voilà qu'il ne voulait plus oublier.
Putain, une vie sans oubli, sans échappatoires, c'pas une vie ! Aurait-il aimé crier aux oreilles de son aîné. Mais non, il n'en fit rien. Et puis, Oneiros était assez sage pour savoir que, de un, il ne connaissait pas grand-chose à la vie comparé à lui, et, de deux, il ne savait rien de ce qui lui était arrivé. Alors voilà, il fermerait son clapet encore pâteux de la veille, roulant tout de même des yeux. Eh, à vingt ans, il ne se sentait pas l'âme compréhensive ! Tout ce qu'il pensait, c'était : "
Même pas drôle". Et, dieu merci, il se contenta de le penser, ne laissant aucunement sa bouche déblatérer quelques conneries d'ivrognes. L'ambroisie lui montait un peu au cerveau, escaladant son cervelet pour noyer son cortex. C'était plutôt agréable. Ce n'est que quand la petite troupe inquiétante d'Héphaïstos entra dans la pièce qu'il reprit une certaine contenance. Tout le monde le regardait. Ah, ouvrir ses cadeaux devant toute la sainte famille, il détestait cela au plus haut point ! Mais, docile pour cette fois, il courba l'échine face aux prêtres, respectueux. Il n'eut que le temps d'esquisser un sourire à la remarque de Kyô avant qu'on ne lui dépose entre les mains un ... écrin plutôt imposant. Oui, une boîte. Mais dont l'aura avant la même puissance qu'une bouteille de rhum ouverte, dont les relents ...
Non, ne pense pas à ça. Regards à droite, à gauche, en haut, en bas ...
Eeeeeeh, macarena-ah. Tous les préparatifs étaient achevés. Il n'avait plus qu'à ouvrir cet écrin. Et il n'était pas dur, pour lui, de deviner ce qu'il cachait. D'un geste, il fit sauter l'ouverture, et laissa le loisir, et à lui, et à Kyô, qui était à ses côtés, de voir. Un sabre. Un
shinken, pour être plus précis. Imitant le modèle du katana japonais, en plus moderne, il ... Il envoyait du lourd. Sur le coup, c'est tout ce que le jeune dieu parvint à penser. Long de plus de 60 cm, presque 70 - il avait du mal à donner une taille précise à l'arme - il était surmonté d'un manche noir brillant et sculpté, incrusté ici et là de pierres noires, blanches, argentées.
Divin. Ses doigts se baladèrent sur la lame - protégée par un étui foutrement travaillé - puis il referma l'écrin. Ses yeux se relevèrent sur le prêtre qui lui avait tendu ce cadeau.
-
Remerciez mon ... demi-frère, dit-il d'une voix qui se voulait ferme, mais qui laissait trahir son excitation.
Je saurais me montrer digne de ce présent.Les prêtres le saluèrent, et quittèrent la pièce calmement. Lui ne moufta pas. Il réalisait à peine que, désormais, il possédait
son arme. Et qu'elle était plutôt conséquente. Alors qu'il allait réouvrir l'écrin, curieux, Oneiros croisa le regard de sa mère, qui lui fit signe de venir vers elle. Il confia l'arme à Kyô, se frotta les mains, et obéit. La cérémonie allait commencer. Héra étant la mère - sans aucun doute possible - du jeune dieu, c'était elle qui allait l'accompagner jusqu'à ... Un homme, plutôt âgé, au regard clair et fuyant : Morphée. Son ancien précepteur allait lui offrir ses propres pouvoirs, afin que le fils d'Héra prenne le relais. Les doigts serrés contre sa paume moite, Oneiros s'inclina silencieusement face à lui. Plus de nausées. La sacralité de l'instant l'avait guérit de sa gueule de bois. Pour s'assurer une certaine stabilité, il posa une de ses mains au sol, son autre bras étant croisé sur sa poitrine. Quelques vers grecs sacrés furent psalmodiés par le vieux dieu, qui termina son discours en posant sa main sur la tête d'Oneiros. Tiède, elle écrasa sa chevelure, si bien qu'il du faire un effort pour ne pas flancher. C'est alors que l'éclair survint. Et Oneiros comprit pourquoi sa mère venait de croiser les mains devant son visage, les serrant avec violence, tout en souriant, émue. Le jeune homme sentit un éclair bondir en lui, tressauter sans sa cage thoracique, remuer ses vertèbres, agiter ses organes, si bien qu'il perdit momentanément la vue, celle-ci se brouillant un instant.
Un hoquet. Et Morphée posa sa main sur l'épaule d'Oneiros, murmurant à son oreille :
- Te voilà dieu. Par ma volonté, par mon pouvoir, par toutes les forces que nous régissons, te voilà enfin dieu. Tu as les pleins pouvoirs.
Ces derniers moments secouèrent violemment ses entrailles. Il dut attendre que sa mère, émue - putain, il ne l'avait jamais vu comme ça - vienne lui caresser la joue, pour réagir enfin. Il s'appuya sur elle, se releva avec une vigueur approximative, pour faire face à tous ces dieux qui applaudissaient. Il sentait un sang bouillant qui crépitait dans ses veines ; les bouts de ses doigts semblaient sertis de piques ; ses yeux étincelaient comme des piécettes d'or pur.
Je suis puissant. Chaque battement de cils menaçait de faire trembler l'air, la terre, les corps. Il resta un moment là, sa mère à ses côtés, à regarder les dieux s'incliner. Eh oui. Attention à celui qui ne salue pas correctement le fils d'Héra. Cette dernière, d'ailleurs, scrutait chacun d'un regard acéré, vérifiant si personne ne jouait les fortes têtes. Et lui, lui, désormais dieu, respirait enfin. Et savourait cet instant de grâce. Au bout de quelques minutes - combien ? Il n'aurait su le dire - il quitta cette petite estrade, adressant un signe de tête à Morphée, qui se dirigeait vers les pichets d'ambroisie. Voilà. C'était lui, le dieu, désormais.