Ah. Donna avait donc misé juste lorsqu'elle avait observé le jeune homme. Il ne raffolait pas des ramens. Si ce n'était pas assez gras pour lui, il risquait d'être déçu sur le reste de la nourriture japonaise, réputée pour être la plus saine du monde. Néanmoins, le Pearl Harbor était comme une bouée de sauvetage gastronomique, dirons-nous. On y trouvait des produits américains à profusion. Ecrite sur un bout de papier, l'adresse de la boutique lui indiquait la direction vers le nirvana. De plus, s'il s'attirait les bonnes grâces de Tonia, il aurait droit à un burger fait maison ! Donna souriait légèrement, encore un peu gênée, surtout par le thème de la chanson qui venait de se terminer, et non par le fait qu'on la regarde. Les autres, elle s'en fichait un peu dans le fond.
En tout cas, elle ne pouvait se défaire de ces yeux verts qui ne cessaient de la fixer. Ni de ce sourire sincère et amusé, doux aussi, qu'il lui offrait. C'est vrai, il était bel homme et pas foncièrement méchant. Néanmoins, la phobie de Donna la rappela à l'ordre quand l'américain l'invita à venir chez lui...Ah oui, carrément. Bon, ce n'était pas que pour se rappeler du pays autour d'un burger bien gras, d'une bonne chanson de chez eux, le tout en charmante compagnie...Si ? Soit, l'invitation en elle-même était tentante, mais..." Fuis-le ! Tu n'entends pas comme il veut te coucher dans son lit ? ". Mais ce n'est pas vraiment ce qui fit réagir la brunette. Son esprit ne capta que réellement qu'un bout de phrase, lui résonnant dans les tympans.
- Fin de service ? ...Oh merde !
Avec cette rencontre, Donna en avait totalement oublié sa tenue de travail et qu'elle devait reprendre son service de l'après-midi. Ce sont des yeux grandement étonnés, et paniqués aussi, que la brunette eût face au jeune homme. Une main rapidement plaquée sur sa bouche voulut taire la vulgarité qui traversa ses lèvres, mais en vain. Son regard azur se dirigea vers le café dans lequel elle travaillait. Et c'est une patronne pas très contente qu'elle vit à son entrée, tapant d'impatience du pied, les bras croisés sur le buste. Ohlala, ça va chauffer ! Se rasseyant correctement sur le banc, elle répondit finalement à l'invitation de l'américain, avec une certaine précipitation dans la voix.
- D'accord, mais seulement pour le Pearl Harbor. Vu qu'il est assez difficile à trouver, il vaut mieux être accompagné la première fois qu'on souhaite y aller. Pour le reste de l'invitation, je me dois de refuser. J'ai encore beaucoup de travail qui m'attend ce soir, malheureusement.
Vrai et faux. D'un côté, refuser d'aller chez lui évitait à la demoiselle de trop se rapprocher d'un homme. D'ailleurs, à cette pensée, Donna frissonna. Et de deux, et bien, en étant super-héroïne, on faisait une double journée de travail. Wonder Girl, c'est le soir qu'elle agit surtout, profitant de ses rondes pour attraper les malfaiteurs. Bon, après, elle n'allait pas avouer à l'américain que tous les soirs, elle bottait le cul aux criminels de Seikusu, lui avouer un truc du genre "Salut, je suis Wonder Girl, et vous ? Et ce n'est pas la peine de m'inviter le soir car, voyez-vous, je me trimbale en tenue moulante pour que le Bien triomphe dans cette ville japonaise !"...Oui, mais encore ? Autant vous dire qu'elle avait bien raison de refuser, pour le tête-à-tête.
C'est précipitée et paniquée par la sentence que lui réservait sa patronne que Donna se releva du banc, se dirigeant alors vers le café, tout en faisant signe au jeune homme. Soudain, sur le chemin, elle s'arrêta subitement. Elle avait oublié quelque chose...C'est cool la vie à pieds nus mais pas pour bosser. Se tapant le front avec la paume de la main quand elle s'en rendit compte, le brunette fit demi-tour jusqu'au banc. Tiens, elle avait aussi oublié son reste de moelleux au chocolat, mais à l'heure où elle rentrerait tranquillement à son appartement, il sera devenu sec, et donc presque immangeable à ses yeux.Tendant le paquet ouvert et la pâtisserie à moitié entamée, elle l'offrit finalement au jeune homme.
- Je n'aurais pas le temps de le finir, et comme on ne gâche pas du chocolat...Vous finirez votre repas sur une meilleure touche que les ramens au porc ! Et si vous n'en voulez pas, chose que je comprends vu que j'ai la rage...
Durant un instant, elle mima un zombie enragé, limite la bave aux bords des lèvres, pour appuyer ses paroles. Puis finit sur un sourire amusé.
- Jetez-le, même si cela relève du sacrilège, et qu'on vous pendra pour cette offense ! Mais je suis désolée, je dois reprendre mon service...
Un sourire doux vite donné pour s'excuser, tout en réhaussant ses lunettes sur le haut de son nez, Donna repart vers le café, enfilant en même temps ses escarpins noirs avec une certaine maladresse. Elle avance toujours, même si c'est en sautillant pour chausser ses talons. Aïe, aïe, aïe ! Mme Mishimura est vraiment en colère. Bien des clients attendent après une bière ou une simple tasse de café. Alors Donna s'excuse platement et promet de rattraper son retard, aujourd'hui ou bien demain...
Le train-train quotidien du boulot la mine, et encore plus à cet instant: les mains dans la cuisine à l'arrière, à la plonge, au ménage, au service au comptoir, sans parler de celui en salle. La chose qu'elle redoutait le plus à chaque fois, parce que, pratiquement tous les hommes lui mettaient la mains aux fesses, ou bien reluquer son décolleté exigé par la patronne. Voyons, comptons déjà un peu le nombre de mains: une, deux, trois, et quatre...Déjà pas mal à cette heure-ci ! Et bien évidemment, pour ne pas perdre son boulot, Donna ne devait en aucun cas broncher...
Ce n'est qu'une fois tranquille, installée derrière le comptoir à nettoyer les verres du bar, qu'elle se rendit enfin compte de ce qu'elle avait accepté sur le banc juste un peu auparavant. Aller jusqu'au Pearl Harbor n'était pas quelque chose d'aisé quand Seikusu nous était étranger. Mais c'est surtout de faire le chemin jusqu'à la boutique en sa compagnie qui lui fit peur. Il ferait sûrement sombre à ce moment-là, un peu comme lors de cette fameuse soirée...Brrr, maudite phobie qui procure à Donna un frisson dans l'échine plus que désagréable. Ah...Elle avait également oublié de lui dire à quelle heure elle finissait. Et bien, il allait pouvoir l'attendre un moment, le pauvre...