Tandis que Shoutarou se rendait dans la salle d’interrogatoire pour essayer d’en savoir plus sur Kenji, Stéphanie l’observait silencieusement, bras croisés. Elle n’échangea pas un seul mot avec Jack Knight, et ce dernier, de son côté, n’avait nullement envie d’engager la conversation. Il était facile de le comprendre. C’était un solitaire, un aigri. Il avait perdu sa famille à cause du Flambeur, et, dans un sens, il lui rappelait Bruce Wayne. Wayne, qui avait perdu sa famille, et qui était devenu un individu entre un justicier et un vengeur personnel. Jack Knight fonctionnait sur le même principe. Cette enquête était son obsession, et que ses supérieurs le laissent continuer à mener son enquête était en soi un dysfonctionnement, la preuve que les fédéraux avaient bien du mal contre Orlando. Il devait sûrement prendre Stéphanie et Shoutarou pour des amateurs, et, à la vérité, on ne pouvait pas vraiment lui reprocher cette approche. Dans son costume, il n’y avait véritablement qu’à Gotham City que Stéphanie pouvait se faire respecter.
Shoutarou, de son côté, fit appel à Knight. Surpris, ce dernier entra, et Stéphanie, bras croisés observait toujours la scène. Kenji était terrorisé, et Shoutarou lui expliqua que Knight avait perdu sa famille contre Orlando. C’était risqué, surtout pour l’agent fédéral, qui pouvait s’énerver, mais il sut conserver son sang-froid, et se retira ensuite. Ce fut ensuite au tour de Stéphanie d’entrer, afin d’obtenir ce qu’elle désirait savoir de la part de Kenji, ce dernier semblant plus coopératif. Stéphanie rentra, refermant lentement la porte derrière elle. L’homme était surpris, et fronça les sourcils, en voyant la femme entrer dans son costume.
« Que... Mais qui êtes-vous ? s’exclama-t-il.
- Je m’appelle Stéphanie », répliqua Batgirl, choisissant de rester debout.
Elle estimait que donner son vrai nom serait préférable que son surnom de super-héroïne. Elle restait debout, laissant l’homme exprimer son incrédulité.
« Mais... Vous êtes qui ? Bordel, c’est quoi ces conneries ?!
- J’apporte mes compétences pour aider les forces de police.
- Hein ?!
- Écoutez, je…
- Alors, pour commencer, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous m’avez l’air d’être tout, sauf un flic. Si c’est une caméra cachée, je vous préviens que je porterai plainte. Ensuite, j’aimerais contacter mon avocat. »
Il fallait croire que l’homme reprenait du poil de la bête. Stéphanie fronça les sourcils, et sortit le papier que Barbara lui avait donné, le tendant à l’homme.
« Ce papier atteste de mes compétences. Comme vous le savez, le FBI enquête sur Orlando, et je suis là pour les aider. Quant à votre avocat... Aux Etats-Unis, vous auriez le droit d’en avoir un d’office, mais, au Japon, la situation est légèrement différente. »
A dire vrai, Stéphanie n’en savait rien, mais, parfois, il pouvait être bon de bluffer. L’homme poussa un profond soupir, relâcha le papier, que Batgirl récupéra rapidement. On n’était pas à Gotham, après tout. Elle n’accordait pas un seul regard vers la vitre sans tain, se demandant ce qui devait se passer derrière. Il était possible, voire même certain, que Knight n’ait guère apprécié qu’on se serve de sa famille. C’était bien pensé de la part de Shoutarou, mais risqué. Et, sur le long terme, ce pouvait être préjudiciable. Le concours de Jack serait indispensable, Stéphanie le savait. Il était celui qui en savait le plus, mais le convaincre de travailler avec d’autres personnes ne serait pas facile.
« Je... Je n’avais pas le choix, vous savez... finit par dire ce dernier.
- Si vous commenciez par le début ?
- Je... Je ne suis qu’un simple avocat en droit social... Rien de bien méchant, je m’occupe des... Des cas de licenciement, essentiellement. Tout ce qui touche au travail...
- Et c’est comme ça que vous avez rencontré Orlando ? devina Stéphanie.
- Il... Il a utilisé un nom d’emprunt, acquiesça Kenji. Il m’a dit qu’il était un immigré américain, venu pour travailler au Japon, en suivant sa femme, une Japonaise. L’histoire classique. Des cas de licenciement pour discrimination, il suffit de taper dans un poteau pour les faire tomber. J’ignore... J’ignore pourquoi il s’est attaqué à moi, précisément. Peut-être qu’il a ouvert un annuaire, et ait tombé sur mon nom. Il m’a servi une histoire à dormir debout.
- Et ensuite ? »
Kenji déglutit faiblement, baissant la tête. Stéphanie se força à préciser plusieurs choses :
« Écoutez, si vous êtes vraiment une victime, le tribunal se montrera clément envers vous. »
C’était une phrase qui semblait tout droit sortie d’un épisode des Experts, mais elle résumait bien la situation. Kenji était vraiment une victime, et, s’il aidait la police, Batgirl ne voyait aucune raison pour laquelle le Procureur demanderait autre chose que la relaxe. Tout dépendrait ensuite de la clémence du juge.
« Mais putain, bien sûr que je suis une victime ! Il s’est joué de moi ! Quand je suis rentré chez moi, il était là. Il... Il m’a assommé, et m’a montré une vidéo. Ma femme et ma fille... Attachées contre des tuyaux, bâillonnées. Il m’a dit qu’il n’hésiterait pas à les tuer si je faisais ce qu’il voulait. Il... Il m’a électrocuté. »
Il en parlait d’une voix faible et basse. L’homme avait été torturé, mais de manière à ne laisser aucune trace visible. Une électrocution avait cet avantage de ne laisser aucune cicatrice. Stéphanie grinça des dents. Elle n’en doutait pas vraiment, mais ceci confirmait, encore une fois, qu’Orlando était un individu prêt à tout pour parvenir à ses fins. Quelqu’un qu’il fallait impérativement neutraliser avant que sa présence ne devienne trop gênante.
« Je n’avais pas le choix... se mit à sangloter l’homme. Il fallait que je le fasse... »
Vu la manière dont il parlait, l’homme ne semblait pas se faire trop d’espoirs pour sa famille. L’argument de Shoutarou se retournait contre eux. Stéphanie réfléchit. L’homme pleurait, et elle n’obtiendrait rien de plus de lui. Le remerciant, elle sortit silencieusement de la salle d’interrogatoire, et vit Shoutarou et Knight. L’agent fédéral semblait bouillonner de rage.
« On fait quoi, maintenant ? » demanda Stéphanie.
Jack se retourna alors vers elle.
« On ? Parce que vous imaginez sans doute que je vais me coltiner une gamine attardée et une femme en cosplay ?! Vous vous foutez de ma gueule ? Cette enquête, c’est du sérieux ! Ce type, c’est un putain de psychopathe ! Je ne veux pas de votre aide ! J’ignore par quels procédés vous avez réussi à convaincre ces cons qui sont au-dessus de moi, mais, pour moi, vous pouvez aller vous faire foutre. Tous les deux ! Bordel ! »
Et, disant cela, l’homme claqua la porte, sortant rapidement. Stéphanie regarda Shoutarou, et haussa les épaules.
« Il me semble que nous risquons d’avoir du mal à obtenir sa coopération... Tu as une idée sur la suite ? »