Sélène menait la marche, mais ce n’était pas elle la véritable dirigeante de l’expédition. C’était Tallia, car elle était la plus entraînée, et la plus experte. Au sein des Amazones, on se fiait avant tout au rapport de force, et, si la fierté de Sélène était marquée à l’idée d’être derrière Tallia, elle devait s’incliner. L’Amazone avait encore réussi à la battre hier, et Sélène avait du se soumettre. Néanmoins, ce n’était pas ceci qui l’empêchait de marcher en tête, et ça ne dérangeait pas particulièrement Tallia. Hélène, de son côté, était amusée. Ces deux femmes étaient d’éternelles rivales, mais elles ne se détestaient pas. Au contraire, l’acharnement de Sélène à vouloir battre Tallia conduisait les deux femmes à savoir qu’elles pouvaient compter l’une sur l’autre. En situation difficile, une Amazone n’hésitait jamais, si la situation l’exigeait, à demander l’aide d’une sœur. La Horde était une grande famille, et, pour qu’une famille existe, il fallait que les membres de la famille se soutiennent entre eux, et se fassent confiance. Le trio marchait donc, et rejoignit rapidement l’un des grands ponts menant vers le quartier de la ville où se trouvait la bibliothèque. Andromaque avait choisi d’emmener trois de ses meilleures guerrières, reformant ainsi plusieurs groupes. Tallia était généralement envoyée en mission avec de jeunes Amazones, afin d’en profiter pour les former. Il en allait de même pour Sélène et Hélène. Réunir ensemble de si puissantes femmes pouvait donc être un gâchis de moyens et de temps, mais Andromaque ne tenait pas à prendre de risques inutiles. On l’avait averti que Micahualca était une ville particulièrement dangereuse. Outre les monstres et les dragons, il y avait aussi des chasseurs de trésors peu enclins à partager leurs trouvailles, mais également des raiders, des bandits, voire même des sectes satanistes ou des esclavagistes.
L’intérêt de Micahualca, en effet, ne se résumait pas qu’à des statuettes. Quand la ville s’était progressivement vidée de ses habitants, les réfugiés avaient, selon les rumeurs, affirmé que Micahualca comprenait de vastes trésors. Certains historiens et autres aventuriers affirmaient que les Micahualcans vivaient toujours ici, dans les profondeurs de la ville. De nombreux royaumes avaient organisé des expéditions, mais tous étaient revenus bredouilles... Pour ceux qui étaient revenus. Cette bibliothèque constituait une piste, et Andromaque ne tenait pas à la négliger. Des ennemis bien plus redoutables que des harpies pouvaient se terrer dans cette grande structure. Dans l’absolu, mieux valait donc faire preuve de prudence.
Sélène commença à s’aventurer sur le pont quand elle entendit quelqu’un l’appeler :
« Grande sœur Sélène ! Grande sœur Sélène ! »
La belle et farouche Amazone se retourna, et fronça légèrement les sourcils en voyant une jeune fille courir vers elle. Mère n’aurait pas aimé... Mais Sélène trouvait que Mère chaperonnait bien trop les enfants. Néanmoins, les enfants n’avaient pas le droit de quitter le périmètre du camp, justement parce que la ville était dangereuse. Sélène remarqua alors qu’un homme accompagnait la jeune fille. Le Nephalem... Celui que Cymé avait pris pour lui faire l’amour. La métallurgiste avait bien choisi. Sélène, comme n’importe quelle Amazone, était à tendance lesbienne prononcée, mais, pour autant, elle ne rechignait pas sur les hommes... Bien moins que d’autres Amazones, en tout cas. Edean le Nephalem était beau, mais, vu qu’il se rapprochait des Anges, c’était normal.
« Que souhaites-tu, petite sœur ? demanda Sélène, tandis que la petite sœur reprenait son
souffle.
- Je... Hum... Bonjour, grande sœur Tallia. Bonjour, grande sœur Sélène. Bonjour, grande Tallia.
- Bonjour à toi, petite sœur, répliqua Hélène en souriant légèrement, assise sur un rocher.
- Monsieur le Nephalem voulait vous voir ! » se justifia-t-elle en le désignant du doigt, avant de rougir, et de ramener sa petite main.
Maman lui disait toujours que ce n’était pas bien de montrer du doigt les gens, et elle évitait donc de le faire. Serrant le poing, la jeune fille rosit à nouveau, intimidée d’être entourée par de telles femmes. Il s’agissait de redoutables Amazones, des modèles pour toutes les jeunes filles de la Horde. La fillette rêvait d’être comme la grande sœur Tallia. Sélène lui ébouriffa les cheveux.
« Retourne au camp, petite sœur, et entraîne-toi. Si tu arrives à battre cinq de tes sœurs aujourd’hui, nous nous entraînerons ensemble ce soir.
- Vrai... Vraiment ?! s’exclama la fillette, son cœur battant la chamade.
- Sauf si je suis tuée... »
La fillette secoua la tête.
« Personne ne peut tuer une fière Amazone ! »
Cette remarque spontanée fit sourire les trois Amazones.
« Si seulement c’était vrai... Maintenant, file, ou ta mère te donnera une tannée pour être sortie du camp. »
La jeune Amazone rougit, et fila sans demander son reste. Il ne restait dès lors plus que les Amazones et le Nephalem, qui proposa de se joindre à eux. Les Amazones se regardèrent brièvement entre elles, et ce fut Tallia qui parla. Elle se tenait sur une terrasse en hauteur, dans ce qui semblait être un ancien café délabré. Un escalier extérieur permettait d’y aller, et elle observait la région depuis cette position. Elle sauta depuis la terrasse pour atterrir sur le sol, à proximité d’Hélène, et parla.
« Très bien, Nephalem. Tu connais les lieux, alors tu peux venir avec nous. »
Il n’en fallait pas plus. Sélène hocha la tête, et commença à avancer le long du grand pont. Il était grand, suffisamment grand pour contenir deux chariots opposés l’un à l’autre, et était soutenu par d’énormes câbles et des piliers qui se plantaient dans la rocaille. Le pont était sûrement jadis l’une des grandes arcades, et le spectacle était assez saisissant. Il s’étalait sur une bonne centaine de mètres, et, vers le beau milieu de ce pont, on pouvait voir la pyramide centrale de Micahualca. Les recherches d’Andromaque et d’autres sœurs avaient permis d’établir que, quand le soleil se levait, d’anciens miroirs réfléchissants permettaient de diffuser des rayons lumineux vers chaque pyramide, donnant ainsi un cortège éblouissant de lumière. C’était une machinerie complexe, qui permettait ainsi d’éclairer chaque rue et chaque ruelle de Micahualca. Indéniablement, la ville avait eu une avancée technologique impressionnante.
Le groupe avança silencieusement. Le vent faisait remuer les cheveux des Amazones, confirmant que les Micahualcans devaient être de forte constitution, pour supporter des vents si extrêmes. Des lézardes ornaient parfois le sol du pont de pierre, signatures du temps qui passe. On entendait parfois des mugissements venant des profondeurs, sous le pont, et les Amazones s’arrêtèrent en entendant justement l’un de ces bruits. Une espèce de cri guttural profond, lointain, qui résonnait comme un écho sur les parois des montagnes.
OOOOOOOAAA-OOOOOOOHHH-OHHOOOOOOO
Hélène se pencha en s’appuyant sur la balustrade, mais en vit rien d’autre que des nuages masquant la vue.
« Ce n’est probablement que le bruit du vent, suggéra Sélène. Allons à la bibliothèque, et trouvons des informations.
- Nous aurions peut-être du emmener une érudite avec moi, afin qu’elle soit plus en mesure d’analyser le contenu de la bibliothèque, hasarda Hélène.
- Il est prévu de le faire, ma sœur, mais nous devons nous assurer que la bibliothèque soit sécurisée. Continuons donc. »
Hélène hocha la tête. Tallia se retrouva ainsi à hauteur d’Edean, et le toisa brièvement, avant de lâcher :
« J’espère que vous savez vous battre... »