Speed-Hiring (Spidey-chou)

- Non mais c'est pas vrai ? C'est quoi ces clichés pourris ?

Tenant entre le pouce et l'index une photographie censée représenter un personnage politique influent pour illustrer son article, Loïs fusillait du regard le responsable de ceci. Le cliché était flou. C'était un travail d'amateur.

- Tu étais pourtant avec moi pendant l'interview. Tu n'aurais pas pu le prendre de face, pour commencer ? Et regarde-moi ça... Tu as dû trembler comme un malade !

Réprimant une grimace de dégoût, elle appuya de la pointe de son escarpin sur la pédale de la poubelle et le couvercle s'ouvrit. La photo y glissa, comme une feuille sur le macadam.

- Dégages. Tu es viré.

Passant une main sur son front, elle s'affala dans son fauteuil, face à son bureau. Ses doigts fins se crispent, et finalement, elle tape du poing sur la table en se redressant. Était-elle trop exigeante ? Sans doute. Mais si elle ne l'était pas autant, elle ne serait pas autant connue.

- Grâce !
- Oui Mademoiselle Lane ?
Viens là...Elle inscrivit quelques mots vite fait sur un papier et le lui tendit. Apportes-ça à l'éditeur. Je le veux pour l'édition de ce midi.

Sans faire attention aux courbettes de la secrétaire, Loïs s'étira. Le petit mot ? Il informait le bon peuple de Seïkusu que la journaliste à succès Loïs Lane recherchait un bon photographe. Les auditions auraient lieu à partir de 15h30, ce qui laissait amplement le temps aux futurs chanceux de se préparer. Le journal paraissant à 12h30, dans une heure, elle avait donc quatre heures devant elle, qu'elle mit à profit pour peaufiner un article ou deux.

Juste avant l'heure fatidique, Loïs commanda un sandwich à sa secrétaire, qui alla le lui chercher. Elle revint alors que Loïs auditionnait son quatrième candidat. Cinq minutes Top-Chrono. Motivations, expérience, et ensuite quelques photos pour montrer son talent. Médiocre. Au suivant ! Et rebelotte. A quand un photographe assez doué ?

Il tournait les pages avec frénésie, adossé contre un mur, indifférent au trafic et aux promeneurs qui passaient devant lui sans le voir, ne lui accordant qu’un regard éberlué de temps à autre, leurs yeux se posant sur la cicatrice qui lui barrait le visage. Enfermé dans sa bulle, perdu dans ses pensées, il cherchait désespérément les petites annonces. Je viens à peine d’arriver, et je n’ai même pas de quoi me payer un toit correct. La vie est presque aussi cher qu’à New York, faut pas exagérer, quand même. Agacé, il finit par tomber ce qu’il espérait. Ses yeux s’illuminèrent légèrement. La célèbre Loïs Lane en pleine recherche d’un bon photographe ? Parfait, tout ça. Me voilà presque revenu à la vieille époque, tiens. Heureusement que j’ai eu la présence d’esprit de prendre quelques clichés, çe sera sûrement vendeur... Si elle ne connaît pas encore mon identité. Il inclina légèrement la tête en repliant le journal, réfléchissant en levant les yeux vers le ciel. Ici, il n’était pas connu. Du moins, il l’espérait. Il n’avait pas vraiment prévu de devoir se rendre à un entretien pour travailler pour Loïs Lane. Qu’est-ce qu’elle fout ici, d’ailleurs ? Depuis quand est-elle au Japon ?

Soupirant longuement, il finit par détacher son dos du mur en levant le poignet pour jeter un oeil à sa montre. Quinze heures. Il ne lui restait plus beaucoup de temps, d’autant plus qu’il ne connaissait pas encore la ville correctement. Il n’était là que depuis deux jours, et il s’était d’abord concentré sur la recherche d’un logement et d’un emploi, histoire de disposer de quelques ressources pour parvenir à retrouver Félicia et le Venom. Tout bien réfléchit, cette offre tombait à pique. Même sans les clichés glissés dans la doublure de sa veste en cuir, il restait un excellent photographe, et il ne doutait pas de convaincre la jeune journaliste, malgré sa réputation. Et puis, il y avait toujours son charme, dans le pire des cas.

Il se mit donc en route pour le siège du journal, demandant son chemin aux passants qu’il croisait. Et lorsqu’il parvint dans le hall de l’immeuble, on le dirigea vers le bureau de Miss Lane. Il reçut même quelques coups d’oeil compatissants au passage, alors qu’il rehaussait la lanière de son sac à dos. Grimpant à l’étage, il croisa la route d’un homme au visage fin, les iris légèrement rougies, à la silhouette filiforme, qui semblait vouloir quitter les lieux au plus vite. Haussant un sourcil d’étonnement, il le suivit un instant du regard. Elle est si féroce que ça, franchement ?... Amateur. Quand on a bossé pour Jameson, c’est pas une journaliste qui nous effraie.

Il eut un petit rire, alors qu’il parvint à la fameuse porte. Y entrant en activant la poignée du coude, sa main toujours accrochée à la sangle de son sac, l’autre dans la poche de sa veste, il avisa un instant la secrétaire qui semblait l’attendre. Il lui demanda poliment s’il pouvait y aller, pour l’entretien, ce à quoi elle répondit en lui désignant la porte d’un signe de tête, ajoutant un bon courage lorsqu’il passa devant le bureau. Arrêtez de tirer ces têtes d’enterrements, elle ne va pas me bouffer, hein.

Il s’arrêta un instant devant la porte, ôtant son sac à dos, tirant légèrement sur le col de sa veste et sur le t-shirt blanc cassé qu’il portait en dessous. Avant de pousser le battant de la paume de la main entrant dans la pièce et jaugeant d’un regard inquisiteur la jeune femme assise derrière le bureau. Et quelle femme ! « Sexy » fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. « Affamée » fut le second, lorsqu’il la contempla en train de dévorer une bouchée d’un sandwich bien garni. Et qui m’a l’air totalement immonde, vu d’ici... Il s’avança, déposant son sac sur le sol, près du fauteuil, avant de s’asseoir en face d’elle. Il s’adossa au dossier, croisant les bras sur sa poitrine sans retirer sa veste. Décontraction totale, tu es sûr de l’avoir, ce job. Malgré tout, une once de timidité et d’inquiétude l’empêcha de prendre la parole tout de suite. Il dut se faire violence, inspirant longuement et imperceptiblement, avant de se présenter.

«- Miss Lane. Je me présente, Peter Parker. Je viens pour le poste de photographe que vous briguez. »

Pas un mot de plus, Parker. Il faut voir avant tout si elle tique sur ton nom. Ton identité secrète est connue, à l’autre bout du monde, et tu peux pas être sûr qu’elle ne soit pas au courant ou même qu’elle s’en souvienne, maintenant qu’elle est ici. Par contre, ton nom civil, si elle a fait quelques recherches, ou qu’elle en fait plus tard, elle tombera forcément dessus. La dernière fois que j’ai cherché sur internet, par curiosité... Mille cinq cents réponses. Travailler au Bugle, ça fait parler les gens. D’ailleurs, j’ai jamais touché de Royalties pour l’usage de mon nom, tiens.

Il se contenta donc de la fixer, lui adressant un sourire, joignant son regard au sien, attendant de voir si elle allait réagir ou non. Si elle avait entendu parler de Spiderman, ce serait foutu pour les photos. Mais si le nom de Peter Parker ne lui était pas inconnu... Ce serait bon pour lui, étant donné la réputation que ses photos ont obtenu en étant publiées dans le Daily Bugle. Ceci dit, ce n’était qu’un journal New-Yorkais, alors...

Soupirant de dépit, Loïs profita du départ du sixième candidat pour entamer son sandwich. Bas-de-gamme, mais ça faisait du bien de manger. Rassasiant son estomac affamé, elle raya le nom qu'elle avait noté précédemment. Elle salua vaguement de la tête le nouveau venu, appréciant trop de ne plus sentir son estomac grogner. Elle espérait tout de même ne pas passer la journée au bureau à auditionner des candidats.

Finissant sa bouchée, elle écouta attentivement l'unique phrase du nouveau. Peter Parker hein ? Ce nom lui disait bien quelque chose. Elle fouilla un instant dans un tiroir, avant d'en exhiber un cliché banal, mais signé Peter Parker. Oui ! Voilà ! Posant le journal sur la table, avec la photo qui faisait la Une, elle esquissa un sourire. Elle avait peut-être son photographe, mais autant s'en assurer.

- Bonjour Mr Parker.

Elle regarda brièvement le journal avant de poser son sandwich et de croiser les doigts.

- Alors. Pour quelle raison voulez-vous bossez pour le Daily Planet ? Vous venez de New York, n'est-ce pas ?

Ce n'était qu'une question de rhétorique. Elle enchaîna aussitôt sur la suite.

- Vous n'êtes pas sans savoir que les candidats à ce poste que vous désirez sont nombreux. Qu'est-ce qui vous différencie d'eux ? Avez-vous des clichés de bonne qualité à me montrer ? Regardez ce que mon dernier photographe à prit...

Elle sortit d'une pochette le double du cliché jeté précédemment à la poubelle et le plaça face à Peter.

- Qu'en pensez-vous ?

Oh, elle savait très bien que Peter Parker n'était pas mauvais. Il était même plutôt doué. Mais Loïs n'embauchait pas sur ce qu'elle savait uniquement. Si ça se trouvait, les bon clichés publiés étaient les seuls parmi une pellicule tout entière qui soit potable. Alors, elle voulait des preuves. C'était aussi simple que ça. S'adossant à son fauteuil, elle fixa un regard attentif sur le jeune homme. Elle ajouta simplement une dernière question avant de le laisser répondre :

- J'espère aussi que vous savez que, si je vous embauche, vous devrez me suivre assez souvent dans mes investigation. Que ce soit à trois heures du matin ou à huit heures du soir.

Allez, à lui. Prions pour qu'il soit satisfaisant. Elle n'en pouvait déjà plus d'être assise à ne rien faire.

Il la vit fouiller un tiroir, avant d’en sortir un journal. Haussant un sourcil alors qu’elle le posait sur la table, il inclina légèrement la tête de côté, reconnaissant la photo qui faisait la Une. Une vieille édition du Bugle. Pas terrible, cette photo, c’était le début, bon, mais ça n’excuse pas tout. Elle lui rendit son salut, ce à quoi il ne réagit que d’un sourire délicat, avant de l’observer poser son sandwich, puis ses questions. Même s’il ne l’aurait jamais avoué, il était un peu intimidé. La réputation de cette femme la précédait, et il savait que de nombreux journalistes avaient du respect pour elle. Certains se damneraient même pour avoir la chance de travailler en sa compagnie, ou vendraient père et mère pour ne serait-ce que la croiser au détour d’une conversation. Lui, il s’en fichait allègrement. Il était là uniquement pour gagner de l’argent, et la photographie n’avait toujours été qu’un moyen d’arrondir les fins de mois, pas vraiment une passion en soi. Il était doué, c’est vrai, mais à chaque fois qu’il décidait de faire quelque chose, il arrivait toujours à en faire quelque chose de correct. Une sorte de perfectionnisme. Elle finit par lui demander ce qu’il pensait d’une photo de son dernier photographe. Celui qu’elle a dû renvoyer, en fait. Et je la comprends, ce cliché est... Il n’y a pas de mot. Il allait répondre quand il croisa son regard. Elle était attentive à ce qu’il pourrait dire, mais avant qu’il ne puisse prendre la parole, elle rajouta une phrase. Une affirmation non négociable, en fait.

Il lui adressa un nouveau sourire, avant de se redresser sur son fauteuil, tendant une main pour rapprocher encore un peu l’horrible cliché qu’elle lui avait montré. Il l’étudia deux secondes, avant de froncer les sourcils, relevant la tête pour retrouver son regard. Tapotant la photo de l’index, il finit par demander :

«- Votre photographe, là, c’était un gosse de cinq ans, non ? »

Il lâcha un léger rire. Regardez-moi ça, franchement...

«- Une photo mal cadrée, flou, digne du premier appareil jetable. Ceux qu’on trouve aux supermarchés, dans un pauvre emballage en carton et en plastique. C’était pour une interview, non ? Parce que là, c’est vraiment une honte. Vous n’aurez pas ce genre de déchets, avec moi. »

Il sourit de nouveau, repoussant le cliché sur le bureau. Point positif, elle n’avait pas connaissance de son secret. Spiderman était sauf, et lui disposait de plus d’arguments pour se vendre que si elle avait su qui il était. Il réfléchit quelques secondes aux questions précédentes, avant de hocher la tête.

«- Comme vous l’avez dit, je viens de New York. L’Amérique, c’est très surfait, surtout ces derniers temps. Une envie de changer d’air, et comme je suis arrivé ici il y a peu de temps, j’ai besoin d’argent. Ne serait-ce que pour me trouver un endroit décent où vivre. Et comme je connais le milieu, votre annonce m’a paru assez... providentielle. »

Il sourit à nouveau, avant de s’adosser à nouveau au dossier de son fauteuil. Posant la main sur son menton, l’enserrant de ses doigts pour réfléchir à la suite, il enchaîna après de nouvelles secondes.

«- Ce qui me différencie des autres... J’ai bossé pour le pire emmerdeur que la terre ait jamais porté... »

Enfin, le pire sans compter les super vilains qui m’ont pourri la vie et celle des habitants de New York. Entre Electro, Le Vautour, Le Lézard, ou ce foutu Bouffon Vert... Au moment où le nom lui traversa l’esprit, il avait machinalement posé l’index sur la cicatrice qui lui barrait l’oeil. Revenant sur terre, il continua, naturellement.

«- ... Donc, je connais le milieu, je peux supporter les pires inconvénients, je sais prendre des photos que personne ne peut prendre, et je n’abandonne pas. Par contre, je peux être excessivement chiant si on accorde pas à mes photos le prix qu’elles méritent. Se faire marcher sur les pieds, ce n’est plus pour moi. Quant à ma disponibilité, elle est totale. Si vous m’appelez, quelque soit l’heure, je répondrais présent sans aucune hésitation. »

Il hocha la tête, avant d’écarter un pan de sa veste pour y glisser une main. Cherchant un instant dans la doublure, il en ressortit des clichés qu’il étudia un instant. Les photos que j’ai prise hier en costume. Elles sont vraiment pas mal du tout, je n’ai pas perdu la main. Et ça me fait un premier scoop, en plus. Bon, si l’édition du journal fait le tour du monde, je risque de me retrouver avec le S.H.I.E.L.D sur les bras, les Thunderbolts, ou autre... Mais je ne pense pas. Le Daily Planet de Seikusu, c’est pas celui de New York. Ils ont assez de news là-bas pour ne pas faire attention à une édition japonaise.

Il lança habilement les photos sur le bureau, les montrant ainsi à la jeune femme. Bien cadrée, montrant l’Homme-Araignée en pleine action, tirant sa toile entre les bâtiments de la ville, de près. Des photos parfaites, en un sens. Il sourit.

«- Je viens avec des photos, et aussi un scoop. Spiderman est ici. Ca peut vous faire vendre, ça, hein ? »

Satisfait de sa prestation, il croisa à nouveau les bras sur la poitrine, laissant Loïs examiner ses oeuvres.

«- J’ai été son photographe officiel, et je le connais un peu. Ca aussi, ça me différencie des autres. »

Les mains croisées sur mon ventre, j'écoutais avec attention ses paroles. C'est qu'il était convainquant mine de rien. Ça indiquait sûrement sa compétence. Dix fois meilleur que le précédent, en tout cas. Dès qu'il eut finit de commenter le cliché raté, je le jetais dans la corbeille pour ne plus le voir. J'avais un sourire qui flottait sur mes lèvres.

Quand il eut fini de parler, de se mettre en valeur, j'étais satisfaite. Il savait se vendre. Un bon point. Il pouvait être disponible quand je le désirais. Un autre bon point. Il était bon photographe. Encore un bon point. Et puis il ne craignait pas les emmerdeurs et pouvait supporter mon caractère qui, je l'assume, pouvait être merdique.

Décroisant les bras, je pris les photos qu'il venait de lancer sur la table pour les étudier. Une expression de surprise passa sur mon visage, et mes lèvres s'arrondirent en une sorte de "o" avant que je ne me reprenne.

- Et bien...

D'apprendre que Spiderman traîne en ville réveille mon instinct de journaliste. Si je pouvais obtenir une interview, ce serait fabuleux. Et d'apprendre que ce jeune homme avait été son photographe officiel, ça.. C'était la cerise sur la pièce-montée !

- C'est fabuleux ! Vraiment... Génial. Vous êtes engagé Mr Parker.

J'appuyais sur le bouton de l'interphone

- Grâce !
- Oui Mademoiselle Lane ?
- Faites prévenir les candidats que ce n'est plus la peine d'attendre, faites retirer l'annonce du journal, et préparez le contrat d'embauche s'il vous plaît.
- Tout de suite Mademoiselle Lane. Quand est-ce que vous désirez le contrat ?
- Le plus tôt possible.

J'ôtais mon doigt et me renfonçais sur mon fauteuil.

- Croyez-vous, Mr Parker, que Spiderman accepterait de se livrer à une interview ? Juste moi, lui et vous.

Il la fixait, les bras toujours croisés sur sa poitrine, son dos toujours appuyé au dossier du fauteuil. Elle était satisfaite, et sa dernière révélation avait sûrement porté le coup de grâce. Il pouvait le lire sur son visage. Et hop, c’est dans la poche. Il la laissa contacter sa secrétaire. Il pouffa imperceptiblement en entendant le nom de cette dernière. Grâce. Pourtant, elle est vraiment mince. Levant les yeux au ciel après cette pitoyable vanne intérieure, il soupira. Faut que j’arrête ça. À force, je vais finir par me taper sur le système moi-même. Bon.

Il fronça les sourcils légèrement lorsqu’il entendit la question de sa patronne, parce qu’elle l’était à présent. Inclinant la tête sur le côté, il s’avança et posa le coude sur le bureau, enfouissant son menton dans ses doigts, affichant une moue intensément concentrée. Sachant qu’il était Spiderman et Peter Parker, une interview à trois était difficilement envisageable, pour ne pas dire impossible. Et il n’était pas question qu’il révèle son identité, évidemment. Il avait déjà eu assez de soucis comme ça, et même s’il n’avait plus personne à perdre, maintenant, il voulait profiter d’un peu de calme en évitant que tous les super-vilains ne débarquent ici pour lui faire la peau. En plus du gouvernement américain. Son visage finit par s’éclairer. Il finit par hocher la tête, doucement. En composant son visage pour avoir l’air contrit.

«- C’est envisageable, oui. Par contre, je tiens à vous prévenir : Spiderman aime bien la hauteur, et il sera difficile de le faire s’asseoir autour d’une table pour discuter. Si vous voulez une interview, il faudra être sur son terrain. »

Il fit mine de réfléchir encore une seconde.

«- Et par conséquent, j’aurai dû mal à prendre de belles photos si je suis à côté de vous, il faudra que je prenne un peu de recul pour trouver un bon endroit d’où le mitrailler. Je ne pourrais pas être avec vous, mais si ça peut vous rassurer, je serais là tout de même. Vous ne me verrez pas, c’est tout. Et je vous garantis les meilleurs photos que je puisse faire. »

Il recula sur son siège, et mit une main dans la poche intérieure gauche de sa veste en cuir. Il en sortit son portable. Adressant un sourire se voulant presque séduisant à Miss Lane, il lui adressa un clin d’oeil, avant de faire semblant de composer un numéro, faisant sonner les touches avant de porter l’engin à son oreille. Après quelques secondes, comme s’il attendait qu’on lui réponde, il prit la parole. Maintenant, suffit de se la jouer comédien.

«- Allo, Spidey ? »

Il laissa passer quelques secondes.

«- Ouai, ouai, désolé. Mais j’ai devant moi ma nouvelle patronne, et j’ai un petit service à te demander. T’as cinq minutes pour m’écouter ? »

Il hocha la tête, ensuite, comme s’il répondait silencieusement à une phrase de son interlocuteur.

«- Oui, je viens d’être engagé, grâce à tes photos. Miss Loïs Lane. J’imagine que tu la connais. »

En plus, c’est de notoriété commune que c’est l’ex de Superman, quand même. Si ça avait été vraiment Spiderman à l’autre bout du fil, il aurait lâché une vanne, forcément. En conséquence, il éclata d’un semblant de rire avant de se racler la gorge en adressant un regard d’excuse à la jeune femme.

«- Bon, trêve de plaisanteries. Miss Lane voudrait une interview de toi. Il laissa passer quelques secondes. C’est vrai, tu es ok ? Oui, je pense qu’elle s’adaptera à ta disponibilité, et de toute façon, si tu n’as pas d’autres créneaux... Ouai, ouai, à toute. »

Il appuya sur la touche de son portable pour raccrocher l’appel. Avant d’adresser un nouveau sourire à la jeune femme.

«- Bon, il est d’accord, mais... Il n’a pas vraiment énormément de temps depuis qu’il est arrivé. Il vous propose de le rejoindre sur le toit de ce bâtiment, dans dix minutes. C’est le seul créneau qu’il a. »

Il haussa les épaules, sachant parfaitement que laisser passer une interview pareille ne serait pas digne de Loïs Lane. Elle allait forcément accepter. Il finit par se lever, rehaussant sa veste sur ses épaules.

«- Bon, dix minutes... Je dois y aller avant, trouver un bon endroit pour prendre des photos. Ca ne me laisse pas beaucoup de temps, profitez-en pour préparer vos questions, Spiderman est un interlocuteur... Comment dire... Loquace, et qui est prompt à partir dans tous les sens. »

Il sourit, avant de la saluer d’un signe de main en tournant les talons et en sortant du bureau. Avant de fermer la porte, il se retourna une dernière fois.

«- Pour mon contrat, on signera tout ça après. Pas le temps ! »

J'eus du mal à retenir l'exclamation de joie qui menaçait de sortir. Mais je suis Loïs Lane, je réussis tout ce que j'entreprends. Même quand il s'agit de rester impassible. Mais le coin de ma lèvre ne sembla pas être de mon avis, car il se retroussa imperceptiblement en un semblant de sourire victorieux.

Sans parler, je le laissais téléphoner à son Spiderman et j'écoutais sagement le monologue du jeune homme sachant que je ne pouvais entendre la voix de l'homme-araignée. Clark aurait pu lui. Mais il est toujours à Metropolis, que je sache. Et puis nous avons divorcé. Alors il n'aurait aucune raison de se trouver dans mon bureau, n'est-ce pas ?

Un frémissement d'enthousiasme me parcouru alors que, de ce que j'entendais, ça allait être mon scoop du jour ! Dès lors que Peter raccrocha, je me penchais sur mon bureau, avec un air interrogateur. Et je me mordis la lèvre pour réprimer un cri de joie. Dix minutes ! Parfait ! Hochant la tête à ce qu'il disait, je fouillais dans un tiroir pour prendre mon calepin et un crayon.

- Parfait. J'y serais. Allez donc trouver votre bonne place, j'arrive.

D'un air presque frénétique, je notais rapidement tout ce qui me passais par la tête sur le papier. En cinq minutes, je trouvais pas moins d'une dizaine de question variée. Jugeant cela suffisant, je refermais le calepin et sortit le magnétophone que j'utilisais pour ne pas avoir à prendre de note durant l'interview. Je retranscrirais ses réponses après. Et j'en ferais un superbe article. Prenant ma veste en cuir brun pour la passer sur mes épaules et couvrir mon débardeur à bretelles de quelques 3 centimètres, je reculais ma chaise et passais la porte de mon bureau.

- Grâce, je suis absente pour... Disons deux heures. Vous me prendrez les messages si des gens viennent me voir.

Sans attendre sa réponse, je filais attraper un ascenseur. Mais il mettais tellement de temps à monter du premier au cinquième étage que je pris les escaliers pour les trois étages qui me restais. Et finalement, dix minutes top chrono après l'appel de Peter à son grand ami, j'étais sur le toit. Un peu essoufflée tout de même, aussi je pris le temps de reprendre mon souffle, et je sortis un miroir de poche pour me recoiffer, retouchant un peu mon maquillage et me pulvérisant une touche de parfum au creux de la gorge. Parfait.

Et le héros, il est où ?

Il était monté directement sur les toits, très rapidement après avoir pris l’escalier, se servant de ses pouvoirs pour gravir le mur plutôt que les marches, tout en s’assurant de ne croiser personne. Il n’aurait jamais pu expliquer par quels moyens il réussissait à tenir à quatre pattes sur un mur, de toute façon. Un remix de l’exorciste, peut-être ? Même si je suis sûrement moins effrayant qu’une petite fille possédée. Et de toute façon, je ne sais pas tourner ma tête à 180 degrés. Une fois sur place, il leva les yeux pour observer pendant quelques secondes les alentours. Deux grandes pointes de béton encadraient le toit. Facile, il pourrait tisser sa toile à partir de là, et cacher l’appareil s’avérerait aisé. Tout allait bien. Maintenant, il était temps de préparer les choses. Il n’avait plus que quelques minutes, et il savait pertinemment que Loïs Lane ne serait jamais en retard.

Il ouvrit le sac à dos qu’il avait déposé sur le sol, et en sortit son costume en quatrième vitesse. Se changeant encore plus vite, il finit par cacher le fameux sac hors de portée, fixée à une paroi d’un bâtiment alentour par une toile. Il en avait juste sorti ses deux appareils photos. Bien fait d’en acheter un deuxième. Ca permettra de donner l’illusion que je me suis déplacé et que l’appareil n’était pas fixe. Bon, il est de moindre qualité que mon vieux copain, mais c’est toujours ça de pris. Maintenant, le reste de la mise en scène !

À l’heure fatidique où il avait donné rendez-vous à la jeune femme, il était fin prêt. Il la vit sortir sur le toit, et prendre quelques instants pour sortir un miroir et se refaire une dernière beauté. Elle finit par ranger son attirail avant de jeter plusieurs coups d’oeil tout autour d’elle, alors qu’il l’observait depuis une position surélevée. Il n’était pas loin, pourtant, mais elle n’avait pas eu le réflexe de lever les yeux. Se raclant la gorge, il lança, fort de son humour arachnéen.

«- Les gens n’ont jamais la présence d’esprit de regarder vers le haut. Un peu d'ambition, que diable ! »

La phrase résonna dans les airs, attirant l’attention de la journaliste. Elle le remarqua finalement.
Il était suspendu à une gigantesque toile d’araignée tirée entre les deux pointes de béton qui s’élevait de chaque côté du toit. Un enchevêtrement de filins plus solides que l’acier, dont le centre était occupé par le tisseur, qui avait les mains posées sur sa création. Il était à l’envers par rapport à la jeune femme, et l’observait à travers son masque rouge. Il jeta un oeil de côté, pour vérifier que les appareils étaient bien fixés, avant de se laisser descendre le long d’un unique fil, tête en bas, se retrouvant en face de Loïs. Assez proche, pour faire un petit effet. J’ai indéniablement une certaine classe, comme ça...

Restant dans cette position, inversée par rapport à elle, il lâcha.

«- Bonjour, Miss Lane. Je savais que vous étiez canon, mais alors à ce point-là, vous pourriez faire de l’effet un mille-pattes paraplégique. »

Il inclina légèrement la tête, sa voix ayant sonné avec les accents habituelles de la plaisanterie. Il resta immobile, avant de continuer.

«- Bon, il paraît que vous avez des questions. Cela dit, moi aussi, j’en ai une avant de commencer. Est-ce que votre journal est une publication locale, ou est-ce qu’il y a un risque que ce papier parvienne jusqu’à l’antenne new-yorkaise de votre journal. »

Si c’est le cas, je disparais dans l’instant, tant pis pour le scoop, et tant pis si je me mets dans la mouise en tant que Parker.

«- Parce que dans le deuxième cas, vous pouvez dire adieu à l’interview du siècle. »

Sitôt le miroir rangé, j'avançais un peu pour pouvoir prendre un peu le soleil et ne pas rester à l'ombre. Une voix, venue d'en haut, me fit lever la tête. Haaaa. Le fameux Spiderman. Certains journalistes en aurait fat un syncope. Moi, non. Après tout, j'ai déjà l'expérience de ce domaine avec Clark..

- En fait, je ne vous cherchais pas tout de suite. Croyez-moi, je suis de ceux qui regardent vers le haut..

Oui oui, Clark arrivait bien en volant à chaque fois... La tête levée, j'observais l'homme araignée descendre lentement vers moi. Mon sourire se fit avenant. Et encore plus, il se fit amusé lorsqu'il me débita un compliment tourné de façon.. Pas commune.

Je retrouvais mon sérieux en un souffle, toutefois, lorsqu'il demanda si l'interview passerait dans l'édition Américaine ou seulement à Seikusu. Je grimaçais lorsqu'il rajouta que, si ça atteignait les oreilles américaines, il ne fera pas l'interview. Prenant mon temps pour réponse, je gardais mon regard fixé sur ce qui devait être ses yeux.

- Et bien... Je suppose que je peux faire une exception pour vous et garder l'exclusivité pour Seikusu... Mais, croyez-moi. D'autres journalistes moins scrupuleux vont choper l'affaire ensuite. Je pourrais toujours essayer de les faire chanter -j'ai de quoi- mais certains risqueront de passer hors des mailles du filet...

Croisant les bras, je me mordillais la lèvre en réfléchissant à cette éventualité. Finalement, j'haussais les épaules et plantais une main sur ma hanche.

- Mais on verra ça plus tard. Pour le moment, j'ai une interview à mener, très cher homme-araignée. Si ça ne vous déranges pas...

Et même si ça le dérange...

- J'aimerais d'abord savoir comment est-ce que vous êtes devenu Spiderman. Radiations, comme certains mutants ? Thérapie génique ? Naturellement ?

Elle le fixait dans les yeux, semblant réfléchir intensément à la réponse qu’elle allait donner. Il avait remarqué la grimace à la condition qu’il avait énoncé, mais il était persuadé qu’elle le lui promettrait. Effectivement, obtenir une interview de Spider-Man n’était pas un événement au côté duquel un journaliste de sa renommée pouvait passer. Il ne savait d’ailleurs pas trop pourquoi il avait accepté de le faire, mais si ça pouvait aider son alter-égo à être engagé et à obtenir la confiance de la jeune femme, c’était la chose à faire. Au moins, il pourrait petit à petit gagner assez d’argent pour trouver un logement, et vivre un peu plus convenablement que depuis qu’il était arrivé à Seikusu. Finalement, elle lui donna son avis, et il inclina la tête.

«- Les journalistes moins scrupuleux, je m’en occupe. »

Souriant sous son masque, il avait vu juste. Elle veut trop cette interview pour ne pas accéder à ma requête... Alors, pose tes questions, sexy journaliste !
Et la première arriva bien vite. La raison pour laquelle il était Spider-Man. Se remémorant l’événement, il eut un autre petit sourire. Une simple morsure. Loin d’être héroïque. C’était peut-être ça, le plus drôle. Si ça avait été un autre qui avait marché à cet endroit là, à ce moment-là, ç’aurait été cet autre qui aurait subi et serait devenu le héros. Ca s’était peut-être joué à quelques secondes près. Inclinant à nouveau la tête, tenant toujours sa position tête en bas sans aucune difficulté, il répondit finalement à Lois.

«- Miss Lane, je me suis fais mordre par une araignée. Aussi simple que ça. Après, comment j’en suis arrivé à devenir une araignée humanoïde, ça... Toujours est-il que ça a modifié mon code génétique, et voilà. Et pour vous donner un peu de matière, sachez que le processus évolue. Avant, j’étais obligé de fabriquer une toile synthétique que j’entrais dans un petit mécanisme, accrochant l’appareil à mes poignets pour tirer mes filins. Depuis quelques temps, c’est mon corps qui sécrète de lui-même un composé organique, donc... Plus besoin de joujous. »

Voulant lui donner un exemple, il tendit son bras vers la jeune femme, ne se tenant plus qu’à une main. Avant de lui montrer son poignet, de replier ses doigts et d’envoyer un peu de toile sur le tailleur de la journaliste.

«- Voyez ? Bon, une autre question, peut-être ? »