Le rouge et le bleu [Munchi]

Je pousse la porte. J'entre. Le grincement de la poste ne s'entend pas avec le raffut créé par toutes les personnes aux alentours. Certains jouent à celui qui boira son verre le plus vite. D’autres ont une pile de bols, remplis d'alcool. D'autres encore tentent de jouer du piano, dans un état loin de la sobriété. Vous l'aurez compris, nous sommes dans un bar de Nexus. Le décor, grand stéréotype du bar, est fait quasiment entièrement de bois, avec une ou deux natures mortes défraichies sur les murs. Le lieu empeste l'alcool, mais je ne suis pas venu ici pour discuter tranquillement accompagné d'un thé et de petits biscuits, après tout. J'approche du comptoir lentement, ne prêtant aucune attention aux piliers de comptoir qui m'accueillent avec nombre de quolibets.

-Hey, barman ! De l'hydromel.
-On fait pas d'hydromel, gamin.
-Je t'assure que tu vas me trouver de l'hydromel d'ici deux minutes, ou sinon je crame ta boutique et je te pends par les pieds au-dessus du lac où on a repéré une hydre !
-Du calme, Veridi, tu fais peur aux clients.

Le fait est que je connais ce barman. C'est un vieil ami, que je connais d'avant l'affaire GD-2. C'était mon bar fétiche, quand j'étais encore sous la tutelle de ma mère adoptive. Le gérant a pris un sacré coup de vieux, mais son fils, la relève, et barman de son état dans le bar où je me trouve, reste un visage familier pour moi malgré la cinquantaine d'années. J'ai passé énormément de temps avec le fils de l'ancien gérant dans ma jeunesse. Je m’accoude nonchalamment au comptoir, en prenant mon air résigné de toujours. On plaisante, mais il y a un brin de menace derrière ces plaisanteries, comme d'habitude entre le barman et moi.

-Alors, il vient, mon hydromel ?
-Espèce de crétin, on ne fait pas d'hydromel.
-Tu tiens à ta boutique ?
-On ne fait pas d'hydromel.
-Bon, bon ! Sers-moi donc un rhum. Ambré.

Le barman disparaît vers ses bouteilles. Pendant ce temps, je regarde la salle tranquillement. La plupart des clients, comme d'habitudes, sont allumés. Sur une table, on peut voir un terranide chien danser. Nu. Heureusement, sa queue... enfin, celle de derrière, cache ce que je ne veux surtout pas voir.  Sur une autre, des clients en viennent au poings, voire même aux armes si on prend la dague que l'un des types a sorti comme une menace fondée. La prochaine action ne se situe pas à une table, mais sur l'un des tableaux, qu'un des clients est en train de défigurer à grands renforts de soupe. Le plus étrange dans le lot n'est pas un de ces éternels agitateurs, mais bel et bien un homme calme, avec son verre, seul. Je jurerais que je vois ses lèvres bouger. Il parle seul ? En tout cas, je sais qu'il a les cheveux bleus. Pour les yeux, je n'en sais rien. Ils sont fermés. Il est plutôt grand... Le barman revient, avec mon rhum.

-Hey, t'as un client qui se tape une javanaise à poil, un autre qui va se faire saigner à blanc, un tableau fait à la peinture de soupe, et un de tes piliers de comptoir qui vient de tomber de sa chaise.
-Tu veux te faire engager en tant que chien de garde, Veridi ?
-Non merci. Ou alors, je veux une prime de risque.
-Pas question.
-Bon, hé bien non. Dis-moi, qui est ce type qui parle tout seul là-bas ? Il me paraît calme pour un type bourré.
-J'en sais rien, moi. Si tu es si curieux, va donc le voir toi-même.
-J'ai pas envie d'y aller.

Toujours est-il que je ne sais pas pourquoi, mais je m'y suis rendu, à cette foutue table ! Sans même m'en rendre compte, je suis déjà assis devant lui, mon verre de rhum à la main, une paume sur mon menton et un coude levé, avec mon verre en suspension dans la main. Je bois une gorgée de mon verre... Je ne saurais dire à quel point l'alcool m'a manqué ! Surtout le rhum et l'hydromel. C'est avec plaisir que je retrouve l'arôme doux et sucré du rhum, ainsi que la force de l'alcool en lui-même. Au fond, ce qui m'a le plus manqué, c'est cet effet que fait l'alcool à chaque gorgée. Cette impression d'être libre, à chaque gorgée, ainsi que nos chaînes qui reviennent dès que le liquide passe dans la gorge. Au final, je commence un début de conversation peu convaincant.

-Heu... dis-moi, qui es-tu ?

Aujourd'hui encore Munchi était à la taverne, en train de s’enivrer de rhum, encore. Cela faisait une semaine qu'il passait ses journées à ne rien faire hormis boire et se promener dans la ville de Nexus, d'ailleurs il n'allait pas tarder à tomber à sec, et cela l'ennuyait fortement parce que sans argent, impossible de se payer à boire.
 Le mercenaire était seul à sa table avec son verre de rhum en train de se parler à lui même. Du moins c'était l'impression que l'on pouvait avoir cependant ses mots étaient bel et bien adressé à quelqu'un, la démone à l’intérieur de lui. Les yeux fermés le jeune homme ne se souciait pas du tout de l'environnement autour de lui, discutant des différents contrats qu'ils pourraient accomplir prochainement.

Alors que Munchi continuait de discuter, il entendit quelqu'un s'installer à la table ce premier s’arrêta de parler à lui-même et attendit que l'individu parle ou s'en aille. Finalement la personne commença à parler :

-Heu... dis-moi, qui es-tu ?

La question avait le mérite d'être claire. Munchi ouvrit les yeux et jeta un oeil à son interlocuteur, laissant tomber pour le moment les projets que son autre personnalité et lui même étaient en train de mettre en place.
Celui-ci semblait assez jeune et avait une caractéristique unique en son genre, il avait les yeux et les cheveux rouges,  mais un rouge qui rappelait le sang. Cette couleur et cette question soudaine provoqua une certaine méfiance chez le lapin, bien que la situation lui décrocha un sourire. Pour le mercenaire il était impossible que leur table passe inaperçu avec une personne aux cheveux rouge et l'autre aux cheveux bleus.

Je...suis un mercenaire, sans emploi pour l'instant.
Et je te retourne la question, qui es-tu?

Il vida son verre d'une traite, laissa quelques instants s'écouler et commanda un autre verre à une serveuse qui passait puis il fixa les yeux de l'homme en face de lui en ajoutant : 

Quelle est la raison de votre visite?

Un mercenaire, hein. Il m'a bien l'air d'un mercenaire avec cette descente. Ce n'est pas n'importe qui, niveau boisson... Ses agissements m'ont rappelé fugitivement l'ancien patron de ce bar : Allez, Veridi. Boire par gorgées, c'est pour les femmes et les pleutres ! Cul-sec, gamin, cul-sec !

Aussi, en l'honneur du vieux teneur de bar, je pris mon verre de rhum et le bus d'un coup sec. Il s'agissait aussi de mon honneur. Il s'écroulera avant moi, je n'ai pas le choix.

-Moi c'est Veridelende da Silva, mais tu peux m'appeler Veridi. Quant à mon boulot, on va dire que je n'ai pas d'emploi non plus.

Mon nom n'est pas vraiment Veridelende, c'est juste un moyen de le rapprocher si il m'appelle par mon "surnom". L'alcool me brûle l'estomac lentement, comme d'habitude. Un grand raffut se crée dans le bar. Je tourne la tête vers l'entrée, pour vérifier l'origine du bordel. Il s'avère que ces abrutis qui se battaient ont commencé à se casser la gueule face à l'entrée. Je sors mon revolver, je prends la serviette sur la table pour astiquer le canon en sifflotant. Mon signal de toujours pour dire "Calmez-vous, ou je vous calme". Ils ne s'arrêtent pas. Je ne me détourne pas du mercenaire, et je tire un coup. Un simple tir, et ils se retrouvent tous les deux avec un gros trou dans la main. Ce qui est beau dans ce revolver, c'est qu'il n'émet pas de fumée après le tir. Je ne regarde pas, mais la pression que je ressens me dit que tout le monde nous regarde.

-Veridi, c'est quoi ce bordel ?
-Un verre de rhum.

J'attends que la serveuse apporte nos deux verres. Je déleste la serveuse de son fardeau et je donne l'un des verres au mercenaire. Elle a les mêmes traits que le gérant. Sa fille, sans doute. En tout cas, beau cul.

-Bois donc, je paie ma tournée. Oh, et pour te répondre... Par simple curiosité.

Les yeux fermés, je bois dans le silence qui s'est installé après mon coup de feu. Ce rhum est bon, incroyablement bon. Je crois que je vais en acheter trois ou quatre bouteilles.