Ivy aimait la nature. Non, elle l’adorait, elle la chérissait, elle la priait. Si elle avait été grecque à l’époque antique, elle aurait sûrement voué Pan. Elle l’aurait béni autant que possible, car, vu comment la Nature était maltraitée depuis des années, sa protection n’aurait pas été de trop. Malheureusement, les Dieux avaient abandonné la Terre, laissant l’humanité libre de son propre destin. Et l’humanité ne prenait pas que des choix judicieux. Vivant à Seikusu depuis maintenant plusieurs mois, Ivy essayait, dans la mesure du possible, de contribuer à essayer de changer le déroulement des choses. Elle aurait pu, et elle avait déjà essayé de le faire dans des actes de désespoir, revenir à la mode de l’éco-terrorisme, mais elle réalisait de plus en plus que le problème environnemental ne se résoudrait pas en terrassant quelques industriels, mais bien en réussissant, par un incroyable miracle, à faire comprendre aux gens que tous leurs petits soucis étaient sans rapport avec les problèmes de la planète. Qu’importe les crises, la hausse des loyers, la baisse du pouvoir d’achat, quand, face à ça, la planète souffre et se meure ?
Alors, Ivy agissait. Elle agissait en voyageant sur Terra, en récupérant des fluides, et en faisant des expériences sur ses plantes dans son laboratoire pour essayer d’améliorer la Nature, ou d’améliorer l’homme par des modifications génétiques, utilisant à cet effet les cobayes volontaires que le Cercle lui fournissait. Elle agissait en allant sur des ONG, en se renseignant, en informant ses lycéens des problèmes écologiques, en leur passant des documentaires où on voyait la Terre mourir à petit feu. Elle agissait enfin en se promenant la nuit dans le parc, afin de le nettoyer.
Le parc municipal de Seikusu était plutôt grand, et assez mal famé la nuit. Chaque nuit, Ivy allait donc dans le parc, afin de le nettoyer, de le purifier, de le débarrasser de ses saletés, soit essentiellement les sacs plastiques, les cannettes écrabouillées, les mégots de cigarette, les traces de vomissures, qui faisaient souffrir ce parc. Une gouttelette dans l’océan des problèmes, mais c’était sa B.A. du jour.
Elle était venue en fin de soirée au parc. Une belle nuit, chaude et vivifiante, trônait sur Seikusu, et elle avançait au milieu des arbres, observant les quelques couples qui se promenaient, attendant qu’ils s’éloignent pour entreprendre de faire ce que la municipalité avait du mal à faire dans un parc aussi grand. Elle tendit un tentacule entre les buissons, et attrapa ainsi un paquet de bonbons, le souleva, et le glissa dans la poubelle. C’était trois fois rien, mais Ivy se sentait mieux. Et elle sentait les arbres lui en être reconnaissante.
*Et puis, c’est toujours mieux que perdre ma soirée à noter un paquet de feuilles...*
Cette soirée-là devait néanmoins s’avérer assez spéciale, assez... Particulière. Ivy l’ignorait, mais la police affrontait en ce moment un mystérieux tueur en série, surnommé le « Cannibale », car il s’attaquait la nuit à des individus, optant généralement pour des clochards. Il les dévorait, et abandonnait leurs corps dans des ruelles. Un serial killer particulièrement vorace, qui faisait la une du journal local, journal qu’Ivy ne lisait jamais. Le « Cannibale » n’était toutefois pas vraiment un simple tueur en série, mais un Lycan. Un homme qui se transformait en loup-garou quand il le voulait, et surtout la nuit, quand il avait faim. Contrairement à d’autres Lycans, celui-là ne se souciait pas de lutter contre sa nature lycanthropique, la trouvant au contraire bien plus intéressante. Il avait une telle puissance, une telle force quand il était un Lycan... Ses griffes immenses lui permettaient de découper en deux un meuble en bois, d’entailler un mur, de découper un arbre, et, quand ses crocs se plantaient dans la chair humaine... Même jouir dans le corps d’une femme ne procurait pas autant de bonheur !
Pour autant, dévorer des clochards, c’était bon, mais, au bout du quinzième ou du vingtième, ça ne procurait plus le même plaisir. En revanche, quand il avait dévoré cette étudiante qu’il avait séduit... Cette peau tendre, ce corps ferme, chaud, cette femme qui mangeait bien... Oui, le « Cannibale » préférait les grosses, les femmes bien en chair, celles avec un gros ventre. C’était là qu’on trouvait un véritable festin, mais, à défaut, il savait se contenter des femmes. Or, il avait remarqué depuis plusieurs jours en rôdant près du parc, son lieu de prédilection, qu’il y avait une mystérieuse femme qui se promenait dans le parc, et qui entreprenait de le nettoyer en utilisant des tentacules. Une mutante... Le « Cannibale » se demandait quel goût un tentacule devait avoir, mais il se dit qu’il serait rapidement fixé.
Le soir de son intervention, Ivy portait sa tenue de Poison Ivy, soit des gants verts, une tunique de la même couleur, et de longues bottes. Elle avançait au milieu des arbres, quand elle entendit une bran che craquer. Sursautant, Ivy se retourna, mais ne vit que l’obscurité.
« Qui est là ? »
Personne ne lui répondit. Elle fronça les sourcils, prudente. Poison Ivy serra les poings, regardant à gauche et à droite. Voyant qu’elle ne fuyait pas, déçu, le « Cannibale » avança. Il était plutôt grand, et Ivy reconnut la silhouette d’un garçon qui avait l’air d’étudier à la faculté. Sur le coup, même si elle l’ignorait, elle ne se trompait pas. Le « Cannibale » était bien un étudiant, mais, depuis qu’il avait obtenu de nouvelles facultés, les études en spéléologie le passionnaient bien moins que chasser la nuit.
« Se promener seule dans un parc n’est pas conseillé, jeune fille...
- Je te retourne le compliment... »
L’homme portait un long manteau, avec rien en-dessous, pas même un caleçon. Quand il se transformait, il arrachait tous ses vêtements, et ça commençait à faire cher, à force. Ivy comprit qu’elle avait affaire à un cinglé, et l’un de ses tentacules jaillit de son doigt pour s’enrouler autour de la gorge de l’agresseur.
« Tu ferais mieux de retourner chez toi, mon garçon...
- Je le ferais volontiers, si je n’avais pas dévoré mes propres parents et brûlé ma maison... Je voulais savoir quel goût ça avait : ma propre chair. »
Ivy fronça les sourcils. Qu’est-ce que c’était que ce cinglé ? A chaque fois qu’il souriait, il semblait avoir des dents énormes, volumineuses et acérées. Ivy se mit indiscutablement à trembler, et fit quelques pas en arrière.
« J’aime quand mes repas ont peur... Fais-moi plaisir, salope... Couine ! »
Le manteau de l’homme tomba alors, et ses yeux se mirent à luire d’une lueur démente. Sa pilosité corporelle s’accrut énormément, jusqu’à former une espèce de fourrure, et le mutant se mit à grogner, avant d’attraper le tentacule d’Ivy, et de le couper. Ivy poussa un terrible hurlement de douleur, le sang vert se mettant à couler de sa blessure. La bête poussa un terrible grondement, en filant à quatre pattes sur le sol, et bondit en hurlant vers Ivy. Elle tenta de le fouetter avec un autre tentacule, mais son fouet rebondit, et le Lycan la frappa à l’épaule. Une charge colossale, qui envoya Poison Ivy passer entre deux arbres, roulant sur la terre pour atterrir sur le sentier, sonné.
Elle eut à peine le temps de se relever, ayant affreusement mal au doigt, que le Lycan atterrit devant elle, poussant des grondements terrifiants. Une voix caverneuse, sourde et horrible.
« Toi… Je me demande quel goût la chair d’une mutante doit avoir... Mais j’aime manger bruyamment... »
Poussant un rugissement, le Lycan entreprit de lever une patte pour cingler le dos d’Ivy. Paniquée, cette dernière essayait vainement de trouver une solution. Elle avait affreusement mal. Si elle avait bien des pouvoirs, son corps, elle, n’était pas particulièrement résistant. Et, ma foi, se recevoir une charge de Lycan dans le ventre, il y avait de quoi sonner n’importe qui. Ivy décida donc de dire la chose la plus stupide, cette réplique qu’on ne voyait que dans les films :
« Au secours ! »