Après le départ de Gauvain, Alice fit ce qu’elle lui avait dit. Elle se rendit dans le Temple Sacré, qui était essentiellement une grande pièce circulaire avec des rangées de bancs, des colonnes avec des statues en forme de dragons, et, au centre, sur une immense estrade, l’imposante statue d’Erwan Korvander, dont les épaulières ressemblaient à de petites ailes. Autour de lui, un feu verdâtre brûlait sans arrêt. Elle y rentra, ayant droit à de brefs regards de la part des prêtres qui assuraient le service, et s’agenouilla devant la statue d’Erwan. Elle murmura sa mélopée à l’encontre du dragon d’Or, et, à travers lui, des Dieux ancestraux.
« Ô Toi, Toi qui es Sacré parmi Tous, Toi qui Brûle dans le firmament éternel, j’implore humblement Ta protection céleste pour veiller sur les âmes nobles en ce Monde. »
Une prière ne devait jamais être personnelle, car un Dieu n’avait pas à se soucier des requêtes individuelles, et le croire, c’était faire preuve d’arrogance. Alice opta donc pour des formules générales, même si, dans sa tête, le destinataire de ces prières était unique. Elle savait très bien les monstres qui erraient dans les cavernes de Sylvandell. Si un dragon avait des ailes, c’était, après tout, pour ne pas se terrer dans la terre. Le dragon ne craignait rien de plus que les grottes, où il ne pouvait déployer ses ailes, et ne pouvait fuir devant des monstres terrifiants. Alice répéta pendant un certain moment sa prière, ne sentant pas vraiment le temps passer, jusqu’à ce que deux gardes viennent la déranger.
« Madame, expliqua l’un d’eux. Le tournoi va bientôt commencer, et Lord Tywill Korvander demande instamment votre présence…
- Fort bien, répondit posément cette dernière en se relevant. Il serait malséant de faire attendre Père. »
Alice sortit du Temple Sacré. Le soleil commençait à se coucher, mais ici, sur Sylvandell, et en cette saison de l’année, le soleil mettait un certain temps avant de se coucher. Des lueurs vivaces s’échappaient de l’Arène, ainsi qu’un brouhaha diffus. Alice s’en rapprocha tranquillement, accompagnée des gardes. Ils entrèrent par une entrée annexe, menant directement à la loge de Lord Tywill, mais, avant d’y aller, Alice se changea dans un vestiaire, prenant une longue robe blanche avec une espèce de couronne de lauriers sur la tête.
Elle entra dans une espèce de loge avec plusieurs grands fauteuils, Tywill trônant au centre. Sur la droite, il y avait le Grand Prêtre, un homme avec un œil de verre, et, sur la gauche, son fauteuil. Elle avança, voyant des gradins très bien remplies, avec de nombreux gardes. Comme toujours, l’arène avait attiré un public assez vaste, et Tywill, pour l’occasion, portait une somptueuse armure rouge. Non pas son armure de combat, mais une armure cérémoniale, avec une cape.
« Nous n’attendions plus que toi pour commencer, ma fille, lança Tywill.
- Pardonnez mon retard, Père, je tenais à enfiler cette robe…
- La petite poupée tenait à paraître encore plus belle que ce que les Dieux ont déjà fait. Ne serait-ce pas là une offense aux Dieux ? » siffla une voix perçante.
Aux pieds de Tywill, Alice y vit quelqu’un qu’elle aurait préféré ne pas voir : Omini. Le nain, avec son crâne chauve, et sa grosse bosse dans le dos, était vraiment laid à voir, et son humour assez vaseux laissait souvent perplexe Alice. Il portait une chaîne autour du cou.
« Nous allons pouvoir commencer. »
Tywill se dressa alors, et des trompettes se mirent à résonner, intimant le silence. l’arène de Sylvandell avait été améliorée au fil des siècles, notamment avec du matériel provenant de Tekhos, acheminée dans cette région lointaine par de grosses caravanes. Tywill se mit à parler d’une voix forte, qui se répercuta sur toute l’arène.
« Mesdames et Messieurs, je vous souhaite le bonsoir et la bienvenue ! L’Arène de Sylvandell va à nouveau faire ouvrir ses portes ! »
Une vive clameur répondit à ces propos. Tywill n’était pas connu pour faire de longs discours, mais il poursuivit tout de même.
« Aujourd’hui, nous avons, comme d’habitude, bien des participants, qui attendent dans les vestiaires, dans les profondeurs de l’arène. Compte tenu de leur nombre assez élevé, ils ont été autoritairement divisés en plusieurs poules, chacune étant subie à une épreuve spécifique. Et, comme chacun le sait, ceux qui survivront à toutes les épreuves auront le droit de se faire accorder un vœu de ma part, et c’est en l’honneur du dragon d’Or et d’Erwan Korvander, Père de Sylvandell, que je me devrais de l’honorer ! »
Père parlait d’une voix particulièrement forte et bourrue, mais ses propos reflétaient bien à quel point parler l’ennuyer. Les Korvander n’avaient jamais été connus pour leur loquacité, préférant régler les disputes à coups de poings, plutôt qu’avec la parlote inutile. Tenter de faire jouer la diplomatie avec eux était généralement le meilleur moyen de déclencher une guerre, comme l’avait illustré jadis un ancêtre.
« Compte tenu du nombre assez élevé de participants en cette soirée, je suis heureux de vous dire que les Fils des Dieux anciens se trouveront peut-être ce soir. »
A cette phrase, une véritable hystérie frénétique s’empara de la foule, qui se mit à rugir, tandis qu’Alice sentit ses prières s’envoler au loin. Elle tenta bien de masquer son trouble, mais on ne cachait rien à Père, qui se retourna vers elle, lui parlant en aparté.
« Un problème quelconque, ma fille ? la railla-t-il.
- N-Non… », mentit-elle.
L’épreuve des Dieux anciens était, et de loin, l’attraction la plus populaire de l’Arène, mais aussi la plus sanglante. C’était pour cette raison que les participants pouvaient demander avant cette épreuve le droit de se retirer, récupérant une somme d’argent assez honorable pour leur participation. L’épreuve n’était pas systématiquement utilisée, et le fait que Père la mentionne signifiait qu’il savait. Comme s’il lisait dans son regard, Tywill confirma.
« Je connais ce Chevalier, je connais ce qu’il représente… Une conception romantique de l’honneur… C’est à en crever de rire, explosa-t-il. Mais bon, tu n’as plus à rester vierge, maintenant, mais ce n’est pas pour autant que n’importe quel péquenaud pourra te demander ta main. »
Fronçant les sourcils, Alice reprit.
« Alors… Quand je devais rester vierge, si jamais… Si jamais quelqu’un réussissait à terminer cette épreuve, lui auriez-vous accordé… Accordé ma main s’il l’avait demandé ? réussit-elle à achever.
- Ce n’est pas moi qui accorde ta main, mais toi qui l’accordes, précisa-t-il. Du reste, bien des gladiateurs ont toujours cru qu’ils pouvaient demander ta main. S’ils l’avaient demandé, je leur aurais répliqué que c’était impossible.
- Vous n’avez rien fait pour dissuader de telles rumeurs ! objecta-t-elle.
- Il me semble que lier l’obtention de la main à la réussite de cette épreuve constitue la plus belle forme de dissuasion possible. Mais peu importe cela. »
Tywill s’adressa à nouveau à la foule, qui commençait à se calmer.
« Chaque entracte se constituera en deux temps : un temps court de quelques minutes pendant lequel l’arène sera nettoyée, et les autres épreuves, pendant lesquelles les gladiateurs des poules précédentes se reposeront. Leurs éventuels admirateurs auront le droit d’aller les voir dans les tribunes. Rappelons que la magie n’est pas qu’autorisée, mais vivement conseillée, et que la seule règle que les gladiateurs ont à suivre ici est de rester en vie, peu importe ce que cela applique. Sur ce… QUE LA SOIRÉE COMMENCE ! »
Un tonnerre d’applaudissements salua cette tirade, et Tywill alla rudement s’asseoir sur son siège. Pendant ce temps, de grandes grilles s’ouvraient, révélant les premiers gladiateurs. On avait fourni à ceux qui avaient des armures de faible qualité de bonnes armures, afin que le challenge reste de taille. L’arène était grande, circulaire, et comprenait de multiples portes grillagées. Alice crut même reconnaître, parmi les gladiateurs, un mercenaire tekhien, avec des armes automatiques. La lourde porte d’entrée des gladiateurs se referma, et Alice sentit son cœur battre la chamade en reconnaissant son Chevalier.
Des grognements se firent alors entendre le long des portes, tandis qu’une chape de plomb s’abattit brièvement dans l’arène. Des yeux rouges luisants apparurent le long des différentes grilles entourant l’arène, et des mains crochues et grisâtres apparurent, tendant leurs griffes pointues vers les gladiateurs. En reconnaissant là les légions de prisonniers de guerres et autres esclaves soumis à des expériences alchimiques assez immondes, Alice frissonna de dégoût.
« Commencer par des zombies, c’est classique, commenta d'un ton assez las le Grand Prêtre.
- Ça amuse les masses… »
Les portes s’ouvrirent alors. Les zombies d’ici n’avaient rien à voir avec les clichés usuels. Ils n’étaient pas lents, mais particulièrement vifs, animés d’une rage dévastatrice, et les décapiter ne suffisait pas à les tuer. Ils étaient le fruit d’une alchimie noirâtre démoniaque, et une cohorte de zombies se rua vers les multiples gladiateurs regroupés au centre de l’arène.