[PV] Song Of Myself

La rousse et sa révélation. Une pauvre rouquine, assise dans un bar, à papoter avec la chanteuse du dit bar, et qui se prétendait être une divinité d’antan. Oui, il y a de quoi rire. C’est pourquoi au discours de Quetz, Miya se mit à rire doucement. Le Serpent à Plumes a toujours été décrit comme un grand homme. Surtout pas une femme. On aurait pu croire qu’il s’était travesti pour sortir dans ce bar. Situation un peu tirée par les cheveux tout de même. Elle aurait très bien pu expliquer pourquoi dans les légendes, elle est dite mâle, et non femelle. Mais pour l’instant, elle se taisait. Miya eut à peine fini sa tasse de thé, qu’elle revint poser des questions à la rouquine, dévisageant celle-ci. Elle exigeait une explication, en quoi Quetzalcóatl serait différent des autres divinités.

- Différente. Même si les légendes me disent homme, je suis une femme. Et à quoi bon vous expliquer tout cela ? Pour vous, tout le monde est dans le même sac.

Et cette histoire de sacrifices. Encore. Toujours. De nouveau un coup de poignard dans son âme meurtrie. Le visage de la jeune femme se fit plus sérieux, plus triste, plus dur aussi. Elle se retourna lentement sur son tabouret, pour faire face à sa voisine interrogatrice.

- Les sacrifices ? Durant l’apogée aztèque, la plupart était pour mon frère. Les quelques uns pratiqués pour mon culte n’ont été que bêtises. Je n’ai jamais voulu ça. Après l’arrivée des Espagnols, ils ont sacrifié les prisonniers en mon nom pour que je puisse les aider, que je revienne d’un exil forcé. Or, je n’ai rien pu faire contre cela.

Énervée ? Oui, elle commençait à l’être. Qu’on la traite de monstre, d’égocentrique, de prétentieuse ou d’égoïste, tout ça lui était impossible à entendre. À part cette tragédie où elle n’avait pu rien faire, Quetz avait toujours donné le meilleur d’elle-même pour aider les siens. Ayé. Elle s’énerve, tapant du point sur le comptoir, les verres vides résonnant légèrement.

- Prenez-moi pour qui vous voudrez. Mettez-moi dans le même panier que les autres, puisque je ne vaux pas mieux ! Du moins, vous n’y croyez pas. Mais je sais qui je suis et ce que j’ai fait pour mes anciens fidèles. Votre venin contre les dieux ne m’atteindra plus.

Quelque chose tiqua la déesse d’ailleurs. Dans les paroles de la chanteuse, elle disait avoir côtoyé des divinités. C’est donc de là que viendrait cette haine viscérale ?

- C’est bien ce que je disais : vous êtes différente. Sachez tout de même que je ne suis pas ces divinités que vous avez pu rencontrer. Aucunement.

Des excuses... Pour Miya, ce Quetzalcoatl ne faisait que ça, se chercher des excuses pour justifier l'injustifiable. Le coeur de Miya battait de cette rage sourde, cette haine qu'elle avait toujours voué aux divinités. En plus d'avoir vécu dans un monde où ces dieux géants se fichaient pas mal des fidèles qu'ils écrasaient parfois, la chanteuse était immortelle à cause de la stupidité de l'un d'eux - un dieu mineur, certes, mais qui avait voulu jouer à "qui a la plus grosse" avec les plus grands. La stupidité d'Harumiya ne cessait de lui faire bouillir le sang. En tout cas, Miya était presque fière d'avoir fait sortir la colère chez cette femme, cette déesse qui se mélangeait aux mortelles. Elle n'avait pas peur des Dieux, et Quetzalcoatl aurait pu abattre toute sa divine puissance qu'elle s'en serait bien moqué, et qu'elle en aurait peut-être même ri, juste pour le plaisir de lui lancer : "Tu vois, tu ne vaux pas mieux que les autres."


Mais non, le serpent à plumes ne lui fit pas ce plaisir, préférant rendre les armes. Décevant, vraiment. Cette espèce de victoire a un goût bien amer, mais elle reste une victoire quand même : Miya ne va pas cracher dessus ! Elle finit son thé, en demande un autre. Sa voisine ne se laisse pas abattre malgré tout, et remet sur le tapis qu'elle n'est pas forcément humaine, elle aussi. La demi déesse leva les yeux au plafond, et entoura sa nouvelle tasse brulante de ses doigts fins, pour s'y réchauffer.


- Je suis différente, oui, sans doute. Différente de vous, et de ces gens qui nous entourent. Je viens d'un endroit, où des divinités géantes ont fait de la terre un champ de bataille. D'un monde où les humains devaient se terrer sous des globes de verre pour que ces monstres les voient, et évite de les piétiner dans leur combat. Mais croyez bien que non : ces idiots de mortels priaient pour apporter force à l'un ou l'autre des clans, mais les dieux s'en fichaient pas mal. Ce n'est pas parce que vous êtes là, à un comptoir, parmi des humains, que cela va faire de vous quelqu'un de bien. Croyez bien que je n'ai jamais vu la moindre divinité qui puisse se montrer autre chose qu'égocentrique. Regardez vous, malgré tout ce que vous pouvez dire : vous êtes ici, et non avec quelque vestige de vos fidèles - si vous êtes vraiment celui que vous prétendez être. Plutôt que d'apparaître à une tribu qui doit être encore assez folle pour vous vénérer, vous perdez votre temps ici, à un bar, pour vous mettre en avant le temps d'une chanson.


C'est qu'elle avait la ridicule rancune tenace... Miya se permettait de juger, de déverser sa haine sur cette femme qui ne devait chercher qu'un peu de calme, et elle se faisait un plaisir de lui pourrir ce moment.

Et mince…Le Serpent à Plumes n’avait pas su garder son calme. Sa contenance éclata en mille morceaux dans ce poing qui avait frappé le comptoir du bar. Doublement mince…Quetzalcóatl avait légèrement baissé les armes, cédé aux pics de la chanteuse, et cela semblait l’amuser. Un fin sourire presque satisfait s’était affiché sur les lèvres de Miya, goûtant son thé. Elle en profita pour recommander un autre thé, et Quetz un autre cocktail sans alcool. Avalant quelques gorgées, la déesse écoutait avec attention ce que la chanteuse avait bien à lui dire. Son histoire était bercée de dieux égoïstes, se massacrant entre eux, se moquant de ce que devenaient leurs fidèles. Cette remarque fit tiquer la déesse. Les combats entre déités ne se faisaient plus de nos jours, enfin si, mais pas aux yeux de tous. Le dernier combat révélé au regard des mortels remontait à bien des siècles…Aussi bien sur Terre que sur Terra. Alors Miya était vraiment différente d’une simple humaine.

- Je ne vous apprends donc rien, puisque vous avez connu bien des choses dans votre vie…D’immortelle.

Un léger sourire parcourut les lèvres du Serpent à Plumes. Elle se remit à boire quelques gorgées de son breuvage avant de reprendre la parole.

- Vous n’êtes pas très ouverte d’esprit pour quelqu’un qui a vu l’Histoire se dérouler devant ses yeux. Arrêtez donc de mettre tous les immortels dans le même panier. Tous ne sont pas bons, je vous l’accorde. Mais tous ne sont pas mauvais comme vous le prétendez ! À part moi, quels autres dieux avez-vous rencontré ? Je suis bien curieuse.

Quant à sa présence ici, Quetz ne souhaitait pas trop en parler. Après tout, cela ne regardait en rien la chanteuse. Mais passons…

- Vous devez savoir comment fonctionne les divinités, non ? Plus elles ont de fidèles, plus elles sont puissantes. Alors comment dire ? Je suis faible, presque humaine si j’ose dire. Je ne peux plus faire les choses que je faisais d’antan. Il n’est donc pas simple pour moi de retourner dans mes terres natales. Et qui croirait en une vieille divinité, paraissant cruelle et avide de sang selon les légendes ? Mmh, laissez-moi répondre : Personne ! Et je perds peut-être mon temps ici comme vous le dîtes, mais c’est mon choix si je n’ai pas voulu remonter un panthéon aztèque et retrouver des fidèles. Vous avez beau être immortelle, vous ne savez pas ce qui en incube d’être un dieu et d’avoir ce genre de responsabilités…

Quetz était apparemment encore un peu remontée, mais elle n’avait pas tort. Pour quelqu’un qui semble avoir vécu bien des choses, des bonnes comme des mauvaises, tout comme Quetz en fait, Miya ne semblait pas comprendre la chose. Être un dieu n’est pas de tout repos. Et l’émeraude divine s’en voulait toujours de n’avoir rien pu faire avec l’arrivée des Espagnols en territoire aztèque. Ne plus avoir sa grandeur d’autrefois et se rappeler sa faute tous les jours, voilà quelle était sa punition…

Ah. Un point pour le Dieu qui aime apparaître sous les traits d'une femme. Si Miya n'était pas dérangée par le fait de clamer que sa voisine était une divinité immortelle, elle aimait beaucoup moins que Quetzalcóatl ne trahisse son secret à elle... Ses yeux s'étaient légèrement plissés, de mécontentement. Quand bien même elle avait évoqué son histoire, la demi déesse n'en restait pas moins frileuse quand il s'agissait de parler de sa propre immortalité. Les mots avaient un tel pouvoir, quand ils étaient dit tels quels... 

Miya eut un reniflement dédaigneux, écoutant d'une oreille qui se voulait distraite ce que le Serpent à Plumes pouvait avoir à dire. En réalité, elle restait attentive, bien entendu. Il ne fallait pas qu'en plus, cette stupide divinité en dise trop au point de lui porter préjudice. Prenant son temps pour finir son thé, et laissant ainsi à la rouquine de dire ce qu'elle avait à dire, avant que la jeune femme ne commence à rétorquer, son regard sombre fixant un point du bar devant elle.

- Oh, contrairement à ce que vous insinuez, je n'ai pas vu l'histoire être écrite. Je ne suis... 'ici' que depuis... Un peu moins de deux années, voyez vous. Et avant cela, j'ai vécu une vingtaine d'années. Le reste du temps, j'ai survécu bien malgré moi. Ne me jugez donc pas à mon âge, et à ce que je pourrai avoir vu.

Et elle ajouta, entre ses dents, tournant simplement ses pupilles vers Quetzalcóatl :

- Et je vous serai grée de cesser de répéter ce que je suis... Non, j'ignore ce qu'il en est, des responsabilités des Dieux, voyez vous, car j'ai bien mon idée là dessus. Ne faites pas mine d'avoir eu des moments où vous étiez simplement débordés. Les Dieux se fichent pas mal des autres, quand bien même ils dépendent des humains, voyez vous. J'en ai rencontré, qui tuait les humains qui ne croyaient pas en eux, pour simplement affaiblir l'adversaire. Voyez vous, cette puissance que vous accordez aux mortels, n'est pour eux qu'un fardeau.

Ah…Alors Quetzalcóatl avait bien mis le doigt sur quelque chose. L’immortalité de Miya n’était plus à douter. Il suffisait de voir quel regard avait eu la demoiselle aux paroles de la divinité. Yeux inquisiteurs, plissés pour mieux montrer sa colère…Et apparemment, le Serpent à Plumes avait mis le doigt sur quelque chose que la chanteuse n’aimait pas à parler. Certes, l’immortalité est une chose assez difficile à porter, même pour une déesse comme Quetz, mais cela devait l’être encore plus pour quelqu’un qui n’était pas divinité. D’un air hautain, Miya fit comme si elle n’écoutait un traître mot de ce que disait l’émeraude divine. Soit, qu’elle le fasse, cela n’empêchera pas Quetzalcóatl te dire ce qu’elle a à dire.

- Soit. Vous ne souhaitez pas que je vous juge à votre âge ou autre. Faites de même avec moi, je vous prie. Il est trop facile de s’imaginer des choses avec des préjugés, ou avec certains souvenirs de ce qu’on a vécu. Je ne suis pas ces dieux que vous avez pu voir. Et je ne suis ni arrogante, ni prétentieuse comme la plupart des autres dieux.

Non, Quetz n’était pas comme ces Olympiens, impies de leur pouvoir et si prétentieux de leur grandeur encore présente sur Terra. Une gorgée, puis une autre de son cocktail, et celui-ci fut fini. Bon, pourquoi ne pas en recommander un autre ? D’un geste de la main, elle fit signe au barman de lui servir la même chose. En attendant son verre, elle rétorqua quelques phrases à sa voisine de comptoir, posant son regard sur elle.

- Et puisque vous avez vu ces choses se faire devant vos yeux, j’ai fait la même chose avec mes fidèles ? Me prenez-vous pour un monstre, Miss Diablo ? Regardez-moi sincèrement dans le fond des yeux, et dites-moi que j’en suis un. Ce pouvoir que les fidèles ont sur nous est là depuis le commencement. Je n’en suis en aucun cas responsable de ce genre de système. Et vous pensez que nous sommes là à nous tourner les pouces au lieu de nous occuper des fidèles ? Ne parlez pas de ce que vous ne savez pas.

Ce qu’elle avait pu voir dans sa vie d’immortelle ne reflétait en rien ce que la totalité des dieux faisaient. Avait-elle rencontré Vlad par exemple ? Lui n’était guère comme les dieux de Miya, arrogant ou manipulateur. Quetz n’était pas comme cela non plus, mais face à une tête de mule, on ne peut pas grand-chose…

Non, faire face à une tête de mule comme Miya n'était pas aisé. Évidemment, la demi déesse ne se rendait pas compte combien elle était aussi têtue que girouette. Elle changeait d'avis dès que ça l'arrangeait, mais sur les divinités, il était difficile de lui ôter l'idée fixe qu'elle s'était faite d'eux. Après tout, c'est à cause d'un crétin de dieu qu'elle était immortelle. Une chose qu'elle n'appréciait que moyennement, bien entendu. Tout ce qu'elle avait enduré jusqu'à présent, tout était imputable  de près ou de loin à une divinité - Miya ne pensait qu'aux mauvaises choses, évidemment. Une divinité, quelle qu'elle soit, ne pouvait pas faire le bien, c'était impensable : si les dieux étaient altruistes, ça se saurait.

Un nouveau thé fut commandé par la demi déesse, et elle attendit que le barman ne s'éloigne à nouveau pour reprendre cette conversation ô combien inutile, mais forte intéressante. Une autre preuve que Miya était une fille pleine de contradiction ? Elle haïssait les dieux autant qu'elle adorait s'intéresser aux religions et mythologies de ce monde.

- Je ne prétends pas connaître quoi que ce soit à la condition divine, Quetzalcóatl. J'ai simplement lu des choses que vous prétendez fausses, alors je vous attends, et rétablissez la vérité, alors. Les Dieux que j'ai connus étaient avides de pouvoir. Pourquoi avez vous laissé faire certaines choses...

Elle quitta la tasse des yeux, pour plonger son regard dans les prunelles de la divinité rousse à ses côtés.

- ... des choses monstrueuses... Alors que vous auriez pu intervenir ? Regardez où vous en êtes aujourd’hui : vous avez laissé vos fidèles être massacrés, si je comprends bien. Et vous ne vivotez plus que par l'énergie que mettent certains archéologues ou fous furieux passionnés de mythologie à lire vos récits terrifiants.

Elle garda les lèvres entrouvertes, mais n'ajouta pas un "Pathétique, n'est-ce pas ?" des plus dédaigneux. Manquerait plus que Quetz ne voit, ou ne sente, que Miya faisait partie de ces férus de mythologie...

Mais pourquoi Quetzalcóatl s’obstinait tant à répondre à ce que lui balançait la chanteuse ? Ses paroles s’éclataient sur le mur qu’était Miya. Comment une femme comme elle, qui était immortelle, pouvait-elle être aussi bornée à ce point ? Vraiment, cela épuisait le Serpent à Plumes…N’écoutant presque plus la demoiselle, l’émeraude divine se demandait d’où venait cette haine viscérale pour les divinités. Est-ce que par hasard…Se retournant vers elle, après avoir bu une gorgée de son cocktail assez rapide, elle regarda la chanteuse d’un air surpris.

- Je crois que j’ai compris…Vous êtes si haineuse…Parce que votre immortalité vous vient d’une divinité…

Ceci expliquait cela…L’immortalité en soit n’était pas vraiment une chose aisée à vivre, surtout pour une personne qui a vécu sans au départ. On ne se voyait jamais vieillir et les personnes qu’on aimait partaient bien avant nous…Oh, Quetz avait déjà souffert de ce genre de situations, s’étant attachée quelques fois à des mortels, mais de par sa nature de déesse de la mort, elle savait que ces personnes étaient dans un endroit meilleur. Cela fait un peu gnan-gnan ? Mouais. Retournant à sa boisson, le liquide glissa dans sa gorge, avant de répondre à Miya.

- Vous semblez bien connaître l’histoire du peuple aztèque…Alors vous devez savoir qui est Tezcatlipoca ? Mon frère, mais aussi, mon opposé. Les sacrifices ont d’abord été pour lui. Mes fidèles, voyant Tez devenir plus puissant, ont commencé à faire la même chose pour moi. Chose qui me répugnait. J’en ai averti mes prêtres et prêtresses, mais personne ne les croyait, voyant toujours Tez prendre en force. Et un jour, mon frère me défia. Je fus vaincue et envoyée en exil sans espoir de retour, au bon vouloir de mon ainé. J’étais déjà affaiblie, et c’est à partir de là que les Conquistadors sont apparus en terres aztèques. J’ai vu les miens périr, les uns après les autres, sans que je ne puisse rien faire. Vous comprenez ?

Est-ce que d’un côté, il insinuait que tout cela était de la faute à Tez ? Peut-être, même si elle n’en voulait pas à son frère. Quetz savait parfaitement que son opposé divin ne souhaitait pas la fin de l’ère aztèque, puisque lui aussi subissait la même perte de pouvoirs que sa sœur. Le regard de la rouquine se perdit dans sa boisson qu’elle faisait tournoyer, un fin sourire triste aux lèvres.

- Vous savez ce qui me rend le plus triste dans cette histoire ? Bien sûr, le fait que je n’ai pas pu leur venir en aide quand ils avaient besoin de moi…Non, le pire, c’est que je n’ai pas pu les amener en ce paradis aztèque où reposent les âmes des ancêtres…C’était mon devoir et je n’ai rien pu faire…Mais Miss Diablo, à part cette histoire de sacrifices et d’Espagnols, que savez-vous du Serpent à Plumes ? Je suis curieuse…Oui, curieuse et surprise que vous prononciez magnifiquement bien mon nom.

Bien curieuse de ce que l’on pouvait encore dire sur son sujet. Quetzalcóatl, le craint, le puissant Serpent à Plumes…Et puis, avait-elle appris à parler l’aztèque pour l’appeler correctement par son véritable nom ?

Haineuse ? Elle ? Voilà que la divinité rousse se permettait de faire de la psychologie à son encontre. La blague ! Miya devrait en rire et partir. Cette conversation, pour elle, ne menait nul part - en réalité, elle n'aimait pas tellement la tournure qu'elle prenait... Et la demi déesse supposait qu'il était impossible, pour le dieu méso américain, de comprendre ce qu'elle avait pu vivre. Miya avait subi des divinités oppressantes ; Quetzalcóatl aussi...

... Voilà qu'elle allait prendre en pitié une de ces horreurs ? La chanteuse serra les dents, et fixa un point droit devant elle. Et puis quoi encore ?! Cette rouquine ne pouvait pas être autre chose que ce que Miya pensait qu'elle était.

- Vous n'avez rien pu faire ? Vous pouvez descendre sur Terre boire dans un bar, mais vous n'avez pas pu apparaître face à vos fidèles quand il l'aurait fallu ? Quelle logique...

Miya ferma les lèvres, pour empêcher la passion de prendre le dessus. Vraiment, elle essaya, un bref instant, de ne rien dire de plus. De trouver quelque chose pour dénigrer la déesse à ses côtés. Au lieu de cela, sa main frappa le comptoir à plat, et Miya pivota sur sa chaise pour faire face à Quetzalcóatl.

- Non mais c'est vrai, ça. Vous existez, vous vous amusez à pourrir la vie des mortels depuis votre piédestal divin, où qu'il se trouve. Vous pleurnichez sur votre sort, mais vous ne faites rien. Vous avez été bannie par Tezcatlipoca ? Et alors ? En quoi ça vous a empêché d'intervenir, contre lui, ou contre les espagnols ? Vous avez regardé tout cela. Vous prétendez avoir été impuissante, mais avec les pouvoirs dont vous disposiez à l'époque, pourquoi n'avoir rien fait pour sauver vos gens ? Rien qu'avec les pouvoirs qu'on vous prête sur la nature. Vous auriez pu faire des tas de choses. Moi je l'aurai fait, et pourtant, je suis une foutue égoïste. Alors pourquoi une divinité que l'on prétend généreuse reste tranquillement à observer tout cela ?

Oh oui, sa voix posée vibrait malgré tout de colère. Sur le coup, Miya ne s'était même pas rendue compte qu'elle avait avoué l'un de ses défauts.

À quoi bon s’expliquer avec la chanteuse ? Malgré toutes les explications que la déesse pouvait lui donner, rien ne lui suffisait. Cela épuisait de plus en plus l’émeraude divine, mentalement et presque physiquement aussi. Toute cette histoire lui faisait remonter tous des souvenirs, et pas forcément les bons en premier. Alors quand la demoiselle s’énerva, claquant sa main sur le comptoir, faisant ENFIN face à Quetzalcóatl, celle-ci l’écoutait, les yeux d’abord écarquillés de surprise, puis les sourcils se fronçant légèrement au fur et à mesure que la belle crachait son discours. Buvant une seule gorgée de son breuvage, la rousse lui fit face, tournant aussi sur son tabouret pour s’exprimer, yeux dans les yeux.

- Franchement, je me demande pourquoi je continue tant bien que mal à vous expliquer les choses, alors que vous continuez à faire l’entêtée. Le pouvoir d’un dieu repose sur les prières de ses fidèles. Déjà affaiblie par mon combat et exil, je ne pouvais retourner sur les terres aztèques. Et les prières qui étaient censées me donner pouvoir pour veiller sur les miens étaient détournées pour les Espagnols. Avec Cortès, ils ont cru à mon retour, en chair et en os…Les prières étaient pour les Conquistador, surtout Cortès, et non pour moi. Quand le drame arriva, je n’étais guère plus puissante qu’un humain. Je ne pouvais rien faire…

Mais une chose avait choqué la jeune femme. Les dieux ne sont ici que pour faire le mal aux humains ? C’est cela qui ressortait de la bouche de Miya, et rien d’autres. Les immortels étaient tous odieux, et ne valaient pas qu’on les prie avec autant de ferveur. Alors le « vous vous amusez à pourrir la vie des mortels » provoqua un léger rire à la déesse. Et il était clair désormais pour la rouquine que la discussion devait s’arrêter là. Elle ne menait à rien.

- Faites ce que vous voulez, croyez ce que vous voulez. J’en ai assez d’essayer de vous faire changer d’avis, alors que vous tournez les choses comme vous l’entendez à chacune de mes paroles.

Un instant, et par quelques gorgées, elle termina sa boisson, avançant son verre vers le barman, signifiant qu’elle avait fini. Quetz se retourna juste un peu vers Miya, son regard en coin.

- Juste, vous êtes égoïste et ne voyez QUE ce que les dieux ont pu vous faire. Ca oui, car si vraiment, on n’apporterait que des soucis aux humains, on ne nous prierait plus, et nous ne serions plus là, très chère.

- "Nous" ?", répéta-t-elle, un peu interloquée.

Il ne fallait pas s'y tromper : Miya croyait assez en elle même pour ne pas avoir besoin de prières. Mais plus sincèrement, elle n'était que demi déesse, de manière technique... Donc elle ne comprenait pas - du moins, elle ne voulait pas comprendre - la façon de penser de Quetzalcoatl. Et puis, son avis était trop arrêté pour qu'elle ne souhaite entendre et tenter de réfléchir à un autre point de vue sur la question.

Bref, c'est avec une certaine satisfaction intérieure que Miya vit que son interlocutruce perdait patience. Et qu'ainsi donc, elle allait gagner la bataille, et avoir le dernier mot. Toc. Son petit sourire en coin, satisfait, était tout à fait puéril.

Parce qu'au fond, la chanteuse regrettait - si si, un tout petit peu, là, tout au fond de son coeur, derrière les toiles d'araignées - d'avoir froissé une personne qui était assez calée en la matière pour parler d'un sujet qu'elle affectionnait pas mal. Ah, si seulement la rouquine ne l'avait pas interrompue dans sa chanson ! Si seulement Miya n'avait pas cette espèce de fierté ma placée qui l'empêchait de harceler Quetzalcóatl à grands coups de "pourquoi ?" et de "comment ?"

Au lieu de ça, Miya finit elle aussi sa tasse, et la poussa en avant. Et avec ce petit sourire suffisant, le menton appuyé sur le dos de la main, elle continua ce qu'elle avait commencé à dire.

- Il n'y a pas de "nous" pour nous lier, vous et moi. Vous avez besoin de prières. Je subis mon immortalité. Ne nous mettez pas de le même panier.

Cependant... Aaah, quel dommage de risquer que la déesse ne parte, n'est-ce pas ? Miya détourna la tête, fronça les sourcils et se mordit la lèvre inférieure. Elle n'allait pas la retenir, quand même... Si ? La demi déesse se retourna vers la rouquine. il fallait, bien entendu, qu'elle place une pique :

- La plupart des divinités ne se montrent pas ; en avez vous vu d'autres, de nos jours ? Les immortels sont rares, Quetzalcóatl, et vous êtes la première que je rencontre. Alors, où sont-ils, ceux qui ne vivent que par les prières, si ce n'est dans un petit coin douillet loin de tout ?

A noter que Miya n'avait pas dit "vous"... Comme si elle avait enfin sorti sa compagne de comptoir du lot.

Alors, c’est ça ? Cela amusait particulièrement Miya de mettre en rogne l’émeraude divine ? Oui, oui…Cela se voyait clairement sur son visage, la satisfaction et le sourire qu’elle en tenait. Vraiment, Quetz commençait à la prendre en pitié. Tout ce qu’elle avait pu vivre avait rendu cette jeune femme aussi désagréable qu’une vieille femme aigrie et meurtrie par la vie. Elle n’aime pas perdre la face devant un dieu, et ça, le Serpent à Plumes l’avait clairement compris.

- En effet, il n’y a pas de « nous ». Nous sommes deux personnes complètement différentes. Vous subissez votre immortalité et c’est cela qui vous rend si acariâtre et violente dans vos propos. Durant toute votre vie, votre haine pour celui qui vous a fait ça s’est accumulée, accumulée, sans vraiment sur qui la renvoyait. Enfin, si, pardon. Vous faites payer l’erreur d’un divin sur tous les autres. Quelle grande preuve de maturité vous faites là !

La chanteuse pouvait toujours regarder la déesse avec ses yeux froncés et cet air hautain, mais Quetz n’allait pas se couper la langue pour lui faire plaisir.

- Il n’y a pas de « nous » car, pour ma part, j’essaie d’avancer avec mon passé et de me relever, sans haine et sans rejeter la faute sur tout le monde. Et vous devriez faire de même. Vous n’en seriez que plus légère pour vivre.

Et quand l’ultime question s’échappa des lèvres de la brunette, Quetzalcoatl ne put s’empêcher de croire que cette immortelle semblait ne pas connaître cette autre terre, semblable à la notre…Alors, c’est le visage surpris, qu’elle s’avança vers la chanteuse, à quelques centimètres d’elle, rapprochant également son tabouret pour s’y installer, et scruta son regard. Non, elle ne connaît pas Terra.

- Les dieux sont rares sur Terre, car quasiment plus priés. Il existe une autre Terre, semblable à celle-ci, mais qui semble à des temps reculés à cette planète. Son nom est Terra. C’est d’ailleurs là-bas qu’on y trouve encore l’Olympe. Les dieux les plus puissants s’y abritent. Terra est rempli d’êtres humains ou créatures prêts à croire en eux. Certains sont assez malsains pour profiter de la crédulité de certains peuples, mais pas tous. Pas moi…

Est-ce qu’elle allait croire aux sornettes que la rouquine lui sortait ? Rien n’était moins sûr…

Et voilà que la rouquine s'amusait à balancer ce qu'elle croyait être de grandes vérités à propos de Miya. La blague ! La demi déesse n'avait clairement aucun point commune avec Quetzalcoatl, en effet. Mais pire, elle  tentait de lui faire croire que Miya devait cesser de trainer son passé comme un boulet. La demi déesse roula des yeux et secoua la tête, entre l'exaspération et la résignation à faire entendre raison à la divinité devant elle.

C'était d'une hypocrisie vomitive. Miya jouait celle qui se fichait de son passé et qui voulait mordre l'avenir à pleine dents. Elle tentait de faire croire que le passé était révolu. Au lieu de cela, Miya continuait à vivre dans son monde... Dans ce passé qu'elle exécrait tant, et duquel elle voulait tant se défaire. Elle n'allait pourtant pas avouer une telle faiblesse de sa part, surtout pas à Quetzalcoatl. Elle n'avait pas de faiblesse de toute façon, au yeux du monde.

Donc elle jouait la même carte que d'habitude, et cherchait à montrer à l'autre combien il ou elle lui était inférieure. "Je suis bien au-dessus de tout ça", disait son regard levé au plafond, avec ce dédain qui la caractérisait tant. Il allait pourtant bien falloir à la demi déesse redescendre sur Terre. Les paroles suivantes de la déesse meso-américaine l’interpelèrent. Terra ?

Finie la comédie. Son regard se fait réellement curieux et inquisiteur. Terra ? L'Olympe ? Mais surtout... Une autre Terre ? Serait-il possible que Ryuga s'y trouve ? Un frisson lui remonte le long de l'échine, et la demi déesse reste tétanisée un court instant.

 - Terra... ?

Merde, elle montrait qu'elle perdait un peu les pédales. Et elle manifestait un peu trop son intérêt.

...

Au diable son image arrogante ! Miya se lève, et a l'audace de saisir l'avant bras de Quetzalcoatl, sans animosité.

 - Terra ?", répète-elle. "Où est-ce ?"

En cet instant, les divinités lui importent peu. La seule possibilité de retrouver Ryuga, soudain, lui semble importante. On parle toujours de cette personne qui méprise soi disant son passé et qui ne s'enfonce pas dedans au point de s'y noyer, tout à fait. L'intérêt qu'elle porte soudain à ce que lui dit la divinité risque de paraître étrange, évidemment. Mais là encore, tout ceci lui est totalement égal. Miya pourrait presque paraître vraie, en cet instant, alors que dans son regard clair, se mêlent de l'espoir et de la peur.

Les paroles du Serpent à Plumes n’eurent aucune bonne oreille entendante. Miya se refermait de plus en plus aux dires de la déesse, esquivant même son regard, la dénigrant. Ca commençait à être agaçant, et réellement taper sur les nerfs de la rouquine. La chanteuse roulait des yeux, elle aussi agacée par Quetz.

Puis son regard retomba sur l’émeraude divine, quand celle-ci évoqua Terra. Elle semblait si curieuse, qu’elle retint l’attention de Quetzalcóatl, posant une main sur son bras. Elle souhaitait en savoir plus. Le Serpent à Plumes avait donc raison : elle n’était pas au courant de l’existence de Terra. Bien. Racontons-lui la vérité.

- Et bien, Terra est en fait semblable à notre monde, mais situé dans une dimension parallèle en quelque sorte. Il est possible d’y accéder grâce à des portails situés un peu partout sur notre planète.

Mmh, la brunette semblait assez troublée par cette révélation. Et il y avait de quoi. Cette histoire semblait être tirée par les cheveux, pourtant, tout n’était que vérité. Quetz se fit interrogatrice face aux multiples sentiments qu’exprimait le visage de Miya.

- Pourquoi Terra vous intéresse-t’elle ?

Cela chiffonne la divinité. Est-ce qu’elle cherchait à trouver ce dieu qui lui avait infligé son immortalité et lui avait pourri la vie ? Possible. Après tout, Quetz avait parlé de Terra en évoquant l’Olympe, résidence des dieux. Réclamait-elle vengeance ? Non. Non, c’est sûrement autre chose. La lueur d’espoir dans son regard indiquait qu’il y avait autre chose. Tout comme cette pointe de peur, de terreur de perdre quelque chose, qui l’avait envahie…

- Il est facile pour moi d’y aller, connaissant l’emplacement de certains portails. Mais Terra est très dangereuse pour celui qui ne la connaît pas, ou pas assez…

Quetzalcóatl poussa doucement Miya, la forçant à s’asseoir. Elle attendait des questions de sa part, et l’émeraude divine pensa qu’il était préférable pour la suite, que la brunette soit sur un tabouret, au risque de tomber dénue aux paroles de la rouquine. Quetz rapprocha son tabouret de Miya, lui faisant face, tout en prenant sa main dans les siennes, geste pour la…Réconforter ? Oui, elle semblait en avoir besoin, mais elle risquait de la froisser. Qu’importe. La demoiselle restait figée, et la rouquine attendait patiemment.

- Posez-moi des questions, si vous souhaitez en savoir plus…

Le pire, c'est que cette histoire invraisemblable était la chose à laquelle Miya voulait bien croire. Bien plus qu'en l'existence de divinités qui ne correspondaient pas à l'idée qu'elle s'en faisait, c'est pour dire.

L'existence d'un autre plan d'existence était la meilleure explication quant à la disparition de son amant. Parce qu'il était inconcevable qu'il soit mort, à ses yeux. Elle l'aurait su, si c'était le cas. Mais... Oserait-elle braver l'inconnu, pour ce qui n'était peut-être plus qu'une chimère ? L'attention qu'elle avait portée à Quetzalcóatl se détourna quelques instants, feintant un désintérêt soudain... Pourquoi raconterait-elle son histoire à la divine rousse ? Pourquoi s'ouvrirait-elle à la seule personne qui pouvait la rapprocher de celui qu'elle considérait encore comme l'homme de sa vie ? Miya chercha quelque chose pour s'occuper les mains, la tête, n'importe quoi. Mais évidemment, elle ne trouva rien, comme si le destin lui même la poussait à aller vers cette femme.

Les dents serrées, il était clair qu'elle ne mettait aucune bonne volonté dans ce qu'elle allait faire. Ses doigts tapotèrent nerveusement le comptoir un instant, avant qu'elle ne daigne enfin regarder à nouveau la déesse méso-américaine.

- Peut-on... être happé par ce monde ? Y aller sans même s'en rendre compte ?

Miya retira ses mains de l'étreinte confortable de celles de Quetzalcóatl, et croisa les doigts, les tordant nerveusement. Non, elle n'était clairement pas à l'aise avec le principe de se montrer familière et confidente avec une femme qu'elle avait insultée plus tôt. Oh, évidemment, la demi déesse aurait pu décidé de la caresser dans le sens des poils - des plumes, quand ce cas ? - mais ce serait jouer sur un plan dangereux. Il ne fallait pas prendre le risque que la rousse décide de la manipuler, ou de l'ignorer. Elle tapota le bout de ses ongles à un rythme effréné et loin d'être harmonique... Avant de se décider, le regard toujours hypnotisé par un noeud dans le bois du comptoir :

- Il y a... Un homme. Humain. Mortel... Il... Il a disparu, il y a plusieurs mois... Presque deux ans... Et je le cherche. Il n'est nul part.

Elle ne voulait pas que sa voix tremble. Elle ne voulait pas avoir les larmes aux yeux. Elle voulait juste lui  présenter les choses de la manière la plus simple, et la plus neutre. Alors pourquoi son coeur lui faisait si mal ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à se contrôler, comme toujours ? Miya n'allait pas se montrer si faible devant la rouquine ?! Elle se leva brusquement.

- Laissez tomber.

Et Miya s'empressa de contourner Quetzalcóatl pour sortir. Et fuir, puisque c'était ce qu'elle savait sans doute faire de mieux.