Out on a hopping adventure ~ [Kalinka & Malinka]

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Les bras tendus tel les ailes d'un avion, quatre pieds résonnent sur le pavé mouillé. Bravant les restes de l'averse, cartouches vides de munitions célestes que forment les flaques d'eau par terre. Le rythme désynchronisé des deux paires de pieds éclaboussant partout autour d'eux, Ate et Ade étaient en mission spéciale et pourtant pas tant que ça; "allez faire les courses pour remplir le réfrigérateur, et attention à pas prendre de bonbons avec la monnaie même si je sais que vous le ferez quand même".

Alors que le soleil commençait à timidement pointer le bout de son nez dans les rares trous de la couverture nuageuse qui remplissait le ciel, les jumeaux arrivaient à leur destination. Malgré leur apparence pour le moins extra ordinaire, les deux frères commençaient à être des habitués du magasin. La vieille femme au visage doux qui s'occupait du commerce les accueillait, comme à chaque fois, en préparant directement un petit sac de leurs friandises préférées. Leur faiblesse, qui ne se trouvait sûrement que dans ce magasin ci de la ville, était des petits cubes de nougat enrobés dans du chocolat au lait. Certains garnis d'éclats d'amandes, d'autres d'éclats de noisettes, ou d'autres plus simples et sans garniture.
En ressortant de la boutique, chacun portait un sac de provision aussi large que lui, les forçant à faire le retour à vitesse réduite. Mais ce n'était pas plus mal, ça leur laissait le temps d'admirer le paysage et d'apprendre la géographie locale. Ils commençaient d'ailleurs à connaître par cœur le quartier, et avait décidé cette fois de changer d'itinéraire.

Après tout, leur destination était partout et nulle part à la fois, alors pourquoi s'embêter? Tous les chemins mènent au manoir.

Ate avait grimpé sur un grillage bordant une petite rivière, et faisait preuve d'une grande agilité pour réussir à maintenir l'équilibre sur celui-ci tout en portant le sac qui était malgré tout très encombrant. Mais Ate avait toujours aimé frimer un peu.
Sur la route, le suivant avec une expression bienheureuse, Ade parlait avec son frère de la pluie et du beau temps, ou plus précisément, du lieu où ils étaient.

" Hey. Hey, dis, dis. A ton avis, pourquoi ça s'appelle le quartier de la Toussaint ici? C'est pas " Tous Saints ", littéralement? "

" Si, si. Et comme tu viens de le dire, " Tous Saints ", c'est une fête chrétienne où ils les vénèrent tous. "

" J'imagine que ça veut dire que c'est un quartier remplis de personnes pieuses. Ou de personnes gentilles. Pourtant j'arrive pas à me faire à cette idée quand je vois l'état des maisons. "

" Ou l'état des gens. C'est pas un drogué, le type dans le coma là bas? Si, c'est bien un drogué. "

Ayant repéré toute autre chose, Adeus se figea dans une rue où chaque mètre carré des trottoirs était rempli par une femme à la poitrine opulente et au maquillage débordant. La simple vision fit émettre une grimace et une moue dégoutée au jumeau blanc, qui confia à son frère:

" Je crois plutôt que c'est le quartier de la " Tous Seins ". Bleh. Je veux même pas imaginer pourquoi elles en sont réduites à ça. "

Tous deux pris d'une légère nausée, les deux enfants s'éclipsèrent bien vite, et continuèrent l'exploration du quartier en large, en long, et en travers, découvrant derrière chaque pavé le même spectacle. Ils finirent par arriver à un petit cul de sac, et se laissèrent tomber mollement sur un trottoir miraculeusement épargné par la présence de prostituées, soupirant de ce voyage sans grand intérêt pour eux. Ce qu'ils faisaient maintenant? Ils attendaient. Ils attendaient quoi? Bah. Leur ticket retour bien évidemment.

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"... ouais, c'est bien ça, quatre barrettes."

L'homme détourna son regard de celle avec qui il regrettait maintenant d'avoir entamé une conversation qui risquait de tourner au vinaigre. L'adolescente se crispa de frustration, la main toujours tendue.

"T'es perché, non, Mali-chan ?"
"Ça a rien à voir, ça. Joue pas au con avec moi ! Je t'ai sucé y a deux semaines, et je t'ai rien fait payé. Alors tu me dois quatre barrettes. Y a quoi que tu comprends pas là-dedans ?"
"Non mais ça j'ai bien pigé... (il se gratta la joue d'un air gêné en voyant que les prostitués aux alentours, qui avaient tout entendu vu la voix grave de la jeune femme, lui lançaient des regards amusés) C'est juste que ça a jamais et ça vaudra jamais quatre barrettes, ce que tu m'as fait. C'est tout."

La jumelle aux cheveux verts entreprit de se mordre le labret dans le coin de sa bouche, signe distinctif en cas de colère. Sa sœur n'était pas visible dans les parages : il n'y avait que ce dealer à l'expression blasé et à la braguette ouverte.

"Ça veut dire quoi, ça, au juste ? Je suce pas assez bien pour toi, peut-être ?"
"Ben, quand on te compare à ta sœur, quand même, c'est-"

BAM.
Le coup soudain à l'arrière de sa tête fit perdre à l'homme ses lunettes, avant de tomber comme une feuille sur le pavé jonché d'excréments et de seringues. Malinka fit un grand sourire en voyant sa jumelle brandir sa batte devant elle, tandis que les putes aux alentours pouffaient de rire, à la manière de mères regardant tranquillement leurs enfants dans un parc de jeu. Kali avait elle-même depuis longtemps son habituel sourire du Cheshire.

"Smash~"

Une pose épique, un coup de pied dans les côtes du corps, pour le retourner et fouiller dans sa veste. La jeune femme trouva enfin ce qu'elle cherchait. Sous les mèches couleur forêt, ses yeux pétillèrent en voyant la drogue qui fut vite rangé dans la poche droite de son hoodie.

"C'était une passe, dans ton cas, au fait ?"
"Non, il m'avait juste filé la moitié de sa marchandise."

Elle fit monter ses pupilles étranges sous la frange azurée, un doigt sur la joue, en pleine réflexion.

"Par contre, le reste, je devais l'avoir aujourd'hui..."

Le samedi soir était consacré à la recherche de clients motivés. Comme le quartier était tout de même très grand, c'était une des rares fois où les deux sœurs n'étaient pas ensembles. C'était aussi l'un des rares jours de la semaine où ni l'une ni l'autre ne consommaient alcool et autres médicaments, histoire d'avoir l'esprit alerte pour les cas d'arnaque comme l'était cet homme.
La fille habillé de rouge soupira sans aucune discrétion. Ce fils de pute avait bien failli gagner, cette fois.
L'idée lui vint aussi vite qu'un délire au LSD. Son sourire s'élargit et sa sœur la regarda d'un air interrogatif.

"Prends-lui la tête, moi j'prends les jambes."
"Heu... tu comptes en faire quoi ?"
"Allez !"

Sitôt dit, sitôt fait, l'homme à la came qui commençait à vaguement saigner du nez fut transporté pendant dix grosses minutes jusqu'à ce qu'une ruelle sombre ne leur ouvre les bras. Bien sûr, les ruelles sombres, dans le quartier de la Toussaint, ça ne manquait pas ; mais encore fallait-il en trouver une qui soit vide. Et c'était pas forcément facile.

"Mets-le dans la poubelle, là..."
"Dans la poubelle ? Tu lui files un lit gratuit ?"
"... Ouais, bon, à côté des gamins alors. Dépêche-toi, son gros cul commence à peser !.."

Le gros cul en question fut donc posé avec toute la délicatesse dont pouvaient faire preuve les deux jeunes expatriés : en voltigeant jusqu'au trottoir et en s'écrasant devant les deux jumeaux qui durent s'écarter un peu pour éviter de se prendre une chaussure dans le visage. Une fois cela fait, les deux folles soupirèrent et se rapprochèrent du "cadavre", histoire de fouiller jusqu'à la moelle cet arnaqueur de première...

Bruit de mastication. Mono. Stéréo. Le spectacle de l'après midi étant arrivé pour les faire patienter en attendant le retour à la maison, les jumeaux avaient commencé à manger leurs nougats, le popcorn faisant défaut.

" Qu'est-ce que tu crois qu'elles font Ade? "
" Je sais pas. On dirait qu'elles le fouillent. Pourtant on est pas dans World of Warcraft. Et il a certainement pas l'air d'un boss d'instance. "
" C'est pas de la drogue qu'elles sortent de ses poches? "
" J'en ai bien peur Ate, c'est de la drogue. Je les plains. "
" Les jeunes filles ou les barrettes? "
" Un peu des deux si tu veux mon avis... "

Ils ressemblaient à deux papy corses, assis sur un pilier écroulé, qui commentaient calmement une bagarre de rue entre un natif et un touriste. Et ils ne baissaient pas le volume de leur voix pour passer inaperçu ou ne pas déranger le spectacle. Un peu comme ces spectateurs, au théâtre ou au cinéma, qui ne peuvent s'empêcher de discuter bruyamment pendant le meilleur passage.
Malgré tous, ils pensaient tout deux à la même chose; il fallait trouver un moyen pour aider ce pauvre type. Ils ne supportaient pas la violence. Encore moins pour des raisons aussi idiotes. Et puis les jeunes filles avaient l'air positivement dérangées. Elles pouvaient pas être mauvaise. Quoi que si en fait, à l'accent ils les ont reconnues comme d'origine russe.

Délaissant les sacs de courses, chacun des deux frères se planta à côté de l'une des deux soeurs, Atheo à côté de Malinka, Adeus à côté de Kalinka, balançant la tête de gauche à droite comme un métronome.

" Hey dites, je crois qu'il a plus rien sur lui.  "
" C'est pas comme si un loser pareil pouvait se payer plus de toute façon. "
" En parlant de ça. C'est toujours comme ça ce quartier? "
" Tu poses des questions auxquelles tu connais déjà la réponse Ate. "
" Que devrais-je faire alors, très cher frère? Poser une question à laquelle j'ignore la réponse? Mais quoi alors? "
" C'est toi qui est sensé être le mâle romantique mon frère. Pas moi. Cela dit, je me demande pourquoi elles perdent leur temps avec de la drogue. "
" C'est, vrai, ya des choses tellement meilleures dans la vie. Comme par exemple.. "

En parfait synchronisme, les deux jumeaux avaient guetté un moment d’inattention chez les jumelles, causé par les flots de paroles incessantes qu'ils leur avaient envoyé, et avaient chacun collé un de leur nougat chocolaté dans la bouche des jumelles. Ils l'avaient sans doute fait un peu violemment il faut croire, car elles étaient presque en train de s'étouffer. Ou alors elles étaient juste allergiques au chocolat. Ou au nougat. Ou à tout ce qui ne provoque pas des hallucinations et des bad trips.

(La comparaison des papis corses *pouce levé*)

Le truc, c'est que même si les gamins étaient loin d'être discrets (et que d'ailleurs, on croisait pas beaucoup de gamins quand il y avait du monde au balcon sur les trottoirs... normalement), elles étaient très concentrés sur le meilleur moyen de donner une leçon à ce magnifique connard qui commençait aussi à saigner des oreilles. C'était embêtant. Pas qu'on leur reprocherait quoique ce soit s'il crevait, le corps serait dans la mer/ sous les ordures/dans un congélo bien avant. Mais elles n'allaient rien pouvoir faire de plus, parce que c'était le genre de choses qui puait très vite en plein été. Un peu comme un camembert laissé sur la table du jardin.
Donc, une fois fouillé, il passait dans la poubelle. Les ordures se confondaient bien entre elles, en général !

Les jumelles tournèrent la tête en entendant les petites voix bourdonner derrière leur dos. Leur conversation ne fut pas plus discrète. Loin d'êtres des mamies, elles ressemblaient à ce qu'elles étaient : des adolescentes à la voix chiante.

"Ils veulent quoi, eux ? Une passe gratuite, aussi ?"
"Oh, enfin, t'as vu leur tête ? C'est sûrement les gamins de Bella qui fait le trottoir d'en face, elle m'en a parlé l'autre jour..."

Difficile de se faire traiter de fou quand on avait en face de nous deux êtres pas très sains d'esprits dont la tenue pouvait seulement être comparé à un arbre de noël. Mais bon, c'est la vie, messieurs.

Les jumeaux se rapprochant des jumelles, elles n'eurent pas le loisir de fouiller un peu plus longtemps ; mais de toutes façons, elle avaient déjà tout. Pendant leur tirade, les deux gamins furent soulevés en l'air ; Adeus fut pris dans les bras par Kali tandis qu'Atheo eut tout le loisir de pendouiller dans l'air, saisi par le col sans douceur par Mali.
C'est à ce moment-là que les étranges jumeaux eurent la bonne idée de partager leurs goûters avec les expatriés qui ne s'y attendaient pas ; pourtant, un gamin mettait souvent quelque chose sur la gueule de ses parents, mais c'était pas comme si elles avaient une très grande expérience du baby-sitting. Sans détester les gamins, elles ne se faisaient pas prier pour faire aux enfants ce qu'elles faisaient à tout le monde ; de mauvaises blagues. Mais là, c'était plutôt l'inverse.

Sur le coup, elles lâchèrent toutes deux leurs prises pour s'étouffer à grands bruits et à grands renforts de larges mouvements. On se serait presque cru sur scène, pour un comique, évidemment.

" *kof* MAIS PUTAIN ÇA VA PAS MIEUX NON ?!"
"Kyaaargghhh..."

Désorienté, La jumelle aux cheveux verts était surtout énervé par ce qu'elle considérait comme une tentative d'assassinat ; ou au moins, une occasion ultime de faire chier son monde. Elle en avait été si troublé qu'elle avait failli tomber par terre, des larmes de suffocation aux yeux. Sans réfléchir, elle saisit la batte de sa soeur pour faire un ultime smash. C'était rare, mais ses smashs à elle, ils étaient vraiment ultimes...
Sa sœur poussa un hurlement strident. Épouvanté par ce qu'il pouvait arriver par la suite, elle mit les deux mains sur ses joues, comme une piteuse actrice hollywoodienne de films d'horreur. Sans réfléchir non plus, elle se plaça devant les deux jeunes garçons pour leur éviter... non pas une mort certaine, dans leur cas, mais un gros mal de tête, disons.
Heureusement, celle qui portait la batte analysa la situation assez vite pour ralentir et ne mit donc pas à sa nouvelle cible un coup ultime, mais un coup... heu, normal. Enfin, ça faisait quand même mal, en témoigna le cri étouffé qui suivit avant que la victime ne tombe la tête la première sur le pavé. Le seul signe de conscience fut un long gémissement qui se transforma en grognement sur la fin.

Franchement, d'un point de vue extérieur, ça ressemblait plus à une scène de film à moitié raté qu'autre chose. Sûrement que les deux petits coursiers avaient eu raison d'embarquer les sucreries.

"Kali, tu... non mais franchement..."
"Nnnnghhhh..."

" Ben quoi, vous aimez pas le chocolat? "

C'était la seule réponse qu'il avait pu trouver, le doigt au coin de la bouche et l'innocence même peinte sur le visage. Mais celle s'y s'envola bientôt pour laisser place à un grand sourire à la vue de la batte de baseball et des pulsions de meurtres de Malinka.
Le jumeau noir n'était pas un bagarreur. Jamais jusqu'à présent n'avait-il blessé la moindre personne. Mais personne n'a jamais réussi à l'atteindre non plus. Et il prenait toujours un grand plaisir à jouer les acrobates entre les coups qu'on lui destinait.
Mais alors qu'Atheo se préparait à prendre le coup de plein fouet le sourire aux lèvres, il se produisit quelque chose de totalement inattendu.
Le sifflement de la batte dans l'air se termina bien par le bruit mat d'un impact avec un corps humain, mais pas avec le sien. Quelqu'un avait prit le coup à sa place, le laissant le regard plongé dans le vide, la tête penchée sur le côté, son cerveau occupé à comprendre ce qui venait de se passer, alors que Kalinka passait dans les airs juste en face de lui.

Durant le moment de flottement qui s'ensuivit, Adeus, plus blasé qu'une tortue sur la plage, passa en soupirant sur la scène comme un technicien sur une scène de film qui avait mal tourné. Il se dirigea droit vers Kalinka pour donner à celle-ci du baume anti-douleur, tout en ayant gratifié au passage son frère d'une tape derrière la tête.
Il épousseta la fille aux cheveux bleus du mieux qu'il put, l'examina rapidement sous toutes les coutures pour voir si elle était blessée, mais rien de plus qu'un léger hématome sur lequel il passa un peu de l'onguent qu'il avait sorti de son sac de courses.

" Ate, je crois qu'on doit des excuses aux dames. Et t'as du chocolat au coin de la bouche. "

Reprenant tous deux leur place sur le trottoir à côté de leurs sacs de provisions, l'un s'essuyant la bouche, l'autre rangeant le petit flacon de crème, les jumeaux se penchèrent respectueusement en avant et présentèrent leurs excuses aux deux sœurs,  expliquant qu'ils pensaient pas qu'on pouvait détester le chocolat, et que selon eux partager des gâteaux était la meilleure façon de nouer des relations.

" Et au passage, on est pas du coin. On est venu faire des commissions et on a voulu explorer un peu. Et maintenant on attend. "

Chacun des deux frère avala goulument l'une de ses friandises, et en proposèrent une nouvelles fois aux jumelles, sans leur enfoncer dans le gosier cette fois. Leurs yeux curieux s'étalaient dans toutes les directions, s'attardant sur une tache du mur avant de venir passer sur un détail du visage de l'une des sœurs, avant de repartir de plus belle dévorer de curiosité un autre élément du décor, le tout sans perdre une miette de ce que celles-ci pouvaient leur répondre.

Maintenant qu'ils étaient le centre d'attention principal des deux sœurs, celles-ci pouvaient ressentir quelque chose d'étrange à propos des deux frères.
Leurs yeux semblaient... Vides. Sans âme. Pourtant, dans les mots comme dans les gestes, ils étaient plein de vie, mais leurs yeux sans pupilles rappelaient ces poupées en porcelaine qui vous fixent intensément sans vous lâcher une seule seconde du regard. Et, discrètement, lorsqu'ils s'échangeaient un regard, ils semblaient... Rire.

" Chis noctä vago èst fuüne, na bröz? "
" Chis èstë traïie, bröz... Chis èstë traïie. "

De toutes façons, elle ne se serait pas amusé à jouer à Duck Hunt avec un gamin trop rapide. Si sa sœur était souple, elle-même avait plutôt tendance à vite s'encroûter et à tomber de haut au sens littéral du terme. C'était peut-être une des raisons pour laquelle elle était moins vive.
Et puis cette batte ne lui allait pas du tout. Qu'est-ce qu'elle avait fait de ses poings, au juste ?..

Mali ricana en voyant le jumeau fautif être claqué derrière la tête par son frère respectif. Elle resserra sa capuche autour de ses cheveux verts et s'assit en tailleur, fatigué par toute la scène et sans vraiment penser à aller aider sa sœur. L'instinct maternel était de prime quand c'était quelqu'un d'autre qui le foutait par terre. Là, elle savait très bien que sa jumelle s'en sortirait ; après tout, elle n'avait pas tapé si fort que ça...
Bien sûr, dans cette observation, la tête cadavérique que se traînaient les deux jumeaux ne lui avait pas échappé, mais la force de l'habitude lui intimait de ne pas en faire une affaire. Ici, tout le monde avait plus ou moins ces mêmes traits ombrés, presque fantomatiques, dû soit aux excès, soit aux manques. On ne pouvait pas y faire grand-chose, et comme elle était toujours persuadée qu'ils étaient du quartier...

Kali toucha l'endroit sur sa tête où était posé l'onguent et sortit ensuite son visage des gravats, tout rouge et un peu incrusté avec quelques petits cailloux. Un coup de gant et il n'y paraitrait plus, mais pour l'instant, ça ne semblait pas la déranger. En fait, en petite masochiste confirmé, la douleur occasionné lui avait fait beaucoup de bien jusqu'à ce que ce petit môme décide de la lui enlever. Ce fut à son tour de s'énerver contre Ade.

" 'azy tu saoules hein, ça commençait juste à être bien !.."

Ça ne dura cependant pas longtemps lorsqu'elle se dit qu'au moins, il n'y aurait pas d'ultime séjour à l'hôpital qui leur feraient claquer leur recette de la semaine. Ça aussi, ça l'aurait saoulé. 'Azy, tu sais.
De son côté, l'expatrié au hoodie écoutait le petit homme lui dire qu'ils attendaient après avoir exploré un peu. Son sourire serra un peu plus la cigarette au tabac blond qu'elle venait de se rouler alors que sa sœur lui apportait le briquet, tenant Adeus par son autre main.

"J'sais pas trop c'que vous attendez, mais l'arrêt de bus, c'est de l'autre côté."
"Ils attendaient peut-être un train ?"
"...Mais quesstudi toi encore..."
"Ben quoi, le chemin de fer est derrière le mur, là..."

Cette dernière remarque donna une idée tellement brillante à Malinka que son visage sembla s'illuminer comme une ampoule. Même sa sœur prit peur et s'écarta.

"Uuuaaah !"
"... Quoi ?"
"Quoi ?"
"Rien !.."

Ate et Ade occupés à parler une langue inconnue, Mali en profita pour expliquer en bon russe son tout nouveau plan à sa sœur. L'expliquer en japonais aurait été équivalent, mais ces gamins ne devaient pas se sentir trop importants avec leur dialecte. C'était leur rôle, ça.
La fille aux cheveux bleus sortit soudain quelque chose de la poche de son jogging - un feutre noir, marqueur indélébile qu'elle renifla en ouvrant avant de se frotter le nez. Sa sœur traina le corps près d'eux, plus une caisse à oranges récupéré à côté des poubelles. Elle y planta ses fesses, pris le feutre et le donna à Ate. Après quoi elle déchira le tee-shirt de marque de l'homme, exposant son torse heureusement imberbe - ça aurait gêné pour la suite des évènements.

"Même si vous savez pas écrire, c'est pas grave. C'est l'heure de colorier, sans dépasser ! ♪"

Récréation pour tous.

La chose était tellement inattendu qu'Atheo eut besoin d'un petit moment pour calculer la situation. On lui avait tendu un crayon, et on lui présentait un torse nu prêt à être taggé. L'enfant serra le marqueur dans son petit poing blanc. Il leva vers la jumelle aux cheveux verts un regard meurtrier, et...

Bam. Le feutre noir avait fendu l'air, pivotant sur lui même avec toute la grâce qu'on peut attendre d'un feutre noir, et vint s'écraser en plein milieu du visage de Malinka. Ade se contenta de commenter " Headshot ", sirotant une tasse de thé sortie d'on ne sait où, alors que son jumeau se relevant triomphalement de son geste de lancer, cria, visiblement courroucé. Il n'aimait pas qu'on le prenne pour un gosse, ce qu'il n'était pas réellement de toute façon.

" Non mais pour qui tu nous prends, oh, l'asperge?! On est pas des gamins, heh, oh, hein! "

Courroucé, courroucé... Il ne fallait pas oublier qu'il restait un enfant de 12 ans, et qu'il avait plus l'air de piailler que de réellement faire preuve de colère.
De son côté, Adeus soupirait. La situation commençait à devenir tendue, et le maître n'arrivait pas. Et si Ate et l'autre verte continuaient à escalader le conflit comme ça, ça allait mal finir avant qu'il n'arrive... Alors Ade fit ce qu'il faisait chaque fois qu'il voulait oublier le monde autour de lui.
Posant sa tasse de thé, il escalada le mur du cul de sac en s'aidant des poubelles et des fenêtres, posa ses fesses à son sommet, et commença à chanter une chanson triste.

[Musique]

La chanson raisonnait dans les rues vides et mouillées par la pluie du quartier de la Toussaint. C'était une chanson pleine d'émotions, déjà même sans en connaître les paroles. Quand on connaissait leur signification, de plus... Dommage qu'il manquait les instruments. Ils donnaient beaucoup plus d'impact à la mélopée.
Penchant la tête de gauche à droite, lentement, au rythme de la mélodie, tout autour de lui disparaissait progressivement. Dans sa tête, de la neige commença à tomber tout autour de lui.
Et, comme une plainte dans le lointain, il entendait une voix répondre à son chant par le sien.

Pendant ce temps. Dans le monde réel.

Tout était loin de calme dans l'esprit d'Adeus, Ate et Malin étant à nouveau occupés à se battre, le premier esquivant les coups de la deuxième, sous le regard consterné de deux-trois chats de gouttière.
Atheo n'essayait pas de frapper la jeune fille, car c'était contre sa morale d'une part, et qu'il ne frappait jamais d'autre part. Mais par contre, elle n'arrivait pas à le frapper non plus. C'est qu'il est agile le gamin, se servant du sol glissant pour lui donner plus de manœuvres d'esquive, passant entre les grandes jambes de la jeune filles, et parfois restant dans son dos, pivotant en même temps qu'elle, squattant son angle mort en lui adressant divers grimaces.

L'adolescente frotta son nez là où le feutre l'avait heurté en laissant une sublime marque rouge dans toute sa longueur. Ce n'était pas son dernier trajet puisqu'il se retrouva bientôt sur la tronche de l'autre jumelle qui s'était bien marré en voyant sa sœur se faire jeter. Après un long moment de flottement, Malinka finit par éclater d'un rire à la limite de l'hystérie. Avant de sortir de sa gorge, ça sortait tout droit de ses nerfs. Pour quelqu'un d'aussi peu volubile qu'elle, elle avait déjà beaucoup parlé au cours de la journée. D'habitude, c'était le rôle de sa sœur.

"Toi t'as dû manger deux trois bonbons qui traînaient par terre par ici non ? (elle le souleva par le col en continuant de rire) Tu fais la taille de mon chien ! Tu vas me prendre pour une dinde en me disant que t'es un nain ou un truc comme ça ?"

Kalinka tournait le stylo entre ses doigts pendant que sa sœur s'égosillait. Elle voulait au tout début le donner à l'autre enfant, peut-être un peu plus obéissant avec ce qui pourrait être après tout des lunatiques prêtes à les saigner en cas de crise, mais celui-ci était occupé à grimper le long des murs, au risque de se faire mal. Elle cligna plusieurs fois des yeux et resta là, assise sur une benne, à le regarder grimper.

"Et au lieu de me casser les oreilles, tu f- mais qu'est-ce qu'il branle lui aussi là-haut ?"

Adeus semblait avoir trouvé le public pour observer sa scène, et dés lors qu'il commença à chanter, il se produisit certaines choses étranges (si on peut encore utiliser ce mot avec un minimum de crédit)
D'abord, il y eut ce silence seulement rompu par le chant. Le temps semblait n'avancer que lorsque les notes retentissaient, et les écarts entre chaque octave étaient étouffants.
Kali observait et avait un air qui ne lui revenait pas. Mélancolique, sérieux, sans le sourire du Cheshire, avec une innocence bizarre qui rappelait plutôt Alice. Mais ce n'était pas Ade qu'elle détaillait du regard ; c'était sa sœur.
La capuche de Mali était tombé dans son dos et la pluie qui alourdissait ses cheveux rendait ses yeux impossibles à voir, mais la direction de sa tête montrait bien qu'elle scrutait Ade, perché sur son mur de béton comme sur une estrade. Sa bouche s'ouvrit comme pour dire quelque chose, mais finit par se fermer.
Ça faisait bien longtemps que les deux sœurs n'avaient jamais semblé si lointaines.

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Elle avait refusé qu'on lui coupe sa frange. Elle ne voulait pas qu'ELLE puisse voir le regard qu'elle LUI lançait. C'était dangereux de laisser paraître autant de dégout, surtout quand aucune raison ne l'autorisait à un pareil crime.
Après tout, n'étaient-elle pas sœurs à présent ?
Kali la regardait avec une sorte d'admiration, un sourire joyeux qui inspirait la bienvenue. Un peu comme si elle lui disait "Notre famille n'est pas parfaite, mais maintenant que tu en fais partie, tout devrait aller mieux". Oh oui, Kali l'avait tout de suite accepté en tant que nouvelle sœur, avec son violon, ses cheveux roses et sa bouche hermétiquement fermée.

Mali espérait qu'il y avait un secret derrière tout ça, une combine que sa sœur ou son père auraient oubliés de lui donner pour réussir à aimer cette chose-là ; mais il n'y avait rien. Du haut de ses quatre ans, c'était la première fois que quelqu'un lui inspirait de tels sentiments. Comme un espèce de cocktail qu'on l'aurait forcé à avaler. Crainte, colère, la pression d'expédier tout ces sentiments malsains hors de son estomac en une bile ignoble. Et tant qu'on y était, l'expédier sur ces horribles cheveux roses semblait une bonne idée.

Un fantasme qui s'accomplit peu de temps après l'avoir rêvé. Le quatrième jour après l'adoption de Claire, Mali vomit son déjeuner sur cette horrible robe bleue que cette peste portait.
Claire avait un tant soit peu de caractère. En réponse à cet affront, elle fit rouler le train électrique, son jouet préféré, sur les orteils de son attaquante qui hurla dans toute la maison.
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La pierre heurta ses cheveux courts, puis son crâne. Ça lui fit assez mal pour lui faire oublier Ate un instant. Elle se retourna et vit de nouveau sa moitié, une autre pierre dans l'autre main en cas de besoin, et les sourcils froncés. Son accent russe était forcé par la colère.

"Contre qui tu crois te battre, hein ?"

La combattante étouffa un hoquet de surprise, et ses muscles se détendirent. Il était normal que Kali sache à qui elle venait de penser. Elle le savait toujours, de toute façons. Et si elle ne le savait pas, elle le devinait.
 Il se passa ensuite plusieurs minutes où l'on n'entendait que les gouttes s'écraser sur le pavé, mais au moins, le combat avait cessé.
Une masse de cheveux bleus s'agita lorsque leurs propriétaire sauta de la benne pour s'approcher de sa moitié et soulever les mèches éparpillés devant ses yeux. L'expression de Malinka était adulte, différente, mais il restait une flamme de culpabilité immature, comme si un enfant était coincé dans ce corps d'adulte et tentait de sortir.
Kali fut la première à récupérer son sourire, suivi de près, comme toujours. Le présent l'exigeait.

" Ouais. Il a ce talent là. Quand il chante, ça fait remonter les émotions qu'on croyait enfouies à jamais.  "

Des larmes coulaient des yeux d'Atheo, qu'il tentait tant bien que mal de cacher avec un sourire. Même lui était sensible aux émotions qui s'échappent des chants de son frère. Et lui aussi, il avait repensé à un évènement triste. Les mains dans les poches, il laissa les larmes perler de son visage, prétextant que " c'est la pluie ".
Quand, enfin, son jumeau avec laissé les dernières paroles s'échapper de ses lèvres, celui-ci resta à se balancer quelques secondes du mur. Lui même se rendait nostalgique quand il chantait. Et lui aussi dissimulait les larmes et les émotions qui s'en émanaient.

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" Dites moi, je vous en prie, qu'avons nous fait pour mériter des enfants tels que vous? "

Les paroles résonnaient encore dans l'esprit des deux jumeaux. Depuis la naissance, ils ne pouvaient compter que sur eux même. A leur naissance, les nurses de l'hôpital étaient trop occupées avec les autres bébés pour prendre soin d'eux. A la maison, ils jouaient tous les deux pendant que leur père se noyait dans des litres de bière et que leur mère se pliait à ses quatres volonté. A l'école, les autres enfants ne jouaient jamais avec eux, parce qu'Ade avait des cheveux bizarres, et que son frère refusait de l'abandonner tout seul.

Rien d'étonnant alors qu'un lien plus fort que tout se lie entre les deux frères. Ils étaient presque devenus télépathes, et pouvaient dire à n'importe quel moment ce que l'autre pensait. Quand l'un souffrait, l'autre aussi. Quand l'un était heureux, l'autre également. Jamais ils n'étaient l'un sans l'autre. Jamais ils ne se quittaient. Ils mangeaient ensemble, dormaient ensemble, se lavait ensemble, et se battait contre les grosses brutes ensemble.

L'unique signe d'attention à leur égard de leurs parents fu de leur faire consulter un psychiatre, car ils les trouvaient anormaux. Ils avaient peur qu'ils n'aient des relations incestueuses entre eux. Mais ils se fichaient des sentiments de leurs enfants. Tout ce qu'ils voulaient, la seule chose pour laquelle ils priaient...

" Pourvu qu'ils ne nous fassent pas honte. Pourvu que nous ne soyons pas " les parents des deux anormaux ". "

Alors ils subirent. Et quand leurs parents divorcèrent, chacun emportant l'un des enfants, de peur d'être séparés pour toujours, les jumeaux fuguèrent ensemble. Ils passèrent plusieurs nuits à la rue, mendiant pour un maigre repas qu'ils partageaient entre eux. Ils étaient pauvres, mais ils étaient ensemble. Et c'est tout ce qui leur importait.

Et un jour, ils moururent. C'était une froide journée d'hiver. Un clochard qui avait trop bu s'était approché d'eux pour les dépouiller, et voyant qu'ils n'avaient rien sur eux, décida de prendre la seule chose qui leur restait: leur dignité. Ils se réchauffa en les violant, son rire gras et son haleine pestilentielle hantant encore aujourd'hui les sombres recoins de la ruelle où, le lendemain, on trouva les corps de deux enfants égorgés.

Et ainsi prit fin leur histoire... Ou plutôt, le premier chapitre de leur histoire. Car, au nez et à la barbe de tout le monde, quelqu'un décida de mettre son grain de sel, de tenir à ces deux enfants dont personne ne se préoccupait. Alors que les spectres des jumeaux se tenaient par la main, attendant la faucheuse, c'est un être tout autre qui s'approcha d'eux. Et il leur demanda...

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" Alors. Qu'est-ce que vous attendez, tous les deux? "

Alors que d'un même geste, les jumeaux se tournèrent vers la source de la voix, les larmes qui tombaient sur leurs visages s'envolèrent et formèrent de magnifiques lumières éphémères, reflétant la lumière du manoir qui rebondissait à l'intérieur des larmes sur toute la ruelle. Les deux fripouilles bondirent, l'un de son mur, l'autre de la rue, pour aller enlacer leur maître, la journée ayant été trop chargée en émotion à leur goût.

Mais, arrêtons nous une seconde. Même si pour les deux gamins, cette situation était tout à fait normal, et ne nécessitait donc pas de plus ample information, que s'est-il passé?

Et bien, alors que les dernières notes cristallines terminaient de mourir dans la rue sombre et froide, une porte s'ouvrit, au milieu du mur sur lequel se tenait Adeus, c'est à dire au milieu de nul part. La porte était apparue, comme ça, et s'était ouverte dans une gerbe de lumière qui éblouit toute personne présente dans la ruelle, révélant un paysage pour le moins insolite. Un jardin vert, ensoleillé, vision impossible dans un tel endroit, où gambadaient de petits mammifères et quelques insectes comme des abeilles ou des papillons.

Pour en rajouter une couche, un individu étrange, aux oreilles longues comme un avant bras et aux yeux pétillants de flammèches bleutées, avait maintenant traversé le seuil de la porte, et serrait dans ses bras les deux jumeaux qui l'avaient attendu pendant si longtemps. Alors qu'il prenait des nouvelles et commençait à ramasser les sacs de provision, ils remarqua soudain les deux jeunes filles, à qui il sourit après un petit moment à les regarder.
Il allait leur adresser la parole, quand il fut dépassé par Ate et Ade, qui bondirent tous les deux pour délivrer un baiser sur les lèvres des jumelles, Ate sur Malin, Ade sur Kalin, avant de s'engouffrer en quatrième vitesse à l'intérieur de la porte, leur laissant une impression pour le moins étrange, enfoncée par un rire franc et enjoué de la part de Daclusia.

Celui-ci, les bras toujours pleins, se reprit avant de dire aux jumelles, une petite larme de rire au coin de l’œil:

" Et bien et bien... Je vois que mes petits protégés se sont fait de nouvelles amies... Hehehe. Merci d'avoir joué avec eux le temps que je vienne les chercher. Ils ont tendance à être tristounets quand ils s'ennuient. "

Il marqua une pause, sachant très bien qu'il fallait laisser du temps aux humains lorsque quelque chose d'aussi inattendu leur arrivait, avant de poursuivre:

" Permettez moi de vous inviter à diner au manoir. C'est la moindre des choses pour vous remercier d'avoir supporté ces deux petits diables; surtout Ate. Alors? "

En même temps, elles reculèrent d'un pas, puis de deux ou trois. Comme quand on recule des pièces sur un échiquier. Réflexe purement humain ! Réflexe de survie. L'expérience apprenait aux drogués à faire la différence entre une illusion et la réalité ; on ne pouvait pas dire que les jumelles étaient des novices en la matière.

Mais elles restaient humaines, malgré ce qu'on pouvait en penser, et une apparition comme celle-ci les effraya. Kali en tomba même sur ses fesses. Bouchée bées, toutes deux observèrent avec méfiance l'étrange silhouette aux oreilles pointues les saluer et leur sourire avec sérénité.

Pour en rajouter une couche, ou simplement pour rire, les deux petits jumeaux se précipitèrent sur les deux expatriés pour leur donner un baiser innocent, contrairement à eux-mêmes !.. Les réactions ne se firent pas attendre, au moins d'un côté.

"Eeeeh, vous trouvez ça drôle ?!"

Daclusia aurait pu s'inquiéter de voir la paire de couettes azurées rentrer sans plus de cérémonie dans le portail pour rattraper les deux chenapans, sa batte brandie plus par habitude qu'autre chose - frapper des enfants ne se comptait pas vraiment dans les objectifs de Kalinka... leur faire peur, si.
Sa sœur était elle toujours sur le pavé, un peu plus méfiante. Ses yeux lançaient des regards en coin, sur son futur hôte... et sur autre chose.
Elle avait failli l'oublier, mais il restait quand même une chose à faire.

"Ma petite sœur a déjà accepté ton invitation, de toutes façons !.."

Elle se rapprocha pour se pencher sur le corps qui souillait toujours un bout du trottoir. Sans problèmes, elle le souleva pour le mettre sur son épaule ; des gouttes de sang tombèrent sur le béton.

"Ça va juste me prendre deux ou trois minutes..."

Effectivement, elle n'allait pas se prendre la tête avec ce mec. Les derniers évènements lui avaient donné une idée pour qu'il ne revienne plus les importuner, de toutes façons...
Mali contourna la poubelle où il était prévu à la base de déposer le fardeau pour s'engouffrer dans une minuscule ruelle adjacente à celle où ils étaient. Quelques mètres seulement séparaient l'univers sombre à un espèce de balcon inondé par la pluie. En fait, ça ressemblait plus à une falaise bordé par du grillage. Un naïf avait pensé qu'il serait une bonne idée de mettre des bancs pour admirer le paysage - en fait, ça tenait plus lieu de couchette qu'autre chose, et encore, vu l'exposition de l'endroit.
En-dessous de la terre sous ses pieds, il y avait les lignes de chemins de fers. Des kilomètres et des kilomètres de rails qu'on avait mis là parce qu'on savait que les habitants des maisons aux alentours se préoccupaient d'autre chose que du paysage.
Vu comme le grillage était mou et flexible, on ne se préoccupait pas non plus beaucoup de la sécurité des enfants aux alentours...
Comme c'était dommage.

La russe appuya sur les carreaux du grillage, et avec leurs deux poids combinés, celui-ci se tordit assez vite. En un basculement d'épaules, l'homme toujours inconscient glissa comme sur un toboggan. Son corps fit un bruit mou en tombant sur les rails. La jeune femme sentit un instant quelque chose piquer son cœur comme une épine. Elle savait très bien ce que c'était, mais préféra l'ignorer en revenant sur ses pas.

Lorsque Daclusia la revit, elle était essoufflée. Tandis qu'elle s'engouffrait dans le portail, on entendit les cris des rails écrasés par les roues d'un TGV tout proche.

Daclusia toisa du regard Malinka lorsque celle-ci revint de sa sombre office. Pas d'un regard sévère qu'on donne aux enfants ayant fait une bêtise non, plutôt de la peine. Il avait toujours eu pitié de ceux qui se résolvaient à tuer, surtout quand il s'agissait de personnes encore jeunes. Sans un mot, il referma la porte sur la ruelle, alors qu'au loin retentissait comme un requiem le crissement métallique du train sur les rails.

De l'autre côté de la porte, le paysage était magnifique. Une lande digne des plus belles de la Bretagne sauvage, l'herbe montant jusqu'aux chevilles, doucement bercées par une brise fraîche portant l'odeur de la lavande. Un ciel nuageux surmontait une mer d'orage, non loin de là, que l'on pouvait observer à partir d'une falaise haute de plusieurs dizaines de mètres. Quelques arbres bordaient l'arrière du manoir, délimitant ainsi ce jardin sous la tempête.
Quelques papillons d'un bleu aussi profond que les yeux du maître des lieux vinrent virevolter devant le visage de la jeune femme avant de s'envoler, lui laissant voir le petit chemin de terre qui menait jusqu'à la grande bâtisse, ouvrant les étendues vertes comme Moïse avait ouvert la mer.

Le claquement de la porte détacha Malinka de son observation des lieux, suivit de Daclusia qui l'invita à la suivre vers la demeure, les sacs de provisions entre les bras.

" Bienvenue dans mon humble domaine. C'est beau, hein? C'est la magie de cet endroit. On ne sait jamais à quoi s'attendre, mais c'est toujours une bonne surprise. Vous me suivez? "

L'homme aux yeux bleus entraina l'expatriée le long du chemin de terre, toujours souriant, mais cachant la peine qu'il ressentait pour ce qu'avait fait son invitée avant de passer le seuil de la porte. Le long de la route, qui dut bien durer 5 minutes, il lui parla un peu de ce lieu. Que c'était une pension pour ceux qui souhaitaient se reposer, ceux qui avaient besoin d'un toit, ou ceux qui jonglent entre les dimensions.
Mais avant tout, c'était un lieu qui était là pour une bonne raison: être là pour ceux qui en ont besoin, quand ils en ont besoin. La seule règle, ne pas être ici pour détruire cet endroit, ou blesser ceux qui y vivent.

" C'est pour ça que votre sœur a pu passer. Commenta-t-il. Elle ne compte pas faire du mal aux jumeaux. Je me trompe? "

Il posait la question, mais connaissait visiblement déjà la réponse. Lorsqu'ils arrivèrent sous le portique qui protégeait la porte d'entrée, surmontant légèrement les herbes hautes grâce à un promontoire en bois, Daclusia se stoppa en haut des marches en bois, laissant Malinka sous les quelques gouttes de pluie qui commençaient à tomber.

" Oh... Et une dernière chose... "

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" Eeeeh, vous trouvez ça drôle ?! "

Sa batte à la main, les couettes azur poursuivirent, trop occupées à penser à ce qu'elles allaient faire à ces deux garnements pour observer le paysage, et fila comme une flèche à travers les herbes haute, à travers la porte du manoir, débouchant dans le couloir tel un chien dans un jeu de quille, glissant et salissant le sol ciré, manquant à plusieurs reprises de renverser les vases, œuvres d'art, et ornements présents dans les méandres du manoir.
Tous trois, comme des furies, dépassèrent la chambre de Muse, claquèrent en passant la porte de Discordera au nez de son propriétaire, qui exprima avec un hurlement infernal la douleur qui l'avait frappé au visage, et manquèrent de renverser Stasae alors que celui-ci venait de descendre les marches du grand escalier. La course poursuite dura un bon moment, et les jumeaux comme Kalinka finissaient par s'épuiser.

Arrivant dans le hall, ils s'écrasèrent à travers la porte d'entrée, sous le portique, arrivant face à un Daclusia au regard durcis, et une Malinka médusée. Sa sœur le serait aussi sûrement en arrivant.

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" ... Est-ce que tu compte rentrer à l'intérieur avec ça? "

L'homme en bleu pointa quelque chose au dessus de Malinka, et en levant les yeux on pouvait voir un spectre capuchonné, des haillons gris foncés et transparents, au visage et aux membres invisibles, portant une faux translucide par dessus son épaule. Quand elle vit le spectre, un éclair déchira le ciel et s'écrasa quelque part dans l'océan.
Il ne faisait rien d'autre que d'être là, mais pour quelqu'un qui n'était pas habitué au paranormal, c'était déjà énorme. Elle ne pouvait pas s'en débarrasser. L'être spectral semblait collé à elle. Un soupire rauque commençait à se faire entendre. Un soupir incompréhensible aux humains. Un soupir nommé Vengeance.