Untitled ... [Pv]

( Théme : http://www.youtube.com/watch?v=Fk8qcGOtBFw )

             Le sort en était jeté. Une représentation, sur Terre, enfin. Le groupe Untitled jouait - presque - dans la cour des grands, organisant un concert dans un café renommé. Après cela, il pourraient peut-être monter plus haut encore, et rencontrer bon nombre de personnes. Une ambition énorme dévorait tous les membres du groupe, sauf ... Cylla. Accoudé face à miroir de sa loge, encore sous les effets des quelques pilules de LSD dévorées trois jours plus tôt, il ne se sentait pas d'attaque à faire quoi que ce soit. Sinon jouer ... Il savait qu'une fois sur scène, il serait à nouveau immortel (enfin, dans sa tête) et capable de tout. Cyril, le claveriste du groupe, lui tapota sur l'épaule pour le réveiller, lui ébouriffant ensuite les cheveux. Cylla tressauta, surpris, se retournant vers lui en montrant les crocs.

- Le funambule est-il prêt ? demanda son ami en souriant.

              Cylla se leva franchement, attrapant sa guitare ; une Gibson délicieuse, entre les doigts. Sa tenue, composée d'un de ses habituels slim gris, d'un marcel noir, d'un pendentif portant une petite bouteille d'absinthe vide et d'une laisse autour du cou - costume de scène ironique et provocant - le mettait à l'aise. Il toussota légèrement, l'esprit embrumé, et se frotta les yeux, récupérant ses esprits.

- Le funambule est prêt ... murmura t'il.

                Les membres du groupe Untitled accoururent vers la scène, sous les cris d'une foule assez nombreuse. Il avaient finis par se faire aimer. Chacun des 6 membres du groupe se dirigea vers sa place - guitare, clavier, ordinateur, batterie, basse et chant - et tout débuta assez gentiment. Enfin, gentiment ... Ce qu'ils faisaient avait une allure de " Spaceship Operatorz ", de " Ratatat ", de " SMK " mélangé. Electro, rock et métal assemblé en un seul groupe : Untitled. Et chacun était fier de ce qu'il faisait. Les yeux de Cylla étaient, comme d'habitude, rivés sur la guitare pendant les deux premiers morceaux. Il était toujours craintif à l'idée de se planter, de faire une fausse note, surtout durant un de ses solos. Mais, aprés un quart d'heure, il se libérait toujours et finissait par se détendre au maximum, montrant les crocs comme un animal enragé, et laissant le chanteur jouait avec la laisse qui entravait son cou.
                   Décidément, cette soirée était extraordinaire ... Cela faisait bien trop longtemps qu'il ne s'était pas amusé ainsi ... La fin vint brutalement - comme à chaque fois, il ne voyait pas le temps passer, et il rejoignit sa loge en souriant, s'affalant sur un des fauteuils de la pièce. Il se sentait éreinté ... Il quitta la pièce un instant, allant au bar se chercher une tequila pas si bonne que ça, et se cala dans son fauteuil, dan sa loge, à nouveau. Ses poignets de force, lui serrait la peau, mais il ne chercha pas à les défaire. Il laissa l'air filtrer par la porte ouverte, savourant l'euphorie de ce moment.

Il se sentait bien vivant ... Et pire que ça. Prêt à faire toutes sortes de bêtises ...

Seuls les habitués, les gens de la nuit, avaient le droit à cette espèce de carte de fidélité qui s'accrochaient à leurs tronches dés qu'ils passaient la porte du bar. Ils avaient droits à des stocks, des manières que tout le monde n'était pas en droit d'avoir. Étonnement, il ne fallait pas forcément consommer. Juste avoir la tête qu'il fallait et la garder le temps d'entrer, le temps de sautiller devant la scène, le temps de s'asseoir sur un des tabourets du bar et même le temps de tremper ses lèvres dans le bock de bière. La patronne avait une affection bizarre pour la misère, l'atypisme, la folie douce qui brillait sans cesse au fil des barrettes de drogues qui sortaient du bois du comptoir qui devait avoir un jour été laqué. Autant dire qu'entre ce groupe aux airs psychédéliques et les deux gamines en pyjamas en face d'elle, elle était servie.

Elle sentit un regard vague se planter dans son épaule et elle détourna les yeux de la scène pour les poser sur Malinka. Son sourire de Cheshire semblait éclater dans la lumière sombre de la pièce et un peu de poudre s'agglutinait autour de sa narine gauche. Sa sœur avait posé sa tête sur le bois sale, ne laissant rien voir d'autre que le tissu écarlate de sa capuche, et s'amusait à faire claquer ses ongles sur le mobilier. Sur ce même mobilier, six verres moitiés vides et six verres moitiés pleins. Un peu de tabac dépassait d'un joint qui serait allumé dés qu'elles sortiraient prendre l'air.
La propriétaire de l'établissement fit rouler ses yeux noirs. Une formule magique qui faisait apparaître en un clin d'œil le stock de marijuana supplémentaire. Le sourire de la gamine s'élargit en même temps que s'élargissait la liasse de billets. La patronne étira à son tour ses lèvres fines.

"Il est mignon, le guitariste, hein ?"

Le regard auréolé de doré oscilla dangereusement du comptoir à la scène, sur le chaton occupé à faire danser ses doigts sur les cordes de son instrument, comme un labyrinthe étrange dont lui seul connaissait la sortie. Mali hocha la tête et Kali la releva, un regard soupçonneux sur sa sœur. La dernière fois que celle-ci s'était tapé un musicien, elle avait fini avec un hématome grand comme une main sur la joue. Si elle aimait ça, sa sœur, pas tellement. Jouer les déviantes, c'était bien, mais se laisser prendre au jeu, ça avait quelque chose de malsain. Pourtant, cette tête de mule aux cheveux bleus n'avait jamais voulu l'écouter.

"Bon, on va prendre le frais, nous."

Après tout, depuis le début de la soirée, elles n'étaient pas très fraîches. La preuve en fut qu'elles ne trouvèrent pas la porte de secours - seule sortie possible depuis que l'autre avait été bloqué par la crasse et un cadenas dont personne ne retrouvait la clé. En revanche, elles avaient trouvés les loges. Un long couloir uniquement décoré par les portes qui menaient forcément à-

"Cochonne, va."

La jeune femme secoua la tête en mimant la pudeur, et ses longues mèches azures ondulèrent dans l'air vicié.

"Si t'es pas contente, tu peux toujours aller sucer la patronne."


Le couloir semblait si long qu'elles n'eurent le courage que de s'avancer jusqu'à la quatrième porte. Heureusement, c'était la bonne. Déjà entrouverte, l'odeur d'une tequila et des poils de chat sur la moquette.
Les deux jumelles collèrent automatiquement un sourire complice, transpirant la folie, sur leurs visages aux traits tirés.
Le masque de l'insanité était toujours assez marrant à porter.

             Il ne prenait même plus le temps de sortir pour fumer. Une roulée façonnée comme un joint, rempli de tabac, shit et cannabis entre les lèvres, il fit scintiller le bout de son briquet. L'odeur de la drogue envahit l'air, et il tira une grande bouffée sur sa roulée. Le délice contenu entre ce papier à tabac s'introduisit totalement en lui. Il resta un instant, béant, à fixer le vide, attendant que tout revienne se placer correctement dans son esprit ... Du bout des doigts, il attrapa son téléphone portable, et se permit de choisir une chanson : Heart-shaped Glasses. De Marilyn Manson. Certains classiques restent les meilleurs, après une soirée éprouvante et survoltée. Il attendit patiemment que le refrain arrive.

- Don't break, don't break my heart
And I won't break your heart-shaped glasses
Little girl, little girl you should close your eyes
That blue is getting me high
Making me low

Chantonna t'il, les yeux brillants. Il tira une nouvelle bouffée sur son joint, planant un moment, avant de se relever. Il ne sentait même plus la laisse qu'il portait autour de son cou. L'habitude, sûrement ... Il inspira une bouffée d'air frais, et chercha à tâtons une boisson. C'était peine perdue ... Il devrait retourner au bar pour commander quelque chose, et elle n'aurait sûrement pas d'absinthe ... Il manipula du bout des doigts la bouteille vide de la-dite boisson autour de son cou, regrettant de ne pas avoir pris sa dose d'alcool hallucinatoire. Tant pis. Il boirait de l'eau de mer. Les hallucinations seraient aussi au rendez-vous ...

Il se prépara à se lever, pour fermer la porte qui laissait filtrer un courant d'air qui devenait désagréable, et retint un sursaut. Enfin, il était trop noyé pour sursauter et craindre quoi que ce soit ... Surtout deux adolescentes. Il eut un rire soudain, vaporeux.

- Voyez-vous ça ... dit-il à voix basse.

Nouvelle bouffée de joint. Il s'appuya contre le mur, les regardant sans ciller.

- Des petites curieuses ... acheva t'il.

La chanson, qui touchait à sa fin, redémarra automatiquement.

Il fallait bien dire que dans le bar, la scène, la loge, les tenues, il y avait un certain luxe. Bien sûr, ça ne pouvait pas sauter aux yeux de ceux qui avaient tout ce qu'il fallait dans leur vie. Mais pour des clochardes sans toit et sans autre place que celle de spectatrices, c'était l'incarnation d'un confort certain.
Aussi les jumelles ne tardèrent pas à s'approprier ce confort si rare à l'aide de leur habituel culot, tantôt comique tantôt tragique, en entrant dans la loge à pas de loup. Celle aux cheveux bleus s'assit avec lourdeur sur le fauteuil où était Cylla quelques temps plus tôt, se délectant des accoudoirs, du tissu et... d'un joint fraîchement roulé et pas encore allumé, tombé par terre. Sur de la moquette, ça changeait du gravier. Elle fouilla ses poches un moment avant que sa sœur ne lui lance un briquet.

"Ah ouais, cool !"
"De rien."

La poche du hoodie rouge fut encore fouillé un moment, et Cylla se retrouva avec un petit sachet dans les mains. Histoire de dédommager le proprio. Le sourire du Cheshire devait le dissuader de refuser ou de les mettre dehors ; ça avait un effet très convaincant sur les gens. Mali s'approcha de sa sœur pour s'asseoir sur ses genoux, déclenchant une faible protestation.

"Sympa, la prestation, au fait. Même si j'ai fait qu'écouter..."
"Moi j'ai pas fait qu'écouter ! ♥"
"Oui, on est au courant. Elle te matait le cul. En toute innocence, bien sûr."

Kali fit la moue, prise sur le fait. Sa jumelle s'étala sur le fauteuil, prenant appui sur les accoudoirs. Son regard un peu vague se posa sur la petite bouteille autour du cou du guitariste. Son sourire se reposa sur son faciès, elle ballota la tête de droite à gauche, sur le rythme d'une chanson inconnue. Sa sœur rit un peu, occupée à tripoter le portable de Cylla.

"De l'eau, de l'eau, partout...
... Et pas une goutte à boire ♪"

Elles se sourirent mutuellement puis reportèrent leurs attentions sur leur "hôte".

"C'est pas très intéressant d'avoir toujours le même verre, hein ?"

Vu de côté, le problème n'était pas près d'être résolue.
Mais peut-être que...

Tout en les regardant s'installer, Cylla ferma la porte et s'appuya dessus, les laissant s'installer comme elles le souhaitaient. Ce genre de squatteuses n'étaient pas à foutre dehors. Pour tout dire il commençait à les trouver marrantes. Un sourire anima son visage, tandis qu'il ne faisait que les regarder faire. Il empocha le sachet, convaincu cette fois qu'elles étaient loin d'être ennuyeuses et chiantes à mourir, comme beaucoup de groupies qu'il s'était tap ... qu'il avait croisé l'était. Il tira une bouffée sur sa cigarette, les yeux mi-clos mais très brillants, le sourire définitivement scotché à son visage angélique. Il croisa un moment son reflet dans un miroir posé au fond de la salle, et envisagea d'enlever sa laisse ... Plus tard.

La remarque de la petite verte le fit sourire.

- En toute innocence, je m'en doute.

Il la gratifia d'un large sourire amusé, se permettant de détailler la petite bleue un moment ... en toute innocence. Puis il les écouta chanter, rigolant doucement. Les effluves du tabac le rendait sociable et facilement joyeux.

- C'est surtout inintéressant d'avoir un verre vide, ma belle.

Il prit entre ses doigts la bouteille d’absinthe vide, la regardant.

- L'absinthe, c'est un délice. Au-delà même du meilleur cannabis.

Son sourire s'accentua, tandis qu'il remarqua que son joint était éteint à mi-parcours. Il s'approcha d'elles, attrapant le briquet qui avait servit tout à l'heure, et ralluma sa portion de bonheur quotidienne. Il prêta un moment attention au portable, indiqua à Kali.

- Si tu veux changer de ... musique, tu peux.

Un sourire, et il se posa sur le sol, en tailleur, le dos appuyé contre le meuble, la clope entre les lèvres, les dévisageant l'une après l'autre.

- Si je m'attendais à une telle visite ...

Son sourire augmenta. Elles étaient réellement amusantes ... Il attrapa entre les doigts son verre vide, posé sur le meuble. Il le tendit vers la petite bleue ( il se plaisait à les nommer ainsi ).

- Tu m'offres quelques chose à boire, dans ce cas ?

"абсент ? "

Le flottement qui suivit la prononciation de ce mot fut bizarre, même pour le contexte. Kali cessa de chatouiller l'écran tactile pour regarder sa sœur, qui fit de même. Un dialogue intime s'installa entre elles. Intime, dans le sens que l'intonation avait fait son apparition contre leurs palais. Ça leur arrivait de se perdre dans leur langue natale. Ce n'était même pas un désir de cacher ou de tromper ; elles aimaient juste posséder cette clé et l'utiliser de temps à autre, histoire de s'enfermer encore plus dans leur petit kaléidoscope.

Après cette tirade de plusieurs minutes, les deux gamines tournèrent leurs têtes vers Cylla. Tels les deux aiguilles d'une montre, leurs tête s'inclinèrent vers le bas en synchronisation parfaite. Tic.
Le sourire se construisit comme l'on construit un train.

"Tonton, il peut t'offrir quelque chose à boire."
"Par contre, c'est assez loin d'ici."
"Ah bon ?"
"Ouais, à deux pas."

Les cheveux bleus oscillèrent dans le mouvement de leur propriétaire qui s'extirpa du fauteuil pour se lever et se dépoussiérer (par pur réflexe, vu que la pièce était clean). L'autre clocharde manqua de tomber avant de se rattraper et de finalement glisser sur le sol comme une serpillière.

"J'ai pas une tâche sur le cul ?"
"Non, il est parfait ton cul."
"Ah, cool ♪"

Kalinka souffla sur le joint et le donna à sa sœur, qui le termina avec délice avant d'en jeter les restes sur la moquette. Après quoi elle s'approcha du terranide pour lui pincer amicalement la joue (bien qu'un peu fort peut-être).

"On va prendre un raccourci, ça ira plus vite !"

Sa sœur s'occupa de l'entrée de ce raccourci qui était... la petite fenêtre encastré en haut d'une étagère. Rien que ça. Passer par la porte ? Inutile ; ils n'avaient pas que ça à faire ! Mieux valait se dépêcher, même si le Tonton en question ne fermait jamais boutique, même la nuit. La bleue se glissa dans le trou comme un charme, la verte n'eut pas vraiment de mal non plus. Une main entourée d'un gant de baseball proposa à Cylla de l'aider à grimper. C'était Kali, couché sur le sol de la rue où la fenêtre débouchait, le menton posé sur la main, comme si c'était une activité quotidienne que de se compliquer la vie à ce point.