Ça faisait maintenant trois mois que le jeune Kamui Nefraet nos Vaer avait été capturé par les forces ashnardiennes et enfermé dans les cachots du palais royal. Oh, il ne s'en plaignait pas vraiment, il avait après tout commencé à voyager justement pour trouver un lieu où il pourrait évacuer ses remords, sa colère et sa rancune en toute tranquillité, et la torture était probablement le traitement le plus adapté à ce besoin, car il transformait tout mauvais sentiment en douleur qu'on voulait à tout prix oublier. La jeune femme qui lui avait été assignée depuis son arrivée le fouettait avec énergie, provoquant des sursauts dans son corps. Il serra les dents à chaque fois.
Non seulement cette demoiselle s'amusait à lui faire du mal, mais elle adorait provoquer la colère du jeune homme en lui disant les sorts qu'elle réservait à sa fille le jour où ils mettraient la main sur elle. La crainte qu'ils trouvent la demeure de Maya augmentait le stress que le jeune homme ressentait, mais il voulait éviter de leur donner le moindre avantage sur son mental, et il s'imposait une image relaxant; la lisière dans la forêt, au centre de laquelle se trouvait un énorme bassin, cet endroit béni où il avait passé des années à méditer et à gérer la frustration de la vie. Graduellement, même les coups de fouet le laissèrent de glace. La jeune dame changea donc de tactique et elle se mit à le frapper. Mais cette fois, elle s'attira un sourire sadique du jeune homme, ce qui la fit frémir de peur. Le regard injecté de sang du jeune homme la pétrifia sur place alors que sa voix s'élevait, froide et cruelle, imposante.
-C'est une séance de sado-masochisme ou une vraie salle de torture, ici?
Offusquée par le culot du prisonnier, elle lui envoya une gifle au visage et sortit de la pièce, hors d'elle. Elle ordonna à l'un de ses collègue de prendre la relève. C'était un gros homme de deux mètres et demi, avec une large bedaine. Il était habillé d'une tunique (qui a dut mettre au supplice bien des moutons) et un pantalon qui peinait à masquer ses énormes jambes de cochons (grosses cuisses et petits petons). Déjà, juste à regarder l'abomination qu'il représentait, il sentit une bouffée de regret lui retourner l'estomac dans tous les sens. "Fallait-il vraiment que j'énerve la seule qui était agréable à regarder...?" Se réprimanda-t-il avec un soupir désespéré.
Le bourreau leva son bras et il frappa le visage de son jeune pensionnaire, lui brisant la pommette droite. En voyant la blessure se ressouder, comme neuve, il poussa un grondement agacé, frappant encore une fois, lui décochant un coup de poing remontant sur la mâchoire, lui brisant les dents et quelques os. Encore une fois, la blessure se régénéra aussi rapidement qu'elle fut faite. Le bourreau poussa un cri de rage en voyant ce regard toujours aussi arrogant, aussi rempli de défi. Chaque coup était encore plus douloureux que le précédent, mais Kamui ne changea pas de tactique. Il recevait chaque coup avec le même calme décidé, déformant son visage à chaque impact, mais c'était plus de l'inconfort que de la douleur. Il regardait son bourreau, et son regard si dénué de soumission mettait le gros homme encore davantage hors de lui. L'homme agrippa un couteau et il l'enfonça dans les côtes du supplicié. Cette fois, il lui arracha un cri, qui fut encore plus fort lorsque la lame exécuta un tour.
L'homme fier qu'était Kamui serra des dents et balança la tête en arrière, éprouvant des difficultés à respirer alors que le poignard cherchait la membrane fragile de ses poumons et qu'il la tailladait. Il ne cria pas très fort, à peine un grognement suffisant, mais ce fut assez pour provoquer l'euphorie du bourreau, qui mit encore plus d'énergie, mais après encore quelques minutes de mauvais traitements, le Seigneur en exil redevint impassible, comme pénétré d'un calme imperturbable. Les nerfs à vif, le bourreau lui envoya son pied dans le diaphragme, arrachant à son supplicié un gémissement de douleur, mais pas assez pour lui. Hors de lui, le gros homme se détourna de sa victime.
Kamui le regarda partir avec un soulagement mal contenu. Ses poignets, attachés au plafond, l'empêchaient de tomber à genoux et ses jambes étaient retenues par deux grosses boules d'acier attachées à ses chevilles, mais elles étaient bien inutiles, puisqu'il était maintenu à un pied du sol. Ses geôliers lui avaient enlevé sa chemise et toutes ses protections supérieures pour pouvoir le maltraiter, mais ils lui avaient fort heureusement laissé son pantalon. Il avait été capturé par les Mord-Siths dans une grotte. Il n'avait pas trop compris pourquoi, mais alors qu'elles le maîtrisaient, ses pouvoirs refusaient de s'éveiller pour le protéger. Il avait compris, dans cette cellule, qu'un cristal à énergie absorbait le mana en grande quantité. Une des Mord-Sith, dont le nom lui échappait, avait ordonné au bourreau de laisser filtrer juste assez de mana pour que le jeune homme ne meurt pas des mauvais traitements. Simplement, ce gros nigaud ne comprenait rien à ce mécanisme et il laissait assez d'énergie au Seigneur pour qu'il puisse se guérir de toutes blessures. Il savait ce que ses geôliers voulaient de lui; ils voulaient en faire une marionnette manipulable par leur maître et seigneur. Ils tentaient de lui faire de la torture mentale, mais ils n'arrivaient même pas à investir son esprit. C'est donc la torture physique qui l'attendaient, et si elle était plus douloureuse physiquement, il s'en accommodait. Il ne deviendrait pas une arme pour combattre les siens, et il n'allait pas laisser la puissance des ombres le submerger. Il ne savait pas grand chose des Cristaux de Vrastium, mais il doutait fortement qu'ils absorbent également la puissance noire qui l'habite, mais il était probable qu'ils le puissent.
Il sentit sa tête tomber, ses cheveux sombres tombant sur son visage. Elle était si lourde et il était si fatigué. Il n'arrivait pas à se reposer dans ce climat, et son énergie déclinait de jour en jour. C'était perdu d'avance, mais il ne perdait pas la foi en les chances que quelqu'un vienne l'arracher à ses tourment. Il se mit à réfléchir. Il ne savait pas où il était, excepté dans les prisons d'Ashnard, soit très profondément sous la terre. Il était tout bonnement impossible de sortir de cette prison à moins d'y être autorisée. Ensorcelés, les murs sont indestructibles par des moyens magiques, et seul les bourreaux et les gardiens de cellule étaient autorisés à porter une arme. La pièce de torture où il se trouvait était plutôt grande, avec des murs en pierre bien solides. Le petit cristal neutralisant ses pouvoirs était déposé à quelques mètres de lui, brillant d'une belle lueur rouge-orangé et les outils du bourreau étaient un peu plus loin, déposés sur une énorme table. Le gros homme était d'ailleurs très fier de ces objets et parfois, l'envie d'en agripper un pour torturer à son tour son ennemi effleurait l'esprit du jeune homme, avant que la réalité de sa situation de lui rappelle qu'il est dans une très mauvaise position et que tuer un homme ici ne ferait qu'aggraver son cas. Il poussa un soupir de découragement. Son bras droit, alors qu'il tenta de le détendre pour mieux supporter la douleur, lui arracha un cri de surprise en se révélant terriblement douloureux. Il serra des dents et ferma les yeux. "Bon sang!" jura-t-il en silence. "Ça fait un mal de chien!" Mais il poussa un soupir de résignation.
***
Le bourreau énervé montait les marches quatre à quatre, se dirigeant vers le bureau du gérant de la prison, qui était d'ailleurs en pleine discussion avec un groupe de Mord-Siths. D'ailleurs, les chambres de quelques-unes étaient des cellules de prison, où elles se sentaient, apparemment, chez elles dans ce monde de cruauté. Le bureau du gérant de la prison était vaste et richement décoré malgré sa sinistre position. Des décorations en ivoire, des tapis en peau d'animaux très rares et peut-être même disparus depuis des années étaient disposés un peu partout, et son bureau d'une pierre solide et miroitante transpirait le luxe. Cet homme, grand de deux mètres et baraqué comme un gorille, était reconnu pour être terriblement efficace dans sa profession et surtout en très bons termes avec le Roi puisque tous deux partageaient une fascination malsaine pour la torture, le meurtre et les traitements inhumains qu'ils infligeaient à leurs captifs. Le bourreau était furibond, massacrant les meubles à coups de poing dans un élan de rage, et le gérant dut le forcer à s'asseoir et à se calmer pour comprendre un mot de son ramassis de conneries. Il lui demanda d'expliquer son comportement.
-C'est... c'est ce type que le Roi m'a demandé de briser... je n'y arrive pas! Il semble que tout ce que je cherche à faire pour le briser le laisse de glace! Je ne comprends pas, j'ai brisé bien plus résistants que lui, plus forts et plus malins, mais il reste intact!
Le maître de la prison poussa un soupir de découragement. Les fortes têtes se faisaient de plus en plus fréquentes dans la prison et cela n'était pas très bon pour sa réputation auprès du Roi. Il se tourna les pouces un moment, cherchant une solution potable pour éviter de perdre la face devant son maître et il pensa immédiatement aux jeunes Mord-Sith. Il se tourna vers elles puis il sourit avec une perversion loin d'être masquée; il savait exactement ce qu'il allait faire subir à leur pensionnaire et il s'en réjouissait déjà. Les Mord-Sith étaient réputées pour leurs capacités magiques et leur affinité pour la torture, et certaines ne se servaient même pas de l'Agiel pour briser leurs proies. Leurs capacités hors-normes dans le domaine assureraient un maximum de résultat avec les mêmes techniques que les bourreaux réguliers. Il se mit alors à réfléchir. Se servir d'une Mord-Sith ne relevait pas vraiment de son autorité, voir même elles appartenaient exclusivement au Roi, mais d'un autre côté, le Roi lui-même avait réclamé qu'on rende ce jeune homme manipulable pour les dessins d'Ashnard. Il regarda donc les huit jeunes femmes et s'adressa à la plus expérimentée.
-Denna, le Roi a demandé à ce qu'un de nos pensionnaires soit brisé et maniable selon ses désirs. En tant qu'experte dans le domaine de la torture, mâte cet homme et tu seras décemment récompensée.
Il s'installa à son bureau et se remit à écrire son rapport, rajoutant le nom de Denna et aussi ses ordres.
-Emmène deux de tes camarades avec toi. Sait-on jamais, il est plus résistant qu'il en a l'air, ce freluquet.