Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Aya Murakami

Humain(e)

May be. [Reservé]

mercredi 01 septembre 2010, 18:22:20

Message supprimé.
« Modifié: jeudi 27 janvier 2011, 17:42:36 par Aya Murakami »

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 1 jeudi 02 septembre 2010, 23:50:17

Un bar a souvent été comparé à un abreuvoir, plus précisément à un abreuvoir à oiseaux, tant le va-et-vient permanent de clients venant s’installer pour boire quelques verres avant de repartir peut s’apparenter au remue-ménage incessant d’une volée confuse de volatiles.
La comparaison était plutôt adéquate pour le lieu que nous allons évoquer : fourni principalement de meubles d’un beau bois sombre, son intérieur a été soigneusement calfeutré de manière à fournir une reposante intimité à ses occupants, lesquels viennent chacun à leur tour prendre place sur leur perchoir avant de commander quelque breuvage à siroter tranquillement en pépiant éventuellement avec ses confrères.
De fait, l’ambiance invite à ce point au calme que d’instinct, la faune locale ne se permet que d’emplir la salle d’un profond mais doux ramage bruissant, seul un éclat de voix faisant de temps à autre irruption tel le croassement d’un bruyant corbeau, pour ensuite disparaître comme si rien ne s’était passé.

On découvre bien des espèces différentes en cet établissement ; aussi bien des mainates taciturnes que des pies bavardes, lesquelles avoisinent des groupes entiers d’étourneaux ou d’hirondelles, sans oublier l’un ou l’autre pélican à l’impressionnante descente, ni bien sûr les couples de tourtereaux occupés à se bécoter amoureusement le visage.
Et au milieu de tout cela, que voyons-nous ? Un hibou solitaire, paisiblement accroché à sa branche (un siège de haute taille avoisinant une petite table individuelle), avec à la main une chope encore à moitié remplie d’un liquide ambré et mousseux dont il ne prend qu’une petite gorgée de façon sporadique, principalement occupé à contempler ce qui l’entoure avec l’expression de celui qui s’est trop occupé de choses sérieuses et veut maintenant s’adonner à des futilités.

On l’aura deviné, ce drôle d’oiseau n’est autre que messire Ursoë le bien nommé, lequel a revêtu son plus beau –et unique- manteau brun pour aller honorer de sa présence ce pub à l’atmosphère suave. Bien sûr, il existait des centaines d’autres endroits dans lesquels il aurait pu se rendre, mais il n’est pas assez fortuné pour s’offrir une meilleure qualité, pas assez distingué pour fréquenter un lieu plus classieux, et trop intelligent pour aller se paumer dans quelque rade louche.
Mais que fait-il ici au juste ? Oh, le biologiste s’est encore une fois plongé à corps perdu dans ses divers calculs scientifiques, et s’en est si bien rempli le crâne que celui-ci avait paru prêt à exploser, exprimant par une vilaine migraine le besoin urgent d’éviter absolument  toute réflexion trop fatigante. Ainsi, voilà notre ami qui s’est accordé le droit de se la couler douce une heure ou deux  en ce début de soirée, et il ne le regrette pas : le bar n’est certainement pas le meilleur de tout Seikusu, mais l’ambiance est bonne, les prix sont raisonnables, la place est confortable, et pour finir, la pluie bruissant au dehors n’incite qu’à jouir encore plus pleinement de cet agréable abri.

Ô Saïl, pour l’heure, tu n’es pas savant ; tu es tout au plus philosophe, et encore, un philosophe de comptoir, car les paraboles les plus élevées qui te viennent à l’esprit sont l’une ou l’autre cogitation délicieusement inutile à propos des différents clients, de l’ordre du monde, de ta vie… bref, de tout et n’importe quoi. Tels les soupirs paisibles et légers d’un dormeur somnolant du sommeil du juste, tes pensées s’extraient de ta tête, prennent paresseusement leur essor à la façon de languides panaches de fumée pour s’en aller voleter au loin, et enfin, meurent sans douleur. Mon grand enfant, cesse donc de te faire du souci pour tes expériences, pour l’avenir de l’humanité, pour Terra, pour toutes ces choses qui te font trop souvent secréter la bile bien amère de l’anxiété : ne serait-ce que l’espace de cette nuit, ne sois plus le Dr. Ursöe mais reste cet aimable jeune homme si gentil, si généreux, si tendre.

Autour de lui, la foule des clients papillonne, et le brouhaha ambiant semble se muer en une rumeur si étonnamment mélodieuse que si le brun en chemise blanche et en pantalon noir n’était pas bien reposé, il pourrait s’endormir. En vérité, il aurait été éminemment dommage qu’il s’endormît, car s’il s’était laissé entraîner dans les limbes du repos morphique, il n’aurait pas remarqué ce qui va suivre.

Car alors que ses yeux observaient ce qui l’entourait sans vraiment le voir, voilà que tout à coup, pour une raison mystérieuse, son attention se fixe sur un individu venant prendre place juste derrière lui. Pourquoi son regard est-il instantanément attiré par cette personne, et pourquoi ne peut-il le détacher d’elle pendant quelques longues secondes ? Est-ce à cause d’un subtil jeu d’éclairages qui la met en relief et l’expose sous une lumière qui paraît happer le champ de vision entier de Saïl ? Serait-ce l’effet de quelque indéfinissable mais indéniable et irrésistible jeu d’odeurs et d’hormones qui le souderait si implacablement à elle ? S’agirait-il enfin d’un caprice d’Aphrodite qui, dans un moment de fugace intérêt, aurait orienté la ligne de mire de ce grand distrait vers une destination choisie comme en une intervention du destin ?

On ne le saura sans doute jamais, mais toujours est-il qu’il est inexplicablement fasciné par ce qu’il voit : une jeune fille, sans réel trait unique ou particularité frappante, mais combinant un nombre de petites touches propres avec tant d’harmonie que le tout se combine de façon merveilleuse. Pris un par un, les éléments corporels de cette enfant trop maigre par endroits, trop sévère, trop froide ou trop négligée par d’autres, pourraient sembler ne relever tout au plus que du quelconque, mais additionnés, ils font le même effet qu’une fresque italienne et font d’une multitude de petits défauts un tout grandiose.
Un observateur à l’œil exercé lui donnerait tout au plus dix-huit ans à peine d’après sa physionomie, mais pour autant, il se dégage d’elle une impression d’attrait intemporel, de grâce immortelle, de beauté qu’on ne saurait rapporter à aucun âge, aucune époque, aucune mode en particulier. Dans un premier temps, notre ami pourrait croire avoir sous les yeux une œuvre de Pygmalion, et se demande s’il rêve, avant que l’enchantement s’estompe et qu’il s’aperçoive que l’objet de son attention est bel et bien humain.
La subjugation n’en est toutefois diminuée que d’à peine assez pour qu’il reprenne le contrôle de ses idées, et il se hâte de prendre une nouvelle gorgée pour se remettre tout en guettant plus attentivement la demoiselle vêtue avec simplicité, mais non sans un sens certain du raffinement qui ne saurait même échapper à l’avis pourtant hautement profane de Saïl.

Dans un second temps, donc, il remarque qu’elle est de toute évidence triste, remuant en son âme quelque chagrin comme elle remue en son verre le liquide qu’elle regarde se mouvoir par le biais de ses jolies prunelles couleur d’espérance hélas ternies par la morosité. Immédiatement, le grand cœur du jeune homme se sent empli d’une compassion immense comme seul lui peut en manifester, et sans même se donner la peine de réfléchir, il se retourne complètement et se penche en avant de manière à se mettre au niveau de la fascinante mélancolique à laquelle il s’adresse d’une voix aussi affable que possible :

« Quelque chose ne va pas ? »
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 2 vendredi 03 septembre 2010, 10:02:30

Bon, mauvais point pour l'endroit. Il faisait froid. Aya détestait avoir froid, sentir ses poils se hérisser lentement sur sa peau, son échine frissonner sous ses cheveux trop courts pour l'envelopper de leur maigre protection ... Et évidemment, l'imbécile qu'elle était s'en était tenue au temps de ce matin, grand soleil encore estival, sans compter sur la sympathique habitude des nuages à surgir de nulle part pour lui gâcher son plaisir. Donc aucune veste à se mettre sous la main. En baissant son regard un court instant, elle critiqua mentalement sa propre tenue. Comme elle sortait avec Lui, elle avait fait un effort, elle qui n'aimait pas particulièrement se rendre jolie ou féminine autrement que naturellement. Mais le résultat était pitoyable. Un jean fin dont les jambes traînaient négligemment sur le sol poussiéreux de ce bar un peu glauque -qui servirait de l'alcool à une mineure ?-, un t-shirt léger, vert évidemment. Son préféré. Ce n'était pas grand chose pour un automne qui pointait son nez de temps à autre dans le soleil de cette fin de mois d'aout. Et des frissons se faisaient justement ressentir. Heureusement, la douce chaleur de l'alcool comblait ses attentes. Sirotant son précieux verre sans plus se demander ce qu'il y avait dedans, l'esprit d'Aya vagabondait loin, dans des alternatives toutes autres que rester là sans rien faire. Elle voulait donner un sens à sa soirée, en faire quelque chose plus complet et consistant. Rendre ces heures mornes aussi colorées qu'un ciel après l'averse. Y jeter des nuances subtiles et indécelables, aux contours incertains et à la consistance suspecte. Comme un peintre réinvente le soleil, elle cherchait l'inspiration à sa spontanéité, l'éclat de vie qui pourrait lui rendre le sourire, qui pourrait délier sa langue et les muscles de son visage. Sourire. Quitter cet air morne, blasé et trop mature. Comme quelqu'un qui aurait vécu trop jeune des expériences de vie pas forcément indispensables. Rêver au lendemain, rêver au prince charmant et se laisser couler dans cette douce étreinte de chaleur, qui enrobait son corps et son âme. Elle était bien, ne voulait bouger pour rien au monde. Elle voulait ...

Stop, Aya, ne pense plus. On te parle, n’aurais-tu pas remarqué ? On s’inquiète, on te demande si ça va. On se préoccupe de ta petite personne, qui pourtant aurait pu rester invisible dans le décor uniforme qui t'entoure. Triturant le collier de médiocre qualité qui pendait à son cou, elle ne pensait qu’à autre chose. A la vie, à l’amour. Trop de sujets compliqués pour une si jeune fille, qui aurait pourtant pu profiter de la vie si elle choisissait mieux les cibles de son cœur. Il y avait, à tout hasard dans le lycée, une multitude d’éphèbes jeunes et disponibles qu’elle aurait pu séduire en y mettant un peu du sien. De ceux qui ressemblent à l’idée qu’on se fait d’un gentleman aguerri, mais qui ne cachent sous leur beauté que leur superficialité, sous leur finesse une fragilité particulièrement agaçante … Aya n’avait pas besoin qu’on soit aussi cassante et chétive qu’elle-même. Elle aurait préféré quelqu’un de … De beau, sans l’être vraiment. D’honnête et de curieux, de spontané et de maladroit. Voilà qui convenait déjà plus à un prince débutant. Le problème, c’est que les hommes de ce genre ne l’abordaient jamais, la prenant pour ce qu’elle était : une gamine sans aucun intérêt. Voilà qui résumait bien tout le calvaire de la vie de notre jeune demoiselle, qui venait de se rappeler un détail …

Ah, oui. Elle l'avait presque oublié, celui là. Cet homme qu'elle avait fixé trop longtemps sans le voir, celui qu'elle avait dévisagé sans même s'en rendre compte. Aya tourna sa tête vers lui et pencha son cou pour lui lancer un regard. Interdite, elle réfléchissait. Son esprit avait du mal, ce soir. Rupture et alcool, cela ne fait pas forcément bon ménage. Souviens toi, souviens toi ... Un homme sensiblement plus âgé, un sourire qui lui était totalement inconnu ... Il ne ressemblait à rien de ce à quoi elle avait l’habitude, où plutôt personne, pour rester dans le bon registre. Les habitués des bars étaient plus … moins … comment dire ? Ils avaient cette futilité, cette nonchalance, cette aura qui se dégageait, les rendant totalement inutiles. Elle en avait rencontrés de nombreux, tous plus fades les uns que les autres. Plats. Et pour cause, elle les connaissait. Tous identiques, avec leurs minauderies et leurs attitudes réchauffées. Car Aya, malgré son immense naïveté et sa candeur de gamine, apprenait de ses erreurs. Les inconnus rencontrés dans des bars, avec un verre à la main étaient rarement des princes charmants en mal d’amour comme elle avait pu le croire un jour. A tout idéaliser, elle avait à une époque perdu de vue qu’un homme dans un bar, dans la majorité des cas, est un homme seul. N’ayant d’autre remède pour panser cette difficulté, ces énergumènes se plaisaient à observer le monde de leur tabouret de bar tout en s’amusant à en deviser plus ou moins sagement, suivant leur degré d’alcoolémie. Pour combler la solitude, un verre. Pour oublier la déception, un verre. Pour étancher un manque, un verre. Solution universelle qu’Aya tenait dans sa petite paume, et qui tout d’un coup semblait prendre une importance capitale. Un liquide sirupeux, agréable en bouche, qui changeait parfois de beaucoup le cours des choses. Une couleur neutre qui semblait la dominer, elle si faible à ce genre de substances insidieuses et torves, attaquant par le plaisir et la liberté d’agir. Et pour en revenir à son inconnu …  Elle se fichait bien de savoir avec exactitude qui était cet homme qui la dévisageait, attendant sans doute une réponse. Quelle question, déjà ? Ah. Oui. D'une voix un peu trop rauque et trainante, Aya brandit un doigt devant elle, hésita sur sa réponse et déclara :

- Je … Pause. Illumination. Ni plus ni moins que vous et moi.

Voilà bien des mots qui n’avaient strictement aucune signification. Pourtant, à cet instant précis, le cerveau d’Aya en voyait la logique implacable, sentait les connexions qui se faisaient en son sein pour être capable de sortir cette phrase. Elle ne voulait peut être rien dire, pour l’instant. Certes, Aya n’avait pas beaucoup bu. Mais les premières apparitions de symptômes étaient bien plus violentes qu’après coup, et sans doute cela viendrait-il à se calmer. En attendant … En attendant elle disait n’importe quoi. Aya émit un petit rire moqueur, cynique, entrecoupé par un éternuement. Allons bon, elle s'enrhumait ? Et puis franchement, quitte à paraitre arrosée sur l'heure, autant se lâcher un peu ... Imiter celles qu'elle détestait. Se donner un genre qu'elle n'avait pas. De toute façon, l’homme qui venait de lui adresser la parole devait sûrement déjà être retourné à ses petites affaires, sans plus se soucier de cette adolescente trop désorientée. La bonté à sans doute ses limites, et Aya n’avait besoin ni d’un chaperon ni d’un grand frère et encore moins d’un profiteur. Les seuls qui auraient pu, dans son état, garder un minimum d’attention à son égard. Son visage mature était un leurre pour son esprit enfantin, et la cigarette qu'elle tira d'une poche de son jean ne ternissait pas le décor. Elle l'alluma, ne réussit pas à faire sa grande et crapota lamentablement, à grand renforts de toux et de froncements de sourcils. Mouais. Pas concluant. Carrément ...

- Ridicule, souffla-t-elle comme pour elle même, dans un éclat de rire.

Oui, ridicule elle l’était. A sauter de l’adulte à l’enfance, à jongler entre les âges et ne plus savoir à quoi s’en tenir. C’était comme si on lui demandait de choisir, à la piscine, entre la pataugeoire rassurante et chaude mais dans lequel son corps, peu proportionné pour ce genre d’endroits, aurait vite froid, ou le grand bain, glacé, étrange et source de panique, alors qu’on savait bien qu’une fois habitué, rien n’était plus agréable que de sentir l’eau autour de soi. Eh bien dans la vie, c’est comme à la piscine. Aya déciderait-elle de se coller à l’ambiance et de mettre en avant sa qualité, à savoir sa maturité grandissante à chacune de ses rencontres ? Ou bien se contenterait-elle de rester dans le rôle que son âge lui assignait ? Pour l’instant, ce n’était pas l’heure aux réflexions de ce genre, surtout pas consciemment. De son brouillard, de sa logique irrationnelle, Aya parvint tout de même à tirer un semblant de phrase qui avait un sens. Entre les émotions et la cacophonie dans son esprit, c’est avec fierté qu’elle planta ses deux yeux verts un peu vaseux pour le moment sur le visage de celui qui ne s'était pas encore détourné, et ce à son grand étonnement, afin de quémander, comme une supplique …

- De l’eau ?

Seule l’eau pourrait l’aider à revenir sur terre, du moins un peu étant donné qu’Aya était toujours plus ou moins perdue dans un autre monde, fait de promesses et de bonheur. Celui où elle était une princesse délicate, et non pas une gamine écervelée. En dégageant la mèche qui lui tombait sur la joue, elle ne put qu’émettre un petit sourire à son interlocuteur, signe que son bon sens et sa conscience revenaient peu à peu des limbes dans lesquelles elles s’étaient égarées. Bienvenue, Aya. C’est maintenant que commence ta soirée. Réajustant le bout de tissu fin qui lui servait d’habit, la jeune fille se redressa sur sa chaise et prêta un regard plus affirmé à celui qui allait peut être faire semblant de ne pas connaître cette désaxée … Un homme à qui on attribuerait plutôt un rôle secondaire dans une pièce comme Blanche-Neige ou Cendrillon, mais dont l’aspect rassurant contredisait toutes les élucubrations d’Aya sur les clients des bars. Il ne semblait ni désespéré ni en mal de compagnie, il n’avait pas cette infernale et très désagréable aura d’inutilité qui lui collait à la peau, mais dégageait bien plus un sentiment de confiance et de sympathie. Depuis quand Aya se fiait-elle à ce genre de détails ? Peut être depuis que ses sens, paradoxalement brouillés par les verres qu’elle avait déjà engloutis, n’avaient jamais été si ouverts.
« Modifié: vendredi 03 septembre 2010, 12:00:01 par Aya Murakami »

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 3 vendredi 03 septembre 2010, 14:46:10

Sans doute Saïl avait-il un côté trop idéaliste, trop charitable, trop optimiste, qui le faisait voir des choses belles et bonnes là où il n’y en avait pas. C’était ainsi qu’en lieu et place d’un bar pas toujours très propre où les consommations étaient de médiocre qualité et où la clientèle n’était pas forcément bien reluisante, il voyait un havre de paix tel qu’il l’a été précédemment décrit, où quiconque pouvait se poser pour passer un séjour de paisible tranquillité inviolable. Il n’avait certes pas non plus en lui cette illusion permanente du touriste qui fait prendre le laid pour du pittoresque et le délabré pour du rustique, mais il était naturellement d’une indulgence d’idées au diapason de l’aménité de son tempérament.
Ainsi, qu’aurait décrit un œil à peu près objectif quant à la voisine du jeune homme ? Très probablement, et non sans fondements, il aurait soupiré avec une pointe de dédain qu’il y avait là une gamine paumée qui s’était encore une fois laissée berner par un coureur de jupons, et qui désormais payait le prix de son étourderie en s’abîmant l’esprit dans la torpeur liquoreuse et sirupeuse de l’alcool.

Plongeons nous maintenant dans la prunelle bienveillante de notre grand enfant aux cheveux bruns. Lui ne pouvait s’empêcher de discerner au travers de tout ce que la demoiselle avait de peu élégant un être d’une grande sensibilité, potentiellement d’une grande douceur. Là où d’autres auraient diagnostiqué une stupidité autodestructrice, lui voyait un chagrin à l’origine inconnue, mais dont le spectacle poignant faisait vibrer son âme de sentiments protecteurs. Il se rendait bien compte lui-même qu’il était sans doute trop naïf pour ne pas voir chez cette fille autre chose qu’une innocence foulée aux pieds, mais tout comme l’on ne peut empêcher l’oiseau de voler, Saïl n’aurait pu retenir les élans charitables qui lui venaient en l’observant.
Oh, non pas bien sûr qu’il se prît pour un majestueux sauveur, irradiant de bonté et capable de balayer jusqu’aux moindres problèmes d’un seul geste, d’une seule parole, non. Il était simplement quelqu’un avec une humeur profondément altruiste, de beaux principes, et la ténacité nécessaire pour les mettre en application. Il n’était peut-être pas très fort, pas très malin et pas très charismatique, mais cela ne l’arrêtait pas dans la mise en application de ce en quoi il croyait, quels que dussent en être les résultats.

Dans le cas présent, il put avoir la curieuse et peu gratifiante impression que ses mots n’avaient en grande partie fait que rebondir sur une barrière mollement élastique, tout comme devaient l’être les idées de la jeune femme en ce moment même, égarées qu’elles étaient dans les brumes de l’éthylisme. Car il n’était peut-être pas le gaillard le plus vigilant qui fût, mais son coup d’œil de médecin lui permettait facilement de reconnaître une personne ivre lorsqu’il la voyait, et même si l’adolescente n’était apparemment pas encore noire, elle n’était de toute évidence plus très fraîche comme l’indiquaient son regard légèrement vitreux, ses gestes vagues et sa diction pâteuse.
Quiconque s’y connaissant un tant soit peu en matière de gent féminine aurait certainement jugé plus sage de passer son chemin et de laisser en fin de compte cette chipie en état d’ébriété à ses divagations, raisonnant qu’elle n’aurait pu manifestement attirer que des problèmes. Mais non seulement Saïl avait un cœur d’or, mais en plus, il était trop souvent incapable de voir arriver les ennuis à dix mètres, ayant pour le beau sexe une sorte de révérence qui le poussait plus ou moins consciemment à faire preuve de générosité et d’indulgence. Et en l’occurrence, comme il l’a été précédemment dit, cette brunette, malgré tous les mauvais côtés inhérents à son apparence aussi bien qu’à son comportement, exerçait sur lui une irrésistible fascination qui le poussait à ne voir dans ses défauts que de touchants travers.

Pour autant, il ne se mit pas à prendre chacune des choses qu’elle disait pour une parole divine, et il fit bien, car même lui put se rendre compte que son discours tenait grandement des élucubrations confuses auxquelles une personne pompette peut se laisser aller en croyant probablement voir surgir par sa bouche la sagesse des anciens. Voyant donc qu’elle était momentanément prise dans son énonciation laborieuse et vaseuse, il détacha un instant son attention d’elle, faisant signe à un serveur auprès duquel il commanda une soupe. L’intéressé accorda un coup d’œil intrigué, presque suspicieux, à l’étrange duo, puis, se faisant la réflexion que le client est roi, s’en fut sans contester le bon vouloir du consommateur.
Mais qu’est-ce qui prenait au juste au bonhomme Ursoë de s’occuper des affaires de cette fille qu’il ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam ? Lui-même se le demanda fugacement, puis, comme on repousse une objection d’un haussement d’épaules, se dit qu’au fond, c’était bien son droit de se mêler des affaires des autres, surtout si c’était dans le but de les aider. En effet, il suffisait de regarder un tant fût peu attentivement la colombe au blanc plumage terni pour se dire qu’au train où elle allait, elle ne ferait que continuer à dégringoler sur la mauvaise pente pour en fin de compte rentrer en titubant chez elle avec pour résultat des courses une crève carabinée et une sacrée casquette… dans le meilleur des cas.

C’est alors qu’il fut interrompu dans ses rêveries par une odeur de tabac, rapidement suivie par le son cacophonique d’une quinte de toux issue de la gorge de la demoiselle manifestement peu entraînée à s’encrasser les poumons. Instantanément, une des mains de Saïl s’éleva en direction de la cigarette qu’elle tenait, ne s’arrêtant que de justesse dans ce geste instinctif qui partait certes de la meilleure intention du monde, mais serait probablement mal perçu de la part d’un inconnu. Ainsi, il se contenta de son regard le plus redoutablement désapprobateur (ce qui n’était pas beaucoup dire étant donnée sa douceur naturelle) alors qu’il maugréait en écho à l’autodérision de la jeune femme :

« Vous ne devriez pas faire ça. »


Oui, elle ne devrait pas se détruire la santé, elle ne devrait pas s’enivrer comme ça, elle ne devrait pas s’aventurer n’importe où seule le soir, elle ne devrait pas se ridiculiser de la sorte alors qu’il y avait en elle tant de beauté, tant d’élégance, tant de charme…
Tout cela traversa l’esprit du placide homme sans pour autant franchir la barrière de ses lèvres, car bien sûr, qui était-il pour lui faire la morale ? Il aurait voulu la voir se sentir mieux, reprendre confiance en elle, sourire, mais ils n’étaient dans le fond que deux étrangers, aussi garda-t-il son jugement et ses bonnes intentions pour lui, se doutant que de telles choses ne feraient que se heurter au barrage de cynisme et d’ébriété qu’elle avait dressé autour d’elle.

Pourtant, comme en réponse à ses prières, l’adolescente parut enfin traversée par un éclair de lucidité, et finit par se retourner vers lui, paraissant l’apercevoir pour la première fois, amélioration saluée de la part de son interlocuteur par un gentil sourire. Elle avait définitivement de beaux yeux, qui évoquaient deux délicates feuilles de thé flottant sur un océan d’incertitudes, et dans son état normal, ces iris verdoyants devaient probablement briller d’un éclat rehaussant encore sa joliesse naturelle.
Ceux-ci s’éclairèrent justement d’une lueur d’intelligence au milieu de son inconscience grisée alors qu’une idée traversait le cerveau de la demoiselle pour aller se manifester par sa bouche, réclamant avec dans la voix une humilité aussi surprenante que poignante de quoi se rafraîchir les idées. Tel un rayon de soleil au sein d’un ciel couvert de nuages mous, ses lèvres fines se redressèrent en une expression d’amabilité, de douceur, et Saïl sentit l’espoir poindre en même tant que le soulagement et l’attachement alors que leurs regards se rencontraient à proprement parler pour la première fois.

Le glamour de la situation dura, se prolongea pendant quelques rassérénantes secondes, puis, de la même manière qu’une bulle éclate paisiblement et sans bruit, le charme s’évapora, rompu par un léger bruit mat lorsque le serveur, de retour, déposa sur la table un bol fumant avant de partir comme il était venu. Conformément à la commande, le récipient contenait un liquide de couleur safran tirant doucement vers le vert ; un potage de légumes qui était ce qu’il y avait de plus indiqué pour la jeune fille : non seulement cela la réchaufferait, mais en plus, le liquide diluerait l’alcool et les vitamines B atténueraient l’effet d’un éventuel mal de crâne. Il n’alla toutefois pas jusqu’à lui faire tout un cours sur le sujet, se contentant de pousser le contenant dans sa direction en disant d’une voix assurée et bienveillante :

« Buvez plutôt ça, ça vous fera d’autant plus de bien. »

Et sur ce, n’étant pas du genre à s’arrêter en si bon chemin, il retira de son dos son manteau déjà vieux de plusieurs années, ce qui le rendait certes encore moins esthétique qu’il l’avait été à l’état neuf, mais pas moins efficace pour se conserver de toutes sortes d’intempéries. Protégé à l’extérieur et rembourré à l’intérieur, il fournirait une carapace éprouvée contre le froid qui malmenait visiblement l’adolescente à en juger par sa chair de poule, sans compter la chaleur corporelle de Saïl dont il avait été imprégné.
La consommation de liqueurs déshydrate, diminue la température de l’organisme en ouvrant des vaisseaux sanguins annexes, et augmente la transpiration, aussi, pas étonnant que la demoiselle se prît à grelotter, ce contre quoi il lui déposa délicatement sur les épaules son épais vêtement, répétant :

« Vous ne devriez pas vous faire du mal comme ça. »


Moins assuré qu’il ne pouvait le paraître, cependant, il la laissa ensuite respirer, ne sachant pas trop que dire d’autre, prenant une petite gorgée de son breuvage en attendant la réaction de la belle enfant, espérant que celle-ci ne prendrait pas mal ses attentions ou se méprendrait sur elles. A ce propos, il lui vint tout de même en tête qu’il ne s’était pas présenté, et aurait probablement dû le faire avant d’agir, se rattrapant pour l’occasion en ajoutant :

« Je m’appelle Saïl. »
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 4 vendredi 03 septembre 2010, 17:08:47

Demandez à l’une des conquêtes d’Aya, il vous la décrira comme instable. Amoureuse un jour, distante le lendemain, elle provoquait des ruptures qui la rendaient triste comme la pluie. Demandez à l’une de ses anciennes amies, bien lointaines, elle vous la décrira comme blasée. De celles qui regardent sans gouger, qui se créent une carapace. Paradoxal, n’est-il pas ? Difficile alors de se faire une idée précise sur ce petit bout de femme encore aux portes de l’adolescence. A la fois insensible et fragile, Aya passait souvent du rire aux larmes en un clin d’œil. Elle avait rit. Maintenant c’était l’envie de pleurer. La cigarette lui piquait les yeux, son attitude la désolait sans qu’elle puisse lutter une seule seconde contre cette autodestruction stupide et sans le moindre sens. Tabac, alcool, il ne lui manquait plus grand-chose pour se faire cataloguer délinquante. Et alors qu’elle regrettait déjà de l’avoir allumée, la cigarette dans sa main faillit disparaitre dans une autre.

Avec étonnement, la jeune fille eut brièvement conscience d’une paume pleine de doigts qui entrait dans son champ de vision pour lui voler sa bêtise. Aya aurait aimé qu’avec ce geste, tout disparaisse. Le bar, son verre, sa clope. Peut lui importait d’être délicate et poète, peu lui importait d’être présentable et charmante. De toute façon, elle n’y arrivait pas. Mais le geste mourut avant même qu’il ne s’affirme, et un instant, Aya resta là, la bouche ouverte, comme prête à remettre le trophée de sa bêtise dans cette main inconnue qui se remplaça bien vite par des yeux réprobateurs. Encore une fois, surprise. Un inconnu semblait lui faire la leçon en un regard. Paralysée un instant, Aya eut presque envie de lui tendre son erreur d’un air contrit, mais elle se contenta de la noyer négligemment dans son verre, tout aussi nocif. Tout cela alors qu’elle se faisait véritablement sermonner par le premier venu, qui lui intimait de ne pas faire ce genre de choses. Et elle l’écoutait. Première nouvelle.

Dans son état, certes plus clair mais encore un peu brouillé, Aya eut presque regretté son geste, mais dut rapidement admettre que cet homme avait raison. Et, alors qu’elle ignorait encore quelle commande il avait passé pour elle, et jusqu’à l’existence de cet instant, la jeune fille fixait d’un air inquisiteur son interlocuteur. Quiconque aurait pu applaudir en silence, pour ne pas troubler cet instant qui devait avoir l’air particulier et intime, privilégié. Aya ne le vivait pas ainsi, mais peu importait. Seule comptait l’apparence de cet instant où le temps s’arrêta, alors que l’adolescente ne bougeait pas d’un pouce, comme fascinée par ce qu’elle découvrait devant elle. Un visage qui ne ressemblait à rien de connu. Des yeux alertes et mobiles, un regard franc et généreux, désintéressé. Avec peut être une pointe de naïveté, son attitude le confirmait d’ailleurs largement. Car aider une fille comme elle sans aborder une pointe d’intérêt … Anormal. Caustique. Presque amusant.

Presque … Car on ne rigole pas de ces choses là. Même de la simplicité. On ne saurait se gausser de l’honnêteté et de la gentillesse évidentes de ce visage. Curieusement, sur ces constations étranges, Aya ne sentait en aucun cas l’emprise de l’alcool. Aussi curieux que cela puisse paraitre, elle pensait vraiment ce qui lui venait à l’esprit. Et c’est donc avec plaisir qu’elle détaillait pendant un temps interminable et sans aucun doute de manière fort impolie ce décalage, cet assortiment inégal de qualités et de défauts physiques réunis en un assemblage étrange et déroutant. Un air de gosse sur un visage d’homme, alors qu’elle était d’avantage habituée au contraire. Mais son admiration et ses multitudes de questions qui se pressaient au pas de son esprit furent brutalement réduites à néant par … un bol de soupe. Un mélange odorant, dont l’assaisonnement ne gâchait nullement le fumet des ingrédients. Qui eut cru qu’un bar aussi décevant par son éthique parviendrait à faire d’un plat de base quelque chose de subitement merveilleux … D’autant plus que le cerveau d’Aya n’était pas encore en état de se rendre compte que l’apparition miraculeuse relevait simplement d’une commande passée par l’objet de son attention. Lequel adopta le même ton que celui de son grand frère quand il la prenait dans ses bras et lui disait de pleurer pour tout effacer et réinventer le monde. Une voix chaude, une voix pleine de promesses et de valeurs sûres. Boire ça, oui. Excellente idée.

Aya s’exécuta aussi rapidement que possible. Elle saisit la cuillère que le serveur n’avait pas manqué d’amener, la plongea un moment dans le breuvage brûlant et mélangea de longues secondes. Après quoi, elle la porta à ses lèvres, une lueur d’envie dans le regard, souffla dessus et … Flic, flac, floc. Les gouttes du breuvage qu’elle n’avait pas encore bues s’écoulaient de leur perchoir, formant de grosses tranchées en cueillant la surface du mélange, troublant la quiétude de l’ensemble et laissant Aya interdite. Tout d’un coup, quelque chose paraissait bien plus primordial et évident que de goûter à ce doux parfum qui faisait déjà gronder son estomac. Un détail qu’elle parut oublier, avant de se reprendre et de relever un visage illuminé, simplement déjà réchauffé et d’ores et déjà plus éveillé. Un sourire, un murmure.

- Merci.

Un simple petit mot qui voulait dire beaucoup. Un simple remerciement qui signifiait la gratitude, mais pas seulement. Il véhiculait l’intérêt d’Aya pour cet inconnu prévenant et attentionné. Il emportait avec lui son soulagement de ne plus être seule dans cet endroit trop grand et trop froid pour elle. Son plaisir de déguster quelque chose de commandé spécialement pour elle, et toute l’attention qu’elle accordait maintenant -enfin- à cet homme intriguant. Mais ce merci, qui s’échappa avec une facilité déconcertante et nécessitait pourtant un long travail sur soi de la part de la lycéenne, aurait pu survenir un peu plus tard … Mais ne put se réitérer. Ce genre de choses étaient trop précieuses pour les dénaturer, du moins du point de vue d’Aya, qui avait besoin que l’on sente, que l’on comprenne le poids de certaines choses qu’elle ne disait ni ne faisait habituellement et facilement. Ouvrir son cœur, livrer un sentiment était compliqué. C’était se mettre partiellement à nu, de manière bien plus impudique qu’en ôtant ses vêtements. Vêtements qu’elle ne risquait pas de perdre pour l’instant puisque, pour la première fois depuis longtemps, Aya se vit couvrir par un homme.

C’en serait presque été amusant, s’il n’y avait pas eu la tendresse du geste, s’il n’y avait pas eu les paroles non moralistes mais compatissantes. Si ce n’avait pas été lui, maintenant, quelqu’un aurait pu en rire. Un cliché, une image vue et revue à la télévision. Mais rarement vécue. Et c’est à cet instant qu’Aya, automatiquement, se compara à celles qu’elle détestait … et leur fit un pied de nez imaginaire. Qui pouvait se vanter d’attirer une attention aussi délicate et précieuse ? Qui pouvait se targuer de recevoir des mots inquiets de la part d’un inconnu ? Même s’il s’apitoyait sur son sort, Aya ne voulait pas voir sa fragilité et son attitude qui attiraient la pitié. Elle voulait croire que ce n’était pas cela. Les yeux qui lui faisaient face, qu’elle n’avait pas quittés depuis ses premiers mots, ne pouvaient mentir. Et elle, alliant son excentricité à sa raison, répondit de manière toute spontanée et évidente, avec un air un peu ahuri, comme si elle se surprenait à dire ces choses là. Comme si ce n’était pas prévu, et que son corps avait décidé pour elle d’éjecter ces mots de ses pensées.

- Vous êtes ma conscience ? Elle me rattrape ? Ou bien un prince charmant …

C’était sans doute ridicule. Ou pas tant que ça. Car si cet homme était un prince charmant au bien étrange physique, son attitude serait sûrement approuvée par le comité des contes de fée. Au lieu des doigts de pianistes, frêles et cassants on trouvait ici des mains rassurantes et dignes d’une étreinte. Quelque chose de concret et réel, quelque chose de tangible. Et comme pour démentir l’illusion de la jeune fille, ledit prince se présenta après être retourné à sa boisson, dénigrant toute supposition irrationnelle de la part d’Aya. Saïl. Ce n’était ni un nom de conscience, ni un nom de personnage imaginaire. Aya sourit. Puis arrêta son geste spontané, se rendant compte à quel point elle avait été impolie de ne pas répondre à toutes ces attentions, se contentant de le regarder d’un air idiot. Voilà que Saïl devait la prendre pour une imbécile. Retournant à son bol, Aya descendit plusieurs gorgées du liquide chaud et velouté, nourrissant à la fois sa gorge et son cœur, qui se desserra. Après une grande inspiration, comme une renaissance, Aya s’emmitoufla dans le manteau confortable de son compagnon d’un soir.

- Je … Je suis Aya.

Parler peu était une habitude, mais agir accompagnait souvent les chiches phrases prononcées par la jeune femme. Maintenant qu’elle était réchauffée et de nouveau lucide, quoiqu’encore un peu étrange, Aya se présentait. C’était déjà bien, même si elle n’aimait pas ce nom trop court, trop arrêté et sans aucune signification. Un nom d’emprunt, un nom de pâle copie ou tout simplement, un nom sans grande inspiration. Mais c’était encore la moindre des choses. La jeune fille se redressa à moitié, tira sa chaise pour se rapprocher de Saïl, maintenant que la conversation était engagée, et fit enfin preuve de la plus élémentaire politesse.

- Navrée pour mon comportement. Mes idées l’emportent parfois un peu trop …

Tout comme elles lui échappaient maintenant, alors qu’elle se demandait comment remercier Saïl. C’est vrai, une princesse bien élevée se doit de rendre à son partenaire un minimum de considération. C’est sans un mot qu’elle se leva à nouveau et que, du haut de sa taille respectable mais pas comparable à celle de Saïl, elle se hissa jusqu’à sa joue pour y coller une bise tout ce qu’il y avait de plus gratifiant, pour se rasseoir et replonger dans ce qu’elle était, à savoir une gamine ignorante et impulsive. Comportement qui justifiait parfaitement son âge. Mais elle avait retrouvé une certaine dose de chaleur humaine en cette soirée terne et sans nuances. Son sourire renaissait doucement de ses cendres, pour plus tard peut être exploser avec force sur son visage encore fermé et hésitant, peu sûr de lui. La suite ? Bonne question. Aya se suffisait de ça, Aya se suffisait de lui. Il faudrait la guider, au risque qu’elle ne parte voguer sur de lointains futurs saveur lavande, comme elle savait si bien le faire, sans justification ni logique.

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 5 vendredi 03 septembre 2010, 19:57:25

Si l’on avait demandé à Saïl de jauger son pouvoir séducteur, au lieu de donner une véritable réponse, il se serait certainement mis à rire, ce qui aurait été suffisamment éloquent sur le sujet : pour lui, il n’en avait pas. Non pas qu’il s’estimât repoussant, que ce fût socialement ou physiquement, mais lorsqu’il lui venait à l’idée d’estimer son charisme par rapport à d’éminentes figures de chic et de charme, le jugement lui apparaissait avec une évidence tellement criante qu’il n’en était même pas blessant ; il ne soutenait nullement la comparaison. S’il s’était essayé à la pratique du flirt, il se serait très rapidement mis à enchaîner les platitudes avec les maladresses, les clichés avec les âneries, tout ça pour ne résulter qu’en un fiasco illuminé par le rouge de la honte donc son visage aurait été marqué.
Il ne lui serait pas venu à l’idée que sa gentillesse, sa prévenance, sa douceur, pouvaient avoir de quoi plaire, et de par cette inconscience, n’en devenait que plus touchant, plus sincère envers les personnes auxquelles il s’adressait. Evidemment, pour une femme qui aurait préféré un homme irradiant virilité et sex-appeal, il était absolument inintéressant, mais cela n’empêchait qu’en toute objectivité, il était aimable, dans tous les sens du terme.

De telles idées étaient toutefois bien absentes de son esprit, car son regard, ses réflexions, ses attentions étaient fixés sur la demoiselle qui avait de la sorte éveillé son intérêt et son affection de manière si forte et si aisée que cela en devenait presque ridicule. Mais le ridicule ne tue pas, et il le prouvait en se sentant à chaque seconde passé en présence de l’adolescente plus vivant, plus vif, plus vivace, comme une fleur autrefois somnolente dans l’ombre et affichant désormais pleinement ses couleurs sous les rayons du soleil.
La comparaison suivante est un immense cliché, mais il faudra bien la souffrir tant elle pouvait bien s’appliquer à la situation présente avec un peu d’indulgence : Saïl était tel un chevalier un genou en terre devant sa princesse ; un chevalier certes incapable de combattre, et une princesse bien peu maniérée, mais pour autant, la dévotion et le courage d’une part et le charme et la beauté d’autre part étaient présents. C’est qu’en parlant de soleil, son âme avait été comme ardée par la vision de l’adorable étrangère, et la chaleur dont elle avait été pénétrée ne cessait de s’entretenir au contact de celle-ci.
Il en était bien conscient, il entretenait des sentiments d’une tendresse certainement démesurée à l’égard de cette inconnue, mais il l’était tout autant que tâcher de les réfréner n’aurait fait que déranger l’enchantement littéralement tangible qui s’était installé et prenait sans cesse plus de force. En vérité, ce qu’il ressentait pour cette jeune fille aurait pu passer pour un attachement semblable à de l’amour fraternel, mais il savait que prétendre le contraire aurait été se mentir à lui-même : il s’agissait de quelque chose de plus fort, plus profond, plus insidieux même, et si cela lui rongeait le cœur, il était manifeste que faire mine de se séparer d’elle l’aurait fendu.

C’était idiot, mais le simple petit remerciement dont elle le gratifia sonna comme une véritable louange à ses oreilles, et le sourire dont elle orna une pareille formule ne fit qu’en rehausser l’effet, le propulsant vers des sommets de félicité. Bien sûr, il avait toujours été du genre à apprécier de telles expressions de gratitude à leur juste valeur, quand bien même elles fussent machinales et n’eussent relevé que de la politesse, mais en l’occurrence, l’entendre de la part de cette jolie brunette lui donna sans qu’il eût pu expliquer pourquoi l’impression d’être exceptionnel. Indubitablement, il y avait dans tout cela une part de délire, mais c’était un agréable délire, de la même essence qu’une extase divine, et si déraisonnable que s’y laisser aller pût être, Saïl n’aurait voulu s’en détacher pour rien au monde.
Pour autant, il n’avait pas perdu le sens des réalités, et  lorsque l’adolescente lui demanda si par hasard il n’était pas un ange venu la remettre sur le droit chemin ou un héros de contes de fées, il ne dit rien en retour. D’une part car les questions avaient de toute évidence un caractère rhétorique, et d’autre part car la réponse à de telles interrogations pouvait facilement se lire dans ses doux yeux pénétrés d’amusement de même que dans son demi-sourire sagace : lui, un prince charmant ? Non seulement il ne possédait de son avis pas une once de cette qualité comme il l’a été expliqué, mais il n’avait dans les veines aucune once de sang bleu, la seule noblesse qu’il possédait étant celle de l’âme.

Ou bien alors, s’il pouvait avoir été anobli, ce devait avoir été par le regard de la demoiselle qui se posait sur lui à la manière d’un voile léger, frais et tendre, et dont il ne se lassait pas tant le mouvement de ces beaux iris verdoyants lui était pareil à un ballet de lucioles qu’il prenait plaisir à regarder. Etrangement, là où les extrospections insistantes le mettaient d’habitude dans un état de gêne et de timidité intense, celle qu’observait la jeune fille à son égard ne le dérangeait pas, comme s’il avait existé entre eux une étrange et étroite familiarité, comme s’ils s’étaient reconnus par une indicible intimité intemporelle.
Et s’il aimait être vu, voir ne lui agréait pas moins, le spectacle du moindre mouvement de sa protégée s’imprimant sur sa rétine avec à chaque fois cette même stupide mais irrésistible sensation de trésor. Ses gestes vifs, délicats, gracieux, ses doigts se posant sur la surface du bol, la manière dont la couleur de sa peau semblait s’altérer selon l’angle avec lequel la lumière la frappait, la pression que la surface du récipient exerça sur ses lèvres, les oscillations qui coururent le long de sa gorge au fur et à mesure que le liquide chaud y descendait, ses cheveux se déplaçant doucement au gré du changement de ses postures, la façon dont elle reprit son souffle -presque en un gémissement- en reposant le récipient, l’air contenté et rasséréné qu’elle prit… des mots ne sauraient rendre les émotions qui se saisirent de Saïl en cet instant ; seul le son d’un soupir d’adoration le pourrait.

Comme il l’avait souhaité, autant pour son bien que par espoir de ne pas la contrarier, elle accepta le don de son épais vêtement dans lequel elle se resserra, en appréciant manifestement le contact de cocon au grand soulagement de l’attentionné personnage. Puis elle lui révéla son nom, un lien de plus qui s’établit entre eux tel un nœud invisible, fin, mais tenace, et que son interlocuteur remua mentalement : deux syllabes, simples et presque dérisoires, formant un nom banal en soi mais qui se voyait reluire d’unicité, de signifiance, car il s’appliquait à elle.
Ce fut toujours d’un regard tendre, à peine troublé, qu’il la regarda se rapprocher de lui, mais ce qui se modifia fut son rythme cardiaque, celui-ci reflétant à quel point il était pour lui important, presque exaltant, qu’elle se fît physiquement plus proche, le jeune homme se sentant plus nerveux, comme sous l’effet d’un phénomène chimique. Si près d’elle, il avait envie de l’étreindre, mais son bon sens lui soufflait encore que les bons usages l’interdisaient, aussi se fit-il violence pour se contrôler et rester respectable, gardant une main sur sa table et une autre tenant son verre.

Se faisant de plus en plus aimable –encore une fois dans les deux sens du mot-, elle s’excusa ensuite de son comportement, renforçant encore davantage l’affection de Saïl qui lui avait de toute manière d’ores et déjà pardonné. Elle s’était certes montrée perturbée et irrévérencieuse, mais il ne lui en voulait aucunement pour cela, sa colère allant seulement aux goujats, aux insensibles, aux cruels vauriens qui pouvaient avoir été responsable d’un abattement pareil.
Encore une fois, par l’aménité de ses traits autant que par le haussement d’épaules qu’il exécuta, il répondit sans avoir un mot à dire, mais alors qu’il allait ajouter la parole au geste, Aya ne lui en laissa pas le temps, prenant les devants d’une façon qui le laissa pantois. Quand elle se leva, son sourire se dissipa un tantinet sous la surprise, et alors même qu’elle venait dans sa direction, les battements de son cœur s’accélérèrent encore, semblant se calquer sur l’enchaînement des pas de l’adolescente.

Il l’avait envisagé, espéré même, mais sans vraiment y croire, aussi fut-ce un ébahissement de taille quand il sentit sa bouche voleter comme un papillon pour se poser avec grâce contre sa joue, y imprimant alors cette infime succion que l’on nomme baiser. Immédiatement, pour lui, ce fut comme la propagation d’un choc statique doux mais bien tangible, qui partit de son visage pour aller se propager jusqu’à la racine de ses cheveux, dans sa cage thoracique, jusqu’aux moindres extrémités de son  corps pour se résorber en laissant en souvenir une agréable chaleur reflétée par le léger fard qui se peignit sur ses joues.
Ebahi, il la regarda un moment avec un air d’incrédulité sur le visage, bouche bée, une main portée par réflexe à l’endroit du baiser comme pour vérifier s’il n’y avait pas là la trace de quelque sortilège qu’elle lui aurait lancé. Il l’observa, espiègle, jolie, mutine, et sans même qu’il eût besoin d’y penser, il lui vint d’instinct ce par quoi il devait rétorquer à cet acte, mi-signe de reconnaissance, mi-provocation.

Même s’il s’était donné la peine d’y réfléchir, il ne se serait probablement pas empêché de faire ce qu’il fit, et ce fut sans hésitation, sans précipitation, sans incertitude qu’à son tour il se mit debout, s’approcha, puis vint à son contact, l’enveloppant affectueusement, tendrement, de ses grands bras propres à étreindre, pour ensuite se serrer contre elle. Tête contre tête, le nez au niveau de la nuque de la jeune fille, il put apprécier son parfum en même temps que sa chaleur et la souplesse de sa peau. Saïl avait toujours été sensible aux odeurs qui peuvent contenir l’essence même d’une personne, et celle d’Aya était suave, fraîche, vivifiante, presque piquante ; un véritable enchantement.
Ce fut comme s’il avait voulu avérer sa présence, vérifier que cette ravissante adolescente pleine de charme n’était pas qu’une apparition ou quelque être féerique qui se serait volatilisé à la première occasion, et la sérénité ô combien plaisante de cet instant de pleine tendresse se poursuivit jusqu’à ce qu’il se détachât délicatement d’elle avec encore un sourire rêveur sur les lèvres.

« J’espère que vous ne m’en voulez pas. » Murmura-t-il, une infime timidité venant démentir la possibilité d’une assurance aussi complète qu’il aurait pu en donner l’illusion.
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 6 vendredi 03 septembre 2010, 22:36:16

Si Aya s’était douté un seul instant de ce qu’il se passait sous la tête de Saïl … Eh bien, quoi ? Cela dépendait beaucoup de comment elle l’apprendrait, mais il y avait somme toute deux options qui se dégageaient de manière majoritaire. La première était de fuir très loin, apeurée par tant de sentiments si vite, si tôt, si enfiévrés. A dix sept ans, même quand on s’amuse à jouer à la femme fatale, on ne mesure pas toutes les conséquences, et même si Saïl, le gentil et attentionné Saïl lui avait révélé ce qu’il pensait à cet instant, la jeune fille aurait pu prendre peur. Ou se pendre à son cou pour le serrer aussi fort que ses petits bras le lui permettaient. Cela dépendait essentiellement de sa capacité à appréhender la véritable rencontre avec son idéal, ce qu’elle imaginait approcher un jour sans réellement y croire. Les pensées de Saïl seraient peut être vécues comme des chimères, attirantes mais irréelles. Ne pas y croire serait sans doute le moyen de défense le plus évident pour une jeune fille allant de déceptions en déceptions, à courir après un concept qu’elle fuyait une fois rencontré. D’ailleurs, si elle n’avait pas eu de réponse concrète à sa question totalement illuminée, elle sentait bien que Saïl conservait assez de sourires muets dans ses grands yeux pétillants pour nier catégoriquement les délires de la demoiselle qu'elle semblait être dans son regard.

Bien habile celui qui un jour cernera l’esprit féminin, sans nul doute. Mais heureusement pour nous, et pour Saïl, Aya n’avait absolument aucune idée de ce qu’il se tramait là bas, en face. Elle ne pouvait qu’imaginer ce qu’elle savait tangible et perceptible, ce qu’elle connaissait de ses expériences. Et encore, même avec ce maigre bagage en poche, il lui était difficile d’expliquer l’intérêt de son bienfaiteur à son égard. Curieux personnage que celui qui offre un potage et un manteau pour réconforts à une inconnue un peu trop arrosée. Ladite inconnue flottait d’ailleurs dans ce vêtement, bien trop grand pour elle. Le contraste entre ses habits et cette véritable tente qui, si elle s’y capitonnait, enveloppait tout son corps, était saisissant. Elle paraissait encore plus fragile, avec ses mains qui dépassaient à peine des grandes manches, ses cagneuses articulations disparaissant sous un monceau de tissu. Mais étonnamment, Aya se sentait en sécurité et plus forte, ainsi enrobée. Comme un bibelot que l’on protège consciencieusement des coups et des agressions extérieures. Telle une petite vasque de porcelaine précieuse que l’on garderait à l’abri des regards. Voilà à peu près ce que renvoyait ce manteau à Aya. Un cocon, un écrin. Qui la réchauffait autant que le regard de Saïl.

Regard qui d’ailleurs ne la quittait pas. Au même titre qu’elle-même dévisageait avec attention et précaution cet être dont elle commençait à apprendre les aspérités, les asymétries et les petites touches d’incrédule qui rendent quelqu’un beau. Et, Aya le réalisait doucement, beau au sens où elle ne l’avait longtemps pas entendu. D’un charme tout particulier, qui résidait principalement dans les émotions qui se dégageaient de ce corps imposant et rassurant à la fois. Et elle en vint à se demander ce qu’elle-même renvoyait. Sa frêle silhouette la rendait-elle trop jeune pour mériter son attention ? Ses attitudes faisaient-elles d’elle une adolescente écervelée et futile, sans consistance ? Inquiétude fugace, comme un ange survole doucement ces instants de silence qui lui rendent hommage. Ce fut peut être pour sentir des changements dans ce regard, pour étudier l’image que les iris de Saïl lui renvoyaient d’elle-même qu’Aya fit ce qu’il a déjà été mentionné. Ou peut être pas. La pulsion, l’envie soudaine y était forcément pour quelque chose. L’impulsion d’un instant, l’idée stupide qui vous hante jusqu’à sa réalisation.

L’important, le primordial, fut qu’Aya exécuta cette tendre démonstration d’affection sans rougir. Elle se montrait plus forte et assurée qu’elle n’était, alors que ses jambes se faisaient toujours hésitantes au moment d’avancer, alors que son esprit encore assommé des folies de ce début de soirée vacillait, pour lui compliquer la tache. Si elle ne remarqua pas la première gêne de Saïl quand elle effectua son premier pas en sa direction, elle jubilait de la délicate carnation dont ses pommettes se parèrent. Pile, timidité. Face, mutinerie. Aya était ainsi, aussi changeante que le niveau de la mer tumultueuse, au diapason de ses revirements illogiques et imprévisibles. Vouloir désarçonner, puis se montrer réservée. Jouer, fuir. Et tout recommencer. Comme une farandole régie par le hasard, comme un ciel en plein moi d’avril, comme un lancer de fléchettes pratiqué les yeux bandés. Un saut sans parachute, pour un athlète qui malgré son expérience ne savait jamais bien où il allait tomber, ni si ce serait sans mal. Et le plaisir de la chute n’en était que plus exaltant et jouissif. C’est à peu près ce que procurait souvent Aya. Comme là, où elle voyait Saïl rester sans voix, une main délicatement portée à sa joue, comme une vierge effarouchée devant un galant peu gentleman. Allez, Saïl. Rentre dans la danse.

Il ne lui en fallut pas plus pour que son vœu soit exaucé. Il était d’ailleurs rare qu’un homme reste de marbre après une telle démonstration d’affection, une telle invitation qui signifiait à la fois beaucoup et bien peu. Toutefois, Aya ne s’attendait à rien, par principe. Trop peur d’être déçue, toujours. Mais, alors qu’elle changeait d’orientation pour reprendre sa place à quelques centimètres de là, quelque chose l’en empêcha. Un bruissement de tissu, seul témoin au mouvement de Saïl. Puis tout d’un coup, une explosion de chaleur. Un contact présent, délicat mais suffisamment insistant pour s’imposer à la jeune femme, qui n’avait d’autre choix que de se couler dans des bras imposants, qui ne souffraient d’aucune répartie. Contact à la fois sensuel et affectueux, mêlant le délice de l’inconnu et du mystère qui liait deux êtres ne se connaissant pas à la proximité immédiate qui s’était instaurée. Fermant les yeux, Aya se laissa aller à cette douce étreinte, grande source d’émotions et d’apaisement. Dos à dos, les deux jeunes gens semblaient pourtant plus près que les amoureux de la table de tout à l’heure. Et dans ce petit monde où personne ne pénétrait, dans le fond du bar, le silence était brisé uniquement par le vacarme de leurs existences. Les respirations se mêlaient dans une discrète et secrète union. La nuque nue de la jeune fille recueillait le souffle de Saïl, et quand il se détacha d’elle, Aya eut l’impression que c’était d’être à nouveau libre qui l’oppressait.

Et, face à un sourire attachant et une excuse voilée tout aussi appréciable de la part de son interlocuteur, Aya se retourna pour lui faire de nouveau face. Se sentant pour ainsi dire obligée de retrouver cette tendresse, cette promesse d’une éternelle source d’émotion, la jeune femme prit d’elle-même l’initiative de retrouver ces bras. Saisissant ceux de Saïl, elle les passa autour de ses épaules et se blottit contre lui, l’enserrant de ses maigres muscles qui venaient finir leur course dans un large dos accueillant. Étreindre plus étroitement, peut être pas tout à fait comme une femme enlacerait un homme, mais pas non plus comme une sœur le ferait avec son frère. Quelque chose de plus intime qu’un simple couple, de plus partagé et de plus évident. Un visage qui trouve une place parfaite sur la naissance d’un cou, un corps qui trouve de quoi être reçu avec le plus grand confort qu’est celui d’un délicat sentiment naissant. Aya répondit, sa voix hésitant jusqu’à la dernière seconde entre faire écho à la timidité de Saïl ou à libérer un peu de son côté mijaurée et prise de risque. Le dernier l’emporta de très peu, sans doute dans un désir de trancher et de se détacher des réactions identiques qui n’auraient rien apporté à la situation.

- Seulement si vous ne m’en voulez pas non plus de trouver réconfort de cette manière …

Puis, plus rien. Aya, en un instant, s’était déjà dérobée à ce moment pourtant très agréable. Elle se retrouvait joueuse, câline mais spontanément espiègle. Sans savoir ce qu’elle faisait, elle l’exécutait avec plaisir et assurance. Rien à voir avec celle qui, ruminant ses idées noires, se trouvait auparavant à cette table, les yeux ternes. A présent, ses iris brillaient de mille feux, ayant retrouvés joie et sincérité dans la simple présence de son prince charmant un peu atypique. Sur quelques pas de danse feints, sans laisser à Saïl le loisir de lui répondre, elle s’éloigna un peu plus loin et se laissa choir sur une banquette, plus confortable que les chaises de bar, bien trop désagréables à son goût. En lançant un regard à celui dont elle venait de quitter les bras, Aya s’étira, ses poignets se dressant au dessus de sa tête pour former un artistique demi-cercle de chair et de sang. Elle répudiait ainsi sa morosité, ses manières déplorables, les relents d’alcool qui lui embrumaient encore l’esprit, bref, reprenait vie d’une impulsion … pour laisser ses épaules retomber brutalement. Ses paumes s’appuyèrent alors sur le bord de son siège luxueux, et Aya commença à se balancer imperceptiblement d’avant en arrière, comme d’impatience. Son regard vif errait de l’animation lointaine de la salle à Saïl, et la jeune fille attendait la suite de la soirée, attendait que son prince reprenne place près d’elle, qui l’avait quitté pour briser un moment complice, installant la frustration et le manque.

- Plus confortable …

Répondit-elle à une question muette qu’elle se serait posée à la place de Saïl. Et puis, c’était sans doute plus amusant d’observer ses réactions sans lui laisser le plaisir de rester dans ses bras. Il fallait savoir se faire attendre et, de temps à autre, faire languir son interlocuteur. Advienne que pourra.

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 7 samedi 04 septembre 2010, 06:53:30

N’importe qui étant au courant du tempérament de Saïl aurait pu juger, fort à propos, qu’après une étreinte telle qu’il venait d’en gratifier celle qui avait si bien pris prise sur ses sentiments, il arborerait certainement un air confus, embarrassé d’avoir fait preuve de tant de hardiesse envers quelqu’un qu’il ne connaissait que depuis si peu de temps. Pourtant, chose si exceptionnelle que l’on pouvait à bon droit la qualifier de miracle, ni panique, ni honte ne prirent place dans ses émotions, ces accès ayant été en l’occurrence remplacés par une douce euphorie de laquelle il ne paraissait pas prêt de redescendre alors qu’il contemplait les yeux d’Aya qui lui semblaient déjà encore plus éveillés et pétillants de vitalité qu’auparavant.
Mais pour qu’un instant soit précieux, il faut également qu’il ait un écrin de rareté, aussi le tendre garçon dut-il bien y mettre fin, se reculant ensuite afin de regagner son siège, laissant ainsi s’ouvrir une nouvelle manche d’un jeu auquel il participait sans réellement en avoir conscience. Il n’agissait évidemment ni par ludisme, ni par taquinerie, mais bien avec la plus grande sincérité qui fût, se consacrant à l’adolescente au point d’en oublier ce qui les entourait.

Néanmoins, si une certaine assurance avait été au rendez-vous lorsque l’embrassade était venue de lui, elle le fut moins quand ce fut au tour de la jeune fille de prendre les devants. Celle-ci agit en effet sur le coup avec une telle rapidité dans son élan de spontanéité câline qu’il en resta interdit, ne songeant même pas à résister alors que le geste se réitérait, si semblable et si différent à la fois. A la sentir contre lui, contre son cœur, il fut soudainement percé comme d’un frisson glacé qui l’agita en une sorte de début de pâmoison avant qu’une bouffée de chaleur incroyablement puissante n’enflammât sa poitrine pour envahir tout son corps. Pourquoi fallait-il que la course du temps se poursuivît ? S’il l’avait pu, peut-être Saïl aurait souhaité figer cette scène afin qu’elle durât des heures, des jours, des années ; et pourtant, à bien y réfléchir, il s’en serait abstenu, car comme le moment précédent, celui-ci tenait en partie son côté exaltant, sacré, de sa brièveté.
Presque tremblant, il n’en resta pas pour autant saisi de stupeur, et posant une de ses larges pattes contre le dos de la demoiselle et une autre à l’arrière de sa tête, il se pencha sur elle pour venir déposer avec comme une dévotion pleine d’affection un profond baiser au sein de cette masse de cheveux bruns si étrangement peu rebelles par contraste avec le caractère enjolivé et enjôleur de leur propriétaire. En mentionnant cela, justement, elle prit au bout de plusieurs secondes de ce délicieux contact la parole, rebondissant sur celles de son galant avec un mélange de politesse et de taquinerie qui le fit l’apprécier encore plus ; cela alors même que les vibrations de la voix d’Aya faisaient résonner son torse, se propageant dans tout son être comme pour mieux le laisser enregistrer jusqu’aux moindres inflexions de sa voix juvénile et ainsi la conserver précieusement en lui.

Hélas, il lui semblait qu’il avait eu à peine le loisir de savourer cet instant que déjà, il prenait fin, l’enfant se dérobant à son étreinte telle une princesse enchantée devant quitter sa compagnie aux coups de minuit, ou plutôt, telle une sirène ne côtoyant les mortels que le temps de capturer le cœur de l’un d’entre eux avant de regagner les flots. Ah ! Il l’a été précisé, Saïl n’était en cette heure d’enchantement plus un scientifique, aussi ne fit-il même pas attention à l’invraisemblance de sa pensée lorsqu’il se demanda si elle ne le lui avait en vérité pas volé en profitant d’un moment de distraction de sa part pendant qu’ils étaient si étroitement collés l’un à l’autre.
L’idée était complètement fantasmagorique, et pourtant, tandis qu’elle s’éloignait, son palpitant ne battait-il déjà pas avec moins de force, paraissant déjà se languir de la présence de cette dame de glamour ? Car si la féerie existait, c’était bien dans les prunelles de la créature gracile dont l’éclat aurait facilement pu contenir les frondaisons lumineuses de toute une forêt lubrifiée par un soleil d’été. Oui, ses pas de danse avaient beau revêtir un caractère avant tout joueur, cela ne faisait que l’apparenter encore plus à une fée, et même l’épais manteau dont elle était vêtue et qui rendait ses gestes patauds n’était au fond que la fourrure de loup qu’elle lui avait chipée et par laquelle elle l’incitait mutinement, presque moqueusement, à venir le rejoindre.

On pourrait longuement disserter sur les raisons, les affects qui poussèrent notre ami à agir comme il va l’être décrit, mais en vérité, la suite des évènements laisse si peu de place au suspens que le plus intelligent reste encore de dire directement qu’il ne tergiversa pas une seconde et s’empressa de venir près d’elle, un sourire d’une indulgence rêveuse sur les lèvres. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle l’avait si bien ensorcelé que résister à une pareille invitation lui aurait été aussi impossible qu’à un oiseau de se départir de ses ailes, appendices sans lesquels il n’est plus qu’une tragique caricature de lui-même et n’a plus qu’à dépérir.
Il était trop loin pour savoir ce qu’elle venait d’articuler, mais ne s’en chagrina pas pour autant, se contentant largement du spectacle d’une élégance proprement enfantine qu’elle offrait en se mouvant avec tant de vivacité qu’elle paraissait se démener pour évacuer un trop-plein d’énergie emmagasiné pendant qu’elle avait broyé du noir ; ce noir dont elle s’ébrouait à présent si magnifiquement, s’attirant sur son passage quelques regards dont elle n’eut pas plus cure que lui.

Aussi docilement qu’un ours savant mené à la baguette, mais heureusement avec davantage de grâce dans ses mouvements, il s’achemina jusqu’aux côtés de sa reine qui s’était installée sur son trône, plus confortable et plus reluisant que le perchoir sobre et presque sévère sur lequel elle s’était auparavant sise. Loyal, empressé et diligent, son fidèle chevalier sans autre blason que sa grandeur d’âme vint se mettre à ses côtés, toujours aussi respectueusement adorateur envers elle.
De fait, un homme plus sûr de lui, plus certain de ses charmes, aurait très probablement passé un bras autour des épaules de la jeune fille afin de continuer à la poursuivre de ses assiduités, posant son empreinte sur elle aussi franchement qu’un renard urine sur un arbre pour marquer son territoire. Nettement moins hardi et nettement plus prévenant était Saïl qui, plutôt que de se faire de la sorte dominateur, choisit sans vraiment se poser la question d’observer une pose avant tout confortable, s’enfonçant dans la banquette élastique en se positionnant une jambe croisée perpendiculairement à l’autre, les poings calés de façon relaxée sur les cuisses.

Ainsi posté, il put tout à son aise détailler encore une fois de près l’allure d’Aya, laquelle était si mignonnement mutine, si adorablement taquine dans son comportement qu’il sentit à nouveau son cœur battre avec plus de vigueur, comme pour donner davantage de couleurs à son possesseur et lui permettre par là de faire aussi bonne figure que possible devant celle qui le stimulait de la sorte. Ayant toutefois le bon sens de se dire que ne faire que sourire niaisement devant elle n’aurait guère été bien inspiré, il prit à son tour la parole, à la fois plaisamment chicaneur et doucement affectueux :

« Ça t’arrive souvent d’être aussi… versatile ? »


Et oui, le cap du tutoiement avait été franchi, mais il fallait bien dire qu’au stade où ils étaient parvenus, il aurait littéralement tenu du ridicule que ce ne fût pas le cas : pourquoi diable deux personnes qui s’étaient étreintes à deux reprises déjà se seraient donné la peine d’observer cette politesse désormais de trop en laquelle consistait l’usage de la deuxième personne du pluriel ? Quantité de choses les opposaient peut-être sur bien des points, mais l’attachement qu’ils ressentaient de toute évidence l’un pour l’autre était une bonne raison de faire en sorte d’en éliminer le plus grand nombre possible, à commencer par les conventions sociales superflues.
Pour en revenir aux paroles de Saïl, ce n’était en vérité pas uniquement pour se montrer espiègle qu’il avait posé une telle question, le jeune homme étant réellement curieux de savoir si elle était naturellement d’un tel tempérament ou si son humeur changeante n’était due qu’aux circonstances dont il jugea d’ailleurs sagement préférable de ne pas s’enquérir. En somme, il voulait tout simplement en apprendre plus sur elle, car le fait qu’il semblât ressentir une sorte d’indéniable proximité spirituelle vis-à-vis d’elle ne changeait rien au fait qu’il ne savait au fond rien de tous ces petits détails qui meublent les contours de la psyché profonde de chacun.
Cependant, comme d’habitude soumis aux injonctions de son cœur tendre, il ne voulut pas qu’Aya le crût désinvolte à l’égard de ce qui pouvait la préoccuper, aussi rajouta-t-il avec dans la voix cette prévenante sollicitude qui lui était propre :

« En tout cas, je suis heureux de voir que tu vas mieux. »

A cette marque d’affection verbale, il voulut en ajouter une physique, toujours aussi désireux d’ailleurs de la prendre dans ses bras, de la cajoler contre lui pour la rassurer, pour la réconforter, pour lui signifier clairement avec une pleine confiance qu’il voulait être aussi présent qu’il le faudrait si elle avait besoin d’être soutenue. Se rendant toutefois compte qu’il serait apparu comme une compagnie bien collante s’il avait réitéré ce geste, il se contenta d’un autre plus sobre mais non moins doux, posant délicatement sa main contre celle de sa protégée qu’il contint dans sa poigne de grande envergure, l’englobant de sa chaleur. Ce faisant, il ne cessa pas ni ne se lassa de mirer ces deux émeraudes débordantes d’un fantastique élan de vie, sur ses lèvres un sourire certes plus léger qu’auparavant mais tout aussi attentionné.
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 8 samedi 04 septembre 2010, 15:05:57

On est en droit de se demander, alors que l’on contemple ces deux êtres qui semblent tellement évidents dans leur étreinte, l’une dans les bras de l’autre, la raison de la rupture du cadre idyllique que ce tableau inspirait. Peut être qu’Aya, sentant Saïl se rapprocher, prit peur. Sans doute pas pour sa main qui enrobait son dos d’une longue caresse, peut être pas pour la seconde qui effleurait sa nuque en se positionnant à l’arrière de son crâne. Mais sans doute à cause d’un baiser trop pur et chaste pour qu’elle puisse l’intégrer. Se faire embrasser comme une petite chose fragile n’était pas dans ses habitudes, et elle avait peur que Saïl ne prenne cette étreinte comme elle aurait pu être saisie : un réconfort, de petite fille blessée qui trouvait consolation dans des bras chaleureux. Une situation gouvernée par les affres de la pitié, de la condescendance. Bien sûr, Saïl n’avait pas de telles émotions en lui au moment où il avait répondu à sa demande égoïste de chaleur apaisante. Mais Aya n’en était nullement rassurée pour autant, restant dans une ignorance amère et dérangeante, dans un doute qui formait une boule bien trop grosse pour sa gorge. Elle préférait, comme à l’ordinaire, fuir et comprendre après coup. Se poser des questions, prendre le temps de savoir. Ne pas répéter des erreurs maintes et maintes fois commises par la précipitation de son cœur, avide et rarement satisfait.

Alors qu’il approchait, la couvant du regard, la rendant plus attirante et importante qu’elle ne l’était réellement, Aya ne souffrait pas du même plaisir que son sourire le laissait entendre. Lentement, elle reprenait ses esprits. Elle retrouvait le bon sens qui lui avait tant manqué en ce début de soirée. Ses mauvaises habitudes, ses inquiétudes, ses changements brusques et soudains de tempérament. Toutefois, elle n’en laissa rien paraitre à son charmant partenaire, qui s’installait à présent à côté d’elle, se mettant à l’aise. Le sourire de la jeune femme restait là, figé sur son visage pendant que ses pensées étaient bien loin. Elle réalisait à l’instant que, si elle s’était crue exceptionnelle et particulière, il n’en était rien. C’était stupide de croire qu’elle avait attiré Saïl avec un charme particulier, une douceur qu’elle n’avait pas, un charme qui lui était lointain … Rien de désagréable ne prenait racine chez elle, mais rien de remarquable ou de singulier ne la caractérisait vraiment, à part un caractère quelque peu lunatique et névrosé.

La conclusion logique se faisait donc d’elle-même. Si Saïl s’était intéressée à elle, dans sa grande générosité et avec toute la douceur qu’elle avait lue dans ses yeux, il était bien évidemment certain qu’elle n’était pas la première dans ce cas. Les autres … Aya sentit sa salive se glacer à l’intérieur de son palais. Les autres étaient toujours là. Déglutition difficile. Encore là, toujours toujours toujours là ! Pour lui gâcher son plaisir, pour la rappeler à la réalité. Pour quelqu’un d’aussi prévenant et bon que Saïl, il était impossible de ne pas l’imaginer en train de rassurer d’autres demoiselles. Il était pourtant affreusement difficile de voir ces mains si enveloppantes posées sur d’autres corps, de sentir que la chaleur de son baiser sur le haut de son crâne s’évaporait doucement alors qu’elle prenait conscience que d’autres femmes y avaient eu droit. Et qui était à blâmer ? Elle, certainement. Pas Saïl, qui ne faisait qu’offrir sa nature même, en ouvrant son cœur à celles qui, par leur fragilité et leurs errances, l’attiraient. Peut être par une larme, peut être par un air vide, ou bien une cigarette ridiculement portée à des lèvres vermeilles … Un charme évident, délicat et fragile qui provoquait chez ce prince de gentillesse d’irrésistibles besoins de cajoler, de consoler, de protéger.

Qu’elle avait été bête, qu’elle avait été sûre d’elle ! Aya se mordait violemment l’intérieur de ses joues pour ne pas démordre de son attitude ouverte et avenante. Il ne fallait pas retomber dans ce cercle vicieux, ne pas profiter de cette attention portée sur elle pour se faire câliner et se faire choyer par Saïl. Comment pouvait-elle imaginer profiter de cet homme qui, sans aucune raison, sans aucune promesse, était venu à son aide, elle pauvre âme égarée dans les affres profondes de son esprit ? C’est d’ailleurs les mots de son compagnon de soirée qui la tirèrent momentanément de ses réflexions, pour la questionner sur son comportement étrange, avec une pointe d’ironie noyée dans un océan de bonté. Si bien qu’elle ne pouvait pas lui en vouloir de s’interroger, c’était même plutôt légitime. Et oui, Saïl, tout le temps. Mais Aya ne répondit rien dans l’immédiat, le laissant revenir sur sa question, l’adoucir et l’enrober dans un élan de vigilante préoccupation. C’est ce moment là qu’elle choisit pour lui répondre, sans pour autant le regarder, gardant ses prunelles fixées sur la main qui venait de prendre possession de la sienne avec délicatesse et galanterie. Aya en eut presque pleuré, de tant d’attention et de précautions. Presque.

- Souvent, oui.

Réponse courte, pour une voix où les préoccupations pointaient. Aya se laissa aller contre ce bras, contre cette paume qui enserrait ses doigts fins. Portant sa main libre sur l’avant bras de Saïl, elle inclina légèrement le buste pour venir s’appuyer contre ce soutien inespéré, et permit à sa nuque de couler pour épouser l’épaule de son prince charmant. Ainsi, elle se serrait contre cette source de tant de sentiments contradictoires, parfois mélancoliques, souvent extatiques. La jeune fille se rendait compte qu’elle avait besoin de ce contact, qu’elle souffrait de ne pas sentir ce corps contre elle pour l’envelopper de sa constance, de son assurance. Elle ferma à demi les paupières et abandonna ses sens pour les obliger à lui faire parvenir la rudesse moelleuse de ce simple bras contre elle. Après avoir passé la frontière de la familiarité, et du tutoiement, Aya voulait franchir le cap de la proximité. Ne pas le lâcher. Ne pas fuir. Ne pas prendre peur. Et pourtant, la jeune femme tremblait de savoir qu’elle se comportait comme toutes celles que Saïl devait étreindre en réconfort. Savoir que rien ne la séparait de femmes qu’elle ne connaissait pas rendait l’adolescente malade et ternissait de nouveau son regard.

Mais hors de question de se laisser abattre, hors de question de se la jouer perdante. Ce soir, elle était la seule à avoir le privilège et l’extrême honneur de pouvoir effleurer Saïl à n’importe quel moment. Ce qu’elle fit. Remontant sa main libre le long de la peau de l’homme à ses côtés, à la fois si proche et si lointain. Aya rendait à son visage une certaine assurance, un discret espoir qui naissait délicatement, fruit du besoin incessant qu’elle avait, sans se l’expliquer, de garder son compagnon auprès d’elle. En peu de temps, la tendresse et l’émotion étaient apparues quelque part entre ses côtes, l’affection se répandant dans les moindres recoins de son corps par une circulation qui s’accélérait progressivement alors qu’elle continuait sa progression le long du bras, puis du cou de Saïl. Elle freina son ascension pour apprécier le velouté rugueux d’une peau d’homme, avant de repartir à l’assaut d’un menton, d’une joue pour venir effleurer des lèvres. Du côté de la jeune femme, l’expression qu’elle affichait était un mélange de découverte émerveillée et d’assurance fantasque. Oubliée, la gamine. Tout comme la fille qui broyait du noir avait été chassée par cette même gosse joueuse. C’était à présent presque quelqu’un d’autre qui se tenait là, poussée par un instinct bien plus avisé que celui d’une fille de son âge. D’une voix plus douce et posée qu’auparavant, Aya reprit la parole lentement.

- Cela te gêne, comme changement ? Suis-je trop instable ? Je ne fais que m’écouter, pourtant.

Pour s’écouter, elle s’écoutait ! Ce qu’elle n’aurait peut-être pas fait quelques minutes plus tôt, Aya le réalisait sans problème. Voilà le visage qu’elle montrait le plus souvent aux hommes. Celui qui lui permettait de séduire, de se départager. C’est très certainement son envie explosive et intraitable de ne pas rester en retrait, comme le souvenir d’une énième copie qui agissait. Poupée fragile, non. Et même si la jeune fille angoissait très légèrement à propos de la réaction de Saïl, elle tentait de se rassurer en répétant en silence, comme un vieux tourne disque rouillé, qu’elle n’était pas une autre personne. La même Aya fragile pouvait simplement se targuer de n’être pas aussi plate que certaines, peut être. Changer était le propre de la nature humaine, qui tendait toujours vers plus de réussite et de succès. Aya tentait d’effacer l’image de la petite sœur prête à se casser si on n’y prenait pas garde, et faisait tout son possible pour se hisser vers Saïl. Se faire femme plutôt qu’adolescente, se faire désirable plutôt qu’attendrissante. Pourtant, qu’il était difficile de sortir d’un carcan qu’on a tissé soit même. Surtout quand on ne sait pas si l’extérieur, le monde réel, est aussi indulgent ou au contraire bien trop cruel. En d’autres termes, allait-il rester interdit devant ces variations si déconcertantes, comme n’importe qui ? Ou bien serait-il capable de se plier à ses intraitables sautes de comportement ?

Se faisant un peu plus pressante, Aya s’enfonça d’autant plus dans ce bras auquel elle s’accrochait de toutes ses maigres forces, une interrogation sur les lèvres, un espoir dans ses iris dressées vers Saïl et une grande angoisse au cœur. Même le plus conciliant et prévoyant prince charmant aurait raison de se détacher, quittant cette drôle de princesse, tour à tour timide ou aguicheuse. Parfois innocente, charmeuse d’autres fois. Instable, donc. Mais sincère, toujours. Toutefois, l’âme pure de ce grand protecteur allait-il facilement accepter une femme moins vulnérable, ayant par conséquent -en apparence du moins- moins besoin de réconfort ? Car somme toute, même la plus forte personnalité nécessite quelqu’un à ses côtés. La vie se vit à deux, et chaque instant partagé vaut bien plus, se montre plus riche qu’un long moment passé en solitaire.
« Modifié: samedi 04 septembre 2010, 18:54:37 par Aya Murakami »

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 9 dimanche 05 septembre 2010, 04:11:34

Qu’il était étonnant en vérité que quelqu’un de paisible, pantouflard presque, comme Saïl, fût capable de réagir à l’évolution des évènements avec autant de cran et de franchise qu’il le faisait. Le garçon était en effet tout sauf un homme d’action, alors comment se faisait-il qu’il ne se racrapotât pas devant la scène d’une originalité si déstabilisante à laquelle il faisait pourtant face sans se dégonfler ? La réponse était que malgré toute sa timidité et sa malhabileté, il avait en lui quelque chose comme un point de rupture : lorsque les circonstances de la situation commençaient à rendre la conduite que se devait de suivre son grand cœur trop évidente, ses incertitudes s’envolaient, balayées sur le chemin de sa conviction.
Pour autant, il n’en était pas d’une assurance confondante ainsi que l’avaient pu indiquer les diverses hésitations et craintes qui avaient parsemé ses agissements jusqu’ici. C’était tout bonnement qu’à partir du moment où sa simple raison ne pouvait pas suffire à le faire réagir adéquatement, le regard de son âme prenait le relais de ses yeux, lui indiquant la conduite à suivre. Que l’on appelât ce phénomène l’intuition, l’instinct où bien la sincérité, il restait qu’il se faisait alors pareil à un aveugle volontaire ayant abandonné la vue pour n’en distinguer que plus clairement ce qui l’entourait, se fiant pleinement à ses autres sens.

En l’occurrence, dès les premiers instants de sa rencontre avec Aya, il avait pu sentir cet étrange guidage affermir sa résolution, instillant dans son esprit la conviction qu’il devait aller vers elle, s’y implantant avec la même force que met la foudre à frapper la terre. L’absence de fondements qu’il y avait à un tel comportement était effrayante, terrifiante, même, mais Saïl ne pouvait ressentir les atteintes de ces émotions, trop obnubilé qu’il était par la présence de la demoiselle qui l’avait envoûté.
Pour dire la vérité, le doux jeune homme avait déjà éprouvé des impressions similaires avec d’autres femmes, aussi aurait-il été mensonger de le présenter comme un profane absolument innocent en ce qui concernait de telles affaires. Il était vrai que son cœur d’artichaut s’était déjà laissé attirer par la compagnie de personnes du beau sexe qu’il avait côtoyées par le passé, se remettant entre leurs mains sans se montrer farouche.
En revanche, il n’était pas moins vrai qu’en la circonstance, la situation ne consistait nullement en un bis repetitas tant celle-ci s’avérait formidablement unique en son genre. Jamais, non, jamais, il en était définitivement certain, des sentiments aussi forts, aussi profonds, aussi francs, ne lui étaient venus que ceux que suscitait le simple fait d’avoir Aya à ses côtés. Alors même que sa patte se resserrait délicatement autour de la menotte de l’adolescente, il pouvait s’en rendre pleinement compte, la réalisation lui venant avec une clarté qui rendit de l’aplomb à ses idées jusqu’ici perdues dans l’ivresse d’affectueux égarements.

Cependant, s’il était plus conscient, il n’était pas moins prisonnier consentant des grâces de la jeune femme, cette remise sur pieds ayant rendu ses tendres élans attentionnés plus sûrs, mais non moins sincères, ceux-ci se manifestant désormais avec la force de l’indubitable. Naturellement, les concepts de conquête, de séduction, lui étaient presque étrangers en la matière, mais cela n’empêchait qu’il était pénétré du besoin aussi impérieux qu’inexplicable de s’accoutumer à cette fée juvénile, de l’adopter. Comme lié à elle d’âme à âme, il voulait se faire le garant privilégié de son bonheur, celui-ci s’affichant maintenant telle une composante rigoureusement nécessaire de la stabilité de l’univers qui ne pourrait aller bien tant qu’elle irait mal. Ayant embrassé l’indicible inexorabilité de ce qu’il ressentait, si follement malavisé que cela pût apparaître, Saïl ne parvenait à concevoir d’autre voie possible que de se rapprocher toujours plus d’elle.
Malgré ses travers, malgré ses caprices, malgré son imprévisibilité elle était à ses yeux un joyau de charme inégalable, et il scella en son cœur le serment de ne plus jamais permettre de laisser persister en sa présence l’incertitude, la crainte, la vulnérabilité qu’il lui semblait lire dans son regard. Chaque fois qu’elle en aurait besoin, il serait là pour dissiper toutes ses pensées les plus sombres, pour la rassurer, la combler de délicates attentions.

Et comme si, par un mystérieux effet de communion, elle avait pu capter ces pensées, elle parut contribuer dès à présent à la mise en application de ces mesures, répondant à l’affectueux mouvement de son dévoué serviteur en calquant ses gestes sur les siens, les amplifiant même. Surpris de trouver une telle hardiesse chez celle qui était la minute d’avant apparue si farouche, il se prêta néanmoins à un tel examen, pareil à un arbre dont la texture aurait été explorée jusque dans ses moindres sinuosités par les mains graciles d’une dryade.
Là où auparavant, il n’avait pas pu recevoir les attouchements d’Aya sans en ressentir des effets physiques presque violents, il s’avérait désormais pouvoir les apprécier plus posément, ses traits montrant la tranquille résolution de quelqu’un qui assiste à un phénomène d’une immense beauté tout en sachant que la meilleure conduite est de laisser l’effet se faire. Seules ses prunelles brunes affichaient de par la brillance enchantée qui les animait tout l’émerveillement qu’il avait à connaître ainsi la demoiselle par le sens du toucher.

Fusionnels étaient leurs contacts, approfondissant la plaisance suave qui les unissait, et Saïl assistait à l’évolution de ceux-ci tout en en étant le bénéficiaire, pénétré en cet instant d’un bonheur sans nuages. Il n’osait presque pas bouger de peur de décourager les avancées de la jeune femme, celle-ci se familiarisant doucement avec son corps, avec la texture de sa peau qui se hérissait momentanément d’une chair de poule grisée avant de retrouver son aspect normal sous la suavité du toucher qu’elle subissait. On aurait pu dire un animal sauvage dompté sans heurt avec une aisance proprement surnaturelle par la caresse d’une nymphe ; ou encore deux espèces jusqu’ici inconnues l’une à l’autre qui se découvraient.
De fait, ce ne fut pas parce qu’il acceptait docilement l’exercice qu’il resta pour sa part inactif, une de ses grandes paluches se levant pour aller soigneusement se déposer sur le côté du visage féminin en face de lui, sur cette joue encore empreinte d’infimes traces de rondeur juvénile qui ne la rendaient que plus jolie encore. D’une délicatesse presque incongrue, sa main, en écho à celle d’Aya, s’affermit voluptueusement contre ces courbures faciales, le pouce effleurant ces lèvres qui se mirent alors à se mouvoir pour s’exprimer.

Non, il n’était pas gêné, et il ne l’estimait pas trop instable, trouvant au contraire le moment absolument charmant, et elle non moins, appréciant à sa juste valeur la pétulance colorée de son caractère là où quelqu’un d’autre aurait probablement estimé n’avoir affaire qu’à une humeur bassement capricieuse. Lui la cajolant affectueusement et elle se cramponnant éperdument à lui, la tendresse de l’instant semblait à son paroxysme ; et agissant sans vraiment s’en rendre compte, il s’inclina dans sa direction, avançant sa bouche vers la sienne, laissant l’enchantement de la situation se concrétiser par cet acte si prisé des contes de fée…

Ce fut alors qu’il remarqua les regards.

Leur remue-ménage n’était en effet pas passé inaperçu, et à la manière de tout un troupeau de corbeaux, de nombreuses lignes de mire s’étaient braquées sur eux, ces multiples spectateurs les couvant tous les deux d’un air tantôt goguenard, tantôt dépréciateur, mais majoritairement incrédule, voire ébahi. En effet, un tel écart d’âge existait entre eux qui venaient d’ailleurs apparemment de faire tout juste connaissance ; dans quel monde vivait-on pour que de tels égarements fussent possibles de la part d’un adulte qui ne se gênait apparemment pas pour profiter de l’étourderie d’une enfant vulnérable ! Celui-là même parmi les clients qui, du haut de ses trente ans largement révolus, ne se serait guère gêné à la place du jeune homme, ne se privait pas de darder sur la scène un oeil désapprobateur.
Oh, Saïl n’avait guère d’allure féroce que sous sa forme d’homme-loup, mais en cet instant, quand il se dressa soudainement, ses prunelles parurent à ce point lancer des éclairs que beaucoup parmi les indiscrets se rétractèrent aussitôt, faisant tout à coup mine de n’avoir rien vu. Cela n’apaisa toutefois nullement et à juste titre son aigreur, et ce fut donc d’un pas catégoriquement énervé qu’il alla promptement jusqu’à la table qu’il avait précédemment occupée afin d’y laisser précipitamment un billet pour régler les consommations avant de revenir auprès d’Aya qu’il s’en voulait déjà d’avoir ainsi délaissée sans la moindre explication.

Espérant toutefois qu’elle comprendrait les raisons de ses agissements en l’ayant vu réagir comme il l’avait fait, il se pencha légèrement dans sa direction afin d’être à sa hauteur, presque ébahi à ce moment de sentir qu’à son contact, sa colère s’était dissipée pour ne plus laisser place qu’à une triste consternation. En une fraction de seconde à peine, la magie de la situation avait été malmenée, brisée par tous ces regards inquisiteurs, voyeurs, qui s’étaient piqués sur eux à la façon des pointes d’autant de frelons. En si peu de temps, ce lieu qui lui avait jadis paru si positivement agréable lui apparaissait désormais traître, hostile, presque malsain, et il n’avait plus qu’une envie ; en sortir sa protégée.

« Il vaudrait mieux ne pas s’attarder. » Aurait-il pu maugréer si la présence de sa fée n’avait pas transformé ses paroles en un murmure peiné « Il se fait tard. » Ajouta-t-il en une excuse à peine déguisée.

Mais s’il la faisait s’évader de cet antre désagréable, ce ne serait pas seule, jamais de la vie, se proposant avec la même dévotion profonde envers elle de continuer d’observer à son égard les mêmes attentions que jusqu’à présent. Comme pour renouveler et renforcer sa promesse intérieure d’être toujours là pour la réconforter en toute circonstance, il prit à nouveau sa main dans la sienne, refermant révérencieusement ses doigts de telle manière qu’avec son accord, rien ni personne ne pourrait lui faire lâcher prise excepté elle.

« Je vais te raccompagner. Si tu es d’accord, bien sûr. »
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 10 dimanche 05 septembre 2010, 11:42:54

Aya se sentait aveugle, totalement dépossédée de ses prunelles émeraude alors qu’elle effleurait chaque parcelle d’épiderme qui courait sous ses doigts. On dit souvent qu’il faut savoir toucher avec les yeux, mais rien n’est plus réel que le contact d’une paume pour appréhender véritablement l’imperfection de la beauté simple et évidente. La douceur ne se décèle pas seulement dans un regard, mais dans la courbe d’une joue, dans le contact lisse des traits du visage, bien trop souvent tirés chez d’autres personnes que Saïl en ce moment. L’émotion s’exprime tout aussi bien par les yeux que par les délicates tensions autour des lèvres, comme si un sourire se retenait de naître, comme si perpétuellement des mots rassurants s’écoulaient en silence de cette bouche si douce que la jeune femme avait à portée de main. Et, si son inspection pouvait paraitre bien impolie, déplacée ou peut être désagréable pour son compagnon, celui-ci s’empressa de lui rendre la pareille. C’est en cet instant qu’Aya savourait le plus le contact de Saïl, imaginant que la propre pulpe de ses doigts lui offrait les mêmes sensations délicieuses. Une moitié de son visage se vit bercée par cette immense paume qui englobait sans trop de difficultés sa joue et la naissance de son menton.

Temps éternel, sablier qui arrête sa course. D’une extrême lenteur, la scène se déroule tandis qu’Aya est persuadée de la rêver, de la vivre dans un autre univers. Ce n’était plus la réalité qu’elle connaissait, à partir du moment où Saïl passa, avec une sensualité exquise, le premier de ses appendices sur des lèvres qu’elle avait mises en mouvement à regret. D’autant diront que ce geste n’a rien d’exceptionnel et se trouve être parfaitement commun et anodin. Ceux là n’auront sans doute pas eu le plaisir de sentir une caresse à la fois fraiche et brûlante les cueillir par surprise, n’auront jamais ressenti l’attente extrême que ce simple geste faisait naître dans le cœur et le corps d’une femme. Bien ignorants alors, ceux qui prétendront ne pas donner autant de sens à cette approche impérieuse, suspendant le temps pour deux personnes uniquement. Aya gardait les yeux grands ouverts, pour ne pas manquer une seconde du merveilleux spectacle dont elle était, sans le savoir, une des actrices. Son cœur battait tout d’un coup à tout rompre, comme si jamais encore elle n’avait eu le loisir de sentir des lèvres sur les siennes avant même que le baiser ait eu lieu. C’est ce qu’il se passa pendant l’infime moment suspendu durant lequel Saïl se rapprochait inexorablement. Aussi long fut-il alors qu’il ne dura qu’une seconde, cet instant permit à la jeune femme de se préparer à répondre, tendant doucement ses lèvres et laissant la musique de fond de toute bonne situation romantique résonner dans son crâne avec une vivacité jusque là inconnue.

Puis plus rien. En un instant, ses attentes furent réduites à néant, son angoisse se mua en frustration et son impatience en regrets. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il s’était passé, encore trop perdue dans un monde si particulier qu’elle était. Une seconde, elle se demanda même si elle n’avait pas rêvé la main contre ses phalanges, la bouche qui désirait rencontrer la sienne dans une union silencieuse. Mais elle n’avait pas pu, imaginer Saïl n’était pas possible. Il était tel, dans son comportement, à un prince maladroit et hésitant, puis aussitôt ferme et assuré. De tels contresens naissaient entre la première impression qu’on pouvait s’en faire, de son physique un peu bourru et imposant. Le cerveau linéaire et trop simple d’Aya n’avait pu tout seul monter de toutes pièces un personnage aussi riche et affectueux. Ni la désillusion qui venait de lui tomber dessus, comme une douche froide en pleine période hivernale. C’est donc un peu abasourdie qu’elle regarda en silence Saïl se lever brutalement. Un instant, encore, le doute s’empara de la demoiselle bien peu sûre d’elle qu’elle était. Avait-elle fait quelque chose qui lui aurait déplu ? Ou pas fait ? Peut être que, soudainement, son bienfaiteur avait réalisé le fossé qui les séparait, lui si rayonnant et doux, elle dérangée et lunatique. Un instant, oui, Aya sentit son cœur se serrer, bien loin des longues palpitations qui l’agitaient quelques secondes plus tôt.

Que la jeune fille s’en était voulue, après coup, de douter de la constance de Saïl. Celui-ci, en effet, ne s’était redressé aussi brutalement, délaissant la main et l’adolescente toute entière, que pour la défendre du regard des badauds et autres habitués. Quand elle l’eut compris, un pétale de joie vint illuminer son visage, lui rendant d’un coup toute sa sérénité et son bien être. Son corps tout entier criait le manque et le besoin de le voir revenir, mais son cœur en était tout autre, chantant les louanges d’un homme si attentionné et prévenant. Rien que par son geste, il effaça tout à coup les reproches et le jugement, allant même jusqu’à gommer l’existence des envieux et outragés, les laissant seuls dans ce bar. Mais la réalité rattrape trop souvent la fiction, et Aya se rendait bien compte qu’il n’était plus question de continuer ici ce qu’ils avaient à peine commencé. Et, même si ses lèvres dépérissaient rapidement de ne pas avoir reçu l’offrande évidente qui allait leur être faite, Aya se réjouissait de savoir que le jeune homme qui à présent réglait ce qu’elle lui avait fait commander était autant à l’écoute des répercussions et des convenances. Elle, si peu habituée, elle si familière des endroits singuliers pour des démonstrations pas toujours très prudes de son affection. Les hommes, en général, ne prêtaient que peu d’attention à l’environnement de la jeune fille qui les courtisait, et répondaient sans doute bien trop rapidement à des avances qui auraient pu souffrir d’un peu plus de dignité et de patience, comme c’était le cas ici, maintenant.

Si Aya comprenait et approuvait, louait même le comportement de Saïl qui l’avait obligé à s’éloigner, elle soupira d’aise lorsqu’il revint, se penchant vers elle alors qu’elle redressait son visage pour recevoir ses douces paroles, teintées de regrets quant aux réactions des autres. Oui, mais les autres ne peuvent pas comprendre. Il est trop dur de saisir avec finesse l’importance de cet échange, le précieux des regards entre une adolescente et son prince. Il est insurmontable d’imaginer que les sentiments et l’attirance n’ont d’autres barrières que leurs propres limites, sans se soucier de la morale ou du qu’en dira-t-on. Eux, si tristes derrières leur éthique bancale, eux qui passaient peut être à côté de la réelle raison d’être des émotions, eux qui se bandaient les yeux pour résister à une tentation qui pourtant, n’a que meilleur goût lorsque l’on y cède. Elle persistait dans leurs esprits depuis des années, et les rongeaient de l’intérieur alors qu’Aya s’apprêtait à l’accueillir en elle, faisant de cette fascination une sympathique compagne et la résolvant en s’y pliant bien volontiers. Alors, quand Saïl lui dit d’un air contrit qu’il valait mieux disparaitre de ce lieu de jugement et d’incompréhension, Aya hocha la tête avec véhémence, avant de s’arrêter brusquement. La main qui reprenait la sienne ne parvint pas à la faire oublier le sérieux de cette perspective.

La raccompagner, cela voulait dire rentrer en un lieu qui lui était connu. Elle n’avait pour attache que le dortoir du lycée, et elle se demandait comment une telle entreprise allait-elle être possible autrement que dans son rêve. Un homme de l’âge de Saïl pouvait difficilement se faire oublier dans un établissement d’adolescents, et même si elle rêvait de le voir l’escorter, la jeune fille commençait à se demander si sa vision des choses rejoignait une quelconque réalité envisageable. Et puis, le dortoir … Elle avait la chance d’être seule dans sa chambre, ayant fait fuir tous ses camarades de chambre précédents, mais elle ne voyait pas rappeler à son compagnon que son âge était si faible, qu’elle était régie par les règles d’un internat, d’une école, comme une enfant. Sa chambre terne, sans décoration ni fioritures reflétait trop sa simplicité, son manque d'originalité et de caractère. Il s'en apercevrait très vide, la fadeur de son lieu de vie ne faisait que refléter celle de sa propriétaire ... C’est donc avec une pointe d’inquiétude dans la voix qu’elle lui répondit, un brouillard au niveau de la poitrine :

- Ce serait avec plaisir mais … Oh et puis oui, allons y.

L’urgence n’était pas à la réflexion mais à l’action. Et si jamais le problème se posait de nouveau plus avant dans leur expédition, eh bien elle aviserait. Rien ne saurait gâcher son plaisir, né d’une déception tout aussi grande qui avait littéralement disparue depuis le début de la soirée. Puis, décidant que cet endroit était véritablement indigne de recevoir la suite de leurs partages émotionnels, Aya se leva à son tour et, passant un bras sous celui de Saïl, elle l’entraîna à sa suite à travers la longue salle. Longeant les tables occupées par diverses figures, aux regards identiques, la jeune fille se retourna une ou deux fois pour tirer la langue avec amusement à ceux là qui ne comprenait rien, et ne comprendraient sans doute jamais le plaisir qu’il y a à être considérée et entourée d’émotion réconfortante. Aya avait oublié sa jalousie, refusant de la laisser gâcher sa soirée. Si elle était une femme fragile entre d’autres, et bien tant pis. Il lui faudrait s’en accommoder et continuer à sourire, toujours. Peu lui importait en cet instant d’être la seule à être spéciale, tant qu’elle l’était un peu. Injonction bien égoïste dont elle se garda bien de faire part à Saïl, ne voulant pas briser l’image qu’il s’était sans doute fait d’elle.

Avant de quitter les lieux, pourtant, un détail s’imposait. Arrêtant soudain son pas téméraire et impulsif, Aya jeta un regard à la ronde et, se hissant encore une fois jusqu’au visage de Saïl, elle déposa une bise claquante sur sa joue. Pas forcément dans un contexte de tendresse extrême et de reconnaissance, comme la première, cette pulsion signifiait pourtant tout autant, mais dans un autre registre. Elle exprimait la fierté d’Aya d’être ici, avec lui. Un baiser qui la rendait heureuse, un simple petit rien qui manifestait sa joie et le peu d’importance qu’elle portait à toutes les idées reçues. D’un coup, l’adolescente se fichait d’être jugée comme une gamine, comme une mauvaise fille ou comme une inconsciente. Plus rien n’avait d’importance que leur départ immédiat, et le feu de joie qui brûlait avec force dans le regard et entre les côtes d’Aya, qui aurait pu crier son impatience et son émotion si on le lui avait demandé … Il était cependant temps de s’en aller vers un autre horizon, qu’eux seuls partageraient. Voyager, se laisser porter par sa seule envie de le connaitre, de se rapprocher de lui, par l’évidence de leur contact. Plus rien d’autre n’avait de sens ce soir, et dans le monde aucune autre vérité n’avait autant d’impact et de force que sa main dans la sienne.

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 11 dimanche 05 septembre 2010, 20:41:16

Comme une forêt bruissante du murmure d’un millier d’arbres, percée ça et là du regard d’animaux curieux et indiscrets, le groupe des clients du bar, à la dérobée, continuait de les observer, une remarque s’échangeant ça et là de temps à autre sur les deux étranges énergumènes que tous avaient devant les yeux. Les avis, les jugements, les condamnations même, fusaient ça et là tels des envols entiers de papillons aux ailes embourbées de mesquinerie, flottant doucereusement dans l’air pour passer d’une personne à une autre en évitant autant que possible d’effleurer les oreilles du drôle de couple.
Tentative bien vaine, car le propos général de ces messes basses emplissait si bien l’air que Saïl aurait dû être sourd pour ne pas en saisir le sens, mais celui-ci n’en avait cure, rendu invincible à toutes ces piques par le contact de sa dame qui l’emplirait toujours de tout le courage qu’il faudrait pour la garder de toute atteinte. Il n’avait d’autre bouclier que son frontal honnête, mais cela saurait bien être l’écu aux armoiries d’Aya qui ne supporterait pas que l’honneur de cette si estimable demoiselle fût bafoué.

Ce fut pour le jeune homme un ravissement pareil à celui d’apercevoir une trouée lumineuse au sein d’un ciel chargé de nuages lorsqu’il découvrit le visage de l’adolescente arborant une éclatante radiance d’une irrésistible alacrité et d’une conquérante bonne humeur. Lui qui avait craint qu’elle lui en voulût d’avoir interrompu leur moment de douce complicité comme il l’avait fait, le voilà à présent qui était complètement rassuré, un sourire d’une tendresse qui n’avait d’égal que sa dévotion marquant ses lèvres.
Oh, peu lui importait désormais définitivement ce que quiconque pouvait penser d’eux, le simple fait de l’avoir, elle, à ses côtés, effacerait irrévocablement jusqu’à la moindre trace de doute dans son esprit. Même l’idée que cette pensée sans doute puérile avait quelque chose d’irréalistement guimauve ne parvenait pas à en amoindrir la force, et ce fut donc en s’inquiétant mais sans s’alarmer qu’il vit l’objet de son affection perdre de son assurance : quel que pût être l’objet de son incertitude, il trouverait un moyen de le surmonter.

De fait, il y avait de quoi se demander ce qui trottait dans la tête de la brunette et perturbait ainsi son bonheur : avait-elle quelque chose de prévu qui se goupillerait mal avec ce qu’il venait de se porter volontaire pour faire ? Etait-il lui-même allé trop loin en lui proposant de la raccompagner, sans qu’elle se sentît pour autant de refuser ? Partageait-elle son logis avec un colocataire, un ami, de la famille, ce qui embarrassait par conséquent l’entreprise du retour escorté ?
Quoi que cela fût, elle le chassa manifestement bien vite de ses préoccupations, retrouvant en un clin d’œil cet allant presque désinvolte qui le ravissait. Il lui avait semblé voir une fée qui, ayant quitté son lieu d’origine, est parvenue à se trouver un refuge au creux d’un tronc, et craint un instant de repartir à l’aventure en laquelle consiste le chemin du retour avant de mettre de côté ses appréhensions et de rejoindre son protecteur d’un pas bondissant.

Quand leurs bras s’entrelacèrent d’un commun accord, les deux moitiés se retrouvèrent à nouveau soudées l’une à l’autre, et rien ne pourrait désormais les arrêter ou entacher leur félicité d’un quelconque nuage. Ils ne faisaient plus partie de ce rade sombre, turpide et torpide, où l’atmosphère semblait à présent si pénétrée de la souillure de quelque chose de malhonnête, de sournois, de libidineux, qu’ils n’avaient chacun qu’une envie ; le fuir en toute hâte pour ne plus avoir d’autre compagnie qu’eux-mêmes.
Ainsi qu’il l’a été assuré, Saïl n’était pas noble, et n’avait d’ailleurs pas été élevé au sein d’une famille particulièrement classieuse, mais cela n’empêchait que le spectacle de ce couple bras dessus bras dessous avait de quoi susciter plus d’approbation et d’émerveillement que celui d’un homme et d’une femme agrippés l’un à l’autre avec un air cérémonieux pesant. Oh, bien sûr, lui avec son allure quelconque et pataude et elle avec son physique juvénile empesé du gros manteau n’avaient pas la classe qu’un duo d’aristocrates guindés peut avoir, mais qui a besoin de standing lorsqu’il a déjà tout ce qui peut faire son bonheur à ses côtés ?

Ah, qu’il était bon de la voir si irréductiblement taquine à tirer de la sorte la langue à tous ceux qui osaient encore les fustiger du regard, ces maroufles se détournant alors sous la surprise en ayant seulement le réflexe de marmonner quelques déplaisants persiflages. Sa vivacité, son entrain, sa sagacité, tout lui plaisait chez elle, chaque ingrédient qui la composait venant d’ajouter au précédent pour constituer au bout du compte un être parfait délicieusement imparfait à visage féminin. La beauté est dans l’œil de celui qui la voit, et cela n’aurait pas pu être plus vrai qu’en cet instant où Aya avait l’apparence d’une gamine chichiteuse, capricieuse et immature, et où elle s’imprimait pourtant sur la rétine et sur le cœur de Saïl comme la quintessence de tout ce qu’un homme peut désirer chez une femme.
Il aurait pu lui aussi mettre la langue à la pâte et contribuer à faire la nique à tout ce monde, mais se contenta d’admirer le spectacle avec à la bouche un rire amusé si enthousiaste, si enchanté, si impulsif et un peu bêta à la fois, qu’en voyant le grand garçon, on aurait pu le croire sous l’effet des vapeurs de l’alcool. Il n’était cependant enivré par nulle autre chose que par la présence de celle qui le charmait tant, sa main et son bras se resserrant encore un peu plus contre elle pour lui montrer à quel point il l’affectionnait.

Tels une formidable parodie de couple impérial, ils s’acheminèrent joyeusement vers l’arche de triomphe en laquelle consistaient les simples doubles portes, mais avant même qu’ils ne les atteignissent, la demoiselle s’arrêta brutalement. Semblant alors défier la salle toute entière par l’éclat de ses iris d’émeraude, elle se dressa sur la pointe de ses pieds, et avant même qu’il n’eût le réflexe de réagir, fit claquer sur la joue de son serviteur une bise comme un vif coup d’aile.
Les honneurs les plus prestigieux, les cérémonies les plus fastueuses, les titres les plus ronflants pouvaient bien exister, rien au monde ne pouvait être plus gratifiant que d’avoir reçu ce baiser, marque insigne de tendres sentiments à l’épreuve de tout. Il lui appartenait déjà d’âme, mais à présent, elle se l’était aussi approprié de manière physique en apposant sur lui son sceau en lequel consistait l’invisible empreinte de ces lèvres sur la peau de Saïl.

Et puisque elle l’avait adoubé à la pointe de ses lippes, lui pouvait bien lui rendre la pareille, non moins désireux de non seulement lui faire plaisir, mais aussi lui prouver que ce qu’il éprouvait pour elle était absolu, ne dépendrait jamais des circonstances dans lesquelles ils se trouveraient. Cependant, il ne voulait pas bêtement l’imiter, non, il voulait le faire à sa manière, avec sa propre patte, cela bien sûr tout en n’oubliant pas le petit jeu qu’ils partageaient et qui consistait à toujours surprendre l’autre aussi agréablement que possible.
Ainsi, tout d’abord interdit, il se pencha ensuite en direction d’Aya, sa bouche paraissant dans un premier temps avoir la même destination que celle de sa compagne avant que sa trajectoire ne s’altérât sensiblement, se glissant sous le menton de l’adolescente pour aller se nicher sur son cou. Là, délicatement, aussi révérencieusement et délicatement que s’il avait embrassé une idole sainte, il se pressa tout doucement contre cette chair lisse, moelleuse et chaude, s’accordant le loisir d’en savourer parfaitement l’odeur, la texture, le goût, avant de se détacher tout aussi affectueusement, ne laissant pour trace de son passage qu’une zone très légèrement humide.

Sur ce, serrant sa protégée contre lui, il poussa la porte qui était tout ce qui les séparait du cheminement en solitaire qui les mènerait jusqu’à leur destination. Le panneau de bois s’ouvrit sans broncher sur le monde extérieur, celui-ci les accueillant de bien outrecuidante manière en faisant voler dans leurs visages sa chevelure d’air, de vent et de pluie en une soudaine bourrasque qui n’empêcha néanmoins pas Saïl de pousser plus avant, secondé de son inséparable partenaire.
Que d’eau, que d’eau, que d’eau tombait du ciel chagrin pour venir se déposer sur eux en trombes impitoyables, creusant des rigoles dans les moindres replis de leur peau et de leurs vêtements, empesant leurs silhouettes d’un nimbe détrempé, sapant leur chaleur ! Toutefois, calme, résolu et plein de bon sens en cette heure aux dehors de crise, le jeune homme se fit la réflexion que cheminer sans protection adéquate sous cette averse allait se révéler un véritable calvaire, aussi en vint-il rapidement à prendre une décision.

Il n’avait pas voulu le proposer plus tôt de peur d’avoir l’air suspicieux et d’instiller la crainte chez Aya, mais étant donné l’allure des intempéries qu’ils auraient à traverser, l’expédient s’imposait de lui-même, comme si quelque divine force régisseuse de la météorologie avait voulu pousser le bonhomme Ursoë dans la bonne direction, par la contrainte si nécessaire. Le garçon n’étant pas très mobile de nature, il avait choisi un débit de boissons pas trop éloigné de son domicile, et par conséquent, où que se trouvât le logis de sa demoiselle, il pouvait difficilement être plus éloigné que le sien ; et par ce temps où même les escargots se seraient mis à l’abri, la distance à parcourir comptait grandement !
Peu importait ce pour quoi cela allait le faire passer, il n’allait pas passer à côté d’une occasion de prêter assistance à cet amour d’adolescente, pas plus qu’il ne permettrait que ces hallebardes l’affligeassent de froid et de frissons. Ainsi, se tournant vers elle en ne pouvant au passage pas s’empêcher de la trouver encore plus belle avec son visage battu par les courants d’air et la pluie, il haussa un peu la voix pour surpasser les bruits environnants, annonçant :

« J’habite tout près. Si tu veux, tu peux passer la nuit chez moi, ça… »

Ça… ça serait pratique ? Ça éviterait que tu tombes malade ? Ça ne me dérangerait pas ?
Non, non et non, ils n’avaient pas passé les minutes précédentes à s’apprécier mutuellement toujours plus pour en revenir désormais à des platitudes ne relevant que d’une courtoisie de bien élevé ! Autant dans les premiers moments où ils s’étaient découverts, il aurait été disgracieux qu’il fût aussi cavalier, autant il mériterait maintenant des gifles s’il n’exprimait pas le fond de sa pensée avec une honnête clarté. Ses sentiments pour elle étaient sincères, purs et nobles, alors pourquoi aurait-il pu avoir une quelconque raison de les celer, de les déguiser sous l’apparence d’une simple amabilité ?
Ce fut en cet instant, sous les trombes d’eau, qu’il décida une bonne fois pour toutes d’être franc avec elle, de ne plus craindre de lui avouer ce qu’il ressentait pour elle sous prétexte de convenances, d’incertitude ou de timidité. Aussi preux et hardi qu’un chevalier, il la regarda donc droit dans les yeux, les siens dévoilant à sa pleine force toute la tendresse qu’il avait pour elle ; et il acheva :

« … ça ferait tout mon bonheur. »
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 12 lundi 06 septembre 2010, 17:37:52

Si Aya n’attendait pas particulièrement de réponse à son geste totalement inconsidéré et spontané, pour prouver aux clients présents dans ce bar qu’ils se fourvoyaient tous autant qu’ils étaient, elle fut surprise d’en recevoir une ! Surprise, mais bien évidemment ravie. D’autant plus que Saïl avait des manières moins puériles, et beaucoup plus sensuelles de lui prouver son affection. Quand elle sentit ses lèvres arriver, elle dut se retenir pour ne pas les intercepter en plein vol, et les laissa non sans étonnement glisser plus bas, toujours plus bas. Manquant de peu sa gorge, le compagnon d’un soir de l’adolescente s’empara de la naissance de son cou, avec autant de douceur et de précaution dont il était capable, autant dire une dose infinie. Aya eut la sensation de se faire cueillir par une plume tant le contact fut léger, et pourtant une marque définitive semblait s’être apposée sur sa peau lorsqu’il la quitta. Maitrisant ses ardeurs, de peur de paraitre un peu trop sujette aux rougissements, la jeune femme réussit à faire bonne figure suite à cette caresse qui avait fait chavirer encore un peu plus son cœur.

Et pourtant, qu’il lui était difficile de se contenir de l’embrasser là, maintenant, tout de suite, afin d’exprimer toute la gratitude et l’affection qu’elle éprouvait. C’eut été comme demander à un homme d’arrêter de penser, comme supplier une mésange de stopper son vol ou comme exprimer l’hypothèse que Saïl ne soit pas un prince des temps modernes. Tout bonnement inimaginable et farfelu, sans la moindre base sur laquelle se reposer pour y croire. Douce torture qu’était cette bouche contre son épiderme, ce dernier se battant entre la chaleur du baiser et le frisson du plaisir, sans que l’un des deux ne gagne véritablement. Entre la chair de poule de ses bras et le rouge de ses joues, Aya ne pouvait manifestement plus faire confiance à son corps et à ses réactions, qui devenaient aussi aléatoires et soumises aux actes de son compagnon que ses pensées. Quand votre esprit vous échappe pour vagabonder vers de plus belles contrées et que votre enveloppe charnelle décide de se détraquer en un rien de temps, il n’est évidemment pas facile de se fier à quoi que ce soit. C’est sans doute ce qui justifiera l’attitude inconsciente de la jeune femme, dont il ne faudra pas lui tenir rigueur.

Sur ces entrefaites, Saïl et sa dame se dirigèrent fièrement vers la sortie, et Aya fut rassurée d’avoir été bien inspirée en acceptant le manteau de cet inconnu qui n’en était plus un, tant le vent la cueillit avec force et l’aurait pu faire s’envoler si ce poids sur son dos ne la clouait pas au sol. Toutefois, en sentant la morsure de ce souffle glacé, la jeune fille regretta d’avoir ainsi dépossédé Saïl de toute protection, et se disait qu’il valait peut être mieux qu’il ne la raccompagne pas, au risque d’attraper froid à sa place. Elle n’était pas égoïste au point d’ignorer les risques qu’il prenait en se tenant là, sous le déluge d’un ciel colérique et orageux, alors qu’elle-même restait à l’abri de son vêtement. Toutefois, les deux jeunes gens ne s’étaient pas encore aventurés au cœur de la tempête, et la protection sommaire de l’établissement qui se trouvait à présent dans leur dos les empêchait pour l’instant de recevoir trop d’averses diluviennes sur le crâne. Ce n’est pas pour autant que le visage d’Aya ne se retrouva pas trempé très rapidement, ses cheveux épousant les courbes de son menton pour venir déposer une lourde moiteur humide sur son cou qui gardait encore sur lui la marque de Saïl.

Bien penaude, ainsi représentée sous l’averse, Aya devait avoir l’air plus misérable que jamais, et pourtant elle rayonnait encore, s’abreuvant de la présence de Saïl, envisageant à peine un départ dont elle ne voulait pas être la spectatrice. Levant son regard vers lui, elle cherchait quelque chose à dire pour le retenir, pour le conserver près d’elle comme une reine garderait son bien le plus précieux. Mais rien ne lui venait, et elle se contentait d’admirer ce visage battu par les sautes d’humeurs de la météo. Le tableau à la fois ridicule et romantique se dressait entre eux, alors que le silence s’installait, menaçant de se briser à tout instant. Si seulement elle prenait le courage de lui proposer de l’accompagner, si seulement elle trouvait les mots pour ne pas le voir partir … Mais ce fut, une fois de plus, Saïl qui la sauva d’un bien mauvais pas. Haussant le ton pour surplomber le tambourinement de la pluie et les mugissements du vent, il lui proposa de venir chez lui. A ces mots, son cœur explosa dans sa poitrine, dans un mélange de peur, d’angoisse et d’immense plaisir. Mais c’est à sa seconde phrase qu’elle se sentit la femme la plus heureuse du monde, au moment où il ancra son regard dans le sien et lui avoua sans détours ni hésitation, sans rougissement ou gêne que, si elle acceptait, il en serait très heureux.

Là, définitivement, les petits oiseaux et les angelots pouvaient parfaitement débarquer sans susciter un seul instant la surprise d’Aya. En quelques secondes à peine, elle eut l’impression d’avoir rêvé, de prendre ses désirs pour des réalités, de croire au père Noël et pourquoi pas d’avoir prononcé elle-même ces mots. Si bien que l’adolescente faillit lui demander de répéter, ce qui aurait été fort impoli, d’abord, et qui aurait brisé complètement la magie de l’instant. Ainsi donc, elle resta immobile, pour seule preuve de sa vivacité un raffermissement de sa prise autour du bras de Saïl. Quelques minutes peut-être s’écoulèrent, avant que son air interdit et stupéfait ne se transforme en quelque chose de bien plus complexe, mais éloquent. Et, même si elle était complètement folle d’accepter une proposition aussi inconsidérée de la part de quelqu’un qu’elle connaissait depuis si peu de temps, bien qu’Aya ait l’impression de toujours avoir été à ses côtés, elle ne put s’empêcher d’acquiescer en hochant la tête. Et de répondre, avec chaleur et émotion :

- Et très certainement le mien aussi, Saïl.

Son nom s’échappa des lèvres de la jeune fille, qui ne put le retenir. Elle ne cacha pas non plus toute la tendresse qu’elle y mettait, les espoirs qui s’y trouvaient et l’impatience qui l’habitait en cet instant. Et d’un coup, le jeu innocent de leurs preuves d’affection prit un tout autre sens. Il n’avait existé que pour les mener à ce moment précis de leurs échanges. Au lieu d’en saisir l’occasion dans un endroit confortable mais à l’air vicié de commentaires houleux, Aya préféra ce cadre bien plus glacial, et pourtant en totale adéquation avec son geste. Avec un sérieux qu’elle n’avait que rarement affiché aussi sereinement durant la soirée, Aya dégagea une mèche humide du visage de Saïl, la passant derrière une de ses oreilles. Puis elle laissa sa main dans son cou, caressant tendrement cette peau ruisselante, la couvrant d’attention. Sa deuxième paume vint se loger un peu plus haut, pour enserrer la joue de son compagnon, deux de ses doigts se perdant dans sa chevelure sombre. Et, en gardant cette sérénité imbibée de pluie, la jeune fille eut le premier geste véritablement conscient de la soirée. La première bise était un merci, la seconde un pied de nez. Mais là, ce n’était plus seulement ça. Aya fit mine d’honorer le dicton « jamais deux sans trois », mais elle s’orienta d’avantage vers les deux minces filets de chair vermeille qui l’attendaient. Y posant les siennes, elle créa l’espace d’une fraction de seconde une explosion de satisfaction en son cœur.

Oui, elle l’embrassait. Doucement, très doucement d’abord. A peine le toucher d’une brise de mai, puis un gentil mistral du sud, pour finir sur un baiser qui n’avait pas grand-chose à envier au vent qui dérangeait ses cheveux. Toutefois, elle se contenta d’unir ses lèvres à celles de Saïl, sans en franchir la barrière encore mystérieuse, décidant de garder un peu de surprise et de plaisir pour plus tard. Et après de longues secondes, c’est avec autant de dignité et d’assurance qu’elle s’écarta pour s’exprimer sans bafouiller ni rougir, avec la même prestance que Saïl quelques instants plus tôt.

- Je te suis.

Et sur ces simples trois mots, elle lui empoigna le bras et se jeta avec lui dans la tourmente, splendide union de la terre et du ciel dans un ballet de vent, de pluie et de feuilles mortes virevoltant dans cette froide nuit d’automne. Il fallait se dépêcher, puisque Saïl n’avait plus son manteau et qu’Aya n’avait plus beaucoup de patience en réserve. Et puis, à quoi bon faire attendre une telle situation, quel intérêt aurait-il à faire languir nos deux jeunes gens ? Jeunes gens qui prirent le parti de la rapidité sous l’ouragan naissant, avec comme beau souvenir une étreinte aussi fugace que délicieuse.

Saïl Ursoë

Créature

Re : May be. [Reservé]

Réponse 13 lundi 06 septembre 2010, 20:20:03

Saïl aurait-il pu regretter de s’être exprimé comme il l’avait fait, laissant son cœur à nu devant sa dame ? Non, car il n’avait fait en cela que laisser couler les sentiments qui n’avaient cessé de croître en lui depuis le début de cette soirée, parlant avec une sincérité que cet honnête homme n’aurait jamais reniée. Aurait-il pu craindre qu’Aya lui opposât un refus, voire qu’elle abandonnât toute confiance à son égard pour se réfugier dans une méfiance à lui fendre l’âme mais qui aurait hélas été bien compréhensible ? Non plus, car de la même manière qu’il était certain de l’avoir en affection plus que quiconque d’autre au monde, quelque chose en lui, comme une conscience intuitive née de la communion qui les unissait, lui soufflait avec une irréfutable certitude qu’elle était animée à son égard d’affects semblables.
Et pourtant, si fragiles sont les émotions, si impénétrables sont les voies du cœur que le garçon ne pouvait au fond de lui être sûr de rien, et n’attendait par conséquent pas la réponse de l’adolescente sans crainte. C’était comme si, pour concrétiser ce qu’ils ressentaient l’un envers l’autre, il ne leur restait plus chacun que quelques mots à prononcer, qu’un petit vide à franchir d’un bond ; mais si vertigineux était cet espace à traverser que si elle s’était détournée de lui, le coup l’aurait mis à terre, l’aurait projeté dans les abysses.

Mais tout cela disparut en éclats merveilleux lorsque sa nymphe adorée sauta à sa suite, lorsqu’elle lui accorda sa bénédiction en opinant simplement du chef, lorsqu’à cet acquiescement, elle ajouta un agrément verbal, prononçant en fin de phrase son nom d’une telle manière qu’il lui parut entendre résonner dans ses oreilles les trompettes de la félicité. Un sourire de bonheur certainement parfaitement idiot s’était collé sur la trombine de Saïl, mais cela ne sembla pas déranger sa compagne qui, sans cérémonies, avec une tendresse empreinte d’une sorte de gravité qui le subjugua, tendit la main vers lui.
Se laissant faire avec toute la docilité d’une personne irrémédiablement conquise, il savoura la douceur du contact de ses doigts lorsqu’elle repoussa une de ses mèches rebelles pour ensuite lui flatter la nuque, répandant en lui d’exquis petits frissons d’exaltation. Quand l’autre côté de son visage se retrouva à son tour emprisonné, il sut ce qui allait se passer, et son esprit se figea un instant, paraissant s’emplir de toutes sortes de sons et de couleurs sans queue ni tête alors qu’Aya se rapprochait de lui.

Oh, les fées qui font des mortels leurs esclaves par amour ne devaient pas procéder autrement qu’elle qui agit de la plus glorieusement captivante des façons, s’avançant vers lui avec toute l’émouvante prestance d’une princesse en triomphe. La recueillant à ses côtés avec toute son affection, il posa ses grandes mains câlines contre ses hanches, épousant la courbure de son délicat bassin comme pour l’accueillir d’autant mieux et empêcher quoi que ce fût d’interrompre cet enchantement.
Un moment, avant que leurs lèvres ne se touchassent, le temps eut l’air de se figer, interrompant sa course à la manière d’une bulle pour permettre d’autant mieux capturer ce spectacle. Pour quiconque les aurait vus, il n’y aurait eu là qu’un drôle de couple s’embrassant sous la pluie, mais pour qui aurait sondé leurs pensées, il y aurait vu un fabuleux vide ; un vide que chacun s’apprêtait à remplir chez l’autre en une merveilleuse consécration.
La bulle éclata, répandant un typhon contenu dans leurs corps tandis que le baiser se concrétisait, les deux bouches ne faisant momentanément plus qu’une pour quelques secondes de fantastique symbiose. Sans bruit, sans précipitation, sans heurt, Saïl laissa circuler le torrent de liesse qui coulait en lui, émanant d’elle pour se déverser à l’intérieur de son être, le gorgeant de sa présence, arrimant une implicite promesse d’union.

Etonnamment, ce fut empli d’une tranquille joie et non d’une déstabilisante excitation qu’il la vit se séparer de lui, ses yeux aux teintes forestières plus captivants que jamais alors qu’elle annonçait leur départ qu’il accepta d’un hochement de tête. A peine un infime instant pour serrer les dents, et les voilà en duo lancés contre les éléments hostiles, amarrés l’un à l’autre tels deux navires au sein d’un grain impitoyable, se donnant mutuellement la force de surpasser la fureur des éléments en attendant d’arriver à bon port.
Dès la première minute de course, le jeune homme eut ses vêtements complètement imbibés d’eau, et la seconde n’était pas encore achevée qu’il était trempé jusqu’à la moëlle. Pourtant, il n’en avait cure tant la compagnie d’Aya était tout ce qu’il lui fallait pour renouveler sans cesse ses énergies et ne pas faiblir sous les coups du battoir de vent et de pluie, lui-même tirant satisfaction et soulagement de savoir qu’elle était de son côté en partie protégée par le manteau dont il lui avait fait don.

Gardant toutefois leur objectif à l’esprit, il prenait garde de ne pas laisser cette fois-ci son attention être absorbée par sa partenaire, conservant le port altier et le regard éveillé pour discerner la bonne route à suivre, aussi coriacement alerte qu’un capitaine à la proue de son bateau. Il ne se serait pour autant pas permis de délaisser sa protégée n’eusse été qu’une fraction de seconde, et gardait donc son bras étroitement noué au sien, garantie qu’il ne l’abandonnerait pas plus maintenant que dans les temps à venir.
Lorsqu’ils parvinrent à leur destination au terme d’une course de dératé, Saïl s’empressa d’entrer les quatre chiffres régulant les allées et venues de l’immeuble devant lequel ils se trouvaient, déclenchant un bourdonnement mécanique confirmant le déverrouillage de la porte qu’il s’empressa de pousser, les faisant ainsi pénétrer dans un hall sobrement éclairé de quelques lampes paresseuses. Rependant derrière eux une traînée des gouttelettes dont ils ruisselaient, il conduisit l’adolescente toujours accrochée à lui jusqu’à un ascenseur dans lequel il pénétra, pressant ensuite le chiffre quatre pour les mener tous les deux aux étages supérieurs dans un vrombissement continu.

Ce moment de pause laissa à la tension de la cavalcade le loisir de retomber, celle-ci se retrouvant cependant aussitôt remplacée par une autre, moins éprouvante physiquement mais autrement plus taraudante. En effet, si jusqu’ici, tout s’était déroulé à la manière d’un enchantement régulé par le papier à musique de quelque indicible destin qui les avait unis, il allait désormais l’accueillir chez lui, et même s’il n’aurait pas bougé d’un pouce de cette résolution, il n’était pas sûr de savoir comment il devait se comporter. C’est que, comme on pouvait s’en douter, il n’avait jamais invité de fille à son appartement ; mais en fait, il n’y avait carrément reçu personne, y vivant dans la tranquillité de sa solitude qu’il s’apprêtait à présent à rompre sans regret.
Se tourmentant l’esprit pour décider de la conduite qu’il allait aborder, il acheva toutefois rapidement de se torturer en vain, se faisant la réflexion qu’il n’y avait pas de raison pour qu’il n’agît pas de la même façon que jusqu’à maintenant : spontanément, sincèrement, honnêtement. Ainsi, il laissa de côté ses incertitudes, appréciant simplement la présence humide d’Aya dont il délaissa le bras pour passer le sien autour de sa taille, l’attirant affectueusement contre lui pour dégager une mèche de son front et y déposer un tendre baiser alors que dans un bip sonore, leur moyen de transport s’immobilisait pour s’ouvrir.

Débouchant de la sorte dans un couloir qui les accueillit par l’allumage de ses lumières, Saïl alla jusqu’à une porte devant laquelle il farfouilla un moment dans une de ses poches détrempées pour en sortir un trousseau de clefs dont il inséra un exemplaire dans la serrure. Puis, activant la clanche, il dégagea d’une poussée la frontière qui les séparait tous deux de son humble demeure.

Si sur Terra, la maison de Saïl consistait en une grotte, il n’y aurait pas tant que ça eu maldonne à qualifier celle de Seikusu de la même manière, tant ce logis dégageait une sensation de confort, de douce intimité de cocon fort appréciable pour qui ne craignait pas trop l’exiguïté. En effet, à peine rentré, l’on pouvait d’un coup d’œil embrasser la totalité de la pièce principale d’une vingtaine de mètres carrés qui remplissait à la fois la fonction de salle à manger, de bureau et de chambre à coucher. Renforçant encore la similitude avec une tanière, il régnait ici une agréable chaleur acquise par chauffage ; et même s’il aurait été objectivement mesquin et injustifié de dire que ça sentait le fauve, il était indéniable que l’odeur du propriétaire imprégnait l’ensemble de l’endroit

Directement dans le coin gauche en arrivant, l’on pouvait discerner un assez imposant bureau en bon bois brut sur lequel trônait un ordinateur quelque peu vétuste, avec en face une chaise toute simple. Discerner, car en l’occurrence, la surface de la table était dans sa quasi-entièreté jonchée de feuilles couvertes d’écritures et de schémas brouillons. C’étaient là les derniers travaux en date de l’habitant des lieux qui, si rigoureusement soigneux qu’il fût dans plus d’une matière, ne se donnait hélas guère la peine de l’être en plein travail, couchant ses idées selon un ordre que lui seul pouvait s’avérer capable de discerner. Petit détail : avoisinant tout cela et donnant un peu de couleur à la demeure avait été accrochée une affiche représentant un paysage qu’un œil connaisseur pouvait reconnaître comme étant celui des terres d’Irlande, consistant en de vastes étendues naturelles mêlant principalement rocs, herbes et arbres.
A un mètre à peine en face de cette installation trônait un fauteuil aux teintes de safran fatigué, d’allure confortable, lequel allait manifestement de pair avec une bibliothèque qui était le meuble à la plus grande stature, garni de livres de toutes sortes rangés cette fois-ci selon une rigueur proprement scientifique. Enfin, rompant la monotonie blanche du mur à côté du siège rembourré, une grande porte-fenêtre occupant quasiment toute la hauteur de la paroi se découpait, laissant voir une petite terrasse en ce moment battue inlassablement par la pluie qui tombait toujours. Crépitant sur la surface bitumeuse en une sorte de grésillement interminable, les gouttes laissaient à l’unisson entendre leur monocorde mélodie tambourineuse, emplissant l’appartement de leur apaisante rumeur.

Continuant dans le sens des aiguilles d’une montre, directement en face de l’entrée, une ouverture menait sur ce que l’on devinait être une cuisine d’après les tons écrus du carrelage ainsi que la présence d’un placard surmonté d’un évier. C’était là tout ce qu’un nouvel arrivant discernait de ce local, mais -seul autre bruit avec celui des intempéries extérieures- on pouvait aussi ouïr le sourd et léger grondement d’un réfrigérateur qui ronronnait doucement.
Ensuite, au fond à droite de la pièce centrale, on pouvait sans problème identifier un lit de bonne taille, aux draps faits avec soin, contrairement à ce qui aurait pu être attendu d’un célibataire tel que Saïl. A la tête de cela, il y avait une porte fermée conduisant à la salle de bains, endroit qui pourra être résumé facilement par la présence de toilettes, d’une douche et d’un lavabo, sans compter un meuble blanc où était entreposé tout ce qu’il fallait d’affaires d’hygiène.
Pour finir par ce que l’on distinguait pile à droite de soi à partir du perron, une solide armoire qui remplissait tout ce coin à elle seule servait de garde-robe au jeune homme, renfermant donc tout ce qu’il pouvait compter comme effets vestimentaires. Telle était la description que l’on pouvait dresser de ce lieu dans lequel le couple pénétra, parsemant de flaques miniatures la moquette sous leurs pieds.

Se séparant alors d’Aya pour refermer derrière eux, il ne sut pas trop que dire ou que faire, annonçant pour l’heure d’un ton un chouïa gêné mais non moins tendre :

« Bienvenue chez moi. »
Puis, désireux de se montrer un hôte digne de ce nom mais surtout de la satisfaire et de faire son bonheur autant que possible, il ajouta avec une chaleureuse attention. « Tu voudrais quelque chose ? »
Dites, en me voyant, que voyez-vous ?                             En vérité, je suis partagé
Est-ce un monstre, un cauchemar, un loup fou ?                  Entre Khral, ce fougueux loup emporté
Est-ce un fort centaure qui brame et mord ?                       Et Saïl ce timide humain gêné,
Est-ce une bête de poils au coeur d'or ?                            Mais ça, jamais mal intentionné !
Est-ce Elephant Man qui crie, mis à mal :                          Certes, je grogne, je bondis je rue,
« Non, je ne suis pas un animal ! » ?                               Mais jamais je ne griffe ni ne tue.
                                                                               Aussi, approchez donc, n'ayez pas peur.
                                                                               C'est promis, je vous recevrai sans heurt.



Aya Murakami

Humain(e)

Re : May be. [Reservé]

Réponse 14 mardi 07 septembre 2010, 13:47:03

Le baiser était déjà loin, alors qu’Aya activait aussi vite que possible ses jambes qui battaient le bitume des rues qu’ils traversaient. Pourtant, si tout son être se glaçait sous l’impact de la pluie battante, un seul endroit restait protégé, comme un sanctuaire inviolable et sacré. Là où Saïl avait posé ses paumes, là où il l’avait enserrée pour répondre à ses attentes, là où elle avait senti toute la concentration de son affection. Ses hanches brûlaient donc d’une impatience difficilement dissimulée, alors que le reste de son corps tremblait, malgré la maigre protection du manteau de son compagnon. Il était impressionnant de voir qu’en aussi peu de temps qu’il n’en faut pour le penser, elle était complètement trempée. En quelques secondes, son pantalon avait absorbé goulument toute l’eau mise à sa disposition, comme s’il n’avait jamais été en contact avec cette étrange substance purificatrice. Pendant ce temps, ses épaules chauffaient du contact froid du manteau, par un bien étrange phénomène du à sa course effrénée en compagnie de Saïl. En temps normal, elle se serait promenée tranquillement, pour apprécier la douce enveloppe que formait la pluie autour d’elle, annihilant ses sens, elle qui adorait le mauvais temps. Plus rien n’existait alors au-delà de ce rideau liquide, qui assombrissait son champ de vision mais aussi l’activité de ses autres sensations.

Seule la main de Saïl dans la sienne réveillait en elle quelque chose de vivant, puisque le temps l’achevait peu à peu, en l’effaçant presque par la force des trombes d’eau qui la clouaient au sol sans autre sommation. Ses muscles se contractaient pour lutter contre ce refroidissement soudain, précaution bien inutile puisque les os d’Aya eux-mêmes protestaient avec véhémence contre ces agressions extérieures. Elle sentait au fur et à mesure de leur progression ses articulations se plaindre du traitement ainsi infligé, son vêtement le plus protégé n’ayant reçu que quelques minutes de répit tant il était trempé maintenant. L’adolescente se voyait en cet instant comme une serpillère géante que l’on pourrait tordre pour résoudre les problèmes de sécheresse de bien des pays … Sans savoir que cette pluie lui donnait un air vulnérable et conquérant particulièrement touchant. Bien sûr, personne n’était là pour le remarquer puisque Saïl se concentrait sur leur route afin de limiter tout risques d’attraper froid, même si cela semblait bien vain … Cependant, les cheveux plaqués contre le crâne, des mèches folles se liant aux relents de son discret maquillage qui coulait un peu sur les côtés de ses yeux et aux gouttes de transpiration nées de cette folle escapade vers la chaleur d’un abri formaient un tout véritablement attirant pour quiconque sait regarder.

Plus d’une fois, Aya faillit engendrer une rencontre précoce avec le sol, mais Saïl la retint à chaque fois, l’empêchant de chuter lamentablement dans une flaque d’eau. C’était sans doute de la faute de ses chaussures en toile, incapables qu’elles étaient à présent de faire la différence entre une flaque et le sol, tant ses pieds étaient gelés. Elle devait alors courir tout en remuant les extrémités de ses membres, pour ne pas risquer de ne plus les sentir, et de les voir abandonner leurs fonctions de façon momentanée. Au bout de quelques minutes de cette affolante fuite vers la chaleur d’une promesse, la jeune femme eut, comme bien d’autres avant elle, l’impression extrêmement désagréable de sentir des milliers d’aiguilles se ficher dans son corps menu, et certainement pas préparé à cela. Certains connaissent ainsi les migraines, d’autre l’extrême inconfort d’une nuit d’hiver trop froide. Ici, la pluie, en plus de la glacer jusqu’au plus profond d’elle-même, imitait avec perfection la force et la précision de ces aiguilles précédemment citées. Un véritable calvaire, donc, dont elle ne tenait pourtant pas compte grâce à la présence rassurante de Saïl à ses côtés. Décidemment, il suffit parfois d’un rien pour changer complètement d’état d’esprit et de dispositions. Seule, elle aurait apprécié l’averse mais se serait très certainement retrouvée à broyer du noir toute la soirée. Accompagnée, elle haïssait ce temps qui l’obligeait à se hâter avec trop de précipitation vers son but, sans profiter de chaque seconde, et pourtant elle était la femme la plus heureuse qui puisse être à cette heure avancée de la soirée. Tout cela bien qu’Aya n’ait strictement plus aucune notion du temps …

Et c’est tout d’un coup, sans réellement prévenir, que la jeune fille dut stopper un élan qui s’était accru au fur et à mesure, au risque de piquer du nez contre la porte d’un immeuble somme toute assez banal, alors qu’elle s’attendait à voir bien plus que cela, dans son esprit débordant d’imagination incongrue. Rapidement, ils passèrent le premier obstacle et se retrouvèrent enfin au sec. Mais l’agression de la météo contrastait auparavant suffisamment bien avec leurs efforts pour lui échapper, et maintenant que leurs jambes avaient cessé leur cavalcade enflammée, seuls les frissons restaient, sans plus ce contraste qui les avait encore protégés de la température. Heureusement, l’ascendeur se profila bien vite et fut pour Aya synonyme de satisfaction, surtout quand elle put retrouver un peu de chaleur perdue dans l’étreinte fugace du jeune homme, qui la fit venir à lui pour embrasser délicatement le haut de son crâne. Elle eut pour occasion de poser ses mains contre le torse de Saïl et se blottir dans cette rapide consolation, et toute aussi prompte promesse. Ce simple contact, toutefois, réussit à la réchauffer un instant, bien vite suivi par un rendement moins agréable mais tout aussi efficace : le chauffage fort apprécié qui tournait dans l’appartement dont elle venait de franchir la porte, lorsque Saïl eut finit de lui monter le chemin.

Une étincelle curieuse se logea dans le regard boisé d’Aya, qui se demanda avant tout si beaucoup de gens avaient eu ce privilège. Mais, ne voulant encore une fois pas piétiner sa bonne humeur ni inquiéter Saïl avec ses questions inutiles et futiles, la jeune fille écarta bien vite cette première interrogation. Ses yeux se promenèrent instantanément dans la pièce, si bien qu’elle en oublia un instant le propriétaire des lieux. Un cadre sobre mais accueillant, une douce chaleur qui ramena immédiatement son corps à une température acceptable, et une décoration épurée. Que de bons aspectes dans cette pièce principale, spacieuse malgré tout, et sans cette marque masculine de négligence et de désordre. Seule la table à travailler était, et cela faisait écho au bureau de sa propre chambre de lycéenne, remplie de papiers disposés dans un ordre qui, s’il relevait d’une certaine logique, ne l’était que pour le maître des lieux. Le reste de la pièce à vivre était celle d’un célibataire plutôt soigneux, avec un fauteuil qui paraissait divinement accueillant, un lit étonnamment bordé et lustré, une armoire et une bibliothèque. Rien de trop peu, rien de trop. La luminosité aurait cependant pu être plus impressionnante que par cette soirée pluvieuse, mais l’on devinait une vue agréable et un réveil accompagné sans aucun doute des rayons du soleil matinal, à travers les grandes vitres translucides. Celles-ci s’ouvraient pour l’heure sur un spectacle impressionnant, reflet exact de la tourmente qui avait cueilli nos deux compères à la sortie du bar.

Musique mélodieuse que le son de la pluie, lorsqu’il ne tambourine pas inlassablement sur vos tempes et à vos oreilles. Là, dans ce décor chaleureux et affable, Aya se délectait de la perfection du tableau. Et, tandis que Saïl refermait la porte sur elle, empêchant ainsi sa raison d’entrer à sa suite pour lui rappeler que cette situation n’avait rien de normal, et encore moins de raisonnable, elle savoura ce simple moment suspendu. Grelottante malgré la température de la pièce, Aya sentait ses vêtements coller sur sa peau nue, formant une coque oppressante et désagréable. Tout en ôtant la veste lourdée de pluie de son hôte, la jeune fille l’écouta avec attention lui souhaiter la bienvenue avec dans la voix une petite pointe d’anxiété, ce à quoi Aya voulait associer le manque d’habitude pour lui de recevoir une femme en ces murs. Se retournant pour déposer le manteau sur l’accroche prévue à cet effet au dos de la porte d’entrée, elle entendit la proposition de Saïl et eut un sourire avant d’exécuter un second demi-tour pour se trouver face à lui et de lui répondre d’un ton sérieux ce qu’elle aurait pu teinter d’ironie et de malice si elle était encore au bar :

- Pour l’instant, j’ai surtout besoin de me réchauffer.

Elle dit cela d’un air posé et détendu, alors que sa peau se hérissait sur ses bras et dans son cou, que ses jambes tremblotaient légèrement et que ses dents s’entrechoquaient par moment. Baissant les yeux, elle lança comme un regard d’accusation à son t-shirt émeraude qui, loin de donner l’effet aérien auquel la jeune fille était habituée, collait son buste exagérément. Aya se sentait tout d’un coup fort indécente, avec cette tenue totalement modifiée par la pluie. Pourtant, elle ne détourna pas les yeux de ceux de Saïl, ne rougit pas ni ne chercha à remettre le manteau pour rester là, avec toute la dignité dont elle était capable malgré les gouttes qui s’enfonçaient dans la moquette à ses pieds, vestiges de l’état d’humidité de son pantalon. Elle ne voyait pas trop quoi ajouter à cela, il n’y avait d’ailleurs sans doute rien à dire. Tout comme il n’existait pas de multiples façons de se réchauffer, si ce n’était en se débarrassant de tout ce qui pouvait l’encombrer. Lentement donc, elle se pencha pour défaire ses lacets et libérer ses pieds menus, qu’elle enfonça après coup dans la moquette moelleuse de l’entrée. Le reste ne dépendait pas uniquement d’elle. Puis, sans pour autant gravir les quelques centimètres qui la séparait de Saïl, elle lui tendit la main avec une question muette sur les lèvres, en profitant pour observer à son tour ce corps qui lui était si cher, également torturé par la dure loi de la pluie, ses vêtements aussi trempés que les siens. Il fallait bien faire quelque chose pour éviter la fièvre et autres complications …

Au diable la politesse des débuts ou la douceur d'une petite fille.


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