-Dieux! C'est d'un mauvais goût, s'exclama une voix haut perchée qui fit grincer les dents de Dolan.
L'avocat jeta un coup d'œil tout à fait neutre à la femme qui était assise à côté de lui. Madame Kadokawa, épouse du très respecté maire de Kyoto, Daisaku Kadokawa, était une des femmes les plus désagréable qui lui a été donné de rencontrer. En effet, la jeune fille qui chantait et jouait du piano sur la scène du salon de l'hôtel Brighton se débrouillait très bien et l'intervention déplacée de cette poule mondaine ne servait qu'à attirer l'attention sur elle. Le maire, quand à lui, ne releva même pas la remarque de sa femme et continua son monologue à propos de son image médiatique. Il semblait ravi de discuter de cela avec Dolan. En effet question popularité, l'avocat en connaissait un rayon puisque les médias le détestaient cordialement. Cependant, le flot de parole qui se déversait de la bouche du maire commençait à devenir de moins en moins clair à mesure que la concentration de Dolan déclinait. Au bout d'un moment, il ne prit même plus la peine de l'écouter et se concentra sur la voix qui s'élevait de la scène.
Il y avait quelque chose d'envoutant dans le timbre de cette voix. Quelque chose qui plongeait nos sensations dans un linceul de silence. La voix du maire n'était plus qu'un bourdonnement lointain et inoffensif. William n'avait plus conscience de ce qui l'entourait, ni de la raison qui l'avait poussé à venir. C'était réconfortant en soi. Ne pas avoir de but est une délivrance. Les yeux perdus dans le vague, l'avocat écoutait la voix qui berçait ses oreilles sans essayer d'en comprendre le sens. C'était un peu comme un rêve, mais un jour il faut se réveiller.
-Vous m'écoutez maitre Dolan? Demanda Daisaku à demi inquiet par l'absence de réaction de son interlocuteur.
William daigna enfin lui accorder un regard et se repositionna dans sa chaise pour prendre le temps d'émerger de sa léthargie.
-Vous me parliez de votre campagne électorale qui, comme le démontre votre nomination, a été un franc succès, acheva-t-il.
-Tout à fait, s'exclama le maire d'un air ravi en s'apercevant que Dolan l'avait écouté jusqu'au bout.
Le maire rassuré sur l'intérêt de son invité à son égard reprit donc son monologue d'un ton enjoué. William lui jeta un sourire complaisant tandis que madame Kadokawa s'agitait de nouveau sur sa chaise, signe que le manque d'intérêt récurrent de son mari – et surtout de Dolan - lui plaisait de moins en moins. Si seulement elle avait un brin d'esprit, elle pourrait peut-être intervenir dans la conversation, mais les dieux n'ont pas eu la générosité de lui en fournir. Un geste qui aurait été bien perçu par son entourage qui devait souffrir en permanence de sa stupidité.
-Hé bien, ce n'est pas trop, fit l'intéressée en jetant un coup d'œil méprisant à la jeune fille qui semblait avoir fini sa représentation. C'était vraiment...
-Madame, je m'en veux de ne pas encore avoir remarqué que vous vous ennuyiez, coupa l'avocat avec un sourire mielleux. Vous n'auriez pas à souffrir de cette musique obscène si vous vous joigniez à notre conversation.
L'épouse du maire capta le regard émeraude de William et sourit malgré elle. Le rouge lui monta au joue puis elle refusa la proposition du jeune homme en secouant négativement la tête. Elle se cala ensuite au fond de son siège en continuant de sourire comme une lycéenne tout en lui jetant des coups d'œil discrets. Au moins comme ça, elle se taisait. Il suffisait d'un sourire complice et d'un regard furtif. Cependant, William ne tirait aucune fierté de charmer une femme qui partage sa couche avec un quinquagénaire petit et chauve...
-Je vais me retirer pour ce soir monsieur le maire, déclara Dolan. La journée a été longue.
Monsieur Kadokawa parut un peu déçu sur le moment mais il se reprit très vite et lui souhaita une bonne nuit. William fit ensuite un baisemain à la dame qui gloussa bêtement. L'avocat lui coula un regard condescendant qu'elle dut surement interpréter comme une œillade, car elle se mit de nouveau à rougir. Lorsqu'il eut tourner le dos au couple, son sourire de circonstance disparut comme par enchantement et il poussa un profond soupir de lassitude.
Alors qu'il se dirigeait vers la sortie de la salle, ses yeux se posèrent sur la jeune fille qui avait occupée la scène un peu plus tôt. Tout naturellement et sans réfléchir, l'avocat bifurqua vers elle. Ce n'est qu'une fois qu'il fut à sa hauteur qu'il se demanda ce qu'il pouvait bien dire. Quand à la raison qui l'avait poussé à venir la voir, elle lui était inconnu. Était-ce sa voix et son magnétisme? Était-ce le remord d'avoir dit que cette musique était obscène alors qu'il n'en pensait pas un mot? Ou bien, c'était peut-être pour faire enrager Madame Kadokawa, tout simplement.
-Bonsoir mademoiselle, s'introduit-il discrètement. Je m'appelle William Dolan et je voulais vous faire part de mon enthousiasme pour votre représentation. Et plus particulièrement pour votre chant.
Pour la première fois, l'avocat s'intéressa de plus près à l'apparence de la jeune fille. Ses mires vertes glissèrent sur ses cheveux vermeils, son visage albâtre, fin et digne, puis il descendit sans pour autant dépasser les limites de la décence. Elle était agréable à regarder, certes, mais ce qui intéressait William était son regard sans âge, peu commun pour une femme aussi jeune, et sa posture altière qui lui rappelait étrangement l'aristocratie de Nexus.