Les landes dévastées, vidées. Un endroit plein de chimères, où les ombres les plus étranges prennent vie.
Muse aimait cet endroit. Il lui évoquait l’Enfer. Son lieu, sa vie, son lieu de vie, le seul endroit où elle se sentait bien, le seul lieu qu’elle connaissait très bien. La terre lui semblait si austère, avec si peu de valeurs et aucune apparence délicate et agréable. Tandis qu’en Enfer, on avait l’impression que chaque détail était peint avec préciosité, sur Terre on avait l’impression qu’un aplat avait été posé, et que quelques coups de pinceaux maladroits avaient étés donnés. Rien d’autre.
Elle posa calmement sur ses genoux son livre, et l’ouvrit, tournant les pages avec délicatesse. Sur la tranche du livre se dessinaient en lettres d’encres sur cuir couleur sanguine « Rimbaud : ŒUVRES ». Elle avait trouvé ce livre, un peu avant minuit, la veille, couché dans une prairie, abandonné. Elle l’avait pris, puis gardé. Cela tombait bien, elle avait perdu le sien, il y a peu, dans une prairie verdoyante.
Elle se prit à penser que c’était sûrement le sien, retrouvé, mais préféra l’idée du destin et du hasard emmêlé. Et de sa voix fine et déliée, de son ton froid et frais, sans tiédeur aucune, elle récita les quatre phrases délicieuses.
- L’étoile a pleuré rose au cœur de ton oreille,
L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins,
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles,
Et l’Homme a saigné noir à ton flanc souverain.
Elle admira le paysage. Le ciel était rose, le soleil couchant reprenant ses droits sur le ciel trop bleu, trop plat. Les ombres devenaient claires, et les roches semblaient vivantes, endurcies, fortes, plus colorées qu’habituellement. L’ombre d’encre se mêlait à la pâleur du lointain. Elle poussa un léger soupir, et caressa le paysage du bout de ses doigts.
Elle bailla, même.
Il fallait s’amuser. Elle trempa son doigt dans un pot d’encre, à côté d’elle, et écrivit dans l’air le troisième vers qu’elle avait récitée. Aussitôt, l’air devint plus salé, et, l’espace d’un instant, pour qui savait regarder, la lande sèche devint une mer sépia, sanguine, rousse au possible, le bruit de l’écume mourut dans l’air.
Quelle belle soirée poétique, n’est ce pas ? Le calme était présent, là, à côté d’elle, et le panorama n’était que mélancolie et nostalgie. On se serait cru chez Friedrich. D’un geste de la main, elle toucha le sol, et ressentie une foule d’informations la percer. Hum, quelle délicatesse. Elle n’était pas seule au milieu de ces rochers, qui ressemblaient au Grand Canyon un peu moins grand que le spectaculaire canyon des Etats-Unis. Elle sourit. Quelqu’un était bien là, derrière elle.
- Bonsoir, salua t’elle avec grâce, sans se retourner. A qui ai-je l’honneur ?
Pas de craintes, ni d’inquiétudes. Juste des mots. Et leurs secrets.