La voix ne vient pas de l’autel. Elle ne vient pas de sœur Maery. Elle naît directement dans sa tête.
Katarina ne sursaute pas, mais tout son corps se fige une fraction de seconde trop longue. Comme si son système entier venait de reconnaître une menace d’un autre ordre. La chaleur, déjà présente, se resserre autour de son crâne. Les mots ne résonnent pas : ils s’installent.
Un chemin d’Amour.
Son souffle se bloque brièvement. La jeune femme inspire à nouveau, plus court, plus sec. Les psalmodies de Maery forment désormais une nappe sonore continue, presque liquide. Les encens brûlent plus fort. Trop fort. Ses tempes pulsent.
— Non… murmure-t-elle.
Ce n’est pas une réponse. C’est un refus instinctif.
Transformer un vivant en mort…
Les images affluent malgré la tueuse. Pas celles que la Déesse voudrait lui montrer, mais les siennes. Des corps trop petits. Des regards qui ne comprennent pas encore. Des silences imposés à coups de menaces ou de mains.
Sa mâchoire se crispe. Un goût métallique envahit sa bouche.
— Ne comparez pas… souffle-t-elle, la voix plus rauque qu’elle ne l’aurait voulu.
L'intruse porte brièvement une main à sa poitrine, comme pour vérifier que son cœur bat encore à son rythme, pas à celui du lieu.
— Ne comparez jamais ce que je fais… à ce que vous laissez vivre.
La voix tente de s’insinuer à nouveau, plus douce, plus enveloppante. Elle promet l’équilibre. Le double salut. La réparation.
Katarina ferme les yeux une seconde.
Mauvaise idée.
La cathédrale s’impose aussitôt. Les parfums deviennent presque tangibles. La chaleur descend plus bas, dans le ventre, dans les cuisses. Pas un désir. Pas encore. Mais une désorganisation. Une perte de netteté.
Noxaria rouvre brutalement les yeux et recule d’un demi-pas. Enfin.
— Vous parlez de sauver deux vies… dit-elle plus fort, comme pour reprendre possession de l’espace.
Sa voix tremble. À peine. Mais cette fois, c’est réel.
— Mais vous ne sauvez que ceux qui peuvent encore supplier.
Elle fixe l’autel, les symboles, la statue marquée.
— Vous laissez les autres apprendre à survivre seuls à ce qui a été fait à leur place.
La voix dans sa tête se tait un instant.
Katarina en profite. Elle s’ancre. Talons contre la pierre froide. Respiration hachée mais volontaire. Elle sent la magie peser contre ses pensées, essayer de les plier, de les arrondir.
— Vous appelez cela de l’Amour… reprend-elle.
Ses yeux brillent d’une colère contenue, pas hystérique. Funèbre.
— Moi j’appelle cela une indulgence accordée à ceux qui ont déjà pris trop.
La jeune femme serre le poing autour de l’hostie. La chaleur y est presque brûlante maintenant. Elle le sait : si elle reste, quelque chose cédera. Pas aujourd’hui peut-être. Mais bientôt.
— Écoutez-moi bien, Déesse.
Elle ne s’agenouille pas. Elle ne défie pas non plus. Elle énonce.
— Si un être qui fait du mal à des enfants se tient encore debout… alors aucun amour ne l’a arrêté.
Un souffle tremblé lui échappe. Elle le transforme en mots.
— Et tant que je respirerai, moi, je le ferai.
Les psalmodies continuent. Les encens brûlent. La présence est là, lourde, presque curieuse.
Katarina redresse le menton, malgré la moiteur de sa peau, malgré le brouillard qui menace.
— Vous pouvez m’ouvrir autant de portes que vous voulez.
Ses yeux se lèvent vers l’idole.
— Mais celle-là… vous n’y entrerez pas.
Elle ne bouge plus.
Mais désormais, ce n’est plus seulement la cathédrale qui la travaille.
C’est un affrontement de doctrines. Et Nannaka vient de comprendre que cette humaine ne flanchera pas sans payer le prix fort.