- Oui... En effet. Tout a été transféré selon les demandes de notre client... Parfait... Très bien, dans ce cas je vais vous laisser. Merci et au-revoir madame Clark...
- Au-revoir madame Clark. C'est que vous avez bien là un beau nom de ratée, pour la mégère de cinquante ans que vous êtes, avec votre vieux débris de mari tout aussi enfariné dans le plâtre que vous êtes. La compagnie Mecha Corp Inc vous souhaite la bienvenue à bord de notre nouvelle poubelle technologique à déchets, dans laquelle vous-vous êtes portés garants pour y passer tous nos test avec brio et ne plus jamais vous y revoir à l'arrivée.
Voila ce que je dis après coup, une fois le téléphone raccroché, imitant pendant quelques instants ce que j'aurai vraiment aimé exprimer avec tout mon grand cœur, à cette espèce de conne. Enfin bref, car surtout... Enfin! Je viens enfin de terminer une journée de plus, au nom de cette foutue compagnie où tout marche comme du papier à musique. Cette impression bien trop souvent pesante comme celle de se trouver dans un train, qui roule vers une destination inconnue, mais dont le réel objectif est surtout de passer wagons après wagons, parfois surprises après surprises, pour arriver finalement enfin au bout du calvaire.
Je regarde alors la montre et je vois qu'il est près de 18h30. J'ai une demi-heure de retard ce soir et en plus, j'avais promis à Eva de l'emmener nous détendre un peu au parc d'attractions. C'est donc après avoir rangé un peu le bureau et verrouillé l'accès à l'ordinateur principal, que je me lève et que je me dirige vers mon vestiaire personnel, pour me changer. Pas questions de rester dans cette tenue, pour aller dans un endroit comme celui-là. En plus, il était hors de question que l'on me reconnaisse là bas. Ce temps passé, nous le ferions tous les deux ensemble, Eva et moi.
C'est donc après m'être changé et avoir mis un ensemble sportif, composé d'un débardeur vert que j'adore et qui me rappel ce bon vieux temps où je faisais du basket au lycée et à la fac, que je mets un jean bleu simple et passe-partout, avec une paire de baskets pour faire l'affaire. Je range ensuite momentanément les clés dans la poche de la veste en cuir que j'ai enfilé pour la moto, puis je sors. Lorsque je vois Eva qui arrive alors juste devant-moi, le temps que je revienne pour la chercher sur le toi, je la regarde un instant intensément, avant de lui sourire d'un air amusé. La voir pointer là, pile au bon moment pour partir d'ici, ça avait quelque chose d'assez amusant.
- Et alors? Tu as lu dans mes pensées Eva? Tu es là, juste au bon moment où j'allais venir te chercher pour partir.
Je passe tendrement ma main sur le haut de son dos, pour la diriger vers l'ascenseur dont je suis fort heureusement le seul à en posséder l'accès, mis à part mon "très cher" assistant robotique.
- Ça y est, vous partez monsieur Ralph? Dans ce cas, permettez-moi de vous souhaiter une agréable soirée, en compagnie de dame Eva.
C'est un peu lassé par les manières toujours aussi téléguidées de mon assistant, que je lui fais un signe de main aussi visible que ce que sa personne représente pour moi. Je me dirige alors avec Eva dans l'ascenseur, laissant l'autre robot se charger comme à son habitude des derniers rangements, ainsi que du nettoyage de mon bureau. Un "super homme" à tout faire dans cette société. Lorsque nous arrivons dans l'ascenseur que je déverrouille grâce à la reconnaissance à empruntes digitales, je regarde Eva. Comme à son habitude, elle semblait encore plus ou moins perdue dans ses pensées.
- Désolé si j'ai été un peu long Eva. J'espère au moins que tu as pu agréablement profiter de la vue sur le toit, en m'attendant? Mais ne t'en fais pas, je te promets qu'on va bien s'amuser là-bas. D'ailleurs, ça fait un moment que je voulais t'emmener au parc d'attractions. Il faut dire que tu ne m'aides pas beaucoup non plus. Tu ne demandes presque jamais rien. Haha...
Je passe affectueusement la main quelques instants sur ses cheveux, en même temps que j'appuie sur le bouton du sous-sol. Je profite de ces quelques instants en sa compagnie, pour regarder l'immense vue sur la ville tout au loin. Mais surtout, celle qu'offre le quartier industriel, depuis les baies vitrées qui défilent dans le sens de la descente. En plus, on pouvait voir le soleil se coucher à l'horizon. Au vu de la saison, il commençait à faire bon et les journées semblaient se rallonger un peu. Puis je regarde Eva... Je resterais toujours subjugué de la voir autant apprécier n'importe quel paysage. Je n'ai jamais su comment faisait-elle, pour rester aussi longtemps à faire face à un point de vue. Il y a des fois où j'envie la simplicité qu'elle porte en elle.
- Tu sais ce qui est drôle Eva? C'est que malgré toutes les personnes que je connaisse ici, d'aucun n'arrive à rester aussi mystérieux et évasif que toi. Je lis chez la plupart d'entre eux, notamment chez mes employés aux maigres pensées de petits ambitieux profondément ratés, comme dans un livre ouvert. Alors qu'avec toi, la personne que je suis censé connaitre le mieux et qui est en plus la plus précieuse à mes yeux, je ne parviens que rarement à voir plus que ce que tu veux bien me montrer. Dans ce domaine, j'avoue que tu me bats à plates coutures.
Pendant que nous descendons, je prends la main d'Eva pour la caresser. En effet, ma sœur était tout pour moi. Même si j'étais conscient qu'on l'avait transféré dans ce nouveau corps robotique, j'avais toujours eu la conviction la plus sincère, qu'elle était encore là. Qu'elle était capable d'entendre et d'agir, indépendamment de sa propre reproduction. C'est surtout parce que Eva est, et restera unique, et personne ne me l'enlèvera!
Quelques instants après, nous voila passés sous terre pour arriver dans la zone des parkings souterrains. Lorsque nous-nous y engouffrons, je repère encore certains des employés trainards, en train de discuter.
- Ah... Mon...Monsieur Flynn... Passez une bonne soirée! Hahahah!
- Bonne soirée à vous, monsieur. J'ai vraiment passé une super journée aujourd'hui. Comme tous les jours d'ailleurs.
- Tant mieux. Mais vous feriez mieux de rentrer chez vous, car demain, une autre dure journée vous attend. La société ne s'encombre pas de ceux qui ne lui servent à rien. Ne l'oubliez pas.
C'est un peu agacé et volontairement dédaigneux, que je salue ces crétins lèches-bottes. Pas un pour être honnête ici, avec moi. Tous des larbins prêts à passer sous n'importe quel bureau de ce service, pourvu qu'on leur donne une promotion. Qu'ils sont méprisables...
Encore un instant après, nous arrivons devant ma voiture de sport jaune, ainsi que la moto de course qui y était garée, juste à côté. Je sors alors les casques et j'en tends un à ma sœur tant aimée.
- Tiens. Ce n'est pas parce que tu as la tête solide, que tu ne dois pas porter ça. C'est surtout que je ne veux pas qu'il t'arrive encore quelque chose, même si je sais que ce serai certainement anodin pour toi...
Je lui tends le casque de moto, tout en la regardant encore une fois aussi intensément, que tendrement. L'amour et l'autorité n'ont jamais étés incompatibles pour moi, surtout si cela sert ses propres intérêts. Après tout, c'est pour elle que je fais tout ça. Puis pendant qu'elle s'exécute, j'enfile mon propre casque. Je monte ensuite sur la moto et j'y insère la clé de contact. Pendant que je fais une manœuvre de sortie , je m'arrête devant elle, les gaz allumés.
- Vas-y monte. Le carrosse de la petite princesse est arrivé et est prêt à partir.
Je lui fais un clin d’œil juste avant qu'elle n'embarque derrière-moi, puis j'agrippe fermement le guidon et j'accélère. La moto fait l'un de ces gros bruits, qui me rappel encore ce fameux temps où je m'essayais à quelques courses, avec un bolide de papa. Alors que nous quittons ensuite la grande allée du building donnant sur le grand jardin, nous sortons par le grand portail principal, d'où se tient un vigile. Encore un qui ne sert pas à grand chose, dans cette société... Et puis de là, je m'engage droit vers l'ouest, pile là où le soleil est en train de se coucher. A cet instant, j'accélère et je commence à doubler toute une série de véhicules. Je sentais Eva qui s'accrochait à moi. Et alors que je me perd dans une énième pensée, au sujet des parents et de la famille tout en la sentant collée à moi, le feu qui était au rouge, passe au vert.
- Okay, cramponne-toi Eva! On va accélérer sec! Je parie qu'on peut être là-bas en moins d'un quart d'heure!
Pour m'aider à anticiper et éviter les obstacles, tout un tas d'informations et de pronostics sur ma vitesse et ma tenue de route, s'affichent devant mes yeux, grâce à mes nanomachines. Même si ces dernières ne m'ont pas étés implantées dans la tête par mon paternel que pour le meilleur, je devais reconnaitre tout le côté pratique qu'elle avaient. Nul doute que je n'aurai pas été aussi compétent dans tous ces domaines, sans elles. Et paradoxalement, ce sont aussi elles qui me motivent à prendre encore plus de risques. Puis de temps en temps, je devais parfois volontairement décélérer un peu, pour Eva. Même si je savais qu'elle ne risquait pas grand chose, puisque j'ai voulu la baser sur l'un des meilleurs modèles existants du marché de la robotique, je n'avais pas le droit de la mettre en danger de quelques manières que ce soit. C'est alors que du quartier industriel, nous passons par l'un des axes autoroutiers. Je ne peux évidemment m'empêcher de réaccélérer par habitude, alors que de nouvelles informations s'affichent encore devant-moi. Rappel de la vitesse, mise en encadrement des véhicules les plus proches de moi. Estimations que l'un d'eux aurait des chances de se déporter. Mise en évidence d'éventuels obstacles... Je vivais quasi constamment, avec des choses en plus devant les yeux. Aussi, je n'y prêtais parfois même plus attention. J'y étais habitué. Puis à un moment, alors que nous pouvions voir les maisons et autres immeubles défiler rapidement tout autour de nous, je m'adresse à Eva, lorsque je suis en train de m'engager dans un passage où je suis forcé de ralentir.
- Est-ce que ça va Eva? J'espère que ça te plait. C'est que nous n'avons pas souvent l'occasion de prendre la moto. Je me suis donc dit que ce serait une bonne idée, histoire de changer un peu. Mais le GPS made in Ralph, m'indique que nous ne sommes maintenant plus très loin de notre destination.