En quittant les lieux déjà désertés, les portes automatiques s’ouvrant sur leur chemin malgré l’heure très tardive, Jack et Rubis se retrouvèrent plongés dans le début de soirée doux et caressés par la brise. De manière instinctive, les pensées du voyageur interstellaire s’élevèrent vers l’espace, vers chez lui, vers cet ailleurs qu’il rejoindrait certainement bientôt, et ses yeux s’y levèrent dans le même songe. Il put voir la voûte céleste, visible dans ce quartier plongé dans la pénombre de cette petite ville économe par un temps bien dégagé. Tout était familier et étranger à la fois, la Voie Lactée était là, mais différente. De la même manière, rien ne semblait à sa place. Jack en avait vu, des ciels étoilés, et tous étaient différents, mais il y avait un panorama général, depuis son coin d’espace, qu’il ne retrouvait pas ici. C’était comme s’il avait observé le même horizon de divers points de vue toute sa vie et qu’il s’était soudain retrouvé face à un lieu totalement différent de l’autre côté de la planète.
Il espérait seulement pouvoir rentrer, ne pas être allé trop loin pour y retourner par des moyens conventionnels. Ce n’était pas sur ce monde arriéré qu’il trouverait une alternative viable dans ce cas.
Comme il s’inquiétait, il redescendit son regard vers la Terre, et chercha un réconfort dans la vue de sa compagne ingénue. Il croisa son regard carmin et, surpris, fut autant étonné que charmé, comme elle l’était elle aussi. Il pouffa comme elle, discrètement, et se laissa aller à une autre pensée : il ne voulait pas lâcher sa main et rejoindre son vaisseau. Il ne voulait pas partir comme ça. C’était surtout pour lui, lui qui avait besoin de réconfort et de compagnie dans sa situation, mais il se prit à croire qu’elle aussi craignait sa solitude, comme elle l’avait laissé entendre plus tôt. Ses mots faisaient même écho à cette possibilité, et il pinça les lèvres pour cacher le trouble et la douleur que ses yeux ne pouvaient vraiment cacher cependant.
« Merci à toi. Pour tout. Je n’aurais sûrement pas réussi sans toi. »Il aurait voulu lui dire qu’il ne l’oublierait jamais, mais c’était une déclaration fort étrange à faire. Il se ravisa et serra sa main dans la sienne une dernière fois avant de la relâcher et, à son corps défendant, de s’éloigner d’un pas alors qu’il souhaitait plutôt avancer vers elle et l’enlacer, juste une fois, juste un instant. Mais son temps était compté et il ne ferait que rendre les choses plus difficiles ainsi.
« Au revoir, Rubis Starling. A la prochaine ! »Peut-être. Ou jamais. Il valait mieux ne pas trop y penser.
Il laissa son regard posé sur elle un moment, s’éloignant à reculons en forçant un sourire ému, puis il finit par se retourner pour disparaître dans la nuit et retourner à son appareil.
Acte 2
Réfugié au fond de ton lit
▪ ▪ ▪
Les choses s’étaient compliquées.
Depuis qu’il avait croisé ces camions militaires, plus tôt, dans la journée et peu après son arrivée, la situation dans les rues avaient évolué. Les soldats en uniformes et armés avaient été retirés, sans doute pour ne pas éveiller les soupçons de la population et avec une fausse histoire pour justifier leur passage. A leur place avaient cependant été installés des guetteurs. En bon vétéran, Jack les avait repérées, ces forces spéciales en civil, planquant leurs armes de poing comme elles pouvaient, radios dans le dos, en position de repos militaire, les regards scrutateurs et hostiles. Levant les yeux vers les cimes, il avait finalement repéré un tireur d’élite caché au sommet d’un immeuble.
D’un côté, Jack était rassuré : ça voulait dire qu’ils n’avaient pas trouvé son vaisseau ; pas encore, en tout cas. D’un autre côté, il ne pouvait pas le rejoindre dans ces conditions et devait pourtant bien le rejoindre tôt ou tard. Il devait réfléchir, quitte à charger et décoller en catastrophe une fois qu’il serait fixé sur sa destination. Mais il devait réfléchir. Et il ne pouvait pas rester là. Alors, il continua son chemin l’air de rien, saluant les types d’un air benêt, et disparut dans la nuit une fois encore.
Son passage sur Terre était décidément semé d’embûches. Sans refuge ni perspective convaincante, il devait réfléchir vite. Avant tout, il devait se reposer pour pouvoir être en état d’éplucher ce livre, demain. Ce livre ! La perspective l’ennuyait au plus haut point, bien qu’il n’ait pas le choix et qu’il soit déterminé à le faire. Las, il s’arrêta un instant sous un petit abri abritant un énième appareil archaïque, alors qu’une pluie fine commençait à tomber. Il posa le livre d’astronomie sur une petite tablette et s’étira comme il le put, renfrogné, plongé dans ses pensées. Il pensait à Rubis, la curieuse Terrienne aux cheveux blancs et aux yeux rouges. Il aurait sûrement dû chercher ce câlin quand il le pouvait !
Faute de mieux, il se décida à tenter d’éplucher le livre ici et maintenant, et il mit la main sur un livre et l’ouvrit pour commencer à le lire, pour seulement réaliser qu’il n’avait pas mis la main sur le bon. Intrigué, il se retrouvait face à des colonnes de lignes de noms, d’adresses et de numéros en petits caractères. Un annuaire public. C’était pratique, mais il n’en avait pas besoin ! Il allait le reposer quand il eut une idée, cependant, et il reprit l’annuaire pour l’éplucher, finalement, cherchant les noms commençant pas S, puis par ST, puis STA…
Un peu moins d’une heure plus tard, la pluie battant son plein, il avait fini par trouver la rue et le numéro de Rubis. Trottant sous l’eau dévalant le ciel pour marteler le monde, il se réfugia sous le porche du petit immeuble et, après avoir tenté d’ouvrir la porte verrouillée, il remarqua la plaque métallique, avec son petit cadran, ses boutons et ses noms. C’était comme un vieil intercom, une interface d’appel pour prévenir les habitants de sa présence et de ses raisons de vouloir entrer sans doute. Les noms étaient écrits dans cet alphabet local avec lequel il avait beaucoup de mal, mais Jack prenait ses repères et il finit par avoir assez confiance en sa lecture pour presser un des boutons.
Après une attente qui lui sembla interminable, il fut rassuré d’entendre la voix douce et familière de Rubis derrière le filtre grésillant du matériel de piètre qualité. Par contre, il n’avait pas réfléchi à ce qu’il allait lui dire. Que dire, au juste ? Il devait improviser, et vite !
« Euh… Rubis, c’est… C’est Jack. Désolé de te déranger mais… Il y a un problème et mon appartement est inaccessible. J’ai trouvé ton adresse et je me suis dit que… Est-ce que ça te dérangerait que je dorme ici, cette nuit ? »