Quand Kiralynn le remercia, Jack se retint, esquissa un sourire qu’elle ne vit pas, et pressa une main bienveillante et chaleureuse sur son épaule avant de s’écarter un peu, sans un mot. Il y avait eu un truc, entre eux, pendant qu’il la soignait. Il y a des années, c’était à l’abri d’une tranchée, d’un abri ou d’un trou de souris que le vétéran soignait sa sœur et, si elles n’étaient pas identiques, elles se ressemblaient assez, et la situation était assez familière, pour que le trouble s’installe. Jack l’avait ressenti, Kira l’avait probablement intériorisé, et, passé le frisson, il préféra garder une distance raisonnable vis-à-vis d’elle. L’envie qui montait en lui de la serrer, de l’embrasser, de leur faire oublier leurs soucis et le danger dans un coït intense et rapide, comme il le faisait avec Lina, autrefois, ne pouvait se porter sur elle ; pas de son point de vue.
Mais leur situation n’avait pas fini d’évoluer. En tant que renfort, Jack s’était naturellement placé sous les ordres des mercenaires, et sous ceux de Kira de fait. Mais, une fois la situation vue et discutée avec Rory, elle était revenue de sa pause de récupération pour déclarer qu’elle lui passait les rênes et, manifestement, la technicienne ne s’y opposait pas. Au vu de la blessure de sa supérieure, elle semblait même préférer cette idée. Le brun resta silencieux et dévisagea les deux femmes épuisées, une à une, avant de soupirer et de hocher la tête.
« Très bien. »
« Rory ? Tu te sens prête à passer devant ? »
Elle avait obéi, et Jack s’était glissé derrière elle. Le cheminement fut difficile et lent. Si la fine commando devant lui allait à bon train, repérant des mètres en avant pour les attendre ensuite et repartir, le large chasseur de primes avait bien plus de mal à se faufiler là-dedans. Derrière lui, les encouragements de Kira le poussaient. Il se concentra sur sa respiration, et sa progression, et avança, un décimètre à la fois, à la force de ses muscles qui, même solides, fatiguaient eux aussi.
Avant longtemps, les filles finirent par s’interroger sur l’absence apparente de radiations. Jack préféra ne pas souligner qu’ils pouvaient déjà être condamnés sans encore le sentir. S’ils commençaient à perdre la vue, ce ne serait que le premier pas d’une agonie abominable. Pour le moment, il ne voulait pas les faire paniquer. S’ils réussissaient, ils atteindraient peut-être des kits de soins anti-radiations à temps. Sinon…
« Jack ? »
« Ça va, » affirma-t-il, le souffle un peu court. « N’oublions pas une chose : Dave et Badger sont encore là, eux aussi. Même si on doit y passer, notre victoire accroîtrait nettement leurs chances de survie. »
Il soupira, prostré au sol, reprenant son souffle et se concentrant avant de rajouter :
« On ne se bat pas pour vivre. On se bat pour que le plus possible s’en sortent. »
Ce jour fatidique, Lina était morte, avec d’autres. Mais Jack, Spike et bien d’autres s’en étaient sortis. Ils s’étaient battus pour se replier ; tous. Tous n’étaient pas rentrés, mais aucun ne le serait s’ils s’étaient battus égoïstement.
« On avance. »
Rory reprit le chemin. Jack aussi. Derrière lui, Kira semblait songeuse.
Le reste du chemin fut relativement silencieux, souffles et ahanements rythmant leur avancée. A un moment, un choc les stoppa net et un bout d’acier se mit sur le chemin de Jack. Il le tira, l’arracha à la force de ses bras, et déclara avoir trouvé une arme, non sans un certain cynisme, avant de continuer.
Et, finalement, ils arrivèrent au réacteur.
Au fond de l’immense salle, une grande piscine, profonde et presque vide d’eau, luisait de chaleur et s’évaporait rapidement sous l’influence des barres d’uranium raffiné plongées en son fond. Au-dessus, des passerelles, suspendues quelques mètres plus haut, accueillaient des postes de contrôle. Tout au bout de ces passerelles, une porte menait à une vaste salle de contrôle. Et à la sortie. On les devinait à travers la large baie vitrée de la vaste pièce.
Mais, ce qui attira immédiatement les regards, alors que la petite troupe prenait place à la sortie de la conduite, c’était l’énorme créature, immonde, boursoufflée et malade, qui trempait dans la piscine brûlante et radioactive, mettant à bas, à un rythme effréné, à un nombre de bêtes mutantes de plus en plus improbables. Par chance, ces bêtes semblaient moins fortes que celles qu’ils avaient déjà croisé, leurs formes corrompues, malades, se traînant mollement, sifflantes, aveugles, en crachant qui de l’acide, qui un sang vicié, et autres folies qui auraient dû les condamner à mourir bien avant leur naissance. Restait leur nombre. Elles grouillaient. Et elles pouvaient rester dangereuses.
« Quelle horreur ! »
« Qu’est-ce que c’est que ça ?! »
« Si je devais émettre une théorie… Ces créatures n’étaient pas ainsi, à l’origine. Ou alors, l’exploitation minière les a fait sortir. Elles ont dû voir dans ce réacteur un bon endroit pour refaire un nid après s’être dispersées, et voilà le résultat. »
« Putain… »
Jack et Rory gardaient le silence pendant que le premier aidait Kira à s’asseoir à côté de lui, la tenant sur le bord en lui laissant le temps de récupérer et de voir d’elle-même ce qui se passait. Mais le temps leur manquait clairement, et Jack avait un plan.
« Rory, tu saurais arrêter le réacteur ? »
« Oui. Il faut que je passe par les consoles, sur les passerelles. Ensuite, il faudra finir la séquence en salle de contrôle. Mais… Elles risquent de nous remarquer. Et, une fois leur nid éteint, les bêtes vont probablement se disperser à nouveau. »
« A condition de se planquer, alors, elles partiraient ? »
« Peut-être… ? Jack, c’est inédit ! »
« Je sais ça. Il faut bien faire quelque chose. » Il soupira. « Kira, ton avis ? »