Sa position précaire s’était améliorée dès que la Lyra avait ouvert sa fenêtre. Hirvi avait croisé le regard embué de Winnie avec une moue compatissante, accompagnée d’une humidité nouvelle voilant son propre regard. Il ne supportait pas de voir son amie triste. Il avait toujours été là pour elle, pour toutes ses peines, depuis qu’elle avait été petite. Déjà quand ils étaient enfants, il la consolait lorsqu’elle s’écorchait les genoux et courait à son aide quand quelqu’un chipait sa poupée ou un de ses jouets. Il avait toujours été attaché à elle, d’une façon différente à chaque âge. Ils avaient toujours été inséparables et, pourtant, jamais au clair quant à ce qu’ils cherchaient et trouvaient l’un en l’autre. Peut-être ce statu quo incertain et flou les aidait-il à ne pas prendre de décision irréversible ? Ce genre de décision les aurait pourtant aidé à ne jamais en arriver là, sans doute.
Elle n’avait pas une force énorme, Winnie, pourtant c’était comme si l’étreinte de ses bras le retenait sans effort. C’était bien lui qui s’y attachait sans même y penser, tenant toujours avec précarité mais avec une aisance bien plus grande maintenant qu’elle était là et qu’elle le touchait. Il aurait aimé lui rendre son étreinte –son sanglot lui arrachait le cœur–. A la place, il se dépêcha d’entrer par la petite lucarne, conscient d’être tout sauf discret ici. Il fit en sorte d’être aussi silencieux que possible, prenant garde à ne rien toucher de ses bois, et glissa presque comme un serpent à l’intérieur, se contorsionnant pour trouver appui sur un de ses sabots couverts, puis les deux.
Heureux d’y être arrivé, il se tourna vers la rousse avec un sourire mais fut accueilli par un reproche. Son sourire se fana et il exprima sa peine en silence par la tristesse de son propre visage. Que pouvait-il bien dire en retour ? Que sa famille la gardait comme un trésor maudit ? Il n’avait pas non plus essayé de réclamer de la voir. Il savait comment ça aurait fini, mais il aurait pu essayer. Elle aurait pu l’entendre. Avachi, il s’assit au sol en se grattant un bras distraitement.
« J’ai pas pu venir plus tôt, » finit-il par s’excuser, inexcusable mais sincère au moins. « Avec le mariage qui approche et sans histoires depuis ton retour, ils ont enfin baissé leur garde. »
C’était vrai que la famille de Winnie avait commencé à se relâcher, se contentant de la garder sous clé désormais sans trop se soucier des visiteurs et des quolibets. Bientôt, leurs problèmes seraient résolus, après tout.
Le cervidé releva ses yeux sombres sur la lapine et son cœur se pinça en la voyant si dévastée. Lui-même ne savait trop quoi penser de ce mariage à venir. En vérité, au fond de lui, il était désespéré. Il lui semblait que son amie allait lui être enlevée et allait devenir la femme d’un inconnu, la mère d’enfants braillards et une bonne maîtresse de maison lyra sans temps à accorder aux distractions. Mais, plus profondément, il détestait l’idée qu’on lui enlève cet espoir inavoué et jamais assumé d’être son homme à elle.
« C’est sûr que c’est pas jouasse. Les gens sont pas doux avec toi. Et personne ne parle de cet étranger... »
Cet aventurier mystérieux qu’elle avait suivi à Zon’Da, et qui l’y avait laissée sur les roses avant de disparaître –un vrai salopard !–, méritait bien les blâmes pour cette histoire. Winnie n’avait fait que suivre ses émotions et ses rêves d’aventure. Elle n’avait rien fait de mal. Hirvi se doutait bien de ce qu’ils avaient fait –il les avait entendus, un peu, dans la tente–, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait eu envie de lui en vouloir, mais son affection avait chassé la rancœur rapidement, comme toujours.
« Tu sais, personne me voit vraiment bien ici non plus, alors… Je veux dire que si tu voulais t’enfuir, je pourrais peut-être trouver un truc… »
Trouver quoi ? Il n’en avait aucune idée. Il n’avait pas les connexions. Et était-il vraiment prêt à laisser Oldham derrière lui ? Il n’en était pas sûr, d’autant qu’avec une ère semblant se fermer, ses perspectives d’avenir devenaient incertaines dans son esprit. Et puis, il allait avoir ses propres changements.
Torturé par ces pensées, il se redressa sur les genoux pour se pencher sur Winnie et l’étreindre à son tour, posant son visage dans son cou.
« En tout cas, moi, je t’aime toujours, tu sais. »