Le Japon ne manquait pas d'individus excentriques et bigarrés, mais celle-là avait quelque chose de vraiment spécial. Subjugué par sa beauté et paralysé par sa timidité, Masa n'aurait su dire exactement ce qui lui semblait si anormal chez la belle, et il se garda bien de lui faire remarquer, de quelque manière que ce soit, qu'elle avait l'air bien à la peine. C'était bien la première fois qu'il croisait quelqu'un de plus en peine que lui, à dire vrai, et il ne se serait pas attendu à ce qu'une jolie fille comme elle... C'est le genre de fille qu'un type fort et sûr de lui viendra toujours sauver de ses propres imperfections, après tout, non ? En tout cas, c'était comme ça dans ces histoires à l'eau de rose qu'il lisait parfois.
C'est qu'il pouvait se fatiguer lui-même, parfois !
Il était en train de se faire des plans pour sa dernière soirée sur Terre, et le voilà en train de se tenir pantelant devant un mannequin sûrement cokée et gavée de GhB par quelque enfoiré de première. C'était la bonne chose à faire, venir la voir pour l'aider, mais n'avait-il pas autre chose à faire ? Peut-être. Mieux que ça ? Là, c'était vraiment discutable.
Au moins, elle s'était relevée, mais sa question tira quand même, finalement, un regard incertain et inconfortable au jeune Japonais.
"Une... auberge... ?! Euh... Ben..."
Il se gratta la tête, évitant de se frotter de partout pour réagir à la sensation de fourmillement qui le prenait depuis la seconde où il avait commencé à ouvrir la bouche. Une auberge ? D'où elle sortait, celle-là ? Elle était probablement étrangère, elle devait utiliser un vieux mot ou...
L'apparition, soudaine et inattendue, des larges oreilles félines, l'arrêta net, tant dans tous ses mouvements que dans ses pensées. Il ne l'avait pas réalisé à la seconde même, mais la réalisation de leur présence lui avait fait l'effet d'un choc. Une neko girl ? C'était de vraies oreilles ou... ? Non, pas possible ! Mais elles étaient sacrément bien faites ! Quand bien même, il aurait fallu lui dire de ne pas sortir avec ses accessoires entre deux live shows. Parce que, entre son physique et ça, c'était bien ce qu'elle faisait, non ?
Elle devait être pétée de thunes et pas à plaindre, a priori.
La pièce qu'elle lui tendit, comme il retrouvait ses esprits, contredit ses préjugés tout en faisant remonter au galop les théories les plus fumeuses auxquelles il ne pouvait penser. Fixant la pièce argentée aux allures de monnaie antique, Masa se retrouva bombardé des souvenirs des vieilles légendes urbaines qui pullulaient dans sa ville natale, entre apparitions surnaturelles, agences gouvernementales inconnues, mutants dotés de superpouvoirs et autres délires de complotiste à bonnet d'aluminium.
En tout cas, ce qui était clair, c'était qu'avec ça, elle n'irait pas loin. Finalement, elle était plus dans la merde que lui avec ses accessoires de GN.
Le passage bruyant d'une voiture au coin de la rue bouleversa à nouveau l'hybride, la plongeant dans la détresse tandis qu'elle lâchait sa bourse, dont le contenu se répandit au sol dans un concert de tintements sonores. Masa regarda l'argent avec circonspection, considérant la valeur qu'il devait avoir là d'où elle arrivait, et se demandant comment lui annoncer que ce qu'elle possédait n'avait plus aucune valeur ici.
Avec un soupir, il se baissa pour ramasser les pièces tandis qu'elle continuait de se plaindre de son soudain éblouissement.
Il était fou de considérer de pouvoir l'aider. Il avait bien vu ces oreilles de chat. Et, s'il ne s'abusait, quelque chose semblait bouger sous sa jupe. Une queue ? Ca serait logique. D'où sortait-elle ? Il connaissait bien les légendes urbaines, très vivaces, qui pullulaient à Seikusu et parlaient d'êtres étranges venus d'ailleurs, mais y faire face, c'était autre chose. C'était comme traverser le miroir ou sortir de la Matrice.
C'était terrifiant.
Mais c'était excitant, aussi.
"Ecoute, la police va t'arrêter si tu vagabondes et... Je ne sais pas ce qu'ils feraient à quelqu'un comme... toi," finit-il par dire alors qu'elle se remettait de ses émotions.
Il avisa une des pièces qu'il avait ramassé, l'examina, essaya de la mordre, comme il l'avait vu dans un dessin animé, simplement pour se faire mal à une dent et retenir un râle de douleur.
"Je ne sais pas d'où tu sors ça mais je ne vais rien acheter avec. Ici, on utilise des yens. Je pourrais changer des dollars ou une autre monnaie étrangère pour des yens dans un bureau de change, mais... Ca ne vient pas d'ici, n'est-ce pas ? Tu es une de ces personnes étranges dont on parle dans les histoires à dormir debout qui se passent entre ivrognes dans le coin."
Ce n'était même pas une question. Masa se faisait à l'idée et la prononcer la rendait, bizarrement, moins folle.
Il soupira, rassembla les pièces à terre, les remit dans la bourse et la lui rendit.
"Si je dois t'aider, autant se connaître. Je m'appelle Masamitsu. Hiruka Masamitsu. Mais mes amis m'appellent Masa."
Quels amis ? Tu penses berner qui, là ?
Il ignora ses pensées négatives pour faire une petite courbette.
"Et toi ?"