«
Ma très chère épouse… » Un sourire orne ses lèvres en repensant au seul homme qui pouvait se targuer de prononcer ces mots-là sans subir les conséquences fort peu enviables de ce que ces liens signifiaient.
Jack Taylor, c’était son nom. Elle se souvenait encore avec acuité de cette nuit qu’ils avaient passé à l’hôtel, dans la suite qu’ils avaient tous deux réservé sans le savoir. Ils n’avaient rien en commun, si ce n’est leur nom de famille. Il était professeur d’anglais, elle était actionnaire majoritaire de plusieurs entreprises bien portantes. Il semblait consciencieux, travailleur et avoir la tête sur les épaules. Elle était désinvolte, futile et perdait la tête pour chaque amant qu’elle trouvait intéressant.
Son sourire se fana lorsqu’elle reposa les yeux sur le message envoyé. Quelle coïncidence qu’elle l’ait reçu peu de temps après sa libération de garde à vue. Ses lèvres gourmandes se pincèrent jusqu’à ressembler à une fine ligne grenat.
Damn it, songe-t-elle en s’adossant à la banquette de la voiture pendant que son chauffeur la ramenait à la maison. Etant donné les questions auxquelles elle avait dû répondre, les flics qui l’avaient arrêtée semblaient soupçonner son passé peu recommandable. Elle allait devoir tout changer, maintenant qu’elle avait été compromise. Elle allait devoir envoyer un message à l’organisation, pour les prévenir qu’elle avait été compromise, après tout ce temps. A moins que…
Son pouce verrouilla le téléphone alors que ses traits se figeaient dans une expression déterminée. Elle allait découvrir ce que Jack Taylor -si c'était son vrai nom- voulait. Elle allait creuser pour savoir ce qu’il savait. Ce qu’il soupçonnait. Même s’il y avait de fortes chances pour qu’elle ne puisse plus utiliser sa véritable identité, elle allait tout de même faire tout ce qui était en son pouvoir pour découvrir jusqu’à quel point exactement elle avait été compromise.
Résolue, elle rentra chez elle pour tout préparer.
«
Professeur prêt pour Révision. »
Le texto, aussitôt supprimé, décide Catalina à agir. Après avoir contacté l’organisation la veille, et avoir eu une réponse en un temps record, un plan avait été décidé. Un piège, pour Jack, au lieu de rendez-vous qu’il lui avait envoyé. A la place de la jeune femme, il avait rencontré ses hommes de main au parc. Un petit sédatif léger, et il avait été embarqué dans un van blanc aux vitres teintée et sans plaque d’immatriculation, puis guidé dans un entrepôt à l’abandon que Catalina avait envisagé d’acheter pour reconvertir en loft. Cela ne l’avait pas empêchée de procéder à quelques « travaux » avant de renoncer à l’acheter.
De l’extérieur, rien ne semblait indiquer une quelconque activité sur la zone. L’entrepôt était en aussi mauvais état ce soir qu’il l’avait été les années précédentes. Si un van blanc aux vitres teintes et sans plaque d’immatriculation avait pu être aperçu un peu plus tôt… Eh bien les témoins avaient sûrement fumé un peu trop. L’organisation s’en était assurée.
L’intérieur, en revanche, n’était plus aussi délabré. Tout avait été rénové, des sols aux plafonds. Jack avait été guidé dans une petite cellule, désarmé et attaché sur une simple chaise en métal. Inconfortable, mais stable. Un sac en toile recouvrait sa tête, dans l’hypothèse où il se réveillerait plus tôt que prévu. Brute numéro 1 et brute numéro 2 veillaient, de chaque côté du prisonnier, avec une posture qui n’était pas sans rappeler l’armée. Brute numéro 3 et brute numéro 4 gardaient la porte de la cellule. Catalina, pour sa part, était installée dans une petite pièce de l’autre côté, le regard fixé sur le prisonnier qu’elle pouvait observer au travers d’un miroir sans tain.
Le plan était de laisser brute numéro 5 mener l’interrogatoire. Mais quand le regard de la brune se posa sur la silhouette familière de son amant d’une (merveilleuse) nuit, sa résolution se fissura. Elle savait que brute numéro 5 avait l’expérience pour faire parler des prisonniers. Mais l’usage de la violence, de la cruauté, n’avait jamais attiré l’ex-Veuve Noire. Elle avait d’aussi bons résultats avec la séduction. Et l’idée de voir le beau Jack Taylor malmené -attirante pendant l’heure qui avait suivi sa relaxe de garde à vue- commençait à ne plus sembler sensée.
Brute numéro 5 était dans la pièce, adossé contre le miroir, face à Jack. Ce dernier semblait montrer des signes de réveil. Sa tête n’était plus aussi penchée, son corps était plus tendu… Catalina maltraitait sa lèvre inférieure, de plus en plus tourmentée.
Brute numéro 5 s’avança et retira brusquement le sac en toile qui était sur la tête de Jack.
L’organisation n’allait pas aimer si l’ex-Veuve Noire s’en mêlait…
Brute numéro 5 agrippa les cheveux de Jack pour lui tirer la tête en arrière.
L’ex-Veuve Noire quitta son poste et pénétra dans la cellule.
Le regard de la brute numéro 5 aurait pu faire trembler Catalina, mais elle y était habituée. D’un signe de tête, elle lui indiqua de sortir. Elle vira aussi les brutes numéros 1 et 2 d’un regard impérieux. Puis, quand la porte de la cellule cliqueta, indiquant qu’elle avait été verrouillée de l’extérieur, la brunette posa ses iris claires sur le « professeur d’anglais », essayant de ne pas s’attendrir en retrouvant les prunelles vairons qui meublaient ses souvenirs lors de cette unique nuit à l’hôtel.
«
Hello, mon cher époux, susurre-t-elle en prenant place sur la chaise en face de lui.
As-tu fait bon voyage ? »
Sa posture apparaît détendue. Adossée nonchalamment contre le dossier d’une chaise métallique du même type que celle sur laquelle il est lui-même assit, l’ex-Veuve Noire croise les jambes. Elle n’avait pas prévu de changer le plan de l’organisation, et ne s’est donc pas habillée en conséquence. Elle n’apparaît pas « interrogatrice professionnelle » avec sa
petite robe noire bustier en dentelle. Ses escarpins, des Louboutin comme lors de leur rencontre à l’hôtel, tranchent avec le décor stérile de la cellule. Elle passe une main légère contre sa crinière -ramassée en une longue tresse ensuite remontée en chignon- s’assurant qu’aucune mèche ne s’en est encore échappée, et penche la tête sur le côté.
Derrière le miroir sans tain, elle se doute que brute numéro 5 observe attentivement, une ligne de communication ouverte avec son contact de l’organisation. Elle sait qu’elle est bonne pour une remontrance -au mieux, si elle tire de bonnes informations de Jack- et s’efforce de ne pas y penser tout de suite.
«
Tu tenais vraiment à la cravate que j’ai emportée en souvenir, Jack ? Elle était élégante, j’en conviens. Mais le tissu n’était pas d’une qualité excessive. Elle ne valait certainement pas le prix de la boucle d’oreille que j’ai "oublié" sur la table de chevet. »
Comme pour accentuer la mention des boucles d'oreille, la lumière d'un des néons accrocha les
araignées en diamant pendant à ses oreilles. La tête étant un diamant normal, étincelant, et le corps un diamant noir. Veuve Noire jusqu'au bout, non ?