« Desco, Kara Desco, je suis là. A la lettre ‘D’, quoi. Voilà. »
La standardiste avait une liste longue comme le bras de candidats et elle avait eu du mal à trouver son nom lorsque la jeune femme s’était présentée à elle. Il avait fallu qu’elle lui désigne son patronyme, forçant sur le sourire, alors qu’en réalité, elle était morte de trouille.
Cela faisait des mois qu’elle était sans emploi, et il était assez primordial, voire vital, qu’elle décroche ce job. Kara n’était jamais restée trop inactive, avant cela. Mais ces derniers temps, elle se sentait réellement lasse, et l’attrait des nuits passées en ligne, des chips, des réveils à 14h du matin, des douches espacées, des thermos de café pour pouvoir glander encore et encore… C’était assez plaisant. D’abord, c’était un peu comme des vacances, puis son rythme c’était décalé considérablement avec le communs des mortels actifs.
Elle vivait principalement sous son identité du web, elle avait même été tentée d’annoncer « Cassandre » à la réceptionniste, tant elle utilisait peu son nom irl. Ses deux meilleurs amis étaient devenus son pyjama et son mascara, lui permettant de faire croire qu’elle était sophistiquée, encore, un peu, quand elle voyait son reflet dans un miroir.
Aucune contrainte, finalement, elle avait adoré cela, les premières semaines.
Et puis… Les factures.
Et puis les sites d’offres d’emploi, frénétiquement.
Elle avait postulé à des dizaines de postes, mais était sans doute nulle pour se vendre, alors qu’elle refourguait très facilement n’importe quelle camelote à des badauds. Pas évident de se trouver des qualités, et puis, elle se savait un peu maladroite, peut-être pas assez combattive dans le travail, trop ordinaire ? On lui demandait si elle était mariée, et ça au moins, c’était un avantage ! Pas d’arrêt pour congés maternité en vue dans les … 10 prochaines années ? Même songer à cela la faisait déprimer.
Sortir de son lit devenait un périple, tout comme rejoindre son canapé, et s’habiller, n’en parlons même pas. Elle avait oublié comment on faisait la cuisine, ses cheveux se ternissaient, elle devenait un animal désemparé et nocturne…
Elle avait été réveillée par la sonnerie de son smartphone, c’était un entretien chez Thorn quelque chose, elle ne se souvenait plus avoir postulé, mais c’était dans une heure. Merde, déjà de l’écrémage. Il fallait être disponible. Elle avait sauté dans sa douche, angoissée, et désormais, elle attendait dans un hall immense et ultra-moderne, avec d’autres candidats qui avaient bien sûr l’air tous plus performants qu’elle.
Et les heures avaient été longues. Quelles bandes d’enfoirés, ils faisaient en sorte de décourager les pauvres âmes ayant le couteau sous la gorge, en recherche d’un job. Accoudée sur ses genoux, assise dans un fauteuil assez confortable, vêtue de son tailleur classique, qu’elle espérait assez bien repassé, Kara soupira.
Quand on l’appela, elle se leva et croisa le regard d’un jeune homme très élégant, l’air nonchalant mais étrangement sûr de lui. Ce mec avait un charisme étonnant, qui la fit frémir, mais elle dut presser le pas pour suivre un assistant très guindé. Ses talons résonnaient sur le sol luisant, et elle entra dans la cage des loups.
Ca dura peu de temps, en réalité. Mais pour elle, c’était des heures. Pas moins de six personnes pour la recevoir, elle se sentait petite, seule, sans défense. C’était encore une fois un rapport de force déjà pipé à l’avance. Elle essayait de sourire, de répondre aux questions. Mais Kara était persuadée d’être bien plus nulle que tous les autres. Elle perçut cependant dans le regard d’une des responsables des Ressources Humaines que son parcours actif dès le plus jeune âge lui parlait.
Elle joua donc cartes sur table, affirmant qu’elle avait voulu travailler très tôt, qu’elle préférait l’action aux études, et visiblement, son ancienne entreprise était assez en vue pour être un gage de qualité professionnelle. Le Directeur d’un des pôles commerciaux se leva pour venir lui serrer la main, elle s’inclina respectueusement en les remerciant d’avoir pris le temps de la recevoir… Et elle ressortit de cette grande pièce de réunion intimidante seule, se demandant si c’était bon signe.
Chamboulée, elle n’avait pas du tout repéré le chemin emprunté à son arrivée, et désormais, elle marchait au hasard, trop perturbée par son entretien pour réfléchir à autre chose que les phrases qu’elle aurait dû dire, ce qu’elle aurait pu argumenter, les bonnes réponses évidemment. Pourquoi y pensait-elle maintenant, c’était avant qu’il fallait s’activer enfin ! Grognon, elle pressa le pas, avant de s’arrêter dans un dédale de couloirs et lever le nez.
Merde, elle était perdue. A cette heure-ci, la nuit tombant, elle estimait que les employés devaient être rentrés chez eux. Du moins leur souhaitait-elle ; Kara soupira, en tournant les yeux à droite puis à gauche, à la recherche d’une âme charitable pouvant lui indiquer son chemin.